République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 14 décembre 2006 à 20h
56e législature - 2e année - 3e session - 11e séance
GR 466-A
Mme Fabienne Gautier (L), rapporteuse. Je vais parler de M. I.B.M., né en 1963 à Cuba - qui est donc de nationalité cubaine - célibataire, mécanicien de profession.
M. I.B.M. est parti de Cuba illégalement, fuyant la dictature et les conditions qui lui sont liées, pour rejoindre la Suisse où habitaient ses soeurs. Il ne supportait plus de vivre dans son pays d'origine, dans lequel il avait d'ailleurs été condamné, en 1983, à une année d'emprisonnement parce qu'on avait retrouvé sur lui un billet de 50 dollars US, le port de devises étrangères à Cuba étant totalement interdit.
M. I.B.M. est arrivé en Suisse en 1995 sans permis de séjour valable. Il a vécu chez sa soeur établie à Genève et, en 1997, il est arrêté pour lésions corporelles graves et placé en détention préventive.
Le 11 juin 1999, M. I.B.M. a été condamné par la Cour d'assises du canton de Genève à une peine de quatre ans de réclusion et dix ans d'expulsion du territoire suisse pour délit manqué de meurtre, lésions corporelles simples et infraction à l'article 23 de la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers. Lors de sa condamnation, M. I.B.M. a déjà purgé une peine de détention préventive de un an, sept mois et vingt-huit jours. Il lui reste donc deux ans, quatre mois et deux jours de détention à accomplir.
Le 30 mars 2000, M. I.B.M. sollicite sa libération conditionnelle alors qu'il est détenu à la maison Le Vallon, à Vandoeuvres. Cela veut dire qu'il travaille durant la journée et retourne à la maison d'arrêt le soir. Le ministère public et la direction du Vallon sont favorables à sa libération conditionnelle. M. I.B.M. est décrit comme une personne ayant un comportement tout à fait adéquat. Durant sa détention, il a travaillé dans différents ateliers, son attitude a été jugée excellente, et il a su se plier aux normes et aux exigences de l'établissement.
La commission de libération conditionnelle lui accorde sa libération par décision du 9 mai 2000, à dater du 13 juin 2000, et lui impartit un délai d'épreuve de cinq ans, mais renonce à ordonner la suspension de la mesure d'expulsion judiciaire de dix ans du territoire suisse. Selon le directeur de l'établissement Le Vallon, M. I.B.M. prévoyait de rejoindre son amie en Espagne, ce qu'il n'a pu faire, les autorités cubaines refusant le renouvellement de son passeport échu le 4 septembre 1997. M. I.B.M. a donc été «remis» à la rue le 9 juin 2000 par la Brigade des enquêtes administratives, son expulsion n'ayant pas été possible pour des raisons politiques. En effet, étant sorti de manière illégale de son pays et ne s'étant pas acquitté, durant toutes ces années, d'une taxe périodique réclamée par l'Etat cubain - faute de quoi il n'est pas possible de retourner à Cuba sans risquer d'être à nouveau emprisonné durant une année - M. I.B.M. risquait également d'être rejugé par rapport aux crimes pour lesquels il avait été condamné en Suisse et déjà purgé les peines.
A cette époque, M. I.B.M. fait recours auprès du Tribunal administratif contre la mesure d'expulsion judiciaire et se contente de solliciter un sursis de trois mois quant à cette dernière, à titre d'essai puisqu'il voulait repartir en Espagne. Etant au courant de la législation en la matière, il n'a pas recouru contre l'expulsion de dix ans du territoire suisse. Il ressort également d'un fax, adressé par un inspecteur à l'office cantonal de la population, que tout ressortissant ayant quitté le pays depuis plus de dix mois était considéré comme un exilé auprès des autorités cubaines, et donc que M. I.B.M ne pouvait pas être refoulé. Ce renseignement aurait été obtenu par l'Office des réfugiés.
Depuis sa libération, M. I.B.M. a été employé dans différents services ou entreprises qui ont tous souligné son sérieux, son dévouement, sa bonne capacité d'intégration, sa motivation, les bons rapports qu'il entretient avec son entourage. M. I.B.M. s'est parfaitement intégré dans la vie genevoise, tant par son travail que par les amitiés qu'il a su nouer. Il fait preuve de dynamisme, il est au bénéfice d'une récente attestation d'un cours et d'un examen professionnel. Son employeur actuel s'engage à lui établir un contrat à durée indéterminée, pour autant qu'il puisse régulariser sa situation en Suisse; la soeur et le beau-frère de M. I.B.M., qui exploitent une entreprise à Genève, s'engageraient aussi à l'employer. M. I.B.M. vit depuis quelques années chez son amie suissesse, et ils reçoivent régulièrement sa famille établie à Genève. Et la décharge de M. I.B.M., on peut dire qu'il n'a pas utilisé la voie du mariage avec sa compagne pour régulariser sa situation !
