République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 15 novembre 2007 à 20h30
56e législature - 3e année - 1re session - 2e séance
PL 9863-A
Premier débat
La présidente. Voici l'objet que vous avez voulu traiter en urgence: le projet de loi 9863 de la commission fiscale. Monsieur le rapporteur de majorité, avez-vous quelque chose à ajouter à votre rapport ?
M. Jean-Michel Gros (L), rapporteur de majorité. Ce projet de loi s'inspire en fait d'une nouvelle disposition fédérale, d'une modification du droit qui est entrée en vigueur en janvier 2006. Il vise à augmenter l'attractivité des donations en faveur des institutions d'utilité publique. Il vise également à favoriser les dons en portant la possibilité de déduire ceux-ci de l'impôt fédéral direct jusqu'à concurrence de 20% du revenu déclaré.
La législation cantonale qui vous est proposée aujourd'hui vise à aligner la loi fiscale cantonale sur l'exemple fédéral. En d'autres termes, il s'agit de permettre aux personnes physiques de déduire les dons effectués en faveur des institutions d'utilité publique jusqu'à 20% du revenu au lieu de 5% pour les personnes physiques. Pour les personnes morales, la possibilité de déduction passe de 10% à 20%. En faisant cela, le canton de Genève ne fait donc qu'appliquer ce qui est en vigueur au niveau de l'impôt fédéral direct. En plus, il s'aligne sur ce qu'ont adopté la plupart des cantons suisses.
La commission a travaillé longuement sur ce projet, qui était fort intéressant, parce qu'il a soulevé quelques questions que l'on pourrait qualifier de philosophiques. Les questions principales évoquées lors de ces travaux concernaient essentiellement trois thèmes. (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)
Premièrement, une question portait sur le choix de l'attribution de ses propres impôts. C'est une question vraiment philosophique, qui a été évoquée et longuement discutée.
Deuxième élément - je regarde M. Velasco car je suis sûr qu'il reposera la question - ce projet implique-t-il des baisses des recettes fiscales ? Je sais qu'il va reposer la question. Je tenterai d'y apporter quelques réponses, comme cela a été fait durant les travaux en commission.
La troisième question qui a été posée concernait le terme «cultuel». C'est-à-dire que les donations faites à des institutions cultuelles bénéficient également de cette possibilité de déduction, ainsi que les donations à des institutions à buts cultuels qui pouvaient bénéficier de l'exonération. Cela posait un problème à certains, mais cela a également été étudié très attentivement par la commission.
Première question: ce projet ne va-t-il pas dans le sens du choix de l'attribution de ses impôts par le contribuable lui-même ? C'est une question fondamentale et je dois dire que la majorité de la commission n'y voyait rien de choquant. Effectivement, il s'agit de savoir si des institutions méritent le fait que des gens s'intéressent à elles et qu'elles puissent bénéficier de sponsors, de mécènes - on les appellera comme on voudra - et s'il faut encourager ce mécénat. A cet égard, je voudrais reprendre une parole de M. Hiler qui m'a paru assez forte; je l'ai même reprise en gras dans mon rapport que je vous cite. Il faut juste que je le retrouve... Voilà ! Premièrement, M. le conseiller d'Etat pensait qu'«il est erroné de prétendre que tous les projets de ces associations peuvent être financés par les collectivités publiques». Cela pour les simples contraintes financières du canton.
Deuxièmement, il y a quelque chose de plus profond, puisque j'ai évoqué la philosophie. Je crois que M. Hiler a eu une phrase très philosophique en disant que «il n'est pas possible de se limiter à la redistribution par l'Etat, parce que l'Etat représente le pouvoir de la majorité, alors que le pouvoir des individus est dans la diversité». Il me paraît extrêmement conforme au voeu de la majorité de permettre justement cette distribution des dons, de faciliter les dons de l'ensemble des citoyens et non ceux faits par l'Etat, qui représente forcément la majorité.
Pour faire bref, je passe maintenant aux baisses des recettes fiscales. Je dois dire qu'il est impossible de chiffrer l'impact fiscal de ce projet de loi. C'est pour cela que je n'ai pas intitulé le chapitre du rapport relatif à cette question «Conséquences pour les recettes fiscales de l'Etat». Evidemment, ici, nous avons affaire à quelque chose qui relève de l'attitude personnelle de chaque contribuable; il est donc impossible d'estimer cette conséquence, même en se basant sur les chiffres actuels qu'on nous a transmis et que vous trouvez en annexe de mon rapport. On considère la déduction actuelle autorisée de 5% et on propose de porter celle-ci purement et simplement à 20%. Que feront les citoyens ? Vont-ils continuer à donner environ 5% ? Vont-ils être dégoûtés ? Y aura-t-il une crise économique ? Donneront-ils moins ? Vont-ils donner 10% de leur revenu, ou jusqu'à 20% ? C'est ce que beaucoup de monde souhaite, bien entendu ! Personne ne sait ce qu'il en sera; personne ne peut le savoir ! Donc, je crois que tous les renseignements que nous avons eus, tant de l'administration fiscale que du conseiller d'Etat, nous montrent que c'est impossible à chiffrer.
Dès lors, on peut adopter deux attitudes. Certains craignent que les recettes fiscales ne baissent. D'autres l'espèrent: cela démontrerait que la générosité de nos citoyens est sans bornes. Une générosité qui pourra déployer tous ses effets et renforcer ainsi le pôle genevois des oeuvres caritatives non seulement, mais aussi les pôles culturels et de la recherche. C'est cela qui est important !
Maintenant, faut-il maintenir le terme «cultuel» dans ce projet de loi ? Là, nous avons évidemment affaire à quelque chose de plus délicat, qui relève de la philosophie de chacun, au-delà des appartenances partisanes, d'ailleurs. Tout le monde avait son opinion à cet égard. En tout cas, il a semblé à la majorité de la commission que ce projet n'était pas propice à engager une profonde discussion sur ce sujet et, surtout, à supprimer l'aspect cultuel des dons et des donations. Pourquoi ? Tout le monde sait que les églises dites officielles - je parle de la catholique romaine, la catholique chrétienne et la protestante - bénéficient actuellement déjà de l'exonération. Les citoyens qui versent des contributions ecclésiastiques bénéficient déjà de l'exonération, les contributions ecclésiastiques pouvant être déduites du revenu imposable. Pour les autres communautés religieuses - musulmanes et juives par exemple - nous n'avons pas pu obtenir de renseignements puisque, comme toutes les institutions exonérées, elles sont soumises au secret fiscal.
