République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 25 mai 2007 à 17h
56e législature - 2e année - 8e session - 39e séance
PL 9346-B
Deuxième débat
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, je vous rappelle en préambule que ce projet de loi a été renvoyé en commission le 12 octobre 2006 suite au vote du premier débat. Comme convenu avec les chefs de groupe, chaque formation politique aura trois minutes pour s'exprimer avant que je procède à la lecture de la loi, article par article.
Mme Ariane Wisard-Blum (Ve), rapporteuse. Ce document fait suite au premier rapport très complet sur le projet de loi 9346, rédigé par M. Weiss, dans lequel il relatait l'aspect historique des cimetières à Genève, la genèse de ce projet et, bien sûr, le débat de fond qui occupa plusieurs mois la commission des affaires communales, régionales et internationales.
Je ne reviendrai que brièvement sur le passé pour vous rappeler que le projet de loi initial du Conseil d'Etat prévoyait la création de cimetières privés et que le texte sorti de commission y ajoutait la possibilité de créer des carrés confessionnels dans les cimetières publics. La commission était alors arrivée à une majorité que l'on peut désormais qualifier «de circonstance», puisqu'elle s'effrita lors de la séance plénière du Grand Conseil, le 12 octobre 2006.
En effet, la solution des cimetières privés suscita de fortes réactions et oppositions, et la majorité du Grand Conseil décida avec sagesse de renvoyer ce projet de loi en commission en relevant qu'une solution consensuelle devait être trouvée. Nous étions face à deux contraintes: respecter l'article 15 de la Constitution fédérale sur la liberté de conscience et de croyance, comme nous le suggérait un avis de droit des professeurs Rouiller et Auer, et éviter un référendum des partisans de la laïcité.
Dès la reprise des travaux de commission, une présentation par M. Tornare du projet de la Ville de Genève prévoyant des quartiers confessionnels au sein du cimetière de Saint-Georges intéressa hautement les commissaires qui prirent conscience qu'un projet déjà très avancé et négocié avec les communautés religieuses n'attendait plus que le vote d'une loi au Grand Conseil pour être concrétisée.
Malheureusement, les choses n'allaient pas être aussi simples. Tandis que le Conseil d'Etat avait préparé un amendement général basé sur des amendements émanant de députés de différents partis, les libéraux et le parti démocrate-chrétien avaient quant à eux déposé leur propre projet de loi. Face à ces trois textes, le travail de commission devenait impossible et il fallut une rencontre entre M. Moutinot et les chefs de groupe pour trouver un terrain d'entente et se remettre au travail sereinement.
Revenus à de meilleures dispositions, les commissaires trouvèrent très vite un accord autour de l'amendement du Conseil d'Etat, autorisant des quartiers sous le régime des concessions dans les cimetières publics pour les tombes nécessitant une orientation différente. Les députés privilégièrent également la variante qui permet au Conseil d'Etat d'autoriser ce type d'aménagement à toutes les communes qui le souhaitent plutôt qu'à la seule commune de Genève. En effet, pour la majorité, même si la commune de Genève est, pour le moment, la seule à avoir un projet presque abouti, il est préférable de laisser cette ouverture aux communes qui désireraient à l'avenir entrer dans cette démarche et respecter le principe d'équité entre les communes et leurs habitants.
Soucieux de trouver une solution pour le cimetière juif de Veyrier, les libéraux proposèrent un amendement pour autoriser l'implantation de tombes sur la parcelle genevoise du cimetière. Il faut rappeler qu'actuellement il est possible d'enterrer les défunts juifs uniquement sur la partie du cimetière située en France et qui représente les deux tiers du terrain. Sur le tiers genevois restant se trouve un oratoire, un parking et 1000 m2 de terres inoccupées.
Cette proposition libérale pouvait faire craindre une reprise des hostilités... Heureusement, l'état d'esprit de la commission avait profondément changé et un débat constructif aboutit à accepter cet amendement à une large majorité. L'exiguïté de la parcelle concernée a certainement été l'élément déterminant qui fit changer d'avis les farouches opposants à toute privatisation des cimetières. Mais le fait d'annexer le plan au rapport, dans le but de bien délimiter le périmètre concerné par l'extension, fut aussi un gage suffisant pour éviter toute interprétation erronée de la loi.
