République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 1 décembre 2006 à 17h
56e législature - 2e année - 2e session - 9e séance
IN 136 et objet(s) lié(s)
Débat
M. Christian Luscher (L), rapporteur de majorité. Pour l'instant, je me bornerai à dire que la majorité de la commission législative est arrivée à la conclusion que l'initiative 136 était, dans son ensemble, irrecevable, parce qu'elle ne respecte pas le principe de l'unité de la matière et, également, parce qu'elle est inexécutable aux yeux de la majorité des commissaires de la commission législative. Dans la mesure où des avis contraires devaient être émis au cours de nos débats, je me réserve le droit, comme on dit, de reprendre la parole un peu plus tard.
Mme Anne Emery-Torracinta (S), rapporteuse de minorité. Je regrette que M. le rapporteur de majorité ne veuille pas nous dévoiler quels étaient les arguments de la majorité de la commission. Je tiens à préciser qu'il s'agissait de cinq personnes en faveur de l'irrecevabilité de l'initiative contre quatre de l'autre bord.
Ce que je voudrais dire extrêmement rapidement, c'est que, dans son rapport de majorité, M. Luscher cite à juste titre le Tribunal fédéral, mais qu'il ne le cite malheureusement que très partiellement. Quand on parle d'unité de la matière, on ne doit pas se contenter de dire qu'il doit y avoir un rapport de connexité entre les différents éléments proposés par les initiants. Il faut aller jusqu'au bout de l'arrêt du Tribunal fédéral, qui précise d'une part qu'il s'agit d'une notion relative et d'autre part qu'on peut parfaitement mettre en oeuvre des moyens variés, pour autant que ceux-ci puissent être rattachés sans artifice à l'idée centrale défendue par les initiants. A notre sens, dans le cas présent, nous avons deux questions à nous poser: y a-t-il un rapport suffisamment étroit entre les différentes propositions des initiants et, si ce n'est pas le cas, y a-t-il éventuellement un abus manifeste à avoir mis ces points ensemble ? Si nous répondons non à la deuxième question, cette initiative est parfaitement recevable.
Dans le cas présent, les initiants proposent toute une série de mesures et le Conseil d'Etat, dans son rapport, a estimé qu'on pouvait considérer qu'il n'y avait pas tout à fait unité de la matière. A notre sens, c'est une question d'interprétation, puisque l'initiative s'inquiète d'une éventuelle privatisation de services publics - l'Hôpital est donné en exemple - et cite toute une série d'éléments qui pourraient, au sens des initiants, mener à une privatisation. Selon les initiants - comme ils l'ont dit à la commission législative lorsqu'ils ont été auditionnés - dire qu'il n'y a pas unité de la matière, ce serait avoir une vue extrêmement étroite de ce qu'est l'unité de la matière. A notre sens à nous, on peut parfaitement considérer qu'il y a unité de la matière, pour autant qu'on interprète dans un certain sens, ou éventuellement qu'il n'y a pas unité de la matière, mais qu'il n'y a en tout cas pas abus.
Ce qui est reproché par la majorité aux initiants, c'est de mêler dans un même débat tout ce qui concerne les transferts d'activités, les cessations d'activités, la modification du statut d'institution autonome, et de le lier, par exemple, à la gouvernance de ces institutions. Or je tiens à souligner que les initiants considèrent, par exemple, que le projet de loi qui a été déposé par le parti libéral auprès de ce Grand Conseil - et qui consiste à supprimer la représentation des partis politiques dans les organismes autonomes - est déjà un premier pas vers la privatisation. Donc, prétendre que parler de la gouvernance dans une initiative qui s'intéresse également au transfert d'activités c'est ne pas respecter l'unité de la matière, c'est à mon avis en avoir une vue effectivement très étroite. Et il n'y a, à mon sens, pas d'abus manifeste. C'est pourquoi la minorité de la commission avait estimé qu'on pouvait parfaitement aller dans le sens du Conseil d'Etat et, éventuellement, enlever un ou deux points de l'initiative, de façon qu'elle puisse quand même être soumise au peuple.
Le deuxième élément important concerne l'exécutabilité. Là aussi, je trouve que la majorité de la commission cherche la petite bête en voulant à tout prix interpréter ce que veulent les initiants de façon à pouvoir au bout du compte dire: «Votre initiative n'est pas exécutable, puisqu'il y aurait beaucoup trop de votations et que l'électeur ne pourrait pas se prononcer aussi souvent.»