Toutefois, la crainte de certains par rapport à l'introduction du terme «cultuel» était évidemment que l'on puisse accorder des déductions de revenus sur des dons à des organismes qui se donnent le nom d'«église», qui ont peut-être quelque activité cultuelle de temps en temps mais qui n'ont pas forcément... Bref, je n'allonge pas et je vais parler franchement: il s'agit des sectes ! Alors, je dois dire que le projet de loi laisse une marge de manoeuvre large au gouvernement, puisque c'est lui qui doit déterminer les critères d'utilité publique ! A moins qu'il y ait un changement magistral dans la composition du Conseil d'Etat qui viendrait à inclure des membres de sectes plus ou moins réputées, il me semble que cela nous laisse une certaine marge de manoeuvre pour que le terme d'utilité publique soit défini par un Conseil d'Etat responsable. Dès lors, la dérive sectaire d'une organisation qui pourrait s'appeler «église» ne serait évidemment pas concernée par ce projet de loi !
Ainsi, Mesdames et Messieurs les députés, la majorité de la commission - la grande majorité de la commission - vous demande d'entrer en matière et d'accepter ce projet de loi car, véritablement, il est là pour encourager la générosité des Genevoises et des Genevois. La majorité a fait beaucoup de concessions pendant les débats. Le chapitre concernant toutes les donations, tous les dons en faveur d'institutions domiciliées à l'étranger a été biffé du projet de loi, même lorsqu'une convention de double imposition existait avec un autre pays. Evidemment, nous craignons quelques risques d'évasion fiscale, voire d'infractions à certaines lois pénales, notamment la loi sur le blanchiment d'argent (LBA). Nous avons donc supprimé tout ce volet du projet de loi.
Restent bien entendu réservés les cas où une convention de réciprocité serait négociée par le canton, mais celles-ci sont extrêmement rares à l'heure actuelle. On pense à la France, notamment. Peut-être un jour une convention entrera-t-elle en vigueur dans ce domaine ? Parce que les conventions de réciprocité sont établies secteur par secteur et elles doivent être complètement égales entre la Suisse et le pays tiers et entre le canton et le pays tiers, puisqu'il s'agit également d'une compétence cantonale en Suisse.
Alors, nous avons renoncé à tout cela, ce qui fait qu'il s'agit ici de permettre une déductibilité de 20% du revenu sur les donations et les successions faites à des organismes d'utilité publique domiciliées en Suisse. Donc, ce projet nous paraît être propice à favoriser la culture et la recherche dans notre pays et à Genève en particulier. C'est pour cela que je vous engage à voter ce projet de loi ! (Applaudissements.)
M. Roger Deneys (S), rapporteur de minorité. Merci à Mme la présidente, l'éminente présidente, ma camarade Loly ! Bravo Loly ! Mesdames et Messieurs les députés, pour parler de choses beaucoup plus sérieuses, ce projet de loi déposé par la droite il y a quelque temps est totalement amoral ! C'est bien ça le problème. En commission fiscale, les socialistes l'ont étudié avec attention et ils se sont abstenus sur la plupart des amendements. Ils ont relevé les éléments susceptibles de poser des problèmes. Je pense notamment à ce qu'a évoqué M. Gros tout à l'heure: le fait que l'on puisse exonérer des dons en faveur d'institutions qui se trouvent à l'étranger, alors qu'on ne sait pas forcément si elles recouvrent bien des mouvements dits cultuels ou culturels, voire d'utilité publique - selon leur localisation. On ne sait donc pas très bien ce que cela veut dire. Heureusement, cet aspect du projet a été supprimé ! C'était simplement une question de bon sens. Les socialistes n'étaient pas opposés au principe d'une simplification, d'une harmonisation, telle qu'on peut la souhaiter de façon générale pour toutes les lois fiscales. Les socialistes sont absolument attachés à ce principe de simplification des lois, mais le résultat de cette proposition est totalement amoral, Mesdames et Messieurs les députés ! (Brouhaha.)
La présidente. Vous avez fini, Monsieur le député ?
M. Roger Deneys. Non, je n'ai pas fini du tout ! J'attends seulement qu'il y ait un peu de silence ! J'estime avoir le droit de parler avec un peu plus de silence !
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, laissez parler l'orateur ! Ceux qui veulent avoir des conversations privées peuvent très bien se rendre à la salle Nicolas Bogueret, à la salle des Pas-perdus ou encore aller boire un verre dehors !
M. Roger Deneys. Effectivement, je vais donc d'abord m'adresser aux députés, sans beaucoup d'espoir de les faire changer d'avis, parce qu'on sait très bien qu'ils ont leur opinion forgée depuis longtemps ! Je ne m'adresserai pas aux médias, qui sont souvent à la botte des mêmes partis dominants de ce parlement ! (Commentaires.) Monsieur Weiss, s'il vous plaît, on sait que vous siégez dans la commission de contrôle de la Télévision suisse romande, n'en rajoutez pas !
Je vais quand même m'adresser d'abord aux députés. Mesdames et Messieurs les députés, le problème majeur de ce projet de loi, c'est le fait que son impact fiscal n'est pas connu. Aujourd'hui, nous ne savons pas de combien vont diminuer les recettes fiscales du canton de Genève. Vu la situation actuelle des finances publiques, vu les enjeux qui nous attendent, y compris pour des propositions qui émanent des bancs de l'Entente, c'est quelque chose qui n'est absolument pas possible aujourd'hui ! Ce n'est pas du fond du sujet qu'il est question. La question porte plutôt sur l'opportunité de provoquer une diminution des rentrées fiscales aujourd'hui, alors que nous avons besoin d'argent. A défaut de connaître le montant exact de la perte, qui serait quand même de plusieurs millions, j'aimerais évoquer ce qui est dit à la page 7 du rapport de majorité, suite à l'audition de M. Tanner, directeur de l'Administration fiscale cantonale. Je cite la dernière phrase: «On s'aperçoit ainsi qu'avec un revenu net de 100 000 F, l'écart fiscal serait de 5124 F.» C'est-à-dire qu'on paierait 5124 F de moins d'impôt si on donne l'équivalent de 20% de son revenu net, c'est-à-dire 20 000 F sur un revenu de 100 000 F, ce dont je doute que ce soit possible. Toutefois, pour un revenu de 10 millions de francs, l'écart serait de 669 940 F. Donc, quelqu'un qui donnerait 2 millions de francs à une institution d'utilité publique provoquerait une baisse de recette fiscale de l'ordre de 700 000 F. Ce n'est pas acceptable pour les socialistes, principalement parce que cette logique conduit à une privatisation de l'aide et de l'assistance ! Fondamentalement, c'est là que nous ne sommes pas du tout d'accord. Il n'est pas normal que certains puissent décider de l'attribution de leurs impôts à telle ou telle entité, plutôt que de les placer dans le pot commun, comme les impôts de tous les autres contribuables, pour financer les dépenses communes de toute la collectivité ! Cette privatisation de l'aide, qui permet de dire que certains mériteraient plus que d'autres, en fonction de critères souvent liés à du marketing ou à de la publicité, ne nous semble absolument pas acceptable. C'est vraiment la raison pour laquelle les socialistes s'opposent à ce démantèlement du système des finances publiques. L'impôt garantit un traitement égal et équitable de toutes les entités, alors que votre choix - pour vous, pour la majorité de la commission - comme vous l'avez reconnu tout à l'heure, c'est de dire qu'il est normal de pouvoir choisir à qui l'on donne. Eh bien, pour nous, socialistes, ce n'est pas acceptable !
