République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 3 mai 2007 à 20h30
56e législature - 2e année - 7e session - 32e séance
PL 8641-A
Premier débat
M. Olivier Jornot (L), rapporteur de majorité. Nous avons affaire à un projet de loi qui a été déposé il y a plusieurs années - en 2001 pour être exact - par toute une série de députés de l'Entente. De quoi s'agissait-il ? Ce projet de loi proposait une diminution de l'impôt sur le capital des personnes morales par le biais de la suppression des centimes additionnels qui s'ajoutent à l'impôt ordinaire sur le capital des entreprises.
Pourquoi cette proposition ? Parce que depuis 1998, trois ans avant le dépôt du projet de loi, cette imposition du capital est devenue une absurdité en raison d'une modification de la législation fédérale, modification ayant pour effet de remplacer l'imposition progressive du bénéfice des sociétés par une imposition proportionnelle. En quelque sorte, précédemment, l'impôt sur le capital avait pour résultat de corriger les disparités de l'imposition sur le bénéfice. A partir de 1998, ce n'était plus nécessaire et la Confédération, dans sa grande sagesse, a purement et simplement supprimé l'impôt sur le capital. Néanmoins, la loi d'harmonisation - celle qui s'impose aux cantons - oblige ces derniers à continuer à prélever un impôt sur le capital, d'où ce projet de loi visant à diminuer cet impôt.
A Genève, cet impôt est particulièrement absurde, non seulement parce qu'il est élevé, mais parce qu'il a même pour effet d'être plus élevé pour les entreprises qui ne font pas de bénéfice, qui sont taxées au taux de 2 pour mille, alors que celles qui font du bénéfice sont taxées à un taux inférieur de 1,8 pour mille. Ce projet de loi aurait supprimé des recettes fiscales, à raison d'environ une septantaine de millions de francs, ce qui a donné lieu en commission fiscale à de très longs débats qui se sont étendus sur plusieurs années. Le projet a été ajourné, pour quelques mois initialement; finalement, deux années se sont écoulées avant que le sujet ne soit repris. (Brouhaha.)
Au cours des débats de cette deuxième phase, lorsque le projet a été repris au cours de la présente législature, un amendement a été formulé pour ne pas supprimer purement et simplement les centimes additionnels et pour limiter les effets de cette suppression dans le temps, dans l'idée que ce qui était essentiel, c'était de donner un signal fort aux nouvelles entreprises. «Nouvelles entreprises» signifiant aussi bien celles qui sont créées que celles qui arrivent dans notre canton. Parce qu'aujourd'hui, lorsque vous créez une entreprise, vous pouvez pendant plusieurs années ne générer strictement aucun bénéfice et néanmoins devoir dès la première minute de votre existence payer un impôt sur le capital. C'est évidemment tout à fait absurde, dès lors que les PME, les start-up notamment, qui se créent sont les emplois de demain.
En définitive, ce projet de loi a une vocation symbolique extrêmement forte. Bien sûr, il ne va pas aussi loin que les propositions des cantons alémaniques qui ont annoncé récemment des baisses d'impôts massives en faveur de leurs entreprises. Il ne va pas aussi loin non plus que ce canton qui, sur le modèle de la Confédération, a annoncé qu'il souhaitait désormais un impôt sur le capital, qui s'impute sur l'impôt sur le bénéfice de telle manière qu'il n'y ait pas une double imposition.
Alors, le rapporteur de minorité et votre serviteur ont rivalisé de citations diverses et variées et se sont accordés sur une métaphore commune, celle de la souris dont accouche la célèbre montagne, et il est vrai que dans le rapport de minorité la question de cette baisse d'impôt est traitée avec beaucoup d'ironie. On peut se poser la question aujourd'hui de savoir s'il faut rire ou pleurer en constatant que ce projet de loi, suite à un amendement de dernière minute, a pour seul effet de supprimer le centime additionnel pendant trois ans après la création ou l'arrivée d'une nouvelle entreprise à Genève.
On peut s'interroger sur le fait de savoir si, en définitive, nous avons affaire à quelque chose de suffisant ou si nous avons affaire à quelque chose d'infiniment trop léger. Pour la majorité de la commission, c'est le symbole qui est important, le symbole fort en faveur des entreprises, le symbole fort en faveur des PME, et c'est la raison pour laquelle la majorité de la commission vous recommande d'approuver ce projet de loi.
M. Roger Deneys (S), rapporteur de minorité. En tant que rapporteur de minorité, je vais évidemment soutenir le point de vue inverse. Il ne faut surtout pas soutenir ce projet de loi, même s'il a pris une portée tout à fait symbolique aujourd'hui. On ne peut en tout cas pas avancer qu'il s'agisse d'un signal fort en faveur des entreprises ! C'est effectivement de la cosmétique pour faire joli dans un programme électoral, mais l'impact est totalement nul ! Dans mon rapport de minorité, je me suis amusé à faire un petit calcul. Pour une entreprise qui aurait un capital-actions de 2 millions de francs, la baisse d'impôts représenterait 2826 F par an, en gros 250 F par mois, soit l'équivalent de la place de parking d'un cadre d'entreprise - ou quelques cafés, vous avez raison, Monsieur Gros !
Si l'on veut attirer des entreprises au capital de 2 millions de francs en baissant leur fiscalité de 2826 F par an, je suis désolé, mais c'est franchement totalement ridicule ! Dans ce sens, le projet de loi rate complètement son but ! On peut imaginer que l'objectif premier était d'une certaine façon cohérent: on supprime l'impôt sur le capital des entreprises parce qu'on estime que ce n'est pas le capital qui doit être taxé mais plutôt le bénéfice, et quand il n'y a pas de bénéfice on ne taxe rien. En même temps - tout le monde le sait, tous les entrepreneurs le savent, Monsieur Letellier comme les autres - le bénéfice est un des aspects seulement de la situation d'une entreprise, et une comptabilité ça sert justement à faire des investissements au bon moment pour dégager ou pas des bénéfices, parce qu'il y a des actionnaires à satisfaire ou parce qu'il y a des impôts à payer.
Donc, la réalité fiscale de l'entreprise ne se mesure pas uniquement par le bénéfice, elle se mesure aussi par son capital ! Dans ce sens, on peut dire que la partie «capital» peut aussi être taxée. D'ailleurs, on peut imaginer qu'à l'époque la disposition qui visait à taxer davantage une entreprise déficitaire cherchait peut-être à corriger cet effet. (Brouhaha.) C'est que certaines entreprises, par des astuces et techniques comptables - tout à fait légales d'ailleurs - n'avaient pas de bénéfices, mais elles avaient un capital. On pouvait donc, quelque part, quand même taxer partiellement leur valeur économique, même si elles ne faisaient pas de bénéfice.