Après un vote final presque unanime, puisque persistaient encore une abstention et une opposition radicales, la commission accepta pourtant de rouvrir le débat suite à une demande du parti radical souhaitant revenir sur la rédaction de l'article concernant le cimetière juif de Veyrier. En effet, pour les radicaux, le texte voté n'était pas suffisamment précis et ils craignaient que sa rédaction n'ouvre la porte à la création d'un cimetière privé...
Sur ce point, je dois apporter un rectificatif à mon rapport. En effet, si c'est bien le parti radical qui souhaitait revenir sur la rédaction de l'article sur le cimetière juif de Veyrier, sans explicitement le reformuler, c'est un amendement proposé par le député Pierre Weiss qui permit aux radicaux de se rallier à la majorité et, ainsi, d'obtenir un vote unanime de la commission sur ce projet de loi.
Je tiens ici à relever l'attitude constructive des députés de la commission des affaires communales, régionales et internationales. Cet état d'esprit positif a prévalu tout au long de nos travaux, au-delà de tout clivage politique. Je crois que les députés qui ont oeuvré pour aboutir à ce projet de loi peuvent être fiers de leur travail: arriver à une unanimité relevait de l'utopie ! Et c'est bien la preuve que, même sur des sujets sensibles, qui nous divisent, les personnes qui s'ouvrent au dialogue, écoutent et comprennent les arguments des autres trouvent des accords et des solutions. Certes, chacun y a perdu un peu de son idéal, chacun a fait des concessions, mais cela a été effectué dans le souci de l'intérêt général.
Au nom de toute la commission, j'espère que, ce soir, nous allons pouvoir répéter cette unanimité autour de ce projet de loi qui permettra bientôt à bon nombre de concitoyennes et de concitoyens de vivre leur deuil dans le respect de leur croyance, et ainsi Genève respectera la liberté de conscience et de croyance exigée par la Constitution fédérale.
Dans cet esprit d'ouverture et de tolérance, je vous prie, Mesdames et Messieurs les députés, d'accepter ce soir ce projet de loi.
M. Eric Leyvraz (UDC). Le projet de loi 9346 a été déposé le 24 août 2004. Suite à un nombre impressionnant de séances de la commission des affaires communales, régionales et internationales, d'auditions, de discussions, nous arrivons au terme d'une véritable histoire sans fin...
Combien restent fortes les sensibilités face à la mort et ses rituels ! Difficile pour une commission de trouver le juste milieu, en faisant fi, parfois, de ses propres convictions.
On critique volontiers le parlement et ses lenteurs, mais il faut relever combien les débats de la commission, parfois vifs, ont su rester constructifs: dans l'écoute de l'autre et dans la certitude qu'il fallait trouver une solution pour adapter notre loi sur les cimetières aux exigences fédérales. La commission des affaires communales, régionales et internationales - et, à travers elle, notre parlement - a fait preuve de sa capacité de dialogue, quels que soient les opinions et les partis, pour construire dans l'intérêt de tous. Chacun y a mis du sien: ceux qui ne voulaient aucun changement ont accepté ce qui leur paraît le maximum tolérable et ceux qui étaient très ouverts se sont contentés du minimum acceptable, dans un but commun de réussir et avec un esprit de tolérance qu'il faut également relever.
Le résultat d'aujourd'hui donne satisfaction aux communautés religieuses qui n'avaient plus de possibilité de procéder aux enterrements selon leurs rites. Les musulmans auront leur quartier avec la juste orientation des tombes et l'on va mettre fin à l'hypocrisie de la situation du cimetière juif de Veyrier, qui a son entrée en Suisse et ses tombes sur France, en rendant possible, dans le strict périmètre existant, l'utilisation de la partie herbeuse sur Suisse pour recevoir des corps.
Après le succès historique d'hier sur le logement, je ne doute pas que ce parlement va montrer une fois de plus qu'il peut, dans un débat démocratique clair, accepter un compromis qui donne satisfaction à tous les citoyens de ce canton. Le groupe UDC votera donc avec satisfaction ce projet de loi qui fait honneur au sens d'ouverture de notre République.
M. Guy Mettan (PDC). Le parti démocrate-chrétien est très satisfait du projet qui nous est soumis ce soir, pour quatre raisons.
