République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 29 juin 2007 à 14h
56e législature - 2e année - 10e session - 50e séance
M 1731
Débat
M. Georges Letellier (Ind.). C'est en homme libre, hors parti, et en mon âme et conscience, que je m'exprime ce soir.
Il y a cinq ans, j'ai déposé le premier projet de loi UDC demandant la création d'une Task Force parlementaire pour lutter contre l'insécurité. Bien qu'approuvé à l'époque par Micheline Spoerri, ce texte fut descendu par Pierre Vanek, de l'Alliance de gauche, et par une droite inquiète de voir le premier projet «facho» passer la rampe. Car c'est ainsi qu'on avait été catalogué, et donc tout le monde était contre notre parti. Aujourd'hui, les ténors de l'UDC semblent retrouver leur voix sur ce sujet après des années d'aphonie, mais que de temps perdu ! Bienvenue au Club Christoph Blocher !
Les incivilités et l'insécurité sont le reflet d'une société qui a perdu ses points de repère, pour avoir délibérément sacrifié les devoirs de l'Homme sur l'autel des droits. Que ce soient les effractions qui augmentent au rythme soutenu de 8 à 10% par an, la drogue, la violence à l'école, les vols à la tire, la déprédation des biens publics, les graffiti ou encore les tags, les incivilités et l'insécurité, boostées par une justice dépendante du pouvoir politique, sont devenues la calamité des temps modernes, sans que le système ne s'en inquiète. Après le droit de mendier, les malfrats auront bientôt celui de voler en toute légalité, si nous continuons ainsi. Les moutons sont bien gardés sous le couvert du droit constitutionnel et des droits de l'Homme chers à notre conseiller d'Etat Moutinot.
Récemment, le chef de la police vaudoise, s'exprimant sur l'insécurité, déclarait: «Il faut se protéger. Je dis bien: il faut se protéger.» Cette déclaration courageuse d'un magistrat respecté, invitant les citoyens à s'autodéfendre, est la preuve par neuf de l'échec du système actuel. En clair, si nous persistons dans l'immobilisme contre la volonté populaire, nous allons tout droit vers la constitution de milices de quartiers qui se chargeront de faire le ménage, Mesdames et Messieurs les députés, soyez-en convaincus !
Ce n'est pas pour rien que les autorités de gauche de ce pays cherchent à légaliser la confiscation des munitions et des armes. L'insécurité et les incivilités sont l'affaire de tous ! Elles sont actuellement devenues une véritable cocotte-minute qui met la démocratie sous pression et en péril.
L'objectif de cette Task Force parlementaire sera d'être à l'écoute du citoyen...
La présidente. Il va falloir conclure, Monsieur le député !
M. Georges Letellier. Oh yes, Madame ! Je reprends, puisque vous m'avez interrompu ! Donc, l'objectif sera aussi d'étudier les problèmes posés à notre canton et de travailler en collaboration avec les autorités compétentes afin de trouver des solutions. Notre société souffre du «tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil», symbolisé par une justice voulue par un système politique qui cherche à niveler l'individu.
Ne rêvez plus et soyez conscients du danger que l'inaction des autorités nous fait courir. Nous devons réagir ensemble pour nos enfants et la survie de la démocratie. Je propose donc le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat, en le pressant de constituer une unité parlementaire chargée de s'occuper de la sécurité des citoyens genevois qui en ont bien besoin !
La présidente. Merci, Monsieur le député. Je rappelle que nous sommes en catégorie II des débats, ce qui signifie trois minutes de parole par groupe.
M. Yves Nidegger (UDC). Merci, Madame la présidente, je ne dépasserai pas ce temps.
M. Georges Letellier a raison de dire que les incivilités sont un problème grave et insuffisamment considéré par les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. En effet, la criminalité change et augmente. Les incivilités, qui augmentent, agacent surtout, parce qu'elles touchent à des biens juridiquement protégés - la propriété ou l'honneur - de moindre valeur par rapport aux crimes de sang, qui portent atteinte à la vie ou à l'intégrité physique. Elles sont dues à une forte culture de l'individualisme que nous avons produite par un certain type d'éducation et d'environnement culturel et avec laquelle nous devons vivre aujourd'hui.
Cet individualisme amène chacun à se considérer lui-même d'abord et à se comporter envers les autres - parfois sans même s'en sentir coupable - de façon à nier leur droit à être propriétaire d'un bien qu'ils souhaitent garder en bon état, ou à ne pas respecter le droit de la collectivité, en dégradant des bâtiments ou des propriétés publiques qui appartiennent à tous.