La minorité de la commission estime que nous devons aller dans le sens d'une interprétation favorable aux initiants et suivre le Tribunal fédéral qui précise que, en cas de difficulté relative, c'est à l'électeur de trancher. Nous sommes, à notre avis, parfaitement dans ce cas de figure: ce n'est pas un débat juridique qui se pose à nous, mais un débat politique. Nous avons d'une part des initiants qui, il est clair, manifestent une certaine défiance face aux élus et préfèrent voir la démocratie directe triompher et le peuple se prononcer aussi souvent que possible; d'autre part, nous avons la majorité de la commission qui privilégie sans doute la démocratie représentative, mais peut-être aussi parce qu'elle a une certaine défiance face au peuple. Dans un tel cas, nous pensons que c'est bien au peuple de trancher et non à ce parlement de déclarer cette initiative irrecevable.
Mme Loly Bolay (S). Le Conseil d'Etat reconnaît dans son rapport que l'initiative 136 est valide, mais qu'elle doit être déclarée partiellement nulle avec les modifications proposées, d'une part, dans le rapport que nous avons reçu du Conseil d'Etat et, d'autre part, dans le rapport de ma collègue rapporteure de minorité. Le Conseil d'Etat estime aussi que l'initiative 136 doit être reconnue comme exécutable au sens de la jurisprudence du Tribunal fédéral... (Brouhaha.) Madame la présidente, on ne s'entend pas dans cette salle. Je crois que beaucoup de gens ne s'intéressent absolument pas à cette initiative. (La présidente agite la cloche.)
La présidente. Mesdames et Messieurs, je vous propose de respecter les personnes qui ont la parole. Celles et ceux qui ont d'autres choses à discuter seront très aimables de le faire ailleurs que dans cette enceinte ! Merci.
Mme Loly Bolay. Je vous remercie beaucoup, Madame la présidente. Je disais donc que le Conseil d'Etat estime que l'initiative 136 doit être reconnue comme exécutable au sens de la jurisprudence du Tribunal fédéral. Ce même Tribunal fédéral déclare par ailleurs qu'en vertu du principe de proportionnalité l'invalidité d'une partie de l'initiative ne doit entamer la validité du tout que si le texte ne peut être amputé sans être dénaturé. Selon la doctrine, une initiative partiellement invalide doit être soumise au peuple, cela même si l'invalidation frappe l'une de ses parties.
J'aimerais juste rappeler ici que la majorité de la commission législative a surtout fait un vote de sanction, non pas seulement quant à l'initiative mais surtout vis-à-vis des initiants. Je pense qu'elle a fait un vote politique au lieu d'un vote juridique. Puisque la commission législative doit traiter les initiatives sous l'angle juridique. Mais certains commissaires sont peut-être fâchés ! Fâchés du désaveu de leur recours contre l'initiative 126 approuvée par ce Grand Conseil. Fâchés aussi peut-être parce qu'ils craignent que le recours de certains sur l'initiative 129 ne soit frappé du même désaveu.
Mesdames et Messieurs les députés, il n'y a pas d'abus manifeste dans l'initiative 136 ! Par conséquent, elle doit être déclarée recevable moyennant - je l'ai dit tout à l'heure - l'invalidation qui est proposée. S'agissant de son exécutabilité, le Tribunal fédéral estime, là aussi, que l'obstacle doit être insurmontable et qu'une difficulté relative est insuffisante. C'est donc le cas de l'initiative 136. Raison pour laquelle je vous encourage à suivre les conclusions du rapport de minorité.
Mme Sandra Borgeaud (Ind.). Il est clair que c'est un débat assez délicat. Tout le monde doit pouvoir avoir accès à l'Hôpital, nous ne devons pas accepter une santé à deux vitesses. L'Hôpital est un service public, il fait partie de l'institution. Cependant, il est évident que la législation cantonale ne peut pas braver les interdits du droit supérieur. Nous en avons longtemps débattu et j'ai eu le privilège d'assister aux travaux jusqu'à la fin. J'en suis contente. Je m'exprime en tant qu'indépendante.