La première est que le principe des carrés confessionnels, même s'il ne figure pas tel quel et sous ce nom-là dans la loi, est respecté. C'était l'un de nos souhaits, et nous tenions à le voir inscrit dans la loi. La deuxième est que nous avons échappé au principe de la privatisation des cimetières. La troisième est que l'accord des communes est sollicité, puisque c'est à l'initiative des communes que l'on pourra, le cas échéant, octroyer des concessions. Et puis, évidemment, la quatrième raison est qu'une solution a été trouvée pour le cimetière de Veyrier: une solution élégante et, en même temps, comme la rapporteure l'a souligné, une solution qui précise très bien les limites d'octroi de l'agrandissement possible du cimetière de Veyrier.
Je remercie également la rapporteure d'avoir souligné la sagesse qui a présidé au renvoi de cet objet en commission... En effet, c'est notre parti qui, constatant qu'aucun accord n'était possible au moment du débat, avait suggéré, en octobre dernier, son renvoi en commission. Et dans la foulée, nous avons déposé nous-mêmes un amendement au projet de loi, dont l'essentiel a été repris dans la mouture du Conseil d'Etat.
Par conséquent, je crois effectivement que la solution - juste pour terminer sur une note un peu humoristique - de consensus et de concordance qui a été trouvée est une solution très démocrate-chrétienne et conforme à l'esprit de notre parti. Je tiens à vous en remercier ! (Remarques.)
M. Antonio Hodgers (Ve). Dans ce débat, les principes fondamentaux ont été posés. Il s'agit pour nous de garantir la liberté religieuse, dont les rites funéraires sont une des expressions, cela dans un cadre public et, par conséquent, laïc. Mais, comme toujours avec les grands principes, c'est la mise en musique qui pose problème. Et, il faut l'avouer, elle a donné beaucoup de travail à la commission et, également, à ce parlement.
Les Verts sont aujourd'hui satisfaits du résultat qui a été trouvé. Il répond à divers enjeux qui, pour nous, étaient fondamentaux. Tout d'abord, d'un point de vue philosophique, le principe que les religions minoritaires font partie intégrante de notre cité est respecté. Nous ne sommes pas dans une approche où un groupe identitaire local s'ouvre à des groupes extérieurs. Nous reconnaissons ici que notre société est composée de différentes religions et que celles-ci participent toutes à l'identité qui est la nôtre.
Cela implique que la laïcité ne peut pas se résumer à l'expression des modalités de la religion majoritaire. Et c'est la critique que nous faisons à la situation actuelle. Donc, la laïcité est aujourd'hui adaptée pour qu'elle puisse intégrer les modalités différentes qui font la richesse des différentes religions.
Par ailleurs, Il nous paraît important de ne pas résumer les citoyens d'une confession à leur communauté organisée. Les chrétiens catholiques sont liés au pape: pourtant beaucoup de catholiques se permettent d'avoir des opinions différentes sur le divorce, l'avortement ou la contraception. De même, concernant les juifs et les musulmans: ils sont, bien sûr, liés à leur corps religieux, mais ils se permettent d'avoir des avis différents. Et il est important qu'il y ait une distance entre la communauté organisée et l'ensemble de ses membres. Cela n'implique pas de réduire le rôle social important de cette communauté - ce rôle qui a été pris en compte par l'Etat - mais on ne peut pas demander à des citoyens de passer exclusivement par leur communauté pour bénéficier d'une prestation qui serait celle d'un cimetière public. En ce sens, le nouveau projet de loi répond tout à fait à cette attente.
Enfin, et c'était aussi très important pour nous - et c'est aussi pour cela que les Verts ont adapté leur position - un consensus sur ce genre de question est indispensable. Il s'agit vraiment d'une responsabilité politique pour éviter qu'un débat de ce type ne dérape sur la place publique. Et donc, à cet égard, je me réjouis vraiment qu'un accord ait pu être trouvé autour de la proposition de M. Moutinot, que je remercie de son action.
M. Gabriel Barrillier (R). L'exercice politique auquel se sont livrés le Conseil d'Etat et notre Conseil pour réviser cette loi sur les cimetières était délicat, voire périlleux.
