République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 25 janvier 2007 à 17h
56e législature - 2e année - 4e session - 16e séance
GR 468-A
M. Pierre Losio (Ve), rapporteur. Je voudrais tout d'abord vous demander de bien vouloir être bienveillants envers ma voix faiblarde... En effet, j'ai beaucoup de fièvre et ne suis venu que pour traiter ce dossier de grâce. Par avance, je vous en remercie.
Nous avons à nous prononcer sur le cas de M. A.J., né en 1961, en France, célibataire, sans enfant, charpentier, chauffagiste et plombier. Le cas de M. A.J. est un cas de galère, c'est l'histoire d'une vie dans le caniveau, d'une descente aux enfers, de deux rédemptions et d'une bourde. Je vais m'en expliquer.
M. A.J. se sort de l'alcool en 1998 pour - quelques années plus tard, en 2002 - devenir SDF et sombrer dans la consommation d'une drogue dure, l'héroïne, qui est sur le marché en quantité à ce moment.
Les amendes qui lui ont été infligées portent sur la période du 27 février 2004 au 18 octobre 2005. A cette époque, il fait deux séjours - une fois un mois et une fois deux mois - à Champ-Dollon. En janvier-février 2006, pendant son deuxième séjour, il cesse de prendre de la méthadone, se sort de l'addiction et rêve d'une vie après la prison. J'ai un certificat médical qui atteste que M. A.J. est un ancien dépendant à l'héroïne, qu'il a suivi un sevrage complet et ne prend plus actuellement de médicaments psychotropes, et que lors de l'auscultation il n'y avait pas de trace d'injection. M. A.J. sort le 4 mars 2006 avec une interdiction de séjour de cinq ans. Il se distancie du lieu de sa dérive et, avec peu de moyens, son RMI, son travail et l'aide de quelques amis, il achète une camionnette qu'il aménage. Il descend dans le sud de la France et trouve des travaux à effectuer, puisqu'il est très habile de ses mains.
Finalement, il entre à l'essai pendant trois ou quatre mois dans une entreprise de construction navale. Malheureusement - coup du sort - survient la canicule de l'été dernier, et la loi française prévoit que, quand on travaille dans des ateliers où l'on utilise de la résine polyester, il est interdit de travailler par une chaleur supérieure à 30 degrés, ce qui provoque la fermeture momentanée de l'atelier. M. A.J. est à nouveau sans travail, alors qu'il était dans une période d'essai qui allait s'avérer concluante. La situation ne se modifiant pas après une vingtaine de jours, il retourne en Haute-Savoie d'où il est originaire, dans les Voirons.
C'est là qu'il commet la bourde, c'est-à-dire qu'il repasse en Suisse. J'ai discuté avec une des infirmières qui le connaissait bien et qui travaillait au «Quai 9»; elle m'a dit qu'il n'est par rare de voir des anciens toxicomanes qui s'en sont sortis venir voir leurs anciens congénères de galère pour leur montrer qu'il est possible de reprendre le dessus. Et c'est ce qu'il nous dit, je cite: «Et là je reconnais que j'ai commis l'erreur de passer la frontière pour faire voir à des amis toxicomanes - mais qui possèdent encore la petite flamme de la vie, même si elle est sous la drogue - que l'on peut s'en sortir si on le décide». Donc, réinterpellé pour rupture de ban, il écope de cinquante jours de prison. Au quarante-cinquième jour de son incarcération, le SAPEM lui fait savoir que ses amendes sont transformées en quinze jours de prison, une fois la règle des deux tiers appliquée.
Dans sa demande de grâce, M. A.J. insiste sur son parcours et sur sa victoire sur la drogue et sur l'alcool. Il ne peut pas s'engager à payer tout de suite toutes ses dettes mais, par fierté, il voudrait participer d'une manière ou d'une autre au remboursement de l'argent qu'il doit - j'y reviendrai plus en détail. «En vivant cette remontée à la surface avec le RMI et quelques petits boulots, je n'avais pas le moindre centime à consacrer à autre chose que ma survie et je dois reconnaître honnêtement que mes amendes helvétiques n'étaient ma première priorité. Mais de ma victoire sur l'alcool, je sais aussi qu'il est nécessaire de payer les conséquences, si l'on veut gagner la bataille définitivement. Vous devez souvent lire des promesses, je ne ferai donc pas celle de tout payer tout de suite si vous m'accordez une grâce, mais la fierté est une denrée utile dans le combat que je mène et des versements provenant d'un salaire en France seront plus efficaces qu'un remboursement virtuel de 30 F par jour de prison, d'autant plus que je dois coûter 15 à 20 fois plus par jour à la Confédération. De plus je suis atteint d'une hépatite C, et le coût de ce traitement de longue haleine sera rajouté alors qu'en France il serait pris en charge.»
La demande de M. A.J. est un recours en grâce contre la peine de conversion des amendes infligées le 14 septembre par le service de conversion du Procureur général. A ce jour, M. A.J. doit 34 320 F, plus 7740 F de frais qui ne peuvent entrer en ligne de compte dans la grâce. Aucune modalité de paiement n'a jamais été conclue.
Sur les 94 rapports de contravention, il est peut-être important que vous sachiez qu'il y en a 79 pour le même délit de «défaut de passeport valable indiquant la nationalité». Quant au reste des amendes, je ne dis pas que ce sont des choses qui ne sont pas graves, car il y a des larcins - et vous avez le dossier devant vous. Mais enfin, si l'on considère que sur les 94 contraventions 79 sont infligées pour le même délit, cela relativise un peu le tout.
Il y a effectivement cette contravention pour des affaires de «stups». Mais je tiens à préciser que M. A.J. n'a jamais dealé, il n'a jamais vendu de drogue - jamais ! - et il n'a jamais attenté à la santé et l'intégrité physique des personnes.
Cette demande de grâce, considérant le parcours de M. A.J, a été acceptée par la commission par 5 voix contre 5. Pour ceux qui ne le savent pas - peut-être y en a-t-il ? - je dois préciser que la commission des grâces fonctionne exactement de la manière inverse des autres commissions. C'est-à-dire que dans une commission habituelle, quand il y a 5 voix contre 5, c'est le non qui l'emporte; mais à la commission des grâces, c'est le oui.
Par conséquent, et avec les explications que je viens de vous donner, je vous recommande d'accepter la grâce de M. A.J.
La présidente. Merci, Monsieur le rapporteur, d'être venu pour nous présenter votre rapport.
Mis aux voix, le préavis de la commission (grâce des arrêts en conversion et des amendes) est adopté par 47 oui contre 6 non et 15 abstentions.