Le projet initial coûtait 70 millions de francs par année. En commission, on a évoqué 50 millions. A l'époque, Mme Brunschwig Graf avait relevé le fait que l'on parlait de 50 millions et que ce n'était pas rien pour les finances du canton de Genève. Et dire que ce n'était rien n'était évidemment pas du tout correct ! L'impact fiscal d'une telle mesure était important et, en plus, il est complètement aberrant parce qu'il touche toutes les entreprises, qu'elles soient petites ou grandes, et la situation d'entreprises telles que Rolex ou l'UBS n'est pas la même que celle d'une PME au capital modeste, parce qu'on peut aussi se dire que ce qu'on essaie de viser, c'est de ne pas taxer les petites entreprises. Or le dispositif est tous azimuts !
Et aujourd'hui, dans le nouveau dispositif - qui vise donc uniquement les nouvelles entreprises - on parle de start-up alors qu'il ne s'agit pas de start-up mais de toutes les nouvelles entreprises pendant leurs trois premières années d'existence dont on ne taxerait pas le capital. Alors, comme je l'ai dit, cela représente 2800 F par année pour une entreprise qui a 2 millions de Francs de capital. On ne fait pas de différence entre une start-up que créerait M. Bertarelli ou une entreprise comme Google, si elle venait s'installer à Genève, et un entrepreneur qui n'a peut-être pas de moyens, mais qui essaie de lancer son entreprise !
Ici, on propose donc des baisses d'impôts extrêmement modestes, sans aucune garantie de résultat. Ce ne sont pas 2800 F d'impôt en moins ou en plus sur un capital de 2 millions de francs qui vont garantir ou non la survie d'une entreprise.
En plus, le problème est que ces recettes fiscales ne seront plus là ! Ici, dans le projet de loi actuel, nous allons avoir une baisse de recettes fiscales de l'ordre de 10 millions de francs. Je tiens d'ailleurs à relever le fait que l'administration fiscale est très douée pour nous communiquer des tableaux de répartition en cas d'arrivée en cours d'année ou en cas de changement de raison sociale, etc.; par contre, pour ce qui est d'établir fiscalement le coût de cette mesure sur une année ou deux ou trois, l'administration fiscale est incapable de nous donner des chiffres. Donc, ici, le projet de loi vous fait voter un principe, sans connaître les chiffres ! Et je pense qu'en période de rigueur budgétaire où l'on s'intéresse à chaque centime dépensé, ce n'est franchement pas un projet raisonnable.
Pour ces raisons, je vous invite à refuser ce projet de loi, même si sa portée est extrêmement symbolique ! On peut dire que cet argent serait bien plus efficace dans une fondation d'aide aux entreprises, qui aiderait uniquement les entreprises qui en ont besoin. Parce qu'il faut mettre de l'argent là où on en a besoin, là où les personnes font des demandes et ne pas disperser tous azimuts 100 F de moins par-là, 200 F de moins par-là. Cela ne change rien à la vie des entreprises et j'en sais quelque chose: je suis petit patron. Ce n'est pas comme cela qu'on aidera l'économie genevoise !
Mme Mathilde Captyn (Ve). Les Verts sont fermement opposés à toute proposition de baisse d'impôts dans le contexte actuel des finances publiques, aussi petite soit-elle, d'ailleurs. Or, ce projet de loi vise justement à diminuer l'impôt sur le capital, équivalant à 0,18% et 0,2% pour les sociétés qui présentent des pertes.
Nous reconnaissons que c'est un impôt qui devrait être adapté à la logique économique. Nous aurions d'ailleurs été d'accord d'entrer en matière sur un projet de loi prévoyant une compensation des pertes fiscales pour l'Etat. Là n'était pas l'objectif des signataires, qui défendent au contraire systématiquement - oserais-je dire de manière presque névrosée ou monomaniaque - la baisse de tous types d'impôts confondus.
Bien que les travaux de la commission aient permis de réduire cette baisse d'impôt pour en faire une exonération d'impôt sur le capital pendant une période de trois ans à dater de la création ou l'arrivée d'une personne morale dans le canton, nous restons opposés à ce nouveau cadeau fiscal pour les entreprises.
Nous vous engageons donc, Mesdames et Messieurs les députés, à voter contre ce projet de loi.
Mme Michèle Ducret (R). L'impôt sur le capital des personnes morales est un impôt que j'ai toujours jugé inique, soit en tant que représentante des associations professionnelles, soit en tant que représentante du groupe radical, parce qu'il pressure inutilement les personnes morales et que, quelquefois, certaines personnes doivent réaliser une partie de leurs biens pour payer cet impôt, ce qui est quand même un comble !
Par conséquent, je salue ici la sagesse et le bon sens du groupe libéral qui a renoncé à ses prétentions initiales et les a considérablement réduites, estimant que la loi fédérale lui interdisait de toute manière de supprimer l'impôt sur le capital dans le canton de Genève et dans les autres cantons.
Nous soutiendrons donc le projet de loi tel qu'il est ressorti des travaux de la commission, et j'ai bien dit: «tel qu'il est ressorti des travaux de la commission».
Mme Véronique Schmied (PDC). Nous avons donc en vigueur un impôt qui n'a qu'une justification historique, un impôt qui n'a pas de liens avec le chiffre d'affaires de l'entreprise, qui est moins élevé pour les entreprises bénéficiaires et inversement plus élevé pour les entreprises déficitaires. Il s'agit d'un impôt qui défavorise le canton de Genève par rapport à d'autres cantons quant à son attractivité - je le sais, moi qui, à Versoix, vois passer les entreprises qui vont s'installer à quelques kilomètres de là, entre Coppet et Nyon. Il faut se rappeler que notre voisin le canton de Vaud a un taux global effectif d'imposition de 30 à 40 fois inférieur au taux genevois.
Cet impôt incite aussi les entreprises à distribuer leurs bénéfices au lieu de les inciter à constituer des réserves; certaines entreprises sont parfois même poussées à s'endetter pour payer l'impôt, puisqu'elles n'ont pas de bénéfice et que l'impôt leur est tout de même «imposé» - c'est le cas de le dire. Bref, c'est un impôt qui est néfaste aux PME et aux PMI.
Ces mêmes entreprises offrent tout de même à peu près les trois quarts des emplois dans le canton de Genève. Donc, se préoccuper de leur survie et de leur confort, surtout lorsqu'elles sont nouvelles, n'est pas un vain combat. L'idéal serait bien sûr d'abolir cet impôt, mais la commission a bien constaté qu'il y aurait effectivement un manque à gagner non négligeable en termes de recettes fiscales et que ce n'était pas le moment d'imposer cette restriction au canton. (Brouhaha.)