Le projet initial du gouvernement - cela a été rappelé par Mme le rapporteur - avait imprudemment ouvert la porte aux cimetières privés et à des pratiques communautaires trop strictes. Ce faisant, il s'est d'emblée heurté à une large opposition d'une majorité du Grand Conseil attachée aux principes et pratiques qui datent de 1876. Quels sont ces principes ? L'égalité face à la mort; une sépulture digne, tenant compte des convictions des défunts et de leur famille; l'interdiction de tout communautarisme excessif, tout en respectant les coutumes funéraires des différentes confessions. Le tout, je vous le rappelle, sous la ferme mais bienveillante surveillance de l'Etat laïc et républicain, garant de l'ordre et de la paix entre les différentes confessions.
Dans leur recherche d'une solution acceptable, les commissaires ont fait preuve de dignité, de responsabilité et de respect vis-à-vis des pratiques et rituels qui accompagnent les défunts des différentes confessions.
Les radicaux se sont ralliés aux solutions proposées, dans la mesure où les principes que je viens de rappeler n'ont pas été remis en cause mais seulement adaptés pour répondre à l'évolution du paysage confessionnel du canton, tout en mettant la loi genevoise en conformité avec la Constitution fédérale.
La loi précise mieux les pouvoirs respectifs du Conseil d'Etat et des communes, en particulier en ce qui concerne l'extension de cimetières sur le territoire genevois et la possibilité d'utiliser des systèmes de sépulture nécessitant une orientation ou un aménagement des fosses différent, y compris dans les quartiers réservés aux concessions. Ces mesures ont reçu un accueil favorable - cela a été dit - des différentes communautés religieuses, en particulier - j'aimerais le souligner ici - de la communauté juive.
Tout en restant une norme générale, cette révision permettra - nous l'espérons vivement - de répondre de façon satisfaisante et durable aux souhaits manifestés par plusieurs communautés religieuses. Puisse-t-elle constituer pour longtemps le fondement de la paix entre les diverses communautés religieuses qui se côtoient à Genève !
Aussi, au nom du groupe radical, j'ai le plaisir de remercier et de féliciter chacune et chacun des commissaires qui ont mis un peu d'eau dans leur vin...
M. Jean-Michel Gros. Quelle horreur ! (Rires.)
M. Gabriel Barrillier. ...en soulignant en particulier l'apport constructif et conciliant de M. Laurent Moutinot - et j'insiste sur ce point - qui a joué les Nicolas de Flue, sans omettre la présidence de la commission, assurée par Mme de Tassigny, et le travail de rapporteur de Mme Wisard-Blum, sanctionnant la seconde phase des travaux de cette commission.
Nous voterons ce projet de loi.
M. Pierre Weiss (L). Il aura fallu trois ans de débats à ce Grand Conseil pour arriver à affirmer la prééminence du droit en faveur de la dignité humaine. Et ne serait-ce que pour cette raison, il convient aujourd'hui de saluer tous ceux qui y ont concouru - le rôle de M. Moutinot vient d'être rappelé, mais j'aimerais aussi évoquer celui des Verts et, en particulier, celui de Mme Ariane Wisard dont nous voyons aujourd'hui l'excellence du rapport.
Il convient d'aborder ce sujet sous trois angles. D'abord, les résultats juridico-factuels... Nous avons réussi en quelque sorte, même si c'est de façon modeste, une quadrature du cercle. En effet, nous avons affirmé le maintien de la laïcité cantonale et, en particulier, de la neutralité confessionnelle; nous avons aussi respecté la nouvelle Constitution fédérale en ses articles concernant la liberté religieuse dans ses effets indirects et, enfin, nous avons également respecté la dignité humaine à laquelle je me référais. Et puis, nous avons renforcé l'autonomie communale, puisque - d'ailleurs, à la suite d'un amendement déposé par nous-mêmes - nous avons fait en sorte que les communes aient la possibilité de demander que des espaces, conformément à ce qui a été défini dans la loi, puissent être affectés aux fidèles de certaines confessions souhaitant que leurs rites particuliers soient respectés.
Grâce à cela, d'un point de vue factuel, nous sortons à la fois d'une situation alégale et d'une situation illégale: elle était alégale en Ville de Genève, où des enterrements avaient lieu sans qu'une base légale n'existe; elle était aussi illégale, puisque des enterrements ne pouvaient avoir lieu pour, par exemple, des fidèles de la religion juive.
