République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 12 juin 2008 à 17h
56e législature - 3e année - 9e session - 47e séance
P 1613-A
Débat
M. Frédéric Hohl (R), rapporteur de majorité. J'ai déposé ce rapport il y a plus d'une année, et nous avons reçu les pétitionnaires en mars 2007. Ces derniers avaient plusieurs inquiétudes: ils craignaient notamment que la cafétéria du Centre de Lullier ferme ses portes, que ses employés perdent leur travail et que l'on renonce aux produits cultivés dans ce centre.
Cependant, la majorité des commissaires a été pleinement rassurée tant par les représentants du DIP que ceux du Centre de Lullier, qui étaient tous en faveur de cette externalisation. En outre, le personnel a accepté des propositions de remplacement et, à ce jour - je l'ai d'ailleurs vérifié auprès du directeur du centre - la société Novae remplit parfaitement le contrat. Il y a eu quelques ajustements dans le contrat de restaurateur, mais je vous confirme que cette société utilise, dans le cadre des menus qu'elle propose aux étudiants, les produits du terroir cultivés chez eux.
Par conséquent, je vous encourage, Mesdames et Messieurs les députés, à voter le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil et vous en remercie.
La présidente. Merci, Monsieur le rapporteur. Je vous rappelle que nous sommes en catégorie II et que, comme il y a également un rapport de minorité, chaque groupe dispose de six minutes de temps de parole, auxquelles s'ajoutent les six minutes dévolues aux rapporteurs. La parole est à Mme la rapporteure de minorité Lydia Schneider Hausser.
Mme Lydia Schneider Hausser (S), rapporteuse de minorité. Ce rapport a été déposé il y a une année, trop tard pour intervenir sur la qualité des reclassements des employés de la cafétéria. Trop tard également pour empêcher une externalisation, comme vous dites, ou une privatisation de cette même cafétéria. Le transfert des cafétérias des établissements scolaires dans le secteur privé est ainsi terminé au DIP. Mais y aura-t-il une évaluation de ce changement en termes de gestion financière et de valeurs transmises à nos juniors concernant l'alimentation saine, spécialement dans cette école ? La situation de Lullier est en effet particulière, parce que nous avons affaire à un centre de formation de type internat, situé en dehors de toute zone permettant l'accès à un autre établissement de restauration. Les adolescents et les jeunes adultes en formation sont de ce fait captifs de cette cafétéria pour leurs repas.
L'organisation de ce lieu ne donnait pas satisfaction à la direction. Mais pourquoi n'a-t-elle pas alors cherché à transformer à l'interne cette structure et à trouver un partenariat avec une entité associative, par exemple, qui n'a pas de but lucratif, plutôt que d'aller vers une privatisation, vers une société privée ?
En commission, nous avons remarqué que les conventions et contrats passés avec les repreneurs privés ne stipulent rien d'impératif ou de contraignant quant à l'utilisation des produits agricoles et fruitiers de l'école. Cela signifie que, si tout va bien, le premier gérant, vu le tout nouveau changement, sera peut-être respectueux du voeu du département, qui est d'utiliser des produits récoltés à Lullier dans la confection des repas. Mais il suffira que le gérant change pour que l'école se voie très vite dans «l'obligation» de devoir accepter qu'une grande entreprise impose ses plats préfabriqués. Les étudiants auront alors des cours pour apprendre à cultiver des légumes et on leur dispensera ensuite, certainement, des enseignements sur le compostage optimal, afin de valoriser ces mêmes légumes, fruits de leur travail.
Je vous laisse trouver les expressions qui conviennent au maillon manquant de la chaîne alimentaire. Je pense qu'on oscillera entre «malbouffe» et «besoin pour quelques personnes d'encaisser des dividendes d'entreprises de restauration». Pourquoi n'avons-nous pas plutôt laissé l'Etat payer des employés correctement ?
Pour toutes ces raisons, nous vous demandons que cette pétition soit renvoyée au Conseil d'Etat.
M. Roger Golay (MCG). Le Grand Conseil a été saisi de cette pétition munie de 178 signatures et devait débattre de la question de savoir si l'on voulait ou non privatiser la cafétéria du Centre de Lullier.
