République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 21 septembre 2007 à 15h
56e législature - 2e année - 11e session - 56e séance
M 1113-B et objet(s) lié(s)
Débat
M. Alberto Velasco (S). Pour commencer, Monsieur le président du Conseil d'Etat, je dois dire qu'il y a des phrases dans ce rapport qu'il aurait mieux valu omettre. Vous indiquez dans le préambule que le bassin genevois compte 400 000 habitants et vous relevez, dans une note de bas de page, que ce chiffre «inclut aussi les enfants et les étrangers...» - qui soi-disant ne lisent pas la presse. En effet, vous écrivez: «... les quelque 30% d'étrangers - à l'époque - dont un grand nombre d'expatriés installés temporairement à Genève, peu intégrés à la vie locale et donc peu intéressés par la presse locale.»
Voilà des termes qu'il faut absolument éviter ! Parce que moi j'ai connu beaucoup d'étrangers, ici, qui lisaient à l'époque «La Suisse» ou la «Tribune de Genève». Donc, ce type de stéréotypes selon lesquels, parce qu'on est étranger, on ne lit pas la presse locale. A l'heure où nous nous efforçons d'intégrer cette population, Monsieur le président, dire qu'ils ne savent pas lire la presse locale, ou presque. Eh bien, j'ai été profondément choqué de lire cela !
Concernant la réponse du Conseil d'Etat, il est dit qu'il y a énormément de médias électroniques et que c'est en raison de ces moyens-là que la presse est en crise et qu'elle est moins lue. Mais je ne crois pas qu'elle soit moins lue ! Vous avez soulevé un problème, c'est celui du financement des journaux qui se fait, c'est vrai, à travers la publicité et dont certains bénéficient plus que d'autres. «La Suisse» ayant disparu, il n'y a aujourd'hui pratiquement que la «Tribune de Genève» et «Le Temps», sans oublier le «Courrier», un des journaux qui est constamment en crise et qui est parfois soutenu par des entités bénévoles.
A l'époque, il y a six ou sept ans, j'avais déposé un projet de loi - le PL 8446 - qui avait été accepté par la commission des finances et dont le rapport est toujours attendu, qui demandait que les annonces du Conseil d'Etat, notamment les offres d'emploi, ne soient pas adressées à un seul journal mais à tous, et donc aussi au «Courrier» qui ne les recevait pas. Le Conseil d'Etat, à l'époque de Mme Calmy-Rey, avait pris des mesures avant même que le rapport sur le projet de loi soit débattu ici - puisque ce dernier n'a toujours pas été déposé - de manière que les annonces publiques soient distribuées dans tous les journaux. Malheureusement, par la suite, le Conseil d'Etat a retiré cette mesure pour ne faire figurer les annonces que sur le site de l'Etat que les gens peuvent consulter. C'est dommage, parce que cela a privé un petit journal de revenus.
Je suis désolé, Monsieur le président, mais quand vous dites d'abord que c'est à cause du monopole de la publicité que ces journaux ont des problèmes et ensuite que l'Etat ne peut rien faire, parce que c'est une économie de marché et que ces journaux sont une économie de marché, il y a une contradiction ! Puisque c'est un monopole, la question des publicités, eh bien l'Etat se doit d'intervenir pour qu'il y ait une pluralité de la presse ! Ce qui pourrait d'arriver, c'est qu'il n'y ait qu'un seul journal, un seul éditeur dans ce canton, et ce n'est pas possible ! La mesure qui a été prise à l'époque de publier dans tous les quotidiens les annonces du Conseil d'Etat était adéquate et permettait, par exemple, de rapporter au «Courrier» entre 50 et 80 000 F supplémentaires par année. Et actuellement, c'est précisément son déficit ! Alors oui, c'est important ! Et j'aimerais que l'Etat de Genève s'intéresse à cette situation, cela d'autant plus que Radio Cité risque, elle aussi, de disparaître pour cause de déficit. Il faut absolument maintenir la pluralité de l'information, les citoyens ont droit à des données diversifiées et provenant de différentes sources. Le jour où nous n'aurons plus cela, notre canton se sera appauvri du point de vue politique et du point de vue de l'information. Et la démocratie s'en trouvera affectée.