J'aimerais insister sur une chose: aujourd'hui, tous les dons sont possibles ! Tout le monde peut donner ! Alors qu'en commission fiscale on insiste sur le fait qu'un franc est un franc et que tout revenu doit être soumis à l'impôt, ici, pour les riches, on propose de déduire l'impôt jusqu'à 20% du revenu net ! C'est totalement inacceptable !
Pour revenir sur le problème cultuel évoqué en commission, il est vrai qu'il est annexe - ou connexe - au sujet en question. Faut-il ou non toujours inclure les églises dans les institutions d'utilité publique ? Faut-il les inclure dans ce projet de loi ? La question reste posée. Je n'ai pas déposé d'amendement, mais la question reste posée.
A partir du moment où nous permettons de déduire jusqu'à 20% du revenu et non plus seulement 5%, il y a une diminution des recettes fiscales et, quelque part, il serait légitime de s'assurer au moins qu'on vise davantage l'utilité publique au sens strict du terme et pas simplement l'utilité publique prise dans un sens philosophique, générique, qui inclurait aussi les églises. C'est une question sous-jacente: nous risquons un effet domino qui va encore diminuer l'aide sociale et en péjorer les conditions.
En bref, ce projet de loi constitue une privatisation des aides, une prime à ceux qui feront le plus de marketing, à ceux qui ne feront donc pas forcément uniquement leur travail d'utilité publique. C'est inacceptable pour les socialistes et je vous invite à refuser ce projet de loi. (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Monsieur le rapporteur de minorité. Sont encore inscrits: M. Yves Nidegger, M. Alberto Velasco, M. Olivier Jornot, Mme Michèle Ducret, Mme Michèle Künzler et M. Renaud Gautier. Je donne tout de suite la parole à M. Nidegger pour le groupe UDC.
M. Yves Nidegger (UDC). Le groupe UDC soutiendra avec enthousiasme ce projet de loi. Le fait qu'il déplaise au parti socialiste est plutôt un argument sa faveur ! Comme M. Gros, le rapporteur de majorité, l'a souligné, je crois qu'il y a autour de ce projet une question philosophique et une question pratique. Ce projet s'inscrit parfaitement dans l'air du temps du XXIe siècle, pragmatique et en rupture avec un certain nombre de pudeurs et de blocages psychologiques qui ont caractérisé le siècle passé. C'est la raison pour laquelle nous soutiendrons ce projet de loi.
Ce qui offusque le parti socialiste, cela s'appelle la liberté, cette chose qui permet de déterminer ce que l'on veut faire avec ses ressources et avec son énergie ! Apparemment, cela déplaît à gauche parce qu'il y aurait une espèce de droit de l'Etat de confisquer une partie, si possible la totalité des ressources d'une collectivité afin de les distribuer d'une manière dont l'Etat seul jugerait ! Nous avons le mauvais goût de penser que l'individu et sa liberté sont des choses sacrées et qu'une société se porte beaucoup mieux lorsque l'on respecte la capacité de chacun à se déterminer plutôt que lorsque l'on bafoue cette capacité.
Philosophiquement, l'acte de donner, l'acte généreux, est quelque chose qui devrait, comme le disaient les Romains, être «hors commerce». Ce n'est pas quelque chose qui entre dans la capacité contributive économique sur laquelle l'Etat a un droit de ponction et de redistribution. C'est quelque chose qui ressortit à la vertu, au don.
Il y a aussi un aspect pratique. L'Etat, et c'est probablement une bonne chose, s'est mêlé d'un certain nombre de questions et s'est mis à intervenir dans des domaines qui étaient jadis du ressort de la générosité ou de la charité. Nous avons des EMS, nous avons l'aide sociale: tout cela grâce à l'intervention de l'Etat. Il y a des conventions collectives, dans des domaines où il n'y en avait pas avant. Il y a un contrôle de qualité dans le domaine du social, dans le domaine des soins. Tout cela, nous le devons à l'intervention étatique.
Aujourd'hui, ce même Etat appelle le privé à la rescousse, simplement parce qu'il n'arrive plus à financer ses propres projets. Eh bien, laissons l'Etat faire ce qu'il sait faire, à savoir contrôler la qualité, s'assurer que les prestations soient données de façon correcte et laissons au privé financer, s'il le souhaite, les projets qu'il estime être dignes d'être financés. C'est de toute façon le privé qui met la main à la poche, que ce soit par le biais de l'impôt ou que ce soit librement. Ainsi, nous aurons moins à subventionner et tout le monde s'en portera beaucoup mieux. (Brouhaha.) Ecoutez, vous pouvez ricaner autant que vous voulez. Je pense cela et je l'affirme ! Une diminution de l'intervention de l'Etat en matière de subventions est à rechercher: nous avons un budget qui explose à cause des subventions ! La motivation de l'acte personnel par le don est une chose positive et saine dans toute société.
Pour toutes ces raisons, ce projet de loi va dans la bonne direction. Il pourrait même aller dans cette direction avec plus de détermination encore que cela ne nous déplairait nullement ! Nous allons donc le soutenir en l'état, faute d'«encore mieux», ce qui viendra sûrement, puisque nous avons opéré une rupture avec certaines idéologies «étatisantes» et que ce n'est que le début des effets de cette rupture qui va faire du XXIe siècle un siècle très différent de ce que fut le XXe, ou même le XIXe, siècles auxquels certains d'entre nous semblent très attachés. (Applaudissements.)
M. Alberto Velasco (S). Il faut d'abord situer ce projet de loi dans le contexte actuel. Il s'agit d'un contexte difficile pour l'Etat; c'est ce qu'on nous répète sans cesse à la commission des finances, surtout la droite ! Baisse des recettes ? On exige une baisse des salaires de la fonction publique et une réduction des investissements ! Pourquoi ? Parce que nous avons une dette ! On nous répète cela constamment et pourtant on voit arriver un projet de loi comme celui-ci. C'est un peu gênant ! Voyez-vous, Monsieur Gros, je pourrais presque être d'accord avec vous, mais encore faudrait-il me convaincre !