Pour moi, on a essayé de donner toute la valeur possible à l'initiative, de respecter toutes les signatures qui ont été récoltées. Et on ne pouvait décemment pas se permettre de jeter une initiative comme celle-là à la poubelle, sans essayer de lui donner toutes les possibilités afin que le peuple puisse se prononcer.
Pour ne pas répéter ce qui a été dit - je n'en doute pas, vous l'avez bien écouté - je vous engage à suivre le rapport de minorité et à voter cette initiative.
M. Damien Sidler (Ve). Effectivement, la commission l'a constaté, cette initiative pose un problème d'unité de matière. Je crois que le Conseil d'Etat l'a reconnu. La majorité de la commission l'a reconnu, si ce n'est pas l'ensemble. Il se trouve que, pour arriver à un même objectif, plusieurs mesures sont proposées et il est vrai que deux de ces dernières n'ont pas un lien assez étroit ou ne sont pas absolument nécessaires pour atteindre l'objectif visé par cette initiative. Il convient donc de déclarer cette initiative comme lésant le principe d'unité de matière.
Cela ne veut pas dire pour autant qu'il faille la rejeter entièrement, et c'est vraiment le problème auquel nous sommes confrontés ce soir: il y a une possibilité laissée par la constitution, article 66, de travailler le texte très légèrement pour l'amputer de certaines propositions ou pour le scinder en différentes propositions, afin qu'elle puisse être présentée devant le peuple. Il faut bien se rappeler que ce n'est pas un projet de loi qui vient de notre enceinte dont nous débattons, mais une initiative populaire qui a récolté 10 000 signatures.
Certains ici ont vu le nom d'un des initiants et ils se sont braqués contre cette initiative. En lisant le rapport de majorité, vous n'aurez pas de peine à comprendre que c'est finalement là le noeud du problème dont nous discutons actuellement. Effectivement, pour certains partis majoritairement représentés dans la commission législative, il suffit de prononcer le nom de cette personne pour que toute initiative n'ait plus aucune chance de passer devant cette commission. Or nous estimons que c'est une erreur: il y a quand même 10 000 signatures validées par la Chancellerie derrière ce texte. Et on ne peut pas bafouer ces droits, qui sont fondamentaux !
Ce que l'on vous demande ici, c'est de faire en sorte que la procédure soit respectée, c'est-à-dire que le travail de validation puisse se faire. Autrement dit, la Chancellerie et le Conseil d'Etat nous ont proposé d'amputer ce texte d'une partie de la dernière phrase de l'article - excusez-moi, je ne l'ai plus sous les yeux... (M. Damien Sidler cherche un document.)
Une voix. Article 53B !
M. Damien Sidler. Bref, vous le retrouverez dans le rapport. Nous vous conseillons donc de suivre cette proposition et, surtout, de ne pas entrer en matière sur cette tactique politique qui consiste à essayer de déguiller toute initiative populaire avant qu'elle puisse être soumise au peuple, soit en travaillant au niveau de la commission législative, soit en travaillant ensuite, lorsque le résultat ne plaît pas à certains partis, par le biais de recours au Tribunal fédéral. Je pense que, là aussi, il commence à y avoir un certain problème en voyant le nombre de recours qui sont déposés par des gens qui se trouvent dans cette enceinte, qui ne sont pas contents du résultat de la majorité et qui font des recours...
Une voix. Des noms !
M. Damien Sidler. ... qu'ils perdent ensuite au niveau du Tribunal fédéral. Je pense qu'il faut tenir compte du fait que nous traitons ici des initiatives populaires et qu'on ne peut pas léser, comme cela, les droits populaires institués par la constitution.
M. Olivier Jornot (L). Vous avez vu en effet qu'il y a deux arguments qui empêchent de déclarer cette initiative recevable: celui de l'unité de la matière, que le Conseil d'Etat a relevé lui-même, et celui de l'exécutabilité. Sur l'unité de matière, je ne m'étendrai guère, parce que finalement, c'est uniquement la question de savoir quelle est la sanction que l'on donne à une violation. La violation est reconnue par tous: il s'agit de savoir quelle est la sanction, et le Grand Conseil choisira entre celle qui consiste à aider les initiants à faire ce qu'ils n'ont pas su et celle qui consiste à constater précisément qu'on ne peut pas le faire sans violer le droit.