M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Je ne puis, comme vous, Monsieur le député, que déplorer les difficultés que rencontrent certains médias. Mais tout de même, on ne peut pas faire semblant de ne pas voir que, par rapport à la situation que nous avons connue au moment de la mise de la clé sous le paillasson du journal «La Suisse» - nous étions d'ailleurs sur les mêmes bancs comme députés - la situation s'est très profondément modifiée ! Aujourd'hui, l'essentiel de l'information figure d'une part dans des journaux gratuits, qui de par leur gratuité sont beaucoup lus, et, d'autre part, sur des médias électroniques.
Je déplore moi aussi les difficultés que rencontre le «Courrier», parce que c'est un des seuls journaux qui apporte une vision critique des décisions prises par les uns ou par les autres avec, il est vrai, une tendance plutôt à gauche, voire très à gauche, mais qui est souhaitable dans le débat démocratique.
Il n'en reste pas moins que, comme vous le savez, le financement de ces journaux se fait par deux voies: les abonnés et la publicité. S'agissant des premiers, j'espère que chacun d'entre vous qui défend la pluralité de la presse est abonné aux journaux dont il entend assurer la survie; mais cela ne suffirait pas, puisque la plus grosse part, comme vous l'avez relevé, tient bel et bien à la publicité, et pas simplement aux annonces que le Conseil d'Etat pourrait mettre en recherchant tel ou tel collaborateur.
De cela, nous avions déjà parlé au moment des difficultés rencontrées par «La Suisse». Nous craignions, et le Conseil d'Etat continue à craindre, l'immense concentration dans très peu de mains de la gestion de la publicité. Parce que celle-ci peut effectivement être dispensée à un certain nombre de journaux dont les vues convergeraient avec celles qui sont défendues par ce petit groupe de personnes, et c'est très choquant. Mais il s'agit d'un problème de loi fédérale, et pas de responsabilité cantonale, car la commission de la concurrence, la loi sur les cartels, les lois sur les fusions sont des lois fédérales sur lesquelles nous n'avons pas d'influence.
Oui, Monsieur Velasco, comme vous, je déplorerais que le «Courrier» connaisse des difficultés plus grandes que celles qu'il rencontre hélas aujourd'hui. Ce journal a déjà pris un certain nombre de mesures de restructuration puisque, il y a quelques années, il s'était presque trouvé dans la même situation, mais nous ne pouvons pas, au niveau cantonal, avoir d'influence sur ce qui est la vraie raison de la souffrance de certains organes de presse, à savoir le fait qu'ils ne reçoivent pas ou très peu de publicité.
Quant à Radio Cité que vous avez évoquée, le Conseil d'Etat a longuement débattu du soutien qu'il devait ou non lui donner; il l'aide déjà passablement, et ceci de façon indirecte, en payant par exemple des emplois temporaires, car il y a plusieurs manières d'agir. Après tout, et hélas, si Radio Cité n'est pas écoutée et, ne l'étant pas, ne reçoit pas de publicité, le Conseil d'Etat n'entend pas interférer avec ceci. Il a mené d'autres actions pour assurer, par exemple, une équité de traitement entre telle ou telle radio locale. Mais lorsque telle radio a été vendue à un concurrent extérieur qui, lui, s'est doté tout à coup d'un périmètre d'audition bien supérieur, là nous sommes intervenus auprès du Conseil fédéral pour dire que les règles n'étaient pas convenables.
Mais, s'agissant de la publicité, encore une fois, tout est réglé par des lois fédérales et le Conseil d'Etat souffre comme vous, tous bords politiques confondus, de ce qui pourrait être une paupérisation des outils utiles au citoyen pour forger ses décisions et ses convictions. Or le lieu d'intervention, c'est Berne et pas Genève.
Le Grand Conseil prend acte du rapport du Conseil d'Etat sur les motions 1113 et 1186.