Nous savons tous que la pétition est le premier acte citoyen démocratique et que l'on se doit de respecter ce type de texte qui est envoyé à notre Grand Conseil. Or je constate que la privatisation s'est faite sans que l'on puisse en débattre au sein de notre assemblée, et je trouve qu'il n'est pas du tout décent de la part du Conseil d'Etat de s'être saisi de ce dossier sans attendre que le Grand Conseil puisse prendre une décision à son sujet. En effet, même si la majorité était favorable à la privatisation - ce qui n'était pas le cas du groupe MCG - je pense qu'on aurait pu espérer ce soir un changement d'avis dans cette assemblée plénière. Je suis donc fâché, je ne vous le cache pas, de cette décision du Conseil d'Etat.
La présidente. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Rappaz. Vous avez quatre minutes trente !
M. Henry Rappaz (MCG). La privatisation engagée et envisagée pour la cafétéria de l'école de Lullier n'est pas une bonne affaire. En effet, cet établissement de type internat comprend 130 apprentis, et la restauration dans cette zone de campagne n'est pas à prendre à la légère. Trop d'établissements qui avaient un but social ont fermé sans raison ces derniers temps à Genève. Si la rentabilisation de cette cafétéria s'avère difficile, ce n'est que logique, puisqu'elle est là dans le cadre scolaire et non de l'Eurofoot ! Si les prix doivent monter de quelques francs, ce n'est pas le vrai problème pour ces pensionnaires. Il faut rappeler qu'il n'y a pas dans la région d'autre restaurant suffisamment grand pour ces 130 élèves et que c'est donc une fermeture du centre qui est programmée, comme le pensent certains.
Le MCG éprouve le même ressentiment que ces étudiants qui sont condamnés à ingurgiter des aliments surgelés ou préfabriqués en usine, alors qu'ils produisent à longueur d'année des légumes frais. Le MCG apprend que les légumes ou pommes de terre servis dans la cafétéria ne proviennent pas du territoire mais d'Espagne... Curieuse manière de soutenir la production, qui peine déjà à Genève ! De plus, des propositions inacceptables de reclassement ont été faites au personnel.
En conséquence, comme le souhaitaient en commission le MCG, les socialistes et les Verts, cette pétition aurait dû être renvoyée au Conseil d'Etat. Aussi le MCG vous prie-t-il de refuser son dépôt sur le bureau du Grand Conseil.
M. Antoine Bertschy (UDC). Le groupe UDC se réjouit des dernières nouvelles extrêmement positives qui nous ont été données par le rapporteur de majorité quant à la suite des événements. Elles nous confortent évidemment dans notre idée du dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.
Mme Fabienne Gautier (L). Plus de treize mois se sont écoulés, comme l'a fait remarquer justement le rapporteur de majorité, depuis le dépôt des rapports sur cette pétition concernant la cafétéria du Centre de Lullier. Presqu'une année scolaire a passé depuis la privatisation de cette dernière et personne n'est venu s'en plaindre, que ce soient les élèves, qui sont les premiers réellement concernés, les habitués de la cafétéria, c'est-à-dire ceux qui se promènent dans le Centre de Lullier ou qui y travaillent, ou encore les gens de passage. Tout le monde est en fait satisfait et je dirai même plus, puisque des privés y organisent des réceptions.
De quoi avait donc peur Mme Schneider Hausser, rapporteure de minorité ? Que les offres de la cafétéria ne répondent pas aux attentes de ceux qui la fréquentent et que ses gérants n'utilisent pas les produits provenant du Centre de Lullier, cultivés sur place naturellement. Mais, Mesdames et Messieurs les députés, il faudrait être inconscient et mauvais gestionnaire pour ne pas se fournir en produits cultivés sur place et vendus à des prix très raisonnables !
Le réel problème n'est pas là. La gauche, une fois de plus, est allergique à la privatisation. Elle préfère que ce soit le contribuable qui fasse les frais d'une mauvaise gestion, car tel était bien le cas de la cafétéria de Lullier. C'était le centre qui prenait à charge les employés de celle-ci, car les entrées réalisées ne suffisaient pas à couvrir les salaires. Actuellement, le nouveau gérant se donne les moyens de rentabiliser son utilisation: il a dynamisé les heures d'exploitation, organise des banquets, bref, il sait vendre sa marchandise, si je puis m'exprimer ainsi. Tout simplement parce que ce gérant doit s'assurer de couvrir ses frais d'exploitation et ses salaires.
