République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 14 décembre 2006 à 20h
56e législature - 2e année - 3e session - 11e séance
GR 467-A
Mme Sophie Fischer (L), rapporteuse. Je vais vous présenter le cas de Mme C.C. Il s'agit d'une dame de 34 ans, qui a un enfant de 16 ans. Elle habite un quartier où il est difficile de stationner et a accumulé un nombre très important de contraventions entre mai 2001 et septembre 2004. Le montant global des dettes de Mme C.C. envers le service des contraventions s'élève à 24 000 F, soit à peu près une moitié en amendes et l'autre moitié en frais.
En septembre 2004, Mme C.C. a abandonné son véhicule. Elle est au bénéfice d'un arrangement fixé d'octobre 2005 à mars 2006. En mars 2006, elle a demandé une prolongation de cet arrangement et, pour éponger sa dette, s'acquitte de 200 F par mois auprès du service des contraventions. Outre ses dettes relatives aux contraventions, Mme C.C. en a d'autres, envers divers organismes, et le total de ses dettes s'élève à 40 000 F.
Depuis une année, Madame C. C. est au chômage, mais elle continue de régler 200 F par mois au service des contraventions; parallèlement à cela, elle verse 400 F par mois aux autres débiteurs.
Mme C.C. a mentionné dans sa demande de grâce que la charge de famille monoparentale qu'elle devait assumer au moment des amendes qu'elle a accumulées était si importante qu'elle n'arrivait plus à faire face aux conséquences de ses actes. C'est la raison pour laquelle elle n'a pas pu régulariser sa situation plus tôt. Depuis deux ans, donc, elle a abandonné son véhicule, et elle a fait le nécessaire pour essayer de régulariser sa situation.
Mme C.C. nous demande maintenant la grâce pour les amendes - et non pour les frais - ce qui porterait sur une somme de 9500 F. Si cette grâce lui est accordée par le Grand Conseil, elle devrait encore s'acquitter de 10 500 F auprès du service des contraventions.
La commission a examiné ce cas et il lui a semblé que Madame C. C. fait ce qu'elle peut pour se sortir de la situation dans laquelle elle s'est mise: d'une part, elle a abandonné son véhicule et, d'autre part, elle s'acquitte régulièrement des mensualités qui sont dues. Qui plus est, je le répète, si Mme C.C. est graciée en ce qui concerne les amendes, il lui restera encore 10 500 F à payer, ce qui reste un montant relativement important étant donné qu'elle ne touche que 3200 F par mois et qu'elle doit élever son enfant. Donc, la sanction reste tout de même importante et lui accorder la grâce sollicitée rendrait plus plausible et probable une régularisation de sa situation.
En définitive, la commission s'est prononcée en faveur de la grâce pour cette personne.
M. Gilbert Catelain (UDC). Je voudrais demander au rapporteur si, pour tenir compte des difficultés financières sérieuses de cette mère de famille monoparentale, il n'était pas possible, dans le cadre de l'introduction de la nouvelle partie du code pénal suisse, de transformer ces amendes en travail d'intérêt général, ce qui résoudrait le problème de fond. Respectivement, s'il était envisagé que Mme C.C. puisse faire repentance en apportant sa contribution, en s'engageant comme agent de civilité auprès de la Ville de Genève.
Mme Janine Hagmann (L). Nous sommes confrontés aujourd'hui à un problème épineux. En effet, la commission de grâce vient d'être renouvelée, ce qui fait que ses membres sont tous nouveaux. C'est une spécificité genevoise: les membres sont élus pour une année, et ensuite ils ne peuvent pas être réélus. De ce fait, il peut y avoir une grande disparité de jugement entre une commission et l'autre...
Je suis un peu ennuyée, ce soir, parce que j'avais un cas très similaire à défendre avec la précédente commission, et la grâce n'avait pas été accordée à la personne qui la sollicitait, pour la bonne raison qu'il y a des règles du jeu à respecter. En tant que citoyens genevois nous devons les respecter, et il me semble un peu difficile d'accorder la grâce dans le cas qui nous est soumis.
Comme vient de l'évoquer M. Catelain - et on le sait bien - le service des peines ne met généralement pas les gens en prison: il leur fait exécuter des travaux d'intérêt public, ce qui est beaucoup plus pédagogique. Moi, je défends ici le but pédagogique. Je pense que c'est un très mauvais exemple d'accorder la grâce à quelqu'un qui a accumulé 9000 F d'amendes, même si ces amendes ne sont en réalité pas très graves. Si tel est le cas, comment peut-on justifier que les autres personnes, elles, payent leurs amendes ?
Pour une question d'égalité de traitement avec d'autres cas qui ont été examinés dans cette enceinte, il me paraît que cette grâce ne doit pas être accordée.
Mme Sophie Fischer (L), rapporteuse. Pour répondre à M. Catelain, je dirai tout d'abord que, si les amendes sont converties en travaux d'intérêt général ou en emprisonnement, cela ne va pas régler le cas social de cette personne qui est au chômage.