Donc, le groupe démocrate-chrétien soutiendra cette proposition de projet de loi, notamment l'alinéa 2 qui préconise l'exonération du paiement de l'impôt pendant les trois premières années pour les nouvelles entreprises, afin de les aider à passer le cap difficile de la jeunesse, parlant des start-up. Cela permettra de limiter les dégâts fiscaux, tout en atténuant la charge qui pèse sur les petites et moyennes entreprises et industries.
M. Jean-Michel Gros (L). Lorsqu'un des névrosés cités par Mme Captyn lit le rapport de M. Deneys, il se pose des sérieuses questions, et le groupe libéral avec lui. Et la première d'entre elles est celle-ci: vaut-il encore la peine de céder à des compromis dans les travaux de commission ? Car voici que d'une franche diminution d'un impôt injuste - injustice fort bien exposée dans le rapport de M. Jornot - la majorité de la commission a consenti à cibler cette diminution sur les nouvelles entreprises, qu'elles soient nouvellement créées ou qu'elles s'implantent sur notre territoire. Tout ceci pour éviter à l'Etat des pertes fiscales de 71 millions de Francs. Il s'agit, comme le dit M. Jornot, d'un choix responsable.
Or, voilà que M. Deneys nous dit que ce projet rate sa cible, qu'il n'aura aucun effet. Bref, que c'est la montagne qui a accouché d'une souris. Alors, Monsieur Deneys, je vous avoue que si j'ai un faible pour les gens qui affrontent et escaladent les montagnes, j'ai moins de sympathie pour ceux qui combattent les souris.
Le groupe libéral concède que le projet de loi, tel qu'issu des travaux de la commission, constitue une attractivité moins grande au canton que le projet initial. C'est une pesée des intérêts, entre le besoin de recettes fiscales de l'Etat et le souci de rendre Genève plus attractive pour la création et l'implantation de nouvelles entreprises, qui a guidé le choix de la majorité de la commission. D'autres cantons ont été beaucoup plus audacieux dans ce domaine, et cela encore tout récemment ! Argovie a ainsi diminué l'imposition sur le bénéfice des entreprises et diminué de moitié l'impôt sur le capital. Zoug et Uri se lancent aussi dans une semblable diminution. Sachant que Genève est à l'avant-dernier rang en ce qui concerne la charge fiscale des entreprises en Suisse, vous admettrez qu'il y a quelque chose à faire ! (Brouhaha.)
Ce projet de loi est un petit pas, trop petit certes, qui ne permettra sans doute pas de modifier le classement calamiteux du canton de Genève. Le groupe libéral note que cette politique des petits pas en faveur de l'attractivité de notre canton ne convient pas aux députés de l'Alternative. Nous en prenons note et nous nous en souviendrons. Nous en tirerons les conséquences lors des prochains travaux de la commission fiscale, sachant qu'il est inutile de chercher des consensus ou des compromis, étant donné que de toute façon nous nous heurterons à un refus de l'Alternative.
Pour le moment, nous vous demandons d'accepter ce projet de loi car il constitue un début de réponse pour les nouvelles entreprises, pour les emplois qu'elles sont susceptibles de créer et pour que Genève, faute d'être un paradis, sorte de l'enfer fiscal pour au moins atteindre le purgatoire ! Mais maintenant, si M. Deneys trouve vraiment que ces économies d'impôts sont trop modestes pour être efficaces, il aura peut-être l'occasion en deuxième débat de revenir au projet initial !
M. Roger Deneys. Mais certainement !
M. Alberto Velasco (S). Si je me souviens bien, en tant que député ayant siégé ici pendant quelques années, ce débat a déjà eu lieu. Il est vrai qu'en réalité le capital favorise plutôt les grandes entreprises que les petites. Les petites sociétés sont moins capitalisées que les grandes sociétés. Ce qui avait été constaté à l'époque, c'est que ces grandes sociétés déclaraient peu de bénéfice et qu'elles étaient très capitalisées. C'est la raison pour laquelle, justement, il avait été décidé dans le débat de maintenir cet impôt sur le capital. Si je me souviens, cela se passait à l'époque de Mme Calmy-Rey.
Comme le dit M. Gros, le projet qui sort de la commission est un pis-aller par rapport à l'objectif logique que le groupe libéral s'était donné de défiscaliser le capital des grandes entreprises, je suis d'accord avec vous. C'est logique et ce qui sort ici n'a rien à voir avec les objectifs établis au départ.
Toutefois, voyez-vous, comme M. Deneys le dit, le but n'est pas atteint pour les petites et moyennes entreprises. Je le comprends, parce personnellement, en tant que socialiste, j'aurais été d'accord que les petites entreprises soient défiscalisées si un montant équivalent à la défiscalisation était investi dans la recherche ou dans la création d'emplois par ces entreprises. Il serait intéressant, et je serais d'accord, d'aider ces petites et moyennes entreprises qui font justement un réinvestissement de ce genre de capital, c'est-à-dire la recherche, la formation, l'emploi. C'est d'autant plus intéressant que cela participe à la relance de l'économie.
Par contre, en défiscalisant le capital des petites sociétés comme vous l'avez fait, nul ne peut mesurer les conséquences économiques, Mesdames et Messieurs ! Moi, je ne les devine pas ! C'est la raison pour laquelle je comprends mon collègue Deneys quand il dit que cela ne vaut même pas la peine de voter le projet de loi que vous avez accepté en commission.
Ceci dit, Mesdames et Messieurs les libéraux, il faut être cohérent ! En commission, semaines après semaines, vous nous tenez un langage comme quoi il faut réduire la dette et qu'il faut faire des économies partout... Je comprends mal, dès lors, que vous arriviez avec un tel projet de loi, qui ne sert même pas à relancer les petites et moyennes entreprises.
M. Olivier Jornot (L), rapporteur de majorité. Tout à l'heure, j'ai omis de vous citer quelques paroles historiques mais fort bien senties de M. le député Hiler, lorsqu'il s'était prononcé dans le débat de préconsultation sur ce sujet. Il est abondamment cité par le rapport de minorité. M. Hiler nous disait à l'époque qu'il y avait effectivement quelque chose de pourri dans le royaume de l'imposition du capital et qu'il y avait quelque chose à changer. Il nous disait en conclusion que «nous pourrions entreprendre une réforme plus technique, pour autant que la majorité le souhaite. Si elle souhaitait faire autre chose, nous nous affronterons.» Ces paroles prophétiques n'ont malheureusement pas été suivies de grand-chose de concret dans les travaux de la commission fiscale.