Vous dites que je vais vous interroger au sujet des baisses de recettes. De fait, on ne peut pas quantifier les pertes fiscales induites par ce projet de loi s'il est accepté ! Peut-être n'y aura-t-il pas de baisse des recettes fiscales. La perte en termes de recettes fiscales serait peut-être compensée si - et uniquement si - les entités ou personnes morales bénéficiaires des dons individuels les affectent à des causes auparavant financées par l'Etat. Toutefois, nous ne pouvons en être sûrs, Monsieur Gros ! C'est en cela que ce projet nous gêne. Si nous pouvions faire la démonstration concrète qu'effectivement l'Etat s'y retrouverait, peut-être pourrions nous alors en discuter.
M. le représentant de l'UDC nous a dit tout à l'heure qu'il faut que la liberté de décision soit laissée à la société. Oui, sans doute ! Mais, voyez-vous, il y a une chose qui est fondamentale dans une société: s'il n'y a pas de solidarité, il n'y a pas de liberté ! Ou, si vous préférez, il n'y a de la liberté que pour quelques-uns et, parfois, c'est à l'Etat d'intervenir pour rétablir le tissu de solidarité. C'est en cela que ce projet de loi est dérangeant.
Monsieur Gros, vous avez cité tout à l'heure le conseiller d'Etat qui parlait du pouvoir de décision de la diversité des individus qui choisissent où ils veulent justement affecter une partie de leurs impôts. Encore faut-il avoir les moyens de faire partie de cette «diversité» d'individus ! Je veux dire par là qu'il faut quand même avoir une capacité contributive suffisante pour décider d'une donation en faveur d'une association, par exemple. C'est aussi en cela que ce projet de loi est gênant !
Je suis d'accord avec la logique de M. le représentant de l'UDC: le trésor public est effectivement constitué grâce à l'impôt républicain. Ce trésor est partagé et attribué à certaines institutions par le biais des subventions. Il est très gênant de voir que dans ce canton certains voudraient grâce à une décision unilatérale s'arroger le droit d'attribuer directement eux-mêmes une partie de leurs impôts à telle association plutôt qu'à telle autre, se substituant ainsi à la puissance publique, ceci selon des critères qui n'appartiennent qu'à eux. Ces individus n'agiraient pas en fonction du critère d'utilité publique qui conditionne l'action de l'Etat, de manière neutre. C'est encore en cela que ce projet est gênant !
Monsieur Gros, il se peut que l'effet sur les recettes de l'Etat de ce projet de loi soit neutre. Cela reste à voir toutefois, mais le problème est avant tout un problème de fond. C'est sur le fond que nous ne sommes pas d'accord et c'est pour cela que j'appelle les députés à refuser ce projet de loi. (Applaudissements.)
M. Olivier Jornot (L). Excelencia, Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, depuis le 1er janvier 2006, cela fait deux ans que le canton de Genève perd une occasion de favoriser les donations en faveur des institutions d'utilité publique. Cela fait deux ans que la Confédération a voté la loi qui autorise les déductions jusqu'à 20% du revenu et que nous, à Genève, avec pusillanimité, nous nous bornons à notre taux de 5%. La plupart des cantons, eux, ont été plus rapides et plus intelligents que nous; ils ont harmonisé leurs lois, adoptant des systèmes extrêmement généreux. Certains même plus généreux que celui de la Confédération.
Ce projet de loi libéral, soutenu par la plupart des partis de ce parlement, propose en effet une harmonisation. C'est le coeur du projet: harmoniser pour parvenir au taux fédéral de 20% de déductions. Pourquoi harmoniser ? Pour deux raisons: une de fond, une de forme.
La raison de fond, c'est qu'il faut favoriser le partenariat entre public et privé, favoriser les donations, non seulement aux institutions caritatives, comme le rapporteur de majorité l'a excellemment mis en évidence tout à l'heure, mais également les donations en faveur des institutions culturelles, parce que nous avons à Genève de très nombreuses collections - de très haut niveau - que l'Etat ne pourrait tout simplement pas financer seul. Il en est de même avec les donations dans le domaine scientifique, parce que nous avons à Genève des secteurs de pointe dans le domaine de la recherche que l'Etat ne pourrait pas financer, que seules les donations de mécènes permettent en effet de financer.
Et puis, s'il faut harmoniser, c'est aussi pour des raisons concrètes - pratiques - parce que nous avons de vieilles lois qui placent les institutions dans des situations d'inégalité entre elles, des vieilles lois qui sont illisibles pour les contribuables et qui de surcroît prévoient la possibilité d'avoir des taux différents. Plus exactement, le canton ne sait pas très bien ce qu'il veut en matière de déductions !
Mesdames et Messieurs les députés, la position de la minorité socialiste est absolument incompréhensible ! C'est une position totalement dogmatique et qui conduit le rapporteur de minorité à tenir des propos qui sont rigoureusement inacceptables. Lire dans ce rapport que ce projet de loi institue un système particulièrement pervers, qu'il est amoral de considérer l'aide publique comme un marché et que son utilité sociale serait nulle est tout simplement inacceptable ! Alors, je pensais dans un premier temps, Monsieur le rapporteur de minorité, que les mots avaient dépassé votre pensée. J'ai découvert qu'en réalité ils lui correspondaient parfaitement. Je trouve parfaitement choquant que vous soyez prêts à condamner des institutions culturelles parce qu'elles n'auront pas le bénéfice de ces donations, que vous soyez prêts à ce que des projets de recherche soient tout simplement abandonnés parce que les donations ne peuvent pas avoir lieu, tout cela pour le seul et unique plaisir dogmatique de taxer, taxer et retaxer ! C'est tout à fait inadmissible !
Nous avons la chance, Mesdames et Messieurs les députés, d'avoir avec ce projet de loi un projet d'espoir, un projet qui permet de confirmer, voire de renforcer Genève dans son rôle et dans sa position d'excellence dans les domaines de la recherche scientifique et de la culture. C'est une chance exceptionnelle qu'il faut à tout prix saisir et je vous invite à voter ce projet de loi ! (Applaudissements.)
Mme Michèle Ducret (R). Le groupe radical votera ce projet de loi pour cinq raisons.
D'abord, il faut adapter notre droit genevois au droit fédéral. C'est une raison déjà suffisante à nos yeux !
La deuxième raison, c'est que ce projet de loi permettra au canton de Genève d'être plus compétitif par rapport aux autres cantons qui ont aussi des lois favorisant les donations.
La troisième raison, c'est qu'il faut encourager ceux qui ont envie de faire des dons. Je crois qu'il y a énormément d'institutions à Genève qui ont besoin d'aide et qui seraient heureuses de recevoir ces dons.