Pour conclure, tout le monde est satisfait, et principalement le premier intéressé, le Centre de Lullier, raison pour laquelle le groupe libéral vous recommande de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.
M. François Thion (S). C'est vrai que, d'une manière générale, le groupe socialiste est contre les privatisations, mais, dans le cas de Lullier, j'étais étonné -voire effaré - qu'on privatise cette cafétéria. Il y a des gérances privées qui marchent très bien dans les collèges, or, à Lullier, il s'agit quand même d'une situation assez exceptionnelle: en effet, c'est un centre où l'on produit des fruits et des légumes ! Alors, qu'on aille chercher quelqu'un qui soit totalement en dehors de la maison pour faire la cuisine...
J'aimerais citer quelques faits et chiffres, parce que j'ai entendu beaucoup de choses. A l'heure actuelle, les repas de midi sont de bonne qualité, puisqu'ils ont obtenu le label «Fourchette verte», et qu'ils sont pris par environ 250 personnes, internes et externes. Il n'y a rien à redire, et deux cuisiniers travaillent avec quatre aides.
En revanche, comme il faut bien réaliser des économies et faire du profit, les repas du soir servis aux internes sont, la plupart du temps, constitués de pizzas, de surgelés, de raviolis, etc.: la cuisine du soir est donc de mauvaise qualité ! Nous avons pourtant un gouvernement qui s'inquiète, à juste titre, de la santé de la jeunesse dans notre canton et qui veut lutter contre l'obésité... Je pense qu'il y aurait donc un effort à fournir dans cette cafétéria de Lullier, et l'on ne peut que regretter sa privatisation.
En ce qui concerne maintenant le personnel qui y travaillait, on nous dit qu'il a été replacé. Je vous en donne deux exemples concrets: le chef de cuisine qui oeuvrait auparavant à Lullier est devenu chef du nettoyage et un autre cuisinier huissier dans un collège... Je ne vais pas faire de commentaires à ce sujet, mais vous informe que le parti socialiste souhaiterait vraiment que cette pétition soit renvoyée au Conseil d'Etat. (Applaudissements.)
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Beaucoup de choses ont été dites et, pour ne pas faire trop long, je relèverai simplement que nous ne sommes personnellement pas allergiques à la privatisation, mais que nous pensons que le rôle d'un parlement est de contrôler ce qui se passe. Or, si l'on ne parlait pas de cette pétition, on ne saurait pas ce qui se produit à Lullier ! C'est une école, un lieu pédagogique, il s'agit donc de l'avenir des jeunes qui, plus tard, transmettront leurs connaissances.
S'il y a des repas privés, des invitations ou des cérémonies qui se déroulent dans cette cafétéria, tant mieux ! Mais ce n'est pas une raison pour, le soir, servir des pizzas et des aliments congelés aux élèves de l'école !
Pour toutes les bonnes raisons évoquées par M. Thion, je pense que cette pétition a tout lieu d'être renvoyée au Conseil d'Etat, afin qu'il effectue un contrôle de la qualité et la manière d'alimenter ces jeunes le soir et qu'il veille également à ce que les produits cultivés sur place y soient vraiment utilisés. C'est notre rôle, et, à long terme, il revient moins cher de faire ce genre de pédagogie que d'économiser quelques milliers de francs au nom d'une privatisation.
Mme Béatrice Hirsch-Aellen (PDC). Que M. Thion soit rassuré, déjà à l'époque les repas du soir laissaient à désirer... Manifestement, pas grand-chose n'a changé ! En revanche, je pense que, contrairement à ce que dit Mme Leuenberger, le parlement a un ordre du jour bien chargé et je ne suis pas sûre que la qualité des pizzas servies à Lullier justifie un débat qui frise maintenant la demi-heure. Le groupe PDC soutiendra donc le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.
M. Frédéric Hohl (R), rapporteur de majorité. J'ose à peine prendre la parole après votre intervention ! Je vais faire très court.
