République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 26 janvier 2007 à 20h30
56e législature - 2e année - 4e session - 20e séance
P 1564-A
Débat
Mme Emilie Flamand (Ve), rapporteuse de majorité. Vu les sommes considérables déjà dépensées par l'Etat dans cette affaire, en heures de travail des fonctionnaires, en procédures, en jetons de présence de commission, etc., pour un montant litigieux de 9 733 F, je ne prolongerai pas inutilement le débat.
Afin d'obtenir des explications sur la marge d'appréciation des fonctionnaires dans un cas comme celui-là, où un peu de souplesse aurait évité bien des démarches aux pétitionnaires et à l'Etat, je vous invite à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.
Mme Fabienne Gautier (L), rapporteuse de minorité. Comme je l'ai relaté dans mon rapport, des commissaires ont jugé que le DCTI avait largement été ouvert à la requête des pétitionnaires, puisqu'il a proposé de payer la moitié du coût de remplacement des toiles de tente endommagées. Et cela, Mesdames et Messieurs les députés, malgré la mauvaise volonté de coopération des pétitionnaires qui ont toujours refusé de produire les factures d'origine, ou au moins de communiquer l'année d'installation de ces toiles. C'est donc par recoupement auprès des fournisseurs que le DCTI a pu obtenir ces informations. Est-ce normal ? Alors que ces toiles de tente avaient déjà plus de six ans lors du début des travaux de l'extension de l'Hôpital des enfants et que, de surcroît, les pétitionnaires ont reconnu que ces tentes sont restées baissées durant toute la durée des travaux... Je cite les conditions générales, règles et usages locatifs appliqués dans le canton de Genève, article 59: «L'installation, l'entretien et le replacement des toiles de tente sont à la charge des locataires qui doivent s'en tenir au modèle et à la teinte choisis par le bailleur. Celui-ci ne peut toutefois obliger le locataire à en installer. Pour des raisons d'esthétique, le bailleur peut exiger la suppression des toiles de tente endommagées.»
Pour toutes ces raisons, et d'autant plus que le DCTI maintient toujours son offre de payer les 50% du remplacement de ces toiles, nous ne désirons pas que cette pétition soit renvoyée au Conseil d'Etat. Parce qu'elle ouvre la porte à de nombreuses revendications de ce type, alors que lorsque l'Etat entreprend des travaux, il prend toutes les mesures adéquates dans le respect de l'environnement, et encore plus spécialement quand il s'agit d'un quartier hospitalier.
Pour toutes ces raisons, nous vous remercions, Mesdames et Messieurs les députés, de suivre le vote de la minorité, soit de déposer cette pétition sur le bureau de Grand Conseil.
M. Roger Golay (MCG). Je ne vais pas revenir sur ce qui a déjà été dit. La pétition 1564 démontre à quel point notre administration cantonale est éloignée des véritables problèmes de ses concitoyens. Malheureusement, ce cas de figure ne peut qu'alimenter les doléances trop souvent exprimées à l'encontre de nos différents services administratifs, c'est-à-dire que l'administration est tatillonne, tracassière, sans oublier l'éternelle rengaine de certains, à savoir que l'Etat a toujours raison en cas de litige.
Aujourd'hui, le parlement doit se pencher sur un différend qui porte sur une somme de 9 733 F. Montant dérisoire pour certains, énorme pour d'autres. Pour les pétitionnaires et résidents de la rue de la Roseraie 66 à 72, ce montant est important. En effet, nous avons affaire à des gens modestes qui ne veulent en aucun cas abuser de largesses financières de l'Etat: ils demandent tout simplement réparation à un dommage qu'ils ont subi lors du chantier de l'Hôpital des enfants. Je vous rappelle que cet énorme chantier de 80 millions de francs était situé à 20 mètres de la partie la plus proche de la façade de l'immeuble des pétitionnaires: poussière, bruit, va-et-vient continu de camions et bien d'autres nuisances de toutes sortes, voilà ce qu'était le quotidien de ces habitants pendant quatre ans ! Triste constat pour eux, à la fin des travaux: 23 toiles de tente de leurs balcons sont détériorées par la poussière provenant du chantier, selon les dires des pétitionnaires. A la limite du marchandage, l'administration propose aux locataires le nettoyage des toiles; et termine sur une nouvelle proposition: une indemnisation à raison de 50% du prix d'achat des dites toiles de tente. Les habitants concernés refusent et utilisent le moyen démocratique de la pétition pour se faire entendre.