La quatrième raison, c'est que cette loi simplifie considérablement le système fiscal, et en matière de droit fiscal la simplification n'est pas un luxe. A ce niveau, il y a encore beaucoup de progrès à faire dans le canton de Genève.
Quant à la cinquième raison, c'est qu'il s'agit de récompenser la générosité des donateurs en leur permettant de faire des déductions sur leurs revenus.
Ce sont les cinq raisons qui font que nous vous demandons de voter oui à ce projet de loi.
Mme Michèle Künzler (Ve). Nous avions considéré ce projet de loi d'un oeil moyennement favorable, en tout cas tel qu'il était rédigé au départ. Toutefois, nous le voterons maintenant, par souci de simplification et d'harmonisation fiscale avec la Confédération. Par contre, il est vrai que nous avions des craintes que le plafond des déductions autorisées soit trop élevé et sur ce point nous rejoignons la position socialiste. Je pense qu'il n'est pas sain que certaines personnes puissent avoir la liberté totale de choisir à qui et comment elles versent leurs impôts. C'est un peu en arriver au système américain avec ses avantages et ses inconvénients.
Ce système a en tout cas des inconvénients pour toutes sortes de sociétés qui ne sont pas forcément bien vues de la majeure partie de la population. Pour prendre un exemple concret, je pense qu'une association qui vient en aide aux «Roms» ne recevra pas forcément beaucoup de subventions. Par contre, il est vrai que quand il s'agit de personnes handicapées les subventions sont souvent nombreuses et c'est tant mieux pour elles. C'est pourquoi je pense qu'il faut une répartition démocratique des ressources et c'est vraiment à l'Etat de faire cette répartition de manière démocratique.
Les dons qu'il faut favoriser ici ne doivent absolument pas remplacer l'Etat ! Sur ce point, je m'inscris en faux avec la vision UDC ! Non ! C'est ici que l'on doit décider de l'affectation de la majeure partie des ressources; les dons doivent constituer un «plus». Par exemple, on peut penser à ce qui s'est passé avec la Fondation du Grand Théâtre ou bien avec le projet de rénovation du Musée d'art et d'histoire. Les donations individuelles doivent être un «plus» et non pas servir à remplacer les subventions de l'Etat ! Parce que ce doit être à l'Etat démocratique d'organiser la répartition des ressources entre toutes les activités sociales, culturelles et scientifiques !
Maintenant, si on peut quelques fois récompenser ici-bas un comportement vertueux, pourquoi ne pas le faire ? Cela n'arrive pas si souvent et on peut bien envisager d'avantager les personnes qui font preuve de générosité plutôt que celles qui cachent leur argent ailleurs. Je pense que c'est beaucoup mieux et c'est pour cela que nous vous invitons à voter ce projet de loi.
M. Renaud Gautier (L). Je voudrais m'arrêter quelques instants sur le rapport de minorité, dont l'inanité des arguments ne vaut à mon sens que la pauvreté du raisonnement. Je cite la première phrase, en gras dans un cadre: «Dans le système actuel, il est tout à fait possible de donner librement 20%, voire 50% ou plus de ses revenus à une institution d'utilité publique.» M. de La Palice doit se retourner dans sa tombe ! On ne peut pas dire plus juste que cela. Evidemment, on peut donner !
Malheureusement, la suite du raisonnement diverge. Il y a un postulat sous-jacent, qui n'est pas énoncé, mais on le lit à travers les lignes. Ce postulat laisse entendre que, somme toute, donner de l'argent aux institutions d'utilité publique, c'est comme acheter des billets de la Loterie romande ! Non, Mesdames et Messieurs, ce projet de loi pose un cadre strict pour spécifier qui peut profiter des efforts que Pierre, Paul, Jacques ou Jean veulent faire individuellement: ce cadre est délimité par la notion d'utilité publique. Or, partant du principe que les ressources de l'Etat sont finies - M. le ministre des finances se plaît à le rappeler assez régulièrement le mercredi après-midi - il est absolument urgent et nécessaire que l'on favorise la participation de la société genevoise au développement. Cette participation est complémentaire à celle de l'Etat, nous sommes d'accord là-dessus.
Les journaux ont récemment mentionné un don assez généreux fait en faveur de l'hôpital de pédiatrie. Si l'on ne favorise pas ce genre de dons - dont le montant est bien supérieur à la somme qui peut être déduite par le donateur de l'impôt qu'il verse - c'est l'Etat qui devra prendre en charge de tels frais. Or la possibilité du partenariat «public-privé», la possibilité que l'un ou l'autre individu s'intéresse plus particulièrement, ou en plus de ce que fait l'Etat, à tel événement, à telle recherche scientifique, activité sociale ou culturelle, est le fait même qui constitue une société.
Depuis l'histoire ancienne, il y a toujours eu participation, à un titre ou à un autre, des individus qui forment cette société, au développement de tel domaine ou champ d'activité. Opposer l'Etat au donateur particulier est simplement injurieux pour celui qui donne et faux ! La somme de ce qui est donné à Genève aux entités subventionnées est vraisemblablement supérieure aux 5% du revenu qui peuvent être déduits des impôts.
Penser que cette loi va provoquer une diminution des dons est une hérésie ! Bien au contraire, un grand nombre d'institutions genevoises pourront continuer à fonctionner, voire développer plus de projets, parce que celles et ceux qui forment la société décideront de faire cet effort.
Refuser ce projet de loi, c'est indiquer très clairement à l'ensemble des institutions culturelles ou d'intérêt public à Genève qu'elles ne peuvent pas et qu'elles ne doivent pas compter sur celles et ceux qui habitent à Genève. Ce serait le message le plus triste que l'on aurait voté dans cette législature ! C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs, comme beaucoup d'entre vous, je vous engage vivement à soutenir ce projet de loi.
Mme Mariane Grobet-Wellner (S). Tout d'abord, je crois qu'il faut dire très clairement qu'il ne sera nullement impossible de continuer à faire des dons si nous refusons ce projet de loi. Ce qui nous pose problème, au parti socialiste, c'est d'abord l'impossibilité de chiffrer l'impact de ce projet de loi sur les recettes fiscales: il risque d'être de plusieurs millions de francs. Ce qui est certain, c'est qu'il y aura une baisse des recettes fiscales !
Ce qui nous pose problème aussi, sur le fond, c'est qu'il y ait un transfert du pouvoir de décision de fait de l'Etat et du Grand Conseil vers les particuliers quant aux bénéficiaires des donations. Nous considérons que ce transfert n'est pas souhaitable, non pas pour des raisons idéologiques, mais pour des raisons de garantie et de sécurité pour les entités qui bénéficient de ces dons.