Pour en revenir à la proposition de motion, l'invite qui nous est faite est quelque peu problématique. Il est vrai que nous avons mis sur pied une Task Force drogue le jour où l'on a admis que la drogue constituait un problème grave dans notre canton et qu'il fallait y réagir d'une manière plus efficace. Le problème, ici, est que les incivilités n'ont pas de traduction précise en termes d'infractions pénales.
Et c'est dans ce sens que le groupe UDC va déposer ces prochains jours une proposition visant à enrichir la loi pénale genevoise d'une série d'infractions qui touchent à l'incivilité - pas seulement la mendicité, qui n'est qu'une de ses formes - afin de permettre aux forces de police d'avoir une typicité bien particulière à réprimer. En effet, sans base légale pour des infractions qu'on aura pris la peine de considérer comme telles et de définir de manière précise, on voit mal ce qu'une Task Force pourrait bien faire aujourd'hui.
Quant à l'idée de mettre sous pression les autorités judiciaires pour que la justice soit rendue sévèrement, cela rappelle certaines déclarations françaises qui n'ont évidemment pas cours chez nous.
Par ailleurs, il y aura un débat au point 26 concernant la proposition de motion 1751 qui demande une politique de sécurité au Conseil d'Etat, ainsi qu'une discussion au point 33, sur les Assises de la sécurité publique, prémisses d'une réflexion à ce sujet. Mais, s'agissant de cette motion, nous vous invitons à ne pas entrer en matière.
M. Roger Golay (MCG). Comme vous l'aurez constaté en lisant la proposition de motion de M. Georges Letellier, il nous est suggéré de créer un comité de salut public afin d'organiser la lutte contre les innombrables incivilités qui nous pourrissent la vie à longueur d'année.
D'abord, interrogeons-nous sur le choix de l'appellation «comité de salut public». Il est indispensable pour cela de faire un petit détour historique. Le premier comité de salut public connu dans l'histoire fut créé en 1793 afin de servir d'organe de gouvernement révolutionnaire, mis en place par la Convention nationale française qui a succédé à l'Assemblée législative de 1792 à 1795. Plus proche de nous, en mai 1958, à Alger, le général français Massu constitue un comité de salut public qui appelle à manifester contre l'insurrection algérienne et à maintenir l'Algérie française. Il exige la création en France d'un gouvernement d'exception et de mettre à bas la IVe République. Nous savons que M. Letellier, ancien combattant de la guerre d'Algérie et nostalgique de cette période sombre, a ramené dans ses bagages de nombreux souvenirs, parmi lesquels l'idée de cette proposition.
Pouvons-nous donc craindre de la part de M. Letellier de vouloir renverser notre gouvernement comme à chaque fois qu'un comité de salut public a vu le jour ?! Restons sérieux ! Créer un comité de salut public ou un groupe extraparlementaire à Genève pour combattre les incivilités n'est pas envisageable et c'est totalement disproportionné. Laissons les autorités compétentes gérer ce problème avec les moyens à disposition, sans vouloir révolutionner la République. De plus, l'appellation de «comité de salut public» est très souvent reprise en France par des groupes de mouvances extrémistes.
Pour toutes ces raisons, et sans vouloir banaliser les incivilités, le MCG refusera l'entrée en matière de cette proposition de motion.
Mme Michèle Ducret (R). Mesdames et Messieurs les députés, si le groupe radical partage les préoccupations de M. Letellier à propos des incivilités et de l'insécurité, en revanche, le remède qu'il propose ne nous convient pas du tout. Et puisque nous sommes remontés jusqu'à la Révolution française, eh bien, revenons-en à ces bonnes vertus et principes républicains auxquels nous sommes tellement attachés ici, dans notre république de Genève ! Et rappelons le principe fondamental de notre constitution, à savoir la séparation des pouvoirs.
Alors, quand je lis dans l'invite que la «Task Force» - dont parle, en bon français, M. Letellier - servant à lutter contre les incivilités doit, entre autres, faire pression sur les autorités judiciaires pour que la justice soit rendue avec la plus extrême civilité... euh, sévérité, pardon ! ... j'avoue que non, Madame la présidente, nous ne pouvons pas du tout soutenir ce genre d'invite et par conséquent nous refuserons carrément cette proposition de motion.
M. François Gillet (PDC). Il y a un point sur lequel on peut s'accorder avec M. Letellier, c'est le fait de déplorer un certain accroissement des incivilités dans notre canton, comme ailleurs. En revanche, concernant les solutions proposées, on peut être pour le moins dubitatif.
S'agissant du problème des incivilités, il faut rappeler que l'on peut s'y atteler en tout cas selon trois axes complémentaires: celui de la prévention, celui de la dissuasion et enfin seulement celui de la répression. Or j'ai l'impression que M. Letellier oublie un peu qu'il existe des étapes qui peuvent précéder cette dernière mesure.