C'est la fierté des élèves que de cultiver leurs légumes, et ils ont envie de les manger ! Ce sont donc les premiers qui souhaitent avoir les légumes de Lullier dans leur assiette, raison pour laquelle le DIP a inclus cette donnée dans le cahier des charges. L'une des questions de la commission était d'ailleurs de savoir comment serait élaboré ce cahier des charges et si cette problématique des produits serait réellement inscrite dans ce dernier. Or c'est le cas. Par conséquent, même s'il y a un changement de gérant, ces éléments figurent de toute façon dans le cahier des charges.
Je vous rappelle en outre que la problématique de Lullier n'est pas la même que celle d'un collège ! Il y est question de petit-déjeuner, de déjeuner et de repas du soir, c'est donc assez compliqué.
Pour ces raisons, je vous encourage, Mesdames et Messieurs les députés, à déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.
M. Christian Bavarel (Ve). Je voudrais juste apporter une précision: j'ai été élève à Lullier, et je sais ce que les étudiants de ce centre aiment, ce n'est pas seulement les légumes ! C'est un endroit où l'on apprend à distiller de l'alcool et à préparer le fruit dans la formation d'arboriculteur fruitier. Il se trouve que l'alcool a été supprimé à l'école, mais les élèves auraient néanmoins énormément de plaisir, vu que c'est leur métier, à déguster aussi ces produits-là ! (Exclamations.)
La présidente. Merci, Monsieur le député. La parole est à la rapporteure de minorité, Mme Schneider Hausser, à qui il reste une minute quarante.
Mme Lydia Schneider Hausser (S), rapporteuse de minorité. Nous souhaitons le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat, afin qu'il y ait une évaluation, d'une part, de la gestion financière - ce que cela rapporte, quels sont les problèmes - et, d'autre part, de la problématique sensible de l'alimentation durable et de la chaîne alimentaire, qui devrait attirer toute notre attention dans ce cadre-là.
M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Je ne serai pas trop long. Je crois que le terme de «privatisation» peut, bien sûr, être employé, comme celui d'«étatisation», lorsqu'il s'agit d'un mouvement inverse. Toutefois, dire qu'on aurait étatisé la Haute école de musique et privatisé la cafétéria de Lullier permet peut-être à chaque camp religieux d'être en accord avec sa doctrine, mais probablement assez mal d'approcher les réalités organisationnelles, au sens pragmatique du terme.
De quoi est-il question, Mesdames et Messieurs les députés ? Vous l'avez dit lors de vos différentes interventions, nous parlons des repas organisés dans un centre de formation relevant aujourd'hui à la fois du secondaire et du tertiaire, qui se doit de garantir des conditions de travail plus que correctes et, surtout, des repas équilibrés - parce que c'est de prestations qu'il s'agit - qui correspondent aux standards. J'aimerais vous dire que, si l'on mange si mal à Lullier, c'est qu'on empoisonne depuis des années dans tous les collèges, écoles de culture générale et autres centres de formation professionnelle de Genève...
Bref, je pense qu'il faut prendre acte du fait qu'on a adapté à Lullier le dispositif de la cafétéria ainsi qu'il devait l'être, comme c'est le cas dans chaque centre de formation de l'enseignement secondaire. Il n'y a aucune raison d'avoir une exception à Lullier, si ce n'est l'historique, qui veut que, très longtemps, cette école, même placée au sein de l'Etat, ne correspondait pas aux règles de l'Etat et, même placée au DIP, ne correspondait pas aux règles du DIP.
Aujourd'hui, nous sommes plutôt, malgré la privatisation de la cafétéria - excusez-moi, Mesdames et Messieurs les députés ! - en pleine étatisation du Centre de Lullier, dans le bon sens du terme ! J'entends par là des garanties quant aux prestations, au paiement des apprentis et au respect des normes, y compris celle de ne pas distribuer de l'alcool aux mineurs. Du reste, Monsieur Bavarel, vous m'inquiétez quelque peu ou, plutôt, je m'inquiète de savoir si l'alcool qu'on vous faisait boire à l'époque au Centre de Lullier peut encore produire des effets ! (Rires.)
Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission des pétitions (dépôt de la pétition 1613 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 40 oui contre 24 non.