Pendant les nombreuses années où ce projet a stagné en commission fiscale, personne ne s'est avisé de proposer des contrevariantes, de faire des propositions d'amendements, tant et si bien qu'il a fallu que ce soient les auteurs eux-mêmes qui fassent des propositions d'amendements à leur propre projet. Je regrette que ni le Conseil d'Etat, ni l'opposition, en commission fiscale, n'aient jugé utile de faire la moindre proposition d'amendement et se soient bornés à dire que c'était un cadeau aux entreprises et que c'était moralement scandaleux. D'ailleurs, il y a le mot «capital», donc c'est forcément épouvantable ! J'en passe et des meilleures, je le regrette !
Il ne s'agit pas ici, Mesdames et Messieurs les députés, d'une baisse d'impôts qui aurait pour objectif d'assécher l'Etat et de l'obliger à se réformer: on parle en l'état du projet tel qu'il est sorti des travaux de la commission, un projet avec un impact fiscal de moins de 10 millions de francs. C'est bien inférieur à la marge d'appréciation du département des finances et c'est inférieur au correctif que celui-ci applique sur les recettes des années précédentes: la diminution des recettes est véritablement insignifiante.
Ce qui est en cause, en revanche, c'est l'attitude que nous voulons avoir vis-à-vis de nos entreprises. Ce qui est en cause, c'est le fait que tous les autres cantons de Suisse prennent des mesures massives en faveur des entreprises alors qu'à Genève on se contente de regarder notre classement en la matière, qui n'est pas très bon, et on ne prend pas de mesures pour apporter des améliorations massives ! Ce projet de loi a pour objectif de montrer qu'à Genève aussi nous sommes sensibles aux entreprises, qu'à Genève aussi nous sommes sensibles, en particulier, aux entreprises qui se créent ainsi qu'à celles qui arrivent dans notre canton, et ces deux types d'entreprises sont concernées par ce projet de loi.
A M. Deneys, je voudrais dire que si Google ou M. Bertarelli doivent créer des sociétés à Genève, il est bon que nous leur octroyions des avantages fiscaux, même s'ils sont modestes, parce qu'au final, demain, les emplois créés et les recettes fiscales compenseront très largement le cadeau que nous pourrions leur faire aujourd'hui.
Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite donc à entrer en matière sur ce projet de loi.
La présidente. Merci, Monsieur le rapporteur. La parole est à M. le rapporteur de minorité Roger Deneys.
M. Roger Deneys (S), rapporteur de minorité. Au rapporteur de majorité et à l'Entente qui soutiennent ce projet de loi j'aimerais dire que, avec le résultat issu de la commission, la sensibilité genevoise au développement des entreprises va se mesurer au microscope électronique ! Et ce n'est même pas dit que l'on puisse l'observer au microscope électronique ! Parce que pour une entreprise qui se crée en société anonyme avec un capital de 100 000 F, la baisse d'impôts sera équivalente à 140 F par année !
Vous allez me dire comment vous créez de l'emploi en accordant une baisse fiscale de 140 F par année ! Je suis désolé, mais ce n'est pas sérieux ! En l'occurrence, Genève ne donne pas du tout un signal significatif au monde des entreprises en faisant ce genre de réformes ! C'est ridicule ! Ce sont des réformes de guignol ! Alors, autant renoncer à ce projet de loi et remettre le métier sur l'ouvrage depuis le début. On peut réformer la fiscalité des entreprises, on peut taxer le capital, il y a des bonnes raisons de le faire ! Comme je l'ai dit tout à l'heure, le capital de l'entreprise permet aussi de jongler entre le bénéfice et le capital. Il n'y a donc pas de raisons de ne pas le taxer ! Maintenant, on peut augmenter l'impôt sur le bénéfice, en compensation, si l'on veut taxer moins le capital, mais, fondamentalement, ce n'est pas comme ça qu'on aidera qui que ce soit. En plus, on vise toutes les entreprises, ce qui est inefficace !
Comme je l'ai dit dans mon rapport, c'est digne d'un plan quinquennal soviétique ! Cela m'étonne beaucoup de la part des libéraux et j'ai bien entendu que M. Gros en est conscient.
C'est vrai que, comme ça, on pourrait dire que Genève a symboliquement fait quelque chose, mais ce quelque chose est totalement ridicule ! C'est bien cela qui est grave. Et même la proposition d'amendement de M. Halpérin, même fort sympathique, ne change rien à la donne !
J'aimerais insister sur une autre chose: aider une entreprise en la faisant échapper pendant un certain temps à la fiscalité normale des entreprises, ce n'est pas l'aider ! Parce qu'aider, c'est plutôt fournir une aide concrète pour des raisons précises parce qu'il y a des besoins; ce n'est pas fausser la donne économique de l'entreprise pendant cinq ans ou pendant trois ans. Parce que c'est ça le résultat des courses: pendant trois ou cinq ans, l'entreprise qui s'installe ne vit pas avec une fiscalité identique à celle des autres entreprises genevoises. Vous ne l'aidez donc pas, vous reportez seulement une échéance de quelques années. Et après ce délai, elle est confrontée d'un coup à la réalité ! Je suis désolé, mais cette aide, visible au microscope électronique seulement, est absolument ridicule !
M. David Hiler, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, l'objet ne vaut en réalité pas qu'on lui accorde de longs débats, mais le contexte nécessiterait quand même une discussion. Ce qui m'inquiète, ce n'est pas tant, finalement, que ce projet soit accepté ou refusé ! Ce qui m'étonne un peu, ce sont des propos tenus de part et d'autres, que je qualifierai d'excessifs, et témoignant d'une assez mauvaise connaissance de la réalité.
Alors, commençons par le rappel de M. Jornot. Oui, je pense toujours que la fiscalité sur le capital n'est pas une bonne fiscalité, parce qu'elle atteint l'appareil productif et que, évidemment, plus cet appareil productif est lourd, plus l'impôt l'est aussi. Elle atteint l'entreprise, y compris lorsque celle-ci est dans une période où elle fait des pertes, ce qui arrive malgré tout, notamment dans les secteurs qui font des gros investissements. Vous l'avez noté à juste titre, nous sommes quand même quelque peu limités par le droit fédéral. Toutefois, nous ne sommes pas ligotés: nous sommes limités. Il faudra donc sans doute revenir sur cette question et je dois dire que j'ai trouvé quelque peu paradoxal l'argumentation de certains concernant capital et bénéfice.