Dans la proposition de M. Letellier, on perçoit une allusion implicite aux jeunes, qui sont souvent accusés de tous les maux en matière d'incivilité. J'aimerais rappeler qu'en matière de prévention tout un travail se fait à Genève, notamment à travers les centres de loisirs et de rencontre de la FASe, qui s'efforcent de rappeler le cadre que doivent respecter les jeunes de notre canton. Signalons tout de même que les familles ont également un rôle essentiel à jouer dans ce domaine.
J'aimerais dire aussi, concernant l'axe de la prévention et de la dissuasion, qu'il y a certainement une collaboration plus efficace à développer entre la police cantonale et les ASM, car il est vrai qu'un accent doit être mis sur la police de proximité, qui est un maillon essentiel pour prévenir les incivilités. Mais nous n'avons nul besoin d'une Task Force ou d'un comité de salut public pour cela ! Les bases légales existent; il s'agit de collaborer plus efficacement entre tous les acteurs qui s'occupent de prévention, de dissuasion et de répression de ces incivilités que nous déplorons tous.
M. Alberto Velasco (S). Madame la présidente, je ne parlerai que deux minutes parce que ma collègue aimerait aussi s'exprimer.
Monsieur Letellier, vous dites que ces incivilités sont le reflet - je vous cite - «d'un système politique laxiste et décadent». Or le fait que vous soyez assis là et que vous puissiez intervenir devant nous signifie que le système n'est pas si laxiste et décadent. Parce que les plus grandes incivilités qui soient sont la dictature et les coups d'Etat. Et les comités de salut public sont parfois ou bien souvent la conséquence de coups d'Etat. Et c'est ce que vous nous demandez ici ! Vous voulez créer un coup d'Etat qui soit ensuite le reflet... Vous voulez instituer un comité de salut public, qu'on mette les gens au pas et qu'on fasse trois ou quatre Champ-Dollon ! Mais ce n'est pas possible ! On ne peut pas aller dans ce sens-là ! Et c'est pourtant à quoi aboutirait votre proposition de motion si elle était acceptée.
Pour toutes ces raisons, nous ne pourrons pas entrer en matière sur ce sujet, et je laisse ma collègue Anne Emery-Torracinta ajouter une petite couche, historique, sur ce thème.
M. Christian Bavarel (Ve). Je vais peut-être paraître un peu redondant par rapport à ce qui a déjà été dit, mais les Verts sont attachés à un Etat de droit - vous me direz que c'est assez surprenant, or il me semble que c'est une évidence: l'Etat de droit énonce simplement qu'il y a des lois, qu'il y a une séparation des pouvoirs, qui a été décrite par Montesquieu. D'un côté, il y a le législatif qui doit légiférer, de l'autre il y a l'exécutif qui doit faire le travail, puis il y a le pouvoir judiciaire. Et il n'y a pas de confusion entre tous ces rôles, ils sont organisés, réglés, et l'on applique une égalité de traitement à toutes les personnes vivant dans ce pays.
Ce sont des grands principes auxquels nous sommes fortement attachés, ainsi qu'au monopole de la force de l'Etat, qui la délègue à la police - on parle d'ailleurs de monopole de la force et non de la violence, on est bien d'accord là-dessus - et nous tenons à ce que les choses se déroulent selon ce qui est inscrit dans la constitution et à ce qu'on suive ces règles.
Aujourd'hui, notre souci est de savoir comment faire pour vivre ensemble, pour se respecter les uns les autres, ainsi que les droits fondamentaux de chacun. C'est à quoi nous devons nous attacher et c'est d'ailleurs pour cela que nous sommes tous dans ce parlement: nous avons certes des visions différentes du monde, mais nous les exposons sans se battre et en discutant.
Vous comprenez donc bien que cette proposition de motion est complètement à l'opposé des valeurs qui fondent notre démocratie, et c'est pourquoi nous la rejetterons.
M. Olivier Jornot (L). Il fut un temps où, sur le plan fédéral, lorsqu'on rencontrait une difficulté, on créait une commission d'experts. A Genève, depuis un certain temps, la mode est aux Task Forces ou aux forces de circonstance, pour reprendre la terminologie francophone officielle de l'OTAN. Je trouve que dans ce débat, Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes bien gentils. Parce que nous traitons comme une proposition de motion ordinaire un texte qui parle de décadence, de laxisme, d'une civilisation qui est sur la pente savonneuse, qui tolère toutes sortes de turpitudes diverses et variées, quand elle ne les favorise pas.
C'est bien ! Cela prouve, comme le disait tout à l'heure M. Velasco, que nous sommes dans une démocratie avancée, puisque nous pouvons avec autant de civilité parler d'incivilités.