Suite aux diverses auditions effectuées dans le cadre des travaux de la commission des pétitions, notre groupe considère que ce dossier a été très mal embranché par les locataires et très mal traité par l'administration cantonale. Cette dernière, soit le DCTI, n'accepte pas l'entière responsabilité du dommage, et cela sur la simple base d'une expertise établie par leur propre agent d'assurance ! Aucune contre-expertise n'a été demandée ! Par conséquent, nous ne pouvons que regretter que l'administration se soit déclarée juge et partie.
Vu les dépenses occasionnées il y a déjà quelques années par le traitement de ce dossier, et certainement supérieures au coût de réparation total, on peut légitimement se poser la question de l'utilisation des deniers publics par l'administration elle-même.
Vu la modestie des moyens des pétitionnaires, nous vous demandons de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat afin de dédommager pleinement les locataires concernés.
M. Eric Leyvraz (UDC). Des gens modestes supportent avec stoïcisme six ans de nuisances d'un gros chantier de l'Etat. Les tentures qu'ils avaient posées à leurs frais sont pleines de poussière et ils en demandent le nettoyage, ce qui est accordé. Le devis de nettoyage étant plus élevé que le prix des tentures neuves, ils en proposent le remplacement. Le service de l'Etat à ces mots se hérisse: «Quoi ? On va demander de remplacer du vieux par du neuf ? On va créer un précédent !» Et l'on imagine déjà des propriétaires de masures touchées par des travaux exiger des châteaux... Réaction allergique du grand corps qui lance une division blindée contre une section de Landsturm.
Lettres, tribunal, juristes; les demandeurs sont écrasés. N'ayant pas beaucoup de moyens, ils recourent à la pétition. La commission se réunit, auditionne, discute. Bref, cette affaire a déjà coûté à la collectivité bien trois fois le prix des tentures - qui était de 10 000 F. Et l'Etat d'offrir aujourd'hui généreusement 4 500 F, la moitié du prix de ces tentures. Question: ne peut-on pas montrer un peu de compréhension et de mesure face à des gens soumis aux inconvénients si longs de ce chantier de six ans ? Question: N'y a t-il pas dans un budget de 82 millions un poste «Divers et imprévus» de l'ordre de 1,5% comme c'est l'habitude ? Et dans ce cas, 1,5% représente 1,2 millions, Mesdames et Messieurs ! Et là on parle de 9 000 F: c'est un centième de pour-cent, un dix-millième du prix des travaux, un cinquantième du prix d'une «ferrazinette.» (Rires.)
Il était pourtant facile de contenter tout le monde ! On disait au demandeur qu'on ne pouvait pas remplacer de l'ancien par du neuf, mais que l'on garantissait un travail parfait - démontage des tentures qui sont mises à la poubelle et remplacées - et alors on aurait pu dire: «Regardez la qualité du travail, c'est comme du neuf !» Les pétitionnaires, dupes ou pas, auraient été enchantés de l'efficience de l'administration, quant à elle contente d'avoir dépensé moins d'argent.
Trop simple, me direz-vous ! Car il aurait fallu puiser dans les dernières réserves d'une denrée des plus rares: il aurait fallu utiliser une once de bon sens.
Tout cela me fait penser à un vieux dicton anglais: Penny wise, pound foolish, que l'on peut traduire sous nos cieux par: «économe avec les centimes et dépensier avec les francs ».