Parce qu'en somme une entreprise qui privilégie le bénéfice et généralement la distribution de ses bénéfices - c'est de qu'il s'agit - est une entreprise qui a moins de chances de rester pérenne qu'une entreprise qui, ma foi, n'entend pas distribuer trop de bénéfices et s'arrange pour se créer des réserves. Or, Mesdames et Messieurs, il me paraît difficile de condamner la dictature des actionnaires sur les entreprises et le risque qu'ils font peser en demandant des pay-out ratio de plus en plus élevés et vouloir en même temps taxer le capital au motif que l'entreprise cacherait le bénéfice. Là, je crains qu'il n'y ait au moins une contradiction, en tout cas pour les grandes sociétés.
Une deuxième chose qui m'inquiète, c'est de proclamer haut et fort que notre fiscalité n'est pas attractive. Et là, je pense qu'il faut commencer à dire les choses telles qu'elles sont: ça dépend pour qui ! Si en l'an 2005 et en l'an 2006 nous avons perçu un milliard de francs sur les personnes morales, c'est bien parce qu'il y a des domaines où nous sommes compétitifs ! Ce montant représente 20% de nos recettes fiscales, ce qui est un cas exceptionnel en Suisse. D'une certaine manière, nous devrions aujourd'hui tous remercier Mme Calmy-Rey d'avoir initié une politique particulièrement agressive pour faire venir des entreprises à Genève ! Parce que ces entreprises sortent aujourd'hui des allègements dont elles bénéficiaient et certaines sont considérablement bénéficiaires.
Mais ce n'est pas tout ! Nous pourrions aussi remercier, cette fois-ci, les deux personnes qui m'ont précédé à ce poste d'avoir construit des statuts pour les sociétés qui souhaitaient s'implanter à Genève, qui nous rendent concurrentiels à l'échelle européenne, que ces sociétés soient principales et commissionnaires, mixtes ou auxiliaires. Certains arrangements sont vraisemblablement discutables, d'autres existent dans tous les pays, mais c'est là que je voulais en venir. Peut-être ne devrions-nous pas oublier que dans ce domaine, comme dans celui des allégements fiscaux proprement dits limités, cette fiscalité allégée ne concerne que ceux qui travaillent pour le marché international. Autrement, nous serions très clairement dans une distorsion de concurrence pour l'économie locale.
Toutefois, en même temps - c'est ce qui va peut-être retarder un tout petit peu la réflexion sur le point «capital/bénéfice», Monsieur Jornot - nous devons tout de même nous préparer à des jours peut-être un peu difficiles à moyen terme par rapport à la fiscalité de nos entreprises. Non pas que je souscrive d'une quelconque manière à la querelle lancée par M. Montebourg contre des actes de Mme Calmy-Rey quand elle était ministre ici - puisque c'est toujours la même affaire qui est mise en avant - mais parce qu'il est effectivement possible que l'Union européenne mette de l'ordre chez elle et que, dans ce cas-là, nous devrons clairement avoir des politiques en faveur des entreprises, un peu différentes de celles d'aujourd'hui. Pas pour avoir plus, mais simplement pour respecter un certain nombre de règles.
Cette question devrait donc aussi nous amener à imaginer une fiscalité qui soit, disons, plus attractive pour tous, globalement. C'est-à-dire aussi pour les entreprises qui travaillent pour le marché local, et ceci si possible en ne perdant pas de recettes mais en redistribuant quelque peu les cartes en fonction de la dynamique internationale et de la dynamique suisse. C'est ce sur quoi nous allons travailler - avec l'administration fédérale, bien sûr.
Mesdames et Messieurs les députés, je tiens vraiment à insister sur un point. Rappelez-vous que nous touchons un milliard de francs de recettes sur les personnes morales; c'est un chiffre colossal en lui-même et il représente 20% de nos recettes fiscales. Ces recettes sont en partie contestées - et de façon violente - à l'échelle de l'Union européenne. Je tiens quand même à vous dire que si celle-ci l'emportait, c'est notre canton qui y perdrait le plus, et j'insiste là-dessus ! Cela m'incite simplement à vous dire que le Conseil d'Etat peut parfaitement vivre avec le projet qui a été déposé, mais cela m'incite aussi à vous dire que, sur ces questions, il faudrait peut-être entreprendre un examen un petit peu moins superficiel de la question, un peu moins ironique, et un peu moins léger en dernière analyse, parce que ce qui va se passer dans les dix prochaines années sur ce plan est susceptible de conditionner très largement les possibilités d'action de l'Etat de Genève.
Pour l'heure, la politique du Conseil d'Etat est d'appliquer les statuts qui ont été créés. Nous continuons avec des objectifs stratégiques clairs à encourager par des exonérations l'établissement et l'agrandissement d'entreprises. En réalité, nous regrettons qu'aujourd'hui nous n'ayons pas encore la solution pour que des entreprises travaillant sur le marché local - qu'elles soient anciennes ou nouvelles - soient taxées globalement quand elles font des pertes. Ça, c'est véritablement quelque chose que les entreprises détestent ! Au niveau psychologique, cela, on peut le concevoir. Toutefois, là n'est pas la question de demain. La question de demain, c'est: serons-nous encore attractifs pour les sociétés qui payent, sitôt qu'elles payent bon an mal an au moins le tiers des impôts perçus sur les personnes morales, après exonérations ? Je pense que, là, M. Walpen voit que je parle des sociétés mixtes. Je veux dire que ce ne sont pas les sociétés holdings qui rapportent à Genève, ce sont les sociétés mixtes !
Gardons-nous donc de dire que nous sommes un enfer fiscal pour les entreprises. Ce n'est pas vrai, et elles le savent ! Gardons-nous de dire aussi qu'il faut simplement les faire payer plus parce que ceux qui ont pratiqué ce genre de politique ont, au final, plutôt moins de recettes que plus de recettes ! Messieurs Jornot et Deneys, je vous donne rendez-vous pour un débat qui devra avoir lieu sur la base d'une proposition du Conseil d'Etat, je l'entends bien, aussitôt que nous aurons réglé avec intelligence les questions liées à la loi sur l'imposition des personnes physiques - où nous sommes tout simplement en dehors du droit fédéral - et à la loi sur la perception, sans laquelle nous finirons par ne plus percevoir d'impôts parce que celle-ci est singulièrement fragile quant à sa base légale.
Voilà ce que je tenais à vous dire au nom du Conseil d'Etat et je tiens encore à signaler à M. Deneys que nous ne sommes évidemment pas capables de calculer combien ceci pourrait nous faire perdre dans les cinq prochaines années, dans la mesure où il n'y a pas encore de devins à l'administration fiscale et que nos boules de cristal valent celles des autres, c'est-à-dire qu'elles sont nulles, et que personne ne sait quelles entreprises se créeront les cinq prochaines années, ni quel capital elles auront. Raison pour laquelle je ne suis même pas sûr qu'en réalité nous perdions ce que vous indiquez.
