République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du lundi 19 mai 2008 à 17h
56e législature - 3e année - 8e session - 41e séance
Discours de la présidente du Grand Conseil
Discours de la présidente du Grand Conseil
(Un huissier du Grand Conseil accompagne la présidente au micro et se tient à côté d'elle pendant l'allocution.)
Mme Loly Bolay, présidente. Mesdames, Messieurs, il y a tout juste cent nonante-trois ans, le 19 mai 1815, la République de Genève faisait son entrée dans la Confédération helvétique, Genève devenant ainsi le vingt-deuxième canton suisse.
Mais notre petite république devenait aussi un canton au service de la communauté internationale, avec la création, en 1830, de la Société Universelle de la Paix, qui fut la première organisation internationale de l'histoire du monde, et la création de la Croix-Rouge en 1863 par Henri Dunand, après la Bataille de Solferino. En 1872, lors de la réunion du premier Tribunal arbitral de l'Alabama, le président de ce tribunal d'arbitrage, le comte italien Frédéric Sclopis, se demandait pourquoi le Traité de Washington, auquel nous devons ce tribunal d'arbitrage, avait prévu que nous nous réunissions sur sol suisse. «J'en ai vite compris la raison», disait-il, «il fallait trouver à nos débats un climat aussi favorable que possible, où un esprit de liberté austère et serein s'allie au respect de l'ordre public, dans un pays où la tradition soit à la fois le critère de l'action présente et la sauvegarde de l'avenir.» Le destin de Genève, cité de la paix, était ainsi scellé.
Au niveau judiciaire, il faut remonter à 1534 pour connaître le premier procureur de Genève, en la personne de Jean Lambert.
C'est suite à la Constitution du 21 mai 1847 que différents tribunaux furent créés, calqués sur le modèle français. C'est elle qui régit encore aujourd'hui la République et canton de Genève. Cette constitution définit plus clairement la souveraineté du peuple et précise un certain nombre de droits individuels. Ainsi, le jury supprimé par la Restauration est rétabli. Impulsée par James Fazy, la Constitution de 1847 a subi près d'une centaine de modifications. Il faut rappeler qu'elle est une de plus anciennes de Suisse qui soit toujours en vigueur. Parmi les modifications qui exercent encore aujourd'hui un effet durable sur l'organisation des pouvoirs publics, on peut citer la révision du 6 juillet 1892, qui introduisit le système proportionnel pour l'élection des députés au Grand Conseil.
Le référendum fut, quant à lui, introduit en 1879 et le droit d'initiative en 1891, tout comme, en 1893, l'élection des Conseillers aux Etats élus directement par le peuple et, en 1904, celle des juges.
La Constitution de 1847 admettait le principe de la séparation des pouvoirs mais ce dernier n'était pas appliqué avec une grande rigueur. Le cumul des mandats resta possible jusqu'au 31 mars 1901. Ainsi, le procureur général Benjamin Dufernex, qui succéda à William Turrettini, s'illustra en défendant, en sa qualité de député, le projet de code d'instruction pénale qui introduisait l'information contradictoire, c'est-à-dire l'enquête par le juge d'instruction en présence des parties assistées de leurs avocats, telle qu'on la connaît encore aujourd'hui.
Dans l'oeuvre «De l'esprit des lois», publiée en 1748, Montesquieu écrit: «Pour qu'on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir». A Genève, même si la constitution ne prévoit pas expressément la coopération entre les trois pouvoirs, celle-ci doit être considérée comme un principe de base de l'organisation du canton. Son bon fonctionnement implique la meilleure collaboration possible entre les trois pouvoirs, car la séparation des pouvoirs n'est pas l'hostilité ni le silence des pouvoirs. Elle est dialogue, parfois critique, et collaboration dans l'indépendance. La séparation des pouvoirs n'est pas un acquis intangible, mais un équilibre précaire, qu'il faut sans cesse réajuster, voire reconquérir.
Mesdames et Messieurs, la société a changé. Elle est en pleine mutation. La criminalité est devenue plus sournoise car mieux organisée, mieux outillée - grâce notamment aux nouvelles technologies - et plus violente aussi.
Pour une certaine catégorie de jeunes, la violence est devenue le mode de communication privilégié. Il y a aussi la violence faite aux femmes, violence trop souvent taboue, une violence qui n'est, hélas, pas suffisamment dénoncée. Il y a les abus sexuels dont les enfants sont victimes, le trafic de drogue, les réseaux de prostitution, les infractions en tous genres, par exemple à la circulation routière, et la criminalité économique. Au point que la question sécuritaire, avec la problématique du chômage, est devenue une des préoccupations majeures de la population.
C'est pourquoi nous avons besoin d'une justice forte, ayant les moyens de fonctionner, une justice au service de tous, et surtout une justice juste, accessible à tous, égale pour toutes et tous, une justice respectueuse des droits de l'Homme et ayant comme souci la présomption d'innocence.
Mais la justice est aussi l'affaire de chacune et chacun. Or elle est aujourd'hui trop lente car débordée et engorgée. En effet, le nombre de procédures a subi une augmentation exponentielle ces dernières années, alors que les moyens qui sont alloués à la justice restent insuffisants, même si, il faut le relever, le parlement a pris la mesure de ces difficultés et a voté sur proposition du Conseil d'Etat une augmentation sensible du nombre des magistrats.
Dans le même temps, les prisons sont pleines. Champ-Dollon, avec une capacité de 270 détenus, vit une situation de surpopulation carcérale chronique, avec un taux de suroccupation de presque 180%, et ce malgré l'ouverture en février dernier de la prison de la Brenaz.
Par ailleurs, une modification du code pénal suisse, entrée en vigueur le 1er janvier 2007, institue les peines de substitution comme la peine pécuniaire ou le travail d'intérêt général. Malheureusement, celles-ci sont insuffisamment utilisées, tout comme les outils votés par le plénum, la médiation pénale et civile, qui sont peu ou pas mis en pratique. Tout cela à l'aune d'un bouleversement important qui est la refonte complète de l'organisation judiciaire tant civile que pénale et administrative, un bouleversement qui implique un changement profond du système actuel.
Mesdames et Messieurs les magistrats, vous venez de prêter serment. Vous allez devoir rendre justice, mais cette justice doit être rendue avec discernement et humanité, une justice égale pour tous, le riche comme le pauvre, l'étranger comme l'enfant du pays. Vous devez veiller à l'application de la loi, votre fonction demande un investissement important, du savoir-faire, du respect, de la fermeté, mais aussi de l'indulgence parfois, de l'audace, de la persévérance, de l'instinct, de la discrétion et, surtout, un courage à toute épreuve, car les défis qui vous attendent sont nombreux et difficiles. En effet, les attentes de la population sont grandes et nous sommes intimement persuadés que vous serez à la hauteur de celles-ci.
Mesdames et Messieurs, que cette cérémonie qui nous réunit toutes et tous ici soit un beau présage pour un avenir serein et plein d'audace de notre République et canton de Genève, qui a toujours su, et ce depuis des siècles, affronter son destin avec sagesse, courage, détermination et intelligence ! (Applaudissements.)
(Le choeur de gospel One Step interprète «Can't give up now». Applaudissements.)