A Mme Hagmann, je rétorquerai que les commissaires qui siègent à la commission de grâce sont avant tout des personnes, pas des partis, et qu'elles ne reçoivent pas de mot d'ordre par rapport aux grâces qui doivent être accordées ou pas. La commission a estimé que Mme C.C. faisait un effort soutenu: elle a abandonné son véhicule et s'acquitte de ses dettes régulièrement. Et, sur un revenu inférieur à 40 000 F par année, s'il lui reste un solde de 10 000 F à payer, la commission estime que la sanction est déjà suffisamment importante pour que l'objectif pédagogique soit atteint. (Applaudissements.)
M. Claude Jeanneret (MCG). J'aimerais tout de même préciser un point à propos de cette demande de grâce. Cette dame a une fille de 16 ans; elle est au minimum vital, et elle fait l'effort de verser 200 F par mois, ce qui est déjà pas mal. Dans un cas comme celui-ci, la grâce me paraît être un acte important, parce que les amendes sont converties en peine de prison et que, à raison de 30 F par jour, 10 000 F, cela représente quatre ans... La fille aura 20 ans quand sa mère sortira de prison... Je trouve cela assez dramatique. Je trouve cela d'autant plus dramatique, que Mme C.C. ne va pas être absoute, dispensée de payer les frais administratifs de l'ordre de 10 000 F. Je pense qu'elle pourrait continuer à payer les frais administratifs à raison de 200 F par mois - ce qui, je le répète, représente un bel effort, compte tenu de ses revenus - mais je ne trouve pas judicieux que ses amendes soient converties en peine de prison.
Je précise encore que cette dame n'a jamais représenté un danger pour la circulation: elle a été inconséquente avec les règles de stationnement, il s'agit d'amendes d'ordre pour s'être garée à des endroits interdits ou pour avoir dépassé le temps imparti. Il y a deux exceptions: pour avoir roulé à vélo à contresens et pour avoir fait du bruit le soir... Ce n'est donc pas quelqu'un qui a commis quelque chose de vraiment grave. Cette personne n'a pas pris conscience de la gravité de l'accumulation de ses infractions. Compte tenu de ce qui lui reste à payer en frais administratifs, c'est déjà une punition largement suffisante. A mon avis, il ne serait absolument pas moral de mettre cette dame en prison, dès lors qu'elle a la charge d'une fille de 16 ans qu'elle doit éduquer.
M. Alberto Velasco (S). Je voudrais dire à ma collègue Janine Hagmann qu'un cas tel que celui-ci s'est présenté il y a quatre ans à la commission de grâce... Et la commission avait justement demandé à la personne en question, avant de lui accorder la grâce, de se délester de son véhicule. Dans le cas qui nous occupe, la personne n'a plus de véhicule - elle l'a sans doute vendu, on nous le précisera peut-être tout à l'heure. Quoi qu'il en soit, elle n'a plus de véhicule et, Madame la rapportrice...
Une voix. Rapporteure...
M. Alberto Velasco. «Rapporteure» !
Une autre voix. Rapporteuse !
M. Alberto Velasco. «Rapporteuse» ! Elle n'a donc plus de véhicule, si j'ai bien... (Brouhaha.)
La présidente. Elle n'a plus de véhicule, Monsieur le député !
M. Alberto Velasco. Par conséquent, puisqu'elle n'a plus de véhicule, Madame Hagmann, il semble que la grâce peut lui être accordée.
M. Christian Luscher (L). Je vous en remercie de me donner la parole, Madame la présidente, et aussi de ne pas m'interrompre pendant la durée qui m'est impartie.
Chacun votera selon sa conscience, mais en tout cas une chose est sûre: on ne peut pas brandir le spectre de la prison pour les personnes qui ne payent pas leurs amendes. Je mets au défi quiconque, dans cette enceinte et en dehors, de nous présenter un cas dans lequel une personne qui ne payait pas ses amendes a été emprisonnée ! Cela n'existe pas ! Et je trouve que l'argument selon lequel cette personne ira en prison, si la grâce n'est pas accordée, est à la limite de la contrainte ! Je le répète: cela n'existe pas ! Cela n'est jamais arrivé !
Et puis, sur le fond, Mesdames et Messieurs, chers collègues, je trouve que nous sommes en train de donner un message absolument désastreux à notre population ! Depuis de nombreux mois, nous sommes confrontés à des affaires médiatiques dans lesquelles les autorités municipales - certaines d'entre elles - ne payent pas leurs amendes, et cela dans la plus grande impunité pour l'instant... Voilà maintenant que les citoyens qui ne payent pas leurs amendes et qui s'en voient infliger de manière répétée pourraient venir devant ce Grand Conseil pour demander la grâce, sous prétexte qu'ils en ont tellement eu qu'ils ne peuvent plus les payer ?! Donc, en fait, c'est la prime à la «sur-amende»! Plus on a d'amendes, plus on est dans l'impossibilité de les payer, et plus le Grand Conseil sera enclin à octroyer la grâce...
Moi je prétends, Mesdames et Messieurs, que nous sommes en train de donner un mauvais message et que nous avons connu des jurisprudences beaucoup plus claires dans le passé. Et j'ai l'impression que la commission de grâce «perd un peu les pédales» en ce moment. Je demande donc à ce Grand Conseil de rétablir une situation conforme au droit et à la morale ! (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs les députés, je vous soumets donc le préavis de la commission de grâce, c'est-à-dire la grâce des arrêts et des amendes.
Mis aux voix, le préavis de la commission (grâce des arrêts et des amendes) est rejeté par 40 non contre 23 oui et 7 abstentions.