Il y a un signe, il y a le début d'une discussion. Cela commence parfois comme ça. Il faudra en tout cas que nous fassions mieux à l'avenir, en termes de stratégie fiscale, pour assurer l'avenir de Genève, tout simplement !
La présidente. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Je vais donc vous faire voter l'entrée en matière du projet de loi 8641 modifiant la loi générale sur les contributions publiques, D 3 05.
Mis aux voix, le projet de loi 8641 est adopté en premier débat par 43 oui contre 33 non.
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que l'alinéa 1 de l'article 289.
La présidente. Nous sommes saisis d'un amendement à l'article 289, alinéa 2. Monsieur le député Michel Halpérin, vous avez la parole.
M. Michel Halpérin (L). Tout à l'heure, il a été fait référence aux travaux de la commission. Je n'y reviendrai pas vraiment, si ce n'est pour dire que nous sommes aujourd'hui en face d'une proposition qui par sa nature - et M. Deneys a bien fait de le souligner - est très différente du projet initial dont je vais essayer ici de rappeler en quoi il consistait, très brièvement.
L'intention des auteurs du projet de loi 8641 s'inscrivait dans une vision fiscale globale, que défendait le groupe libéral en particulier, qui consistait à dire à l'époque de son dépôt qu'il fallait revoir la fiscalité des personnes physiques phase par phase - nous avions commencé à le faire - puis celle des personnes morales. Tout le monde convenait en gros dans cette salle, même ceux qui n'étaient pas favorables aux baisses d'impôts, que le régime de l'imposition sur le capital posait aux entreprises des problèmes que le conseiller d'Etat Hiler vient de rappeler avec sa pertinence coutumière.
Notre projet ne visait pas à autre chose qu'à entraîner un commencement de révision de cet impôt sur le capital des personnes morales, qui est comme on l'a dit et répété, à la fois injuste et pénalisant pour les entreprises quand elles font des pertes. On aboutit à ce résultat paradoxal qui incite les entreprises à distribuer leurs bénéfices au lieu de les réinvestir. Je sais bien, Monsieur le conseiller d'Etat, que nous sommes aujourd'hui dans une période où les actionnaires préfèrent en général une distribution des dividendes, mais ce n'était pas encore le cas au moment du dépôt de projet de loi. En tout cas, les politiques d'incitation à l'investissement dans l'outil de travail sont généralement meilleures que les politiques de distribution à tout-va. Voilà l'intention initiale.
La commission - le rapporteur de majorité l'a rappelé - s'est trouvée dans une situation paradoxale. Apparemment, plus personne ou presque ne voulait de ce projet et voilà que les libéraux eux-mêmes, pourtant à l'origine du projet, s'ingénient à trouver les amendements qui seraient susceptibles de rassembler le plus grand nombre, dans une perception et un désir de rapprochement et de cohésion autour de la table. Le résultat final, c'est un moignon de loi, puisqu'elle ne s'adresse plus à toutes les entreprises constituées en personne morale mais seulement aux nouvelles entreprises et pas d'une manière durable, seulement pour quelques années. C'est donc un projet littéralement dénaturé et, comble de sarcasme, par ses auteurs eux-mêmes. Et c'est ce projet qui est adopté par la commission qui vous revient aujourd'hui.
Ma proposition première, Mesdames et Messieurs les députés - c'est le plus long des deux amendements - c'est de revenir au texte initial. C'est-à-dire de revenir à la cohérence, qui vise non pas à favoriser les entreprises qui s'installent, parce que ce n'était pas notre but initial, mais à diminuer l'impact de cet impôt sur le capital, sur l'ensemble des personnes morales genevoises. C'est ma première proposition d'amendement; il y manque les deux mots «sur l'impôt». J'étais si ému de reprendre la parole parmi vous que je les ai oubliés, dans ma précipitation à écrire. Il faudra donc les ajouter. Voici l'amendement: «Il n'est pas prélevé de centimes additionnels cantonaux sur l'impôt sur le capital des personnes morales.» Le deuxième alinéa qui va avec, ou plutôt le troisième, c'est la reprise de l'ancien texte.
Maintenant, comme on me dit que, comme d'habitude, je manque de lucidité et que je m'imagine que cette assemblée pourrait m'emboîter le pas, notamment parce que tous, autour de cette table, nous sommes convaincus qu'il faut agir pour les entreprises, j'ai proposé moi-même un sous-amendement à mon propre amendement - c'est vous dire à quel point je suis devenu humble, avec le temps. Il s'agit donc du deuxième amendement, le plus modeste des deux textes qui propose de revenir à un allègement s'étendant sur une durée de cinq ans au lieu de trois ans qui avait été la première optique de notre commission. Là-dessus, M. Brunier, M. Charbonnier et M. Velasco ont imaginé de sous-amender mon sous-amendement: ça enrichira notre débat de tout à l'heure. Ils veulent bien des cinq ans si nous les adoptons, mais à condition qu'il y ait au moins 5% d'emplois supplémentaires durant cette période. Cela amusera l'administration de procéder à ces calculs !
Quoi qu'il en soit, Mesdames et Messieurs les députés, pour des raisons de politique vis-à-vis de nos entreprises, de cohérence et de logique, je vous invite surtout à soutenir le premier amendement et je prendrai la liberté, Madame la présidente de demander l'appel nominal sur ce premier amendement, qui nous permettra de savoir quelles sont les forces favorables à l'économie dans ce canton. (Applaudissements.)
M. Antonio Hodgers (Ve). A la lecture de ces amendements, j'aimerais poser une question formelle à ce parlement et en particulier au Bureau. Nous avons tous lu, sous la présidence de M. Halpérin, cette recommandation qui stipulait que chaque projet déposé par les députés et qui provoquait un manque à gagner - une différence négative - devait s'accompagner d'une couverture financière. J'imagine que cela s'applique aussi à chaque amendement.
Or aujourd'hui, la commission nous présente un projet de loi qui, ma foi, ne recueille pas notre avis... Alors, M. Jornot a expliqué dans quelle dimension cette perte pourrait se situer, et là M. Halpérin arrive avec toute une série d'amendements qui, à vue de nez, pourraient coûter très cher... Dont on n'a aucune idée de coût... (L'orateur est interpellé.) On n'a aucune idée de l'impact budgétaire de ces amendements, de la perte budgétaire que cela entraînerait pour l'Etat, même si vous avez raison d'un point de vue technique ! Ce n'est pas une dépense, mais ces amendements auront, bien sûr, pour conséquence une perte financière plus élevée que celle qui a été prévue aujourd'hui par le Conseil d'Etat.