Les raisons pour lesquelles les socialistes refusent ce projet de loi en résumé, c'est que nous craignons en quelque sorte une prise en otage du monde culturel et associatif. Quelqu'un a parlé du Grand Théâtre. Nous avons là un exemple concret du danger qu'il y a quand un donateur se retire subitement - ce qu'il est parfaitement en droit de faire - et des conséquences que cela a pour l'entité qui se voit privée d'un soutien du jour au lendemain.
Il y aurait comme je l'ai dit, une baisse certaine des recettes fiscales. Cela, personne ne peut le nier, même si personne ne peut chiffrer cette baisse. Il y a des donations qui peuvent être assujetties à des contre-prestations. On peut appeler cela comme ça, pudiquement. Cela a été peu évoqué, quoique nous en avons parlé. Des contre-prestations sont possibles, voire probables: faire ceci, ne pas faire cela, exiger des appuis politiques, réels, sous-entendus ou imaginés. Je vous fais un don, vous passez commande à la société x, propriété de la société y, propriété du donateur !
Pour toutes ces raisons, le parti socialiste n'est pas favorable à ce projet de loi, bien qu'il en comprenne l'intention, qui est d'encourager les dons, mais nous considérons que le risque d'effets négatifs, aussi pour les différentes associations politiques, culturelles, caritatives ou autres, prime sur les avantages éventuels de ce projet de loi. (Applaudissements.)
M. Alberto Velasco (S). Je reprends la parole parce qu'il y a des contre-vérités qu'on ne peut pas laisser passer, Monsieur Jornot ! Dire comme vous l'avez fait que le parti socialiste, par son attitude, va faire que certains projets de recherche ne se feront pas est totalement faux. Vous le savez très bien, Monsieur Jornot, vous qui êtes un homme intelligent, cultivé et très bien renseigné. Vous savez extrêmement bien que la recherche est financée fondamentalement par la puissance publique, dans tous les pays et particulièrement en Suisse. Les dons dans la recherche sont infimes par rapport à ce qui se fait. Ça, c'est pour commencer. Il en va de même pour la culture ! C'est fondamentalement la puissance publique qui aujourd'hui soutient la culture. C'est vrai qu'il y a des individus qui la soutiennent, mais c'est hors déductions de l'Etat.
Maintenant, cher collègue et presque ami Gautier, ce que vous voudriez, c'est qu'on vous fournisse un catalogue des pauvres pour que vous puissiez cocher dans ce catalogue le pauvre n° 25, le pauvre n° 7 et le pauvre n° 18. Et ça, c'est possible, c'est vrai, mais ce serait alors de la charité.
Parce que vous, ce que vous voulez, c'est la charité ! Ce n'est pas, comme nous le désirons, un droit, mais de la charité ! Cela, voyez-vous, c'est contraire à ce qu'on appelle l'esprit républicain ! Une fois l'impôt versé au trésor public, l'esprit républicain veut que, de manière républicaine, de manière démocratique, de manière équitable ou égalitaire, on dote les associations choisies par la puissance publique ou celles que ce parlement trouve les plus judicieuses. Il ne s'agit pas de dire que la personne qui a des moyens décide elle-même, de par sa puissance, d'affecter son argent à un pote ou à telle association parce qu'elle l'a bien baratiné ! Voilà, Mesdames et Messieurs, la raison toute simple qui fait qu'on ne peut pas voter ce projet de loi !
M. Roger Deneys (S), rapporteur de minorité. Une dernière fois, Madame la présidente, je crois que les socialistes ont déjà dit et répété l'essentiel, mais je crois qu'il faut quand même encore insister une fois, notamment par rapport aux propos des libéraux Gautier et Jornot.
Que se passe-t-il aujourd'hui ? Nous avons un Etat qui fonctionne comme redistributeur, selon des principes d'égalité et de rationalité. Vous en faites partie, Mesdames et Messieurs les députés, vous siégez dans des commissions: commission des finances, commission de contrôle de gestion, etc. Vous avez toujours le moyen de revenir sur des subventions qui seraient mal allouées, pas rationnelles, etc. C'est notre travail de base de député et notre composition de parlement, c'est la base d'une utilisation démocratique des deniers publics collectés par le biais de l'impôt. Cela semble essentiel ! Ce que vous proposez aujourd'hui, c'est une baisse certaine des recettes fiscales au profit de dons d'ordre privé, selon des principes qui relèvent uniquement de la liberté individuelle et - ai-je envie d'ajouter - de l'émotion.
Ce qui va se passer, c'est exactement cela, c'est qu'il y aura à un moment donné une campagne en faveur du Grand Théâtre - Sauvez le Grand Théâtre ! L'année suivante, ce sera peut-être un tsunami qui sera à la une et il faudra alors aider les victimes du tsunami ! Ce sont toutes des causes légitimes et c'est très bien de les soutenir; le problème, c'est que cela provoque un basculement de l'argent et de l'assistance d'une cause à l'autre, d'une année à l'autre, selon des principes qui échappent à toute rationalité. Il y aura une possibilité de fluctuations importantes, qui échapperont à la logique de l'utilité publique au sens strict et cela, ce n'est pas acceptable pour les socialistes. Nous ne pouvons pas accepter que certaines années, ce soient plutôt les uns ou les autres qui soient soutenus parce qu'ils ont fait une meilleure campagne de marketing. Parce que d'un coup les médias ont parlé d'un sujet, il faut donner plus à ceux-ci qu'à ceux-là ! Ce n'est pas acceptable et c'est bien là qu'est le problème, Monsieur Jornot !
Vous dites qu'on ne veut peut-être pas de pôle d'excellence à Genève, etc. En réalité, nous, ce que nous voulons, les socialistes, c'est que les pôles d'excellences soient définis par la collectivité et pas par des donateurs privés ! Ce n'est pas à M. Bertarelli - bon, il ne paie plus ses impôts ici, donc ça ne pourra pas être lui ! - de décider quels sont les pôles d'excellence à Genève aujourd'hui. C'est le rôle de la collectivité publique et c'est bien pour cela que, personnellement, je fais de la politique: pour faire des choix et pour les assumer. Et si mes choix ne plaisent pas, je ne suis pas réélu. Cela, c'est pour moi la base de la mission publique !
Monsieur Gautier, vous évoquez le partenariat public-privé. Je suis désolé, mais si on peut bien recourir au partenariat public-privé dans certains cas - pourquoi pas ! - il y a aussi des mauvais exemples de ce type de partenariats. Toutefois, ce qu'il y a de certain, c'est que ce n'est pas au contribuable de décider seul à qui attribuer les subventions !
