République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 3 mai 2007 à 17h
56e législature - 2e année - 7e session - 31e séance
GR 471-A
Mme Anne Emery-Torracinta (S), rapporteuse. Le cas qui nous est soumis ce soir concerne une demande de grâce qui a été déposée par M. G.C.P. Il s'agit du quatrième recours en grâce qu'il dépose auprès de ce Grand Conseil: deux fois en 2005, une fois en 2006. Il demande maintenant un allégement de sa peine.
Le 12 mars 2004, M. G.C.P. a été condamné à sept ans de réclusion et à suivre un traitement ambulatoire en prison pour actes d'ordre sexuel avec des enfants et contraintes sexuelles. Sa libération définitive est prévue le 22 novembre 2011.
Petit rappel des faits. M. G.C.P. est né en 1959. Il a été marié et divorcé trois fois. Il a eu six enfants de son premier mariage, entre 1979 et 1989. Il a été interpellé et arrêté, au fond, un peu par hasard, à l'occasion de l'arrestation en Allemagne d'un fournisseur d'images pédophiles sur Internet. La police allemande ayant trouvé son adresse électronique dans le fichier de ce fournisseur d'images, elle l'a fait suivre aux autorités suisses qui, elles-mêmes, l'ont transmise à la police genevoise, qui a donc interpellé et arrêté M. G.C.P. en février 2002.
A cette occasion, 260 photos à caractère pédophile ont été trouvées dans son ordinateur et, en les examinant, on s'est aperçu que l'une de ses filles - celle qui était née en 1989 - figurait sur plusieurs d'entre elles. Une enquête a donc été menée et a révélé alors des actes d'ordre sexuel, du type attouchements, qui ont du reste été niés à plusieurs reprises par l'accusé lors de l'instruction. Ces actes ont été pratiqués entre 1996 et 2002 sur deux de ses filles, et, plus particulièrement, sur l'une d'entre elles qui, apparemment n'avait pas la capacité de résister à son père. (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)
L'enquête - et c'est à mon sens assez grave aussi - montrera que la mère était au courant de ces pratiques, puisqu'elle avait surpris son mari quelques années auparavant avec sa fille aînée et qu'elle s'en était alors ouverte à une assistante sociale, qui, après une enquête extrêmement sommaire, avait conseillé de ne rien faire et de ne rien dire... Il s'avérera que les fils étaient apparemment aussi au courant de cet état de chose et que l'un deux avait également prévenu une éducatrice, laquelle n'avait rien fait...
C'est donc, comme je l'ai déjà dit, un peu par hasard et à la suite de ce qui s'est passé en Allemagne que M. G.C.P. a été arrêté. Il a fait huit mois et quatre jours de prison préventive à Champ-Dollon, dans des circonstances que son avocat qualifie de «cauchemardesques»... Vous pouvez d'ailleurs assez bien imaginer ce qui se passe, lorsque des gens accusés de pédophilie se retrouvent en prison !
Une expertise psychiatrique a été ordonnée pour l'instruction et a conclu à la responsabilité restreinte de l'accusé. Je vous cite quelques extraits du rapport. On a parlé de «troubles graves de la personnalité assimilables à un développement mental incomplet»; on a parlé de «fonctionnement borderline» et de «personnalité dépressive». Lors du procès lui-même, le psychiatre estimera que la responsabilité de l'accusé était de l'ordre de 40%, à savoir qu'il le considérait donc plus comme irresponsable que réellement responsable. Au téléphone, ce psychiatre m'a d'ailleurs confirmé que la personnalité de l'accusé était très immature et qu'il avait énormément de peine à faire la différence entre l'enfance et l'âge adulte.
Quant au procès, Mesdames et Messieurs, il s'est déroulé en mars 2004 dans un climat survolté. C'était le tout début du procès de l'affaire Dutroux, et vous savez quel était l'état d'esprit de l'opinion publique à ce moment-là: il fallait à tout prix punir la pédophilie de manière extrêmement sévère.
Selon l'avocat, mais aussi selon l'expert psychiatre, le procès s'est déroulé dans une atmosphère tendue: le jury était déjà convaincu par avance de la culpabilité de l'accusé, le procureur était déchaîné et une peine sévère était réclamée. Le psychiatre lui-même - il me l'a dit - a été massacré en audience. Il n'avait pas l'habitude de ce type d'expertise - c'était la première fois - et il n'a pas su résister aux questions du procureur et de l'avocat de la partie civile. Il s'est un peu embrouillé et a été confus, ce qui fait qu'en fin de compte le jury n'a pas retenu les conclusions de son expertise qui montrait une faible responsabilité de l'accusé. Le jury a conclu que celui-ci était responsable à 75% et, finalement, la peine qui lui a été infligée a été très lourde. Je ne veux pas dire lourde dans l'absolu - je ne vais pas me prononcer ici sur ce que devrait être le type de peine dans ces circonstances - mais lourde par rapport à des peines infligées à Genève à ce moment-là pour des cas semblables. Et cette peine est d'autant plus lourde si l'on admet que la responsabilité de l'accusé était fortement restreinte. D'ailleurs, à ce propos, je vous signale que la «Tribune de Genève», à l'époque, a qualifié cette peine «d'extrêmement sévère».
Malgré ces éléments, malgré également le fait que la commission a très longuement travaillé sur ce cas - j'ai moi-même entrepris pas mal de démarches pour creuser le dossier - la commission a reconnu à une très grande majorité que la justice avait fait son travail et que ce parlement n'avait pas à se substituer à la Cour d'assises. En conséquence, elle vous recommande, à une très forte majorité, de rejeter la demande de grâce de M. G.C.P.
J'aimerais toutefois, Madame la présidente, si vous me le permettez, à titre personnel, terminer par deux remarques.
La première remarque est la suivante. Indépendamment de la profonde aversion que j'éprouve face aux faits reprochés à M. G.C.P., je ne peux m'empêcher de constater que cette affaire nous rappelle, hélas, que justice n'est pas forcément synonyme d'équité. Et que, parfois, les tribunaux sont bien trop tributaires des mouvements de balancier de l'opinion publique. On le voit bien dans ce cas: les faits, bien que connus de plusieurs personnes, n'ont pas été dénoncés alors que, quelques années plus tard, on vient crier au loup !
Deuxième remarque. Si je comprends et adhère au raisonnement qui consiste à réaffirmer clairement la séparation des pouvoirs et, partant, que nous n'avons pas à nous substituer à la justice, je m'interroge néanmoins sur le rôle que doit jouer le parlement en matière de grâce. Et je pense là, Mesdames et Messieurs les députés, que ce sera un excellent sujet de réflexion pour l'assemblée constituante que - j'espère - nous déciderons de mettre en place demain.
C'est pour ces deux raisons, Mesdames et Messieurs les députés, que mon vote personnel exprimera un avis différent de celui de la très grande majorité de la commission de grâce.
Mis aux voix, le préavis de la commission (rejet de la grâce) est adopté par 58 oui contre 2 non et 8 abstentions.