Cette attitude me semble peu responsable, notamment de la part d'un président qui a rappelé à l'ordre les députés pendant une année sur le sujet. Dès lors, je m'interroge sur nos réelles possibilités de voter cet amendement, considérant que nous n'avons aucune indication sur ses conséquences financières pour l'Etat.
M. Christian Brunier (S). Vous aurez compris que M. Halpérin nous dit que le parti socialiste soutient plus ou moins son amendement en l'amendant un petit peu... Bien entendu, ce n'est pas la réalité ! Nous sommes totalement opposés à votre amendement ! Nous essayons juste d'en atténuer les dégâts ! C'est-à-dire que si d'un seul coup une majorité prise dans une dynamique qui serait néfaste pour Genève votait votre amendement, nous l'amenderions ensuite pour, au moins, conditionner votre cadeau fiscal à de la création d'emplois.
M. Weiss disait que l'on était en train de créer de la valeur... Je ne sais pas où vous allez chercher vos références. Il y a de nombreux pays d'Europe, sous des majorités de droite proches de votre idéologie, qui ont fait des cadeaux fiscaux aux entreprises pour prétendument créer de la valeur, relancer l'économie, créer de l'emploi, et cela été une débâcle ! Ça a été un cadeau aux actionnaires de ces entreprises, vous le savez très bien ! La France en a fait l'expérience, il y a peu de temps: les actionnaires s'en sont mis plein les poches, il n'y a pas eu de création d'emplois et l'Etat a vu ses rentrées fiscales diminuer ! C'est-à-dire que ce sont les personnes les plus défavorisés de la société qui ont à nouveau subi les cadeaux que vous avez faits à vos petits copains.
Vous voulez refaire la même politique, dites-le honnêtement ! Dites-nous que vous êtes en train de favoriser vos amis ! Ne dites pas que vous êtes en train de relancer l'économie genevoise, plus personne ne vous croit ! Vous avez déjà vidé les caisses de l'Etat en disant que vous alliez relancer l'économie. Vous avez échoué complètement ! (Commentaires.) Aujourd'hui, avouez votre politique: vous êtes là pour favoriser vos amis ! (Commentaires.) Nous sommes contre cet amendement, et s'il passe, eh bien, nous le conditionnerons à un minimum ! C'est que les entreprises auront leur cadeau, mais il faudra quand même qu'elles créent de l'emploi ! (Applaudissements.)
Mme Michèle Ducret (R). Nous avons dû traiter ce projet, nous et nos prédécesseurs, pendant sept séances. Nous avons fait, je crois, le tour de la question. Je saluais tout à l'heure le courage, le sens des responsabilités et le sens de l'Etat des libéraux - pour une fois ! - en disant qu'ils avaient bien rabattu leurs prétentions en pensant aux finances de l'Etat. C'est la raison pour laquelle nous refuserons cet amendement de cinq ans, comme nous l'avions refusé en commission. Je suis désolée !
Nous refuserons aussi le sous-amendement présenté par certains députés socialistes. Je dois dire que je trouve assez admirable d'entendre des gens qui n'ont jamais dirigé d'entreprises parler de créer des emplois. (Exclamations.) Je crois que c'est assez comique ! Si vous saviez la difficulté que cela représente, peut-être ne diriez-vous pas cela. De toute façon, il s'agissait d'un amendement destiné à torpiller l'amendement libéral. En ce qui nous concerne, nous refuserons l'un et l'autre.
M. Roger Deneys (S), rapporteur de minorité. Avant de parler de l'amendement de M. Halpérin, j'aimerais quand même revenir sur les propos du conseiller d'Etat Hiler concernant les chiffres et sur le fait que l'administration fiscale ne dispose pas d'une boule de cristal. Ça, c'est certain ! Il n'empêche qu'il y a fondamentalement un problème avec ce projet de loi, c'est que nous ne disposons pas de données statistiques sur les cinq dernières années, ni sur les dix dernières, évidemment, concernant le nombre d'entreprises créées, leur capital et le montant de l'impôt qu'elles ont payé en fonction de la répartition capital et bénéfice. Nous n'avons pas ces chiffres !
Evidemment, la conjoncture économique change chaque année, le nombre d'entreprises créées va changer chaque année. Toutefois, fondamentalement, on pourrait au moins faire une extrapolation et obtenir un ordre de grandeur pour se dire que cela représentera telle ou telle masse, mais ne peut même pas faire cela !
C'est dans ce sens que je regrettais le fait que l'administration - fiscale en l'occurrence - soit sous-dotée en outils informatiques pour nous donner des éléments de réponses. Même s'il y a des incertitudes et que cela dépend aussi de la conjoncture internationale, ce n'est pas une raison suffisante pour être complètement dans le brouillard. Et c'est cela que je déplore !
Pour le reste, j'aimerais quand même relever aussi que dans l'amendement de M. Halpérin, outre le fait qu'il revient à la proposition de départ qui consiste à enlever 70 millions de recettes fiscales par année au canton de Genève, que ce projet de loi sera soumis au vote populaire - on ne lui donne donc fondamentalement pas tellement de chances d'aboutir, c'est dommage, parce que cela se fait au détriment des entreprises - on ferait mieux de cibler davantage, de repérer les entreprises qui en ont besoin, et de se poser la question de savoir si c'est bien par une baisse de l'impôt sur le capital des personnes morales qu'on y arriverait. Parce que votre démonstration de tout à l'heure ne tient pas ! Une entreprise qui ferait du bénéfice au détriment de l'investissement paiera aussi un impôt, puisqu'elle paie l'impôt sur le bénéfice. Donc, dans tous les cas, elle est soumise à un impôt, et c'est bien cela le problème. Contrairement à ce que dit M. Hiler, je suis désolé, l'impôt sur le capital n'est pas injuste ! Que se passe-t-il quand un entrepreneur qui a un capital de 100 000 F fait un bénéfice de 10 000 F en fin d'année et décide, en chef d'entreprise moderne, d'acquérir une voiture hybride qui coûte 55 000 F ? Il va faire des amortissements pour cet achat et il va faire une perte ! Ça prouve quoi ?! Ça prouve juste qu'on a là un chef d'entreprise intelligent, qui essaie de répartir ses investissements au bon moment, mais ça ne prouve rien du tout sur l'état réel de l'entreprise et le déficit ne veut rien dire du tout. On ne peut donc pas juger simplement le capital et le bénéfice en disant que l'un est bon et l'autre pas !
Je suis désolé, mais on ne peut pas considérer sérieusement des amendements proposés en plénière à 22h33, quand il y a 80 personnes dans la salle ! On ne peut pas travailler sérieusement comme ça, à cette heure, et avec autant de monde ! (Quelques applaudissements.)