C'est à l'Etat de se prononcer sur tel ou tel projet: une traversée de la Rade, par exemple, un sujet qui vous serait peut-être très cher ! C'est à l'Etat de décider quel projet, quel mandat est confié à une structure de partenariat public-privé. Ce n'est pas au privé de décider de lui-même à qui il donne ! C'est une inégalité de traitement majeure et j'ai envie de réveiller tous ceux qui sont devant Léman Bleu en train de somnoler gentiment. Ils ont mangé, ils ont bu l'apéro, ils sont tranquilles... (L'orateur est interpellé.) Voilà, ils sont à la pause café, et ils se disent: «Tiens, tiens, de quoi parlent-ils au Grand Conseil, ce soir ?» Eh bien, voilà ce que j'ai envie de leur dire: Mesdames et Messieurs les téléspectateurs de Léman Bleu, vous êtes en train d'assister à un débat sur un projet qui propose de diminuer les recettes fiscales ! Si vous gagnez moins de 10 000 F et que vous faites des dons, vous obtiendrez une baisse d'impôts de quelques centaines de francs. En réalité, ce qui va se passer, c'est que dans le cas de dons importants, l'Etat devra compenser des recettes fiscales manquantes équivalentes à plusieurs centaines de milliers de francs ! Ça, vous devrez le payer ! Cela se fera au détriment de prestations publiques, au détriment des prestations de soins, des prestations d'assistance, des prestations d'école. Tous les domaines dans lesquels l'Etat intervient seront pénalisés parce que les recettes fiscales ne seront plus là !
C'est bien le résultat de ce genre de projets de loi: on provoque une baisse des recettes, sans en mesurer les conséquences ! Ne soyez pas trop crédules, ce projet de loi s'adresse essentiellement aux riches et pas aux petits revenus !
M. Jean-Michel Gros (L), rapporteur de majorité. A démago, démago et demi ! Mesdames et Messieurs les téléspectateurs de Léman Bleu, vous qui suivez une télévision largement sponsorisée, nous vous offrons la possibilité d'avoir des sponsors supplémentaires et d'avoir une télévision encore meilleure que celle que vous regardez actuellement ! (Applaudissements.)
Une voix. Ça, c'est pas difficile !
M. Jean-Michel Gros. Madame la présidente, je ne reviendrai pas sur le choix de l'attribution de nos impôts: il y a une différence profonde de philosophie entre les socialistes et le reste de ce parlement. J'en suis désolé, mais c'est comme cela !
Je dois dire que quelques paroles m'ont touché et posent de réelles questions. Les auteurs du projet de loi, au cours des travaux de la commission, ont toujours affirmé que le but de ce projet n'est pas de supprimer le subventionnement de telle ou telle institution au profit du privé ! Cela pourrait en être une conséquence et provoquer ainsi une limitation des subventions, mais cela, ça pourrait être dangereux. Nous avons cité le Grand Théâtre. Pourquoi est-ce que cela a posé un problème ? Ce n'est pas une prise en otage, Madame Grobet. Pas du tout ! Il se trouve simplement que les conseillers municipaux de la Ville de Genève ont adapté le montant de la subvention au Grand Théâtre en tenant compte des dons des sponsors ! Il y avait deux grands sponsors et le Conseil municipal a estimé qu'il pouvait de ce fait octroyer la subvention à un certain niveau, puisque les sponsors couvraient le reste du fonctionnement. Evidemment, cela ne joue plus, dès lors que les sponsors se retirent !
Alors, je reviens sur ce que Mme Künzler a dit. Oui, Madame Künzler, vous avez raison ! Ce que nous voulons, c'est un plus: c'est-à-dire avoir une subvention qui couvre les frais normaux du Grand Théâtre, mais aussi que des sponsors permettent de monter les grands opéras. C'est heureusement comme cela que cela se passe actuellement. Certains opéras ne pourraient être montés avec la seule subvention de l'Etat. C'est ce plus qu'il faut ! Il en va de même avec l'achat de collections particulières qui sont extrêmement importantes à Genève et que personne ne connaît, parce qu'elles sont inaccessibles aux collectivités publiques. C'est le plus que nous voulons, c'est cela le but de ce projet de loi !
Quant aux recettes fiscales, Monsieur Velasco, si moi je ne vous ai pas convaincu, je vous citerai simplement M. David Hiler qui est quand même ministre des finances et que ce sujet doit toucher particulièrement, vu qu'il n'aime pas les baisses de recettes fiscales. A moins que je n'aie mal retranscrit sa déclaration dans mon rapport, auquel cas il m'aurait sans doute déjà téléphoné, voici ce qu'il nous a dit en commission: «M. Hiler a de la peine à imaginer que cette mesure puisse induire une érosion des recettes fiscales.» Alors, écoutez, je ne pense pas pouvoir proposer une parole plus fiable que celle du ministre des finances ! (Chahut.) Oui, j'en fais peut-être un peu trop, mais parfois c'est nécessaire ! (Rires.) Mesdames et Messieurs les députés, avec toutes les garanties que nous donnent et le ministre des finances et l'immense majorité de ce parlement, je vous demande de voter ce projet de loi ! (Applaudissements.)
M. David Hiler, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je ne me fais plus grande illusion au sujet de l'audience télévisuelle à cette heure. J'aimerais simplement vous dire pourquoi je ne crois pas qu'il y aura érosion des recettes fiscales. Et si vous jouez le jeu en toute sincérité, vous verrez qu'il y a peu de chances qu'il y ait érosion !
Qui, dans cette salle, ayant un revenu de 100 000 F par an est prêt à verser 20 000 F en dons chaque année à des organismes d'intérêt public - en dehors des partis politiques qui ne sont pas considérés comme étant d'utilité publique ? (Rires.) Qui d'entre vous ayant un revenu de 200 000 F a déjà donné dans sa vie 40 000 F à l'association de son choix parmi toutes celles qui accomplissent leur oeuvre, non seulement ici, mais partout dans le monde ? Peu de gens, à vrai dire ! Mesdames et Messieurs, voilà pourquoi je crains qu'il n'y aura pas autant de gens qu'on le croit à pouvoir bénéficier de telles déductions ! En somme, vous avez vu que pour payer 5000 F d'impôts en moins, il faut avoir fait des donations pour un montant de 20 000 F. C'est ça, cette loi ! Ce sont des faits ! C'est ce qui évite de poser la question en considérant un rapport simple, comme si pour 1000 F donnés d'un côté on économisait 1000 F en impôt ! Au lieu de cela, cette proposition impliquerait pour l'Etat de renoncer à 5000 F d'impôts d'un côté pour en obtenir 20 000 F de l'autre. Jusqu'à un certain point, c'est une opération qui est avantageuse pour la collectivité.