Mais il y a aussi des résultats politiques que je voudrais souligner. D'abord, une démonstration de l'intégration des diverses composantes de notre société dans leur diversité. Et la recherche réussie - comme cela doit se faire dans un parlement, et le débat que nous avons ce soir le démontre à l'envi - d'un plus petit dénominateur commun où chacun perd un peu non pas de ses idéaux, mais de ses exigences au profit du réalisme. Et puis, enfin, la promotion des droits de l'homme, ce n'est pas une mince victoire, en particulier pour les libéraux qui, depuis deux siècles, combattent en leur faveur.
Mais il y a aussi des résultats éthiques, et, dans un domaine tel que celui-ci, ces derniers comptent probablement plus que tous les autres. D'abord, c'est la fin de l'intolérance qui se manifestait par ce refus de la réalité et des besoins de deux religions. Ensuite, c'est également la fin de l'hypocrisie qui consistait à expulser de Genève des concitoyens de l'autre côté de la frontière le jour où ils venaient à décéder. Mais derrière cela, il y a le respect de la mort, et il est bon que notre parlement, qui se préoccupe souvent des vivants, sache aussi montrer à l'égard des morts - c'est-à-dire ceux qui représentent la perpétuation de notre société - le respect qui leur est dû.
Voilà les raisons qui nous poussent, nous libéraux, à adhérer pleinement - même si le résultat est modeste - à ce projet de loi. Il va de soi que, lorsqu'il sera entré en vigueur, nous retirerons le projet de loi 9957 que nous avions déposé, qui était certes plus ambitieux, mais qui, au fond, n'aurait pas pu être adopté aujourd'hui avec le consensus qui nous réunit et dont je vous remercie tous.
Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, je tiens, encore une fois, à me féliciter de ce résultat, qui montre combien notre parlement, sur des questions importantes, est capable d'arriver au but de sa détermination. (Applaudissements.)
M. Christian Brunier (S). Le parti socialiste est très content de la solution trouvée. Depuis le début, une grande majorité du parti socialiste cherchait l'équilibre entre une laïcité moderne et la liberté de conscience. Et, depuis le début, le parti socialiste affirme que cet équilibre passait par les quartiers confessionnels: il n'y avait pas d'autre solution possible !
Je vous le rappelle, le statu quo était impossible. Déjà, d'un point de vue légal, il était contraire à la Constitution fédérale, contraire à la liberté confessionnelle garantie par cette constitution. Mais qui pouvait imaginer qu'une loi de 1876 pouvait encore être d'actualité ?! Cette solution n'était donc pas imaginable, et nous l'avons combattue dès le départ.
La solution des cimetières privés ne nous convenait pas, car nous avions peur d'une privatisation des cimetières et, surtout, d'un cloisonnement des différentes confessions et nous pensions que ce n'était pas la bonne solution.
Très vite, et déjà lors du premier débat, nous avons recommandé l'élaboration et la mise en place de quartiers confessionnels, de quartiers confessionnels ouverts - le débat a aussi porté sur ce point précis en commission, certains suggérant de prévoir des entrées séparées, d'ériger des murs ou de planter des haies... Non ! Nous voulons que les gens qui vivent dans la même collectivité, celle de Genève, puissent être enterrés dans un lieu commun, mais selon leurs propres rites, leurs propres croyances, leurs propres valeurs.
Nous avons trouvé un compromis - j'appellerai cela une bonne solution - dans un esprit constructif. Tous les groupes qui se sont exprimés ont salué cet état d'esprit, qui émane, je pense, de l'ambiance qui règne dans cette commission. En effet, la commission des affaires communales, régionales et internationales travaille depuis des années dans une ambiance conviviale, et j'imagine que cela a joué un rôle déterminant sur un sujet qui pouvait s'avérer délicat.
Certains ont félicité le Conseil d'Etat. Il a joué son rôle, et il s'est adapté puisque le texte final est assez loin de la première version du projet de loi du Conseil d'Etat. Néanmoins, il a accompagné les travaux et repris le leadership quand il le fallait. Chaque groupe politique a également joué son rôle. Quelques-uns ont abandonné un certain nombre de leurs idées de départ pour essayer de trouver un compromis. Et je féliciterai bien entendu la «rapporteure d'unanimité» qui a fait un excellent travail.