M. David Hiler, conseiller d'Etat. J'ai, comme vous le savez, un certain âge et j'ai été député longtemps. Je me méfie donc toujours infiniment quand on évoque l'heure avancée, lorsque l'ego des uns a été maltraité ou qu'on commence à dire qu'il faut enlever 70 millions de francs de recettes à l'Etat de Genève pour punir les uns et les autres de leur insolence. Je crois que c'est un peu risqué ! Ensuite, on peut discuter de savoir si c'est l'insolent ou celui qui applique la loi qui est responsable de la situation.
A ce stade, je compte sur tous les partis de ce parlement - pas seulement ceux de la majorité gouvernementale - pour savoir garder raison, comme l'a suggéré fort à propos Mme Favre, pour le groupe radical. Parce qu'effectivement il est tout à fait possible d'entrer en matière sur l'impôt sur le capital dans le cas où l'on compense cela en augmentant l'impôt sur le bénéfice, bien sûr.
Monsieur Deneys, je dois vous dire que si l'on peut trouver des exemples de petites structures qui vont dans votre sens, je ne suis même pas certain de les voir dans les comptes, parce qu'on arrondit généralement au million, et je ne suis même pas sûr que ces petites structures versent ensemble un million de francs d'impôt sur le bénéfice.
En revanche, ce que je tiens à vous dire - je ne crois pas qu'il faut le nier - c'est que la tendance qu'on connaît depuis dix ou vingt ans, visant à empêcher les entreprises de créer des réserves latentes, a un effet déstabilisant. Vous pouvez trouver que c'est bien, mais rappelez-vous pour qui cela a été fait: cela a été fait pour que l'entreprise ne prospère pas trop sur le dos des actionnaires ! Ça a été une réponse des actionnaires, or cela a clairement un effet déstabilisant, parce que les réserves latentes ont du bon et je vais d'ailleurs vous démontrer en quoi.
En réalité, plus personne n'a vraiment le droit de faire des réserves latentes, dans le monde économique d'un certain niveau, parce qu'on utilise les Swiss GAAP RPC - recommandations relatives à la présentation des comptes - ou les normes IAS - International Accounting Standards - qui précisément traquent ce genre de choses. Sauf ? Sauf ?! Monsieur Deneys, quelles sont les seules sociétés qui ne respectent pas ce genre de règles ? Les banques, bien sûr ! Parce que cela serait beaucoup trop dangereux ! Donc, elles ont bel et bien le droit de créer des réserves latentes; ce sont les dernières à pouvoir le faire. Elles sont cotées en bourse et peuvent créer des réserves latentes, ce qui est tout de même intéressant par rapport au reste de l'économie.
Je vous le redis donc, vous n'allez pas improviser ! Je suis sûr que le parti libéral n'a pas du tout l'intérêt et l'intention de faire perdre 70 millions au canton de Genève, huit mois avant les 150 millions que la RPT coûtera au canton de Genève ! Je suis persuadé que votre parlement refusera de toute façon, le cas échéant, que l'administration fiscale contrôle si toutes les entreprises ont fait 5% ou non.
Monsieur Deneys, avec tout le respect que je vous dois, je dois quand même vous rappeler que le rôle fondamental du fisc est, à ce jour, de taxer correctement les contribuables et de récolter rapidement l'argent, ce dont il s'est assez bien acquitté. A vrai dire, aussitôt que l'affaire du retour à l'équilibre sera réglée, nous pourrons sans doute distraire un certain nombre de postes des tâches de perception et de taxation pour faire des statistiques complexes, même si, à mon avis, leur établissement n'est pas la fonction première de l'administration fiscale cantonale.
La présidente. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Je vais faire voter... Monsieur Weiss, vous aviez quelque chose à ajouter ?
M. Pierre Weiss. Sur le renvoi en commission !
La présidente. Je vais faire voter le renvoi en commission, puisqu'il a été demandé.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 8641 à la commission fiscale est rejeté par 60 non contre 18 oui et 1 abstention.
La présidente. Je vais vous soumettre le premier amendement présenté par M. Halpérin à l'article 289, alinéa 2. Je vous le rappelle: «Il n'est pas prélevé de centimes additionnels cantonaux sur l'impôt sur le capital des personnes morales...».
Le vote nominal a été demandé. Est-il soutenu ?
Des voix. Oui !
La présidente. Oui, disons qu'il l'est.
Mis aux voix à l'appel nominal, cet amendement est rejeté par 50 non contre 24 oui et 1 abstention.
La présidente. Je passe la parole à M. Michel Halpérin pour qu'il présente son amendement subsidiaire.
M. Michel Halpérin (L). Madame la présidente, je vous remercie. Ce sera très vite fait. Mon amendement subsidiaire consiste donc à porter de trois à cinq ans le modeste avantage consenti aux entreprises qui s'installent. Je pense que la durée de cinq ans, qui avait d'ailleurs été adoptée au cours d'une première partie des travaux de la commission, est un peu plus tentante que celle de trois ans. Nous avons entendu tout à l'heure les raisons pour lesquelles M. Deneys marquait de la commisération pour la modestie des propositions qui vous sont soumises. Je ne doute pas, par conséquent, qu'il abonde dans mon sens pour que cette modestie soit un peu moins misérable.
M. Pierre Weiss (L). Nous avons vu que nous n'étions pas une majorité à aimer énormément les entreprises. J'aimerais que nous votions aussi à l'appel nominal pour voir qui aime beaucoup les entreprises parmi nous !
M. Roger Deneys (S), rapporteur de minorité. Juste pour dire que la proposition d'amendement consiste à faire un rabais de 900 F sur cinq ans pour une entreprise qui a un capital de 100 000 F. Je vous laisse donc mesurer l'ampleur de la mesure et la pertinence de la proposition d'amendement. On peut l'accepter, on peut la refuser, mais franchement c'est assez ridicule !
La présidente. Nous nous prononçons sur ce deuxième amendement qui propose une durée d'allègement de cinq ans au lieu de trois. L'appel nominal est-il soutenu ? (Appuyé.)
Mis aux voix à l'appel nominal, cet amendement est rejeté par 51 non contre 23 oui et 5 abstentions.
Mis aux voix, l'alinéa 2 de l'article 289 est adopté par 38 oui contre 36 non et 2 abstentions.
Mis aux voix, l'alinéa 3 de l'article 289 est adopté par 43 oui contre 36 non.
Mis aux voix, l'article 289 (nouvelle teneur) est adopté par 43 oui contre 36 non.
Mis aux voix, l'article 1 (souligné) est adopté, de même que l'article 2 (souligné).
Troisième débat
La loi 8641 est adoptée article par article en troisième débat.
Mise aux voix, la loi 8641 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 45 oui contre 37 non.