Pourquoi est-il possible de déduire ses dons depuis longtemps dans le droit suisse ainsi que dans le droit européen ? Tout simplement parce que tous les pouvoirs publics des Etats démocratiques établissent des listes des associations à but non lucratif qui ont un caractère d'utilité publique. C'est-à-dire qu'elles ne doivent pas défendre l'intérêt de leurs membres exclusivement, mais des intérêts de portée générale. Elles doivent agir dans des domaines tels que l'aide sociale et la recherche scientifique entre autres, des domaines d'activité assez larges, que ce soit en Suisse ou dans d'autres Etats du monde.
Il y a toujours un deuxième volet dans ce sujet, pour lequel il y a parfois un «r» de trop. Il s'agit du volet «cultuel», et non pas «culturel», qui permet de soutenir certains organismes aussi considérés dans la plupart des démocraties comme étant d'utilité publique ou en tout cas à but non lucratif, c'est-à-dire les églises. L'utilité publique de ce type d'organismes fait débat, mais en tant que tel ce n'est pas le débat de ce soir, ce que vous avez d'ailleurs tous constaté.
A partir de là, il est normal que les associations d'utilité publique ne soient pas taxées, ne soient pas imposées et que les donations reçues ne le soient pas non plus. Cela, c'est la logique fiscale et je ne crois pas qu'elle soit amorale. Toutefois, elle doit être plafonnée. Ce plafond, il doit exister parce que l'Etat a d'autres tâches essentielles qu'il doit accomplir grâce à l'impôt. Il y a donc toujours un plafond de ce qui peut échapper à l'impôt. A Genève, ce plafond était jusqu'à présent à 10%. Il a été porté à 20% au niveau fédéral. C'est à peu près la norme que - certes pas tous, mais tout de même - la plupart des cantons ont retenue. C'est la norme que le département des finances a jugé bonne dans ce projet de loi, parce que pour le contribuable c'est compliqué, jusque-là: de temps en temps c'est 20%, de temps en temps c'est 10%...
Les critères pour l'exonération au niveau cantonal sont très proches de ceux appliqués pour l'impôt fédéral direct. D'ailleurs, la première chose que fait le Conseil d'Etat dans le cas d'une exonération - c'est une tâche qui m'est déléguée - c'est de voir s'il y a déjà une exonération de l'impôt fédéral direct. Ce sont des milliers de fondations et d'associations qui sont au bénéfice d'exonérations et qui reçoivent des dons. Pourquoi des milliers ? La plupart, vous ne les connaissez vraisemblablement pas ! Je vous rappelle que Genève est une ville internationale. Ce n'est donc pas le Grand Théâtre qui est visé particulièrement, mais bien des projets à une échelle un petit peu plus large ! De la même façon que ceux qui font des dons réfléchissent et ne les réservent pas exclusivement aux associations de notre petit canton, mais ont de temps en temps une pensée pour des pays où la misère est réelle et pas, disons, inventée ! La misère du monde est telle que ce qui peut contribuer à la tarir... En attendant peut-être que les Etats deviennent rationnels et aident de façon constante ces pays à se développer ! Pour le moment, le fait est que je n'ai jamais cru que c'était une honte de donner de l'argent à Médecins sans frontières ou à Terre des hommes, pour ne citer que ces deux organisations.
C'est de cela qu'il s'agit. L'impact fiscal sera bas, parce que celui qui veut profiter d'une déduction de 20%, eh bien, il doit payer 20% de son revenu - et 20% de son revenu, c'est beaucoup ! Nous ne pourrons pas mesurer cet impact à l'avance. Nous pouvons nous engager, je pense que cela va au devant des voeux socialistes, à mesurer a posteriori la part des impôts qui a fait l'objet de déductions.
Maintenant, à mon avis, ce débat devrait s'arrêter à cela. Est-ce qu'avec 20% de déduction on met en péril la capacité d'intervention de l'Etat dont les recettes fiscales s'élèvent aujourd'hui à 5,5 milliards de francs ? Franchement, non ! Est-ce qu'on encourage les donations d'objets d'art ? C'est juste ! Est-ce qu'on encourage les donations spontanées de la population là où la misère est la plus apparente ? C'est vrai aussi ! Eh bien, je pense que c'est plutôt une bonne chose si par hasard ce projet permet de pallier quelque peu cette misère !
Maintenant, je finirai par vous dire ceci, Monsieur Deneys. Lorsque les citoyens et les citoyennes se sentent concernés par le tsunami et ont envie de verser plus d'argent pour cette cause que pour le Darfour, on peut penser que c'est une attitude quelque peu irrationnelle. Toutefois, êtes-vous intimement convaincu que les résultats des dernières élections fédérales ne portent que la marque d'un choix effectué rationnellement par les citoyennes et citoyens ? Avez-vous cette certitude profonde que la politique serait le seul domaine de l'activité humaine où la dimension émotionnelle n'existe pas ? Et, par ailleurs, que vaudrait un être humain dénué d'émotions ? (Commentaires. Applaudissements.)
M. Pierre Weiss (L). Je demande l'appel nominal !
La présidente. Etes-vous soutenu ? Vous l'êtes largement.
Mis aux voix à l'appel nominal, le projet de loi 9863 est adopté en premier débat par 73 oui contre 14 non.
Deuxième débat
La loi 9863 est adoptée article par article en deuxième débat.
Troisième débat
La présidente. Monsieur Deneys, vous avez demandé la parole ?
M. Roger Deneys (S), rapporteur de minorité. Pour faire suite aux propos de M. Hiler, le conseiller d'Etat, il est évident que la question ne se pose pas pour les personnes qui ont un revenu modeste, de l'ordre de quelques dizaines de milliers de francs par an. Le problème se pose plutôt avec une personne qui a un revenu de 10 millions de francs. Si cette personne fait un don de 2 millions de francs, elle obtient un rabais fiscal de 700 000 F, comme cela est indiqué à la page 7 du rapport. Il s'agirait là de 2 millions qui iraient à un bénéficiaire x plutôt qu'à la collectivité ! C'est là qu'est le problème !
Pour le reste, si la composition d'un parlement se fait de manière partiellement irrationnelle, il n'empêche qu'on obtient toujours une majorité relativement rationnelle, et les tensions qui existent dans un parlement pour les élections font partie de la rationalité collective. On peut regretter que cela fonctionne ainsi, mais il me semble bien plus sain de se baser sur les décisions d'un parlement composé de 100 personnes d'horizons politiques divers plutôt que sur l'irrationalité individuelle, influencée par des campagnes de publicité !
La loi 9863 est adoptée article par article en troisième débat.
Mise aux voix, la loi 9863 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 73 oui contre 14 non.