Le Service de probation et d'insertion, qui suit M. I.B.M. depuis de nombreuses années, confirme qu'il a toujours travaillé, qu'il n'a jamais reçu d'aide financière de quiconque, que sa conduite est exemplaire et que l'absence d'une autorisation de séjour l'empêche d'obtenir un contrat à durée indéterminée. Le même service ajoute que M. I.B.M. vit à Genève depuis plusieurs années au vu et au su de tous, avec l'appui d'un service officiel. Pour conclure, le délai d'épreuve de cinq ans qui lui avait été imparti suite à sa libération conditionnelle est également échu.
La commission a donc décidé et vous demande d'accorder la grâce, puisqu'il n'est pas possible de refouler M. I.B.M. et qu'il n'a pas de papiers pour retourner à Cuba ou dans un autre pays d'Europe.
M. Olivier Jornot (L). Vous avez accepté tout à l'heure d'inscrire à l'ordre du jour et de traiter en urgence l'une des lois d'application de la nouvelle partie générale du Code pénal, qui entre en vigueur le 1er janvier prochain. Si vous consultez cette nouvelle partie générale du Code pénal suisse, vous constaterez que l'article 55 actuel disparaît...
En d'autres termes, cela signifie qu'à partir du 1er janvier prochain les tribunaux pénaux ne pourront plus prononcer d'expulsion judiciaire. Et ce seront les autorités administratives, les autorités de police des étrangers, qui décideront de prononcer des interdictions d'entrée, si elles estiment que les condamnés présentent un danger pour l'ordre public, respectivement qui décideront, de cas en cas, d'octroyer des permis de séjour ou, au contraire, de les refuser.
De surcroît, la nouvelle partie générale du Code pénal, telle qu'elle a été votée par le Parlement fédéral en 2002, contient une disposition transitoire qui précise qu'au moment de l'entrée en vigueur de la loi toutes les sanctions, qui ont été prononcées en vertu de dispositions qui n'existent plus, tombent. Autrement dit, Mesdames et Messieurs les députés, le 1er janvier 2007, toutes les expulsions judiciaires prononcées par tous les tribunaux de Suisse tombent. Cela signifie que, à partir du 1er janvier, la célèbre double peine qui était souvent décriée - n'est-ce pas ? - sur certains bancs n'existe plus dans notre pays. Il n'y a plus de confusion entre le rôle des tribunaux pénaux qui condamnent et le rôle des autorités administratives qui règlent la question de la présence ou non des personnes concernées sur notre sol.
Cela veut donc dire, pour en revenir à notre sujet du moment, que, si le Grand Conseil accordait la grâce à M. I.B.M., ce serait seulement pour quinze jours, puisque cette peine d'expulsion n'existera plus le 1er janvier 2007. Donc, je vous pose la question en ces termes, Mesdames et Messieurs les députés: vaut-il la peine, pour quelqu'un...
Une voix. Oui !
M. Olivier Jornot. ... qui a été condamné pour un délit manqué de meurtre, d'accorder aujourd'hui la grâce d'expulsion pour quinze jours, c'est-à-dire pour rien du tout ? A partir du moment où, de toute façon, le sort de cette personne dépendra, dès l'entrée en vigueur de la nouvelle partie générale du Code pénal, des autorités de police des étrangers qui devront décider - compte tenu de sa situation particulière, compte tenu de son pays d'origine - s'il est nécessaire de lui accorder un titre de séjour dans notre pays ?
Pour répondre à cette question, je vous rappellerai qu'un délit manqué, c'est quand quelqu'un fait tout pour qu'un acte aboutisse, mais, pour une raison qui lui échappe, cet acte n'aboutit pas ! Cela signifie que la Cour d'assises a condamné ce monsieur comme étant un meurtrier - ma foi, cela arrive ! - et qu'aujourd'hui il nous demande la grâce pour les raisons que l'on vient de nous indiquer. Eh bien, en ce qui me concerne, je trouve, Mesdames et Messieurs les députés, que le jeu n'en vaut pas la chandelle ! Nous ne sommes pas ici en train de régler une situation humanitaire douloureuse: nous allons simplement donner un message par rapport à la façon dont nous percevons le délit manqué de meurtre.
Je vous recommande donc, pour ma part, dès lors que notre décision n'aura aucune influence sur la vie concrète de ce monsieur, dès lors que son sort sera entièrement régi par les autorités administratives, de ne pas donner ce mauvais signal et de refuser la grâce.
Mis aux voix, le préavis de la commission (grâce de la peine d'expulsion) est adopté par 39 oui contre 30 non et 4 abstentions.