Enfin, je remercierai aussi les communautés religieuses. A l'heure où les médias n'arrêtent pas d'évoquer les conflits entre les religions, les communautés religieuses à Genève ont également fait des compromis, et cela depuis le départ. Elles se sont assises ensemble autour d'une table; elles sont parfois venues ensemble réclamer leur liberté de conscience. Il me semble que nous pouvons leur dire bravo, car elles ont fait un travail d'ouverture que peu de communautés font à travers le monde.
Et puis, le travail de terrain a été important. En ce qui me concerne, j'aime le travail de terrain, et je pense que les politiques devraient aller plus souvent sur le terrain. Cela a certainement contribué à sauver ce projet de loi. Par exemple, lorsque la Ville de Genève, par l'intermédiaire de Manuel Tornare, nous a invités à visiter Saint-Georges, certains députés avaient des positions encore assez divergentes. Et, sur le terrain - finalement, nous sommes en train de mettre dans la loi la pratique de la Ville de Genève - on a constaté que l'on pouvait trouver très facilement des compromis, des solutions adaptables et satisfaisantes pour tout le monde. Cette visite à Saint-Georges a donc été importante dans l'élaboration de nos travaux: nous pouvons remercier la Ville de Genève à cet égard.
Une autre visite a été importante: celle du cimetière juif de Veyrier. J'étais de ceux qui ne voulaient pas rouvrir la porte à d'éventuels cimetières privés, et certains ont eu peur lorsque le parti libéral a présenté son amendement... En se rendant sur place, nous avons constaté que c'était tout simplement une question de bon sens ! Il y a un cimetière juif à Veyrier, qui est historique, et, en fait, nous donnons à la communauté juive la possibilité d'installer quelques tombes sur une bande d'herbe. S'opposer à cela aurait été une bêtise ! Dans ce cas aussi, la visite sur le terrain a été très importante et elle a permis de montrer que nous voulions traiter les communautés de la même façon, ce qui était l'un de mes soucis. En effet, en donnant la possibilité à la communauté juive d'installer des tombes dans ce cimetière, nous courions le risque que les autres communautés réagissent. Mais les communautés religieuses ont manifesté une grande sagesse sur ce point aussi.
Donc, nous arrivons à une bonne solution, à un bon projet de loi, dans une ambiance, que l'on peut qualifier d'«assez exceptionnelle». Bien sûr, je recommande le vote de ce projet de loi. Je conclurai ainsi: nous avons été très constructifs par rapport à ce projet de loi qui porte sur la mort; j'espère que nous le serons encore plus pour des projets de lois concernant les vivants !
M. Eric Stauffer (MCG). En tant que catholique, et fier de l'être, même si je ne suis pas un fanatique absolu de notre sainte mère l'Eglise, je me dois d'intervenir dans ce débat pour remettre les choses à leur juste place. Que nous acceptions différentes cultures en Suisse, c'est à mon avis très bien. La tolérance est un principe inaliénable du peuple suisse !
Une voix. Mais...
M. Eric Stauffer. J'ai beaucoup réfléchi à la question des cimetières... En Suisse, nous devons réaliser que toute personne qui pratique une religion différente - cela doit faire partie de notre contrat moral - a droit à une sépulture selon les rites inhérents à sa religion. Pour quelle raison ? Parce que le passage dans l'au-delà est très important chez nous. Il ne s'agit pas d'autoriser l'incinération du style Bénarès au bord du Gange, mais de permettre aux proches du ou de la défunte de l'enterrer avec l'orientation convenable et avec leurs pairs de même religion, et de respecter les rites et croyances de chaque religion.
Ces personnes qui sont nées en Suisse ou sont venues de l'étranger et qui sont de confessions différentes ont droit au respect. C'est déjà très dur de perdre un proche, que ce soit en Suisse ou à l'étranger, en dehors du cadre traditionnel et confessionnel. Alors, soyons généreux et donnons le droit à nos amis de confession différente, qui sont résidents genevois, de procéder à leur manière, avec un minimum de tracasseries religieuses, financières et administratives ! Notre contrat avec eux doit aussi intégrer un libre-passage dans l'au-delà selon leurs convictions. Que Dieu vous bénisse ! Amen !
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Il aura fallu à peu près deux ans de travaux préparatoires au Conseil d'Etat et trois ans à votre parlement pour trouver un accord sur la question des cimetières confessionnels. Si quelquefois la lenteur politique est exaspérante, contreproductive et ne permet pas de réagir comme il conviendrait à l'urgence, dans le cas précis, le temps a été un bon conseiller.