Pour tout cela, Mesdames et Messieurs les députés, la majorité de la commission des pétitions a vu en face d'elle des pétitionnaires pour qui 100 F, c'est 100 F; des gens modestes et qui ne sont très visiblement pas des profiteurs.
C'est pour cela que la majorité de la commission des pétitions vous demande de bien vouloir renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.
M. François Thion (S). Les socialistes vont suivre le rapport de majorité et, donc, renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.
Permettez-moi de m'étonner que, sur une modeste pétition, le parti libéral rédige un rapport de minorité et fasse durer les débats. Je crois que la libre entreprise n'est pas remise en question par cette pétition, le secret bancaire non plus, le droit pour les millionnaires français à venir planquer leur fortune en Suisse non plus... Je crois donc que, si vous voulez que le parlement soit efficace - c'est ce qui est écrit dans votre programme - il faut peut-être de temps en temps simplifier un peu les choses ! Vous n'êtes pas d'accord avec les pétitionnaires, vous votez non; mais vaut-il la peine de rédiger un rapport de majorité et un rapport de minorité pour une histoire pareille ?!
Mme Béatrice Hirsch-Aellen (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, 9 733 F, la somme peut paraître dérisoire, pourtant, la seule question ici est de ne pas créer un précédent. Soutenir les pétitionnaires serait un signe d'encouragement aux riverains de n'importe quel chantier à demander réparation pour des dommages dont ils n'ont même pas à prouver qu'ils sont dus à ces mêmes chantiers.
Cessons les débats, arrêtons de dépenser l'argent du contribuable. Mais pour cela, le groupe démocrate-chrétien vous demande de rejeter cette pétition.
Mme Carole-Anne Kast (S). J'aimerais soumettre à votre perspicacité les éléments suivants. Le chantier a duré six ans... Pour des gens situés à environ 20 mètres de ce dernier - c'est ce qui est marqué dans le rapport, je n'ai pas personnellement auditionné les pétitionnaires - on aurait pu imaginer qu'en principe ils aient droit à une réduction de loyer d'au moins 10 % par mois, même avec une jurisprudence très restrictive de la part d'un juge vraiment fermé à la question.
Je soumets cela à votre perspicacité dans la mesure où l'Etat pourrait éventuellement être appelé à participer aux dommages subis par le propriétaire à cause de cette réduction de loyer, découlant de nuisances subies en raison du chantier, et je rappelle aussi que cette action n'est pas encore prescrite. Ne vaut-il pas mieux faire un geste envers les pétitionnaires plutôt que d'avoir une attitude ferme qui pourrait conduire vers une longue procédure et coûter bien plus cher ? C'est une question que je vous soumets.
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Nous avons eu deux magnifiques discours de M. Leyvraz et M. Golay, également de M. Thion, et les Verts soutiennent entièrement le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat, car il s'agit d'une erreur d'appréciation du juriste du département.
Je crois que l'on doit indemniser les gens qui ont été lésés, à savoir les propriétaires de ces tentures, qui ont subi les nuisances de ce chantier pendant quatre ans.
Nous vous encourageons donc à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.
M. Georges Letellier (Ind.). Vu que nous discutons depuis pratiquement un quart d'heure pour des peanuts, je propose au Conseil d'Etat d'éponger la facture.
Je pense que vous pouvez le faire, pour 9 000 balles on ne discute pas ! Si l'on compte les inconvénients que subissent les locataires, allez-y, mais il faut quand même avoir une limite à tout ! Disons que l'on discute pour 10 000 balles, au maximum, et puis il faut arrêter les frais.
M. Roger Golay (MCG). On savait que l'Entente est opportuniste, mais ce soir on découvre chez elle qu'il y a des minéralistes au coeur de pierre. (Brouhaha.)
Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (renvoi de la pétition 1564 au Conseil d'Etat) sont adoptées par 37 oui contre 32 non.