Précisément, d'incivilités, parlons-en, parce que, Monsieur Letellier, vous en avez une drôle de conception. Le trafic de drogue, le vol, la corruption de fonctionnaires, toutes ces choses que vous dénoncez, ce ne sont pas des incivilités ! Ce sont des crimes punis par la loi et réprimés par les tribunaux.
Vous réclamez une extrême sévérité. Pour les libéraux qui, comme l'a dit tout à l'heure M. Bavarel, sont attachés à l'Etat de droit, la justice n'est pas là pour faire preuve d'extrême sévérité, mais pour faire acte de justice, ce qui comporte la sévérité mais aussi l'humanité et le respect des règles notamment.
La séparation des pouvoirs a aussi été évoquée à plusieurs reprises: il y a un législatif qui légifère, un exécutif qui exécute - et j'imagine, Monsieur Letellier, qu'un exécutif qui exécute, ça doit vous plaire... (Brouhaha.) Votre proposition de motion, en évoquant un comité de salut public, a en effet des accents saint-justiens, on voit volontiers des têtes qui roulent dans la sciure, et cela ne correspond pas à la manière dont nous concevons l'exercice de la justice.
Nous voulons donc vous proposer, Mesdames et Messieurs les députés, de la rejeter, tout en vous disant que cela ne signifie en aucun cas que le problème sous-jacent évoqué en filigrane dans ce texte, celui des infidélités... (Rires.) ...heu, des incivilités ! Mais tous les problèmes méritent d'être traités ! Donc, cette question des incivilités nécessite en effet d'être examinée avec beaucoup d'intérêt, bien que la proposition qui nous est faite aujourd'hui ne soit pas acceptable.
La présidente. La parole est à Mme la députée Anne Emery-Torracinta, à qui il reste une minute et cinquante-six secondes.
Mme Anne Emery-Torracinta (S). Dix secondes devraient suffire ! Beaucoup d'entre vous ont parlé d'histoire, alors j'aimerais simplement signaler que le premier comité de salut public, c'est Robespierre; Robespierre, c'est la terreur, et je vous donne sa définition de ce terme: «Ce n'est pas autre chose que la justice prompte, sévère et inflexible.» C'est exactement ce que M. Letellier appelle de ses voeux.
Alors, je vous rappellerai aussi que la terreur, ce fut, en dix mois, 40 000 morts, dont 17 000 personnes guillotinées.
M. Georges Letellier (Ind.). Je remercie simplement tous mes collègues. Je vois que vous ne tenez pas compte du bruit de la rue, du bruit des citoyens qui commencent à se révolter contre les incivilités. Vous vous en foutez royalement ! Eh bien, Messieurs, c'est vous qui payerez la note ! Voilà !
La présidente. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Stauffer, à qui il reste cinquante-sept secondes.
M. Eric Stauffer (MCG). C'est plus qu'il ne m'en faut ! Comme l'a dit mon collègue Roger Golay à propos du comité de salut public: non, Monsieur Letellier, vous ne ferez pas un coup d'Etat à Genève, bien que ce soit une république ! Nous tenons à notre gouvernement et nous ne pouvons que lui renouveler notre confiance pour l'excellent travail qu'il a fait jusqu'à maintenant.
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de motion est gravement confusionnelle. D'une part, parce que l'incivilité consiste, par exemple, à ne pas laisser sa place à une dame dans un autobus ou à jeter un paquet de cigarettes sur le trottoir. Mais le trafic de drogue, le vol, le brigandage, ce sont des crimes, ce sont des délits, et ils sont l'affaire de la police et de la justice ! C'est la première confusion dans ce texte.
Les incivilités sont des actes que nous devons tous prévenir par nos efforts multiples, et dont les ASM traitent quelquefois, mais les comportements que vous décrivez figurent parmi les plus graves socialement. Là, c'est le travail de la police, et nous devons la soutenir dans son action. C'est ensuite à la justice, avec rigueur, zèle et humanité - nous entendons cela tous les jours lorsque nous assermentons des juges - de traiter ces problèmes.
La deuxième confusion, c'est ce comité de salut public qui prend place quelque part entre l'exécutif, le législatif et la justice, pour en faire une vaste salade destinée à faire rouler des têtes - vous avez bien résumé la chose, Monsieur Jornot. On est hors de tout cadre institutionnel.
Monsieur Letellier, je suis heureux que vous appuyiez la politique de sécurité que nous entendons mener, mais vous ne pouvez pas tenter d'inventer des structures politiques qui nous laissent des souvenirs tragiques ! (Applaudissements.)
Mise aux voix, la proposition de motion 1731 est rejetée par 63 non contre 1 oui et 2 abstentions.