Il fallait très certainement que toutes les positions possibles sur cette question s'expriment. Il fallait que chacun aille au bout de son raisonnement, au bout de ses idées, et les confronte avec celles des autres. Avec la volonté - et c'est cela qui a sauvé le projet - de trouver une solution, bien sûr ! Car s'il est des conflits négatifs, il en est aussi qui sont positifs.
Il s'est produit une chose tout à fait remarquable: au fur et à mesure que les commissaires de la commission respectaient et comprenaient la position des autres députés, ils comprenaient davantage la nécessité de respecter les croyances religieuses des autres confessions. Il y a eu, en quelque sorte, un mouvement interne à la commission: le respect des députés les uns envers les autres; et externe: de respect à l'égard des communautés qui souhaitent pratiquer des rites différents de ceux que nous connaissons usuellement.
Finalement, il n'y a eu ni gagnants ni perdants. Personne n'a dû renier ses valeurs. En revanche, un équilibre a été trouvé entre ces deux principes fondamentaux de notre Etat que sont sa laïcité, d'une part, et le respect des croyances et liberté religieuse, d'autre part.
Il n'y a pas eu - et j'insiste sur ce point - de plus petit dénominateur commun ! Cela aurait été une solution de facilité. Ce projet de loi a intégré fondamentalement la laïcité, qui est elle-même garante de la liberté religieuse, puisque dès lors que l'Etat est laïc, qu'il se situe hors du champ religieux, il permet, par là-même, à chacun, à titre individuel, de pratiquer sa religion en toute liberté.
Un équilibre a été trouvé sur les grands principes, mais aussi sur les petits détails, puisque, au mètre carré près, nous avons déterminé l'agrandissement du cimetière de Veyrier. Et puis, ce cimetière représente à mon avis un très beau symbole. Nous savons tous que la mort est une frontière définitive pour nous. Ce cimetière transfrontalier - probablement le seul au monde - où la mort transcende, en l'occurrence, les frontières étatiques et les difficultés que nous avons eues à nous mettre d'accord sur cette question, restera le symbole de l'accord que vous avez trouvé et dont je vous remercie ! (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Je vous rappelle, Mesdames et Messieurs les députés, que nous sommes en deuxième débat.
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés.
Mis aux voix, l'article 1, alinéa 3 (nouvelle teneur) est adopté.
La présidente. Monsieur le député Jean-Claude Ducrot, vous voulez intervenir sur l'article 7: je vous donne la parole.
M. Jean-Claude Ducrot (PDC). Merci, Madame la présidente. Je veux exprimer ma satisfaction quant au maintien, dans cet article 7, de la présence des ministres des cultes, quand bien même il y a eu quelques velléités qui auraient pu rallumer des flammes dans le cadre des travaux de la commission. Il est extrêmement important que, notamment, les ministres des cultes puissent figurer dans la loi.
Qui plus est - puisque j'ai la parole, je vais l'annoncer: le parti démocrate-chrétien retirera le projet de loi qu'il avait également déposé antérieurement.
Mis aux voix, l'article 7 (nouveau) est adopté, de même que les articles 8, alinéa 2, lettre c) (nouvelle) et 8, alinéa 3 (nouveau).
Mis aux voix, l'article unique (souligné) est adopté.
Troisième débat
La loi 9346 est adoptée article par article en troisième débat.
Mise aux voix, la loi 9346 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 76 oui et 2 abstentions. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)
Projet de loi de Mmes et MM. Olivier Jornot, Pierre Weiss, Christiane Favre, Beatriz de Candolle, Fabienne Gautier, Francis Walpen, Jean-Michel Gros modifiant la loi sur les cimetières (K 1 65) (PL-9957)
Le Grand Conseil prend acte du retrait, par ses auteurs, du projet de loi 9957.
Projet de loi de Mmes et MM. Guy Mettan, Anne-Marie von Arx-Vernon, Guillaume Barazzone, Jacques Baudit, Michel Forni, François Gillet, Béatrice Hirsch-Aellen modifiant la loi sur les cimetières (K 1 65) (PL-9958)
Le Grand Conseil prend acte du retrait, par ses auteurs, du projet de loi 9958.