J'aimerais pour ma part revenir quelques instants sur la question de l'exécutabilité de cette initiative. Vous savez, Mesdames et Messieurs les députés, que c'est un argument délicat à manier, parce que le Tribunal fédéral est prudent dans sa définition de l'exécutabilité. Il nous dit qu'il ne suffit pas qu'un texte soit difficile à appliquer pour qu'il soit inexécutable. Ici, il faut s'interroger sur l'exécutabilité de ce volet de l'initiative qui invite en quelque sorte à soumettre à l'obligation de transcrire dans un projet de loi tout transfert et également toute cessation d'une activité assumée régulièrement par l'une des entités énumérées dans l'article.
Il ne s'agit pas seulement de l'Etat, mais il s'agit de manière très générale de toutes sortes d'institutions, fondations et établissements cantonaux de droit public, avec des exemples comme la Banque cantonale, les Services industriels, l'Aéroport, j'en passe et des meilleurs. Le Conseil d'Etat a bien vu le problème dans son rapport sur la recevabilité de cette initiative. Il nous dit: qu'est-ce qu'on va devoir faire si on est obligés de faire voter une loi formelle par le Grand Conseil à chaque fois qu'il nous faut par hypothèse changer les heures d'exploitation d'un poste de police? C'est l'exemple qui est donné dans le rapport du Conseil d'Etat. En effet, Mesdames et Messieurs les députés, c'est sous cet angle qu'il faut examiner la question, par respect pour ceux qui ont signé cette initiative et qui imaginent qu'on va soumettre à leurs suffrages toute activité, toute modification d'une activité du périmètre de l'Etat.
J'aimerais vous donner un certain nombre d'exemples pour abonder dans le sens de ce qu'a dit le Conseil d'Etat et montrer à quel point cette initiative aboutirait à des absurdités qui la rendent inexécutable. Imaginez, Mesdames et Messieurs les députés, que la Banque cantonale, qui est citée dans le texte, décide de ne plus participer aux activités de financement du négoce international... Il faut un projet de loi. Imaginez que l'Aéroport international de Genève décide de fermer un bar dans un satellite: un projet de loi. Imaginez que les Transports publics genevois suppriment un arrêt: c'est la cessation d'une activité régulièrement assumée par l'une des entités et il faut un projet de loi. Imaginez que les Services industriels suppriment par exemple la fourniture d'un type de courant, comme ils l'ont fait récemment: un projet de loi. Imaginez que l'office des poursuites décide de modifier - c'est l'exemple donné par le rapporteur de majorité - les heures d'ouverture de ses guichets. Il faudrait une loi. Si les hôpitaux décident de déplacer un service, de le fusionner avec un autre, ce qu'ils font sans arrêt, il faudrait désormais un projet de loi. Imaginez ce que l'on fait avec cela de l'autonomie constitutionnelle donnée à ces établissements, soit dit en passant. Enfin, dernier exemple, qui relève probablement de l'absurdité: imaginez qu'un conseiller d'Etat cesse d'être brillant... Il faudrait un projet de loi.
Mesdames et Messieurs les députés, mis à part cette dernière boutade, qui relève en effet de l'impossible, j'espère avoir attiré votre attention sur le fait que l'application à la lettre de cette initiative aboutirait à devoir voter dans cette enceinte des centaines - je dis bien «des centaines» - de projets de lois par année. Cela aboutirait donc à paralyser - on ne peut pas le dire autrement - nos institutions. Cela aboutirait aussi, bien entendu, à paralyser l'exercice des droits démocratiques puisqu'il conviendrait de soumettre au référendum obligatoire l'ensemble de ces lois. Visiblement, les initiants ont fait preuve de boulimie politique ou de boulimie juridique, je ne sais pas exactement, mais je crois qu'il faut les empêcher de tuer ce qu'ils semblent aimer le plus, à savoir l'Etat.
Parce que cette initiative va exactement à fins contraires ! Elle aboutit à paralyser l'Etat. Et elle aboutit aussi à ce que plus aucune de ses entités, plus aucun de ses services ne créera la moindre prestation, ni n'ouvrira le moindre service à la population en sachant qu'il faudra une loi formelle et un référendum obligatoire pour revenir en arrière ou pour modifier la chose en question.
Je vous invite donc, Mesdames et Messieurs les députés - et croyez-moi, ce n'est pas, comme cela a été dit tout à l'heure, une espèce de lubie à l'égard de l'un ou l'autre des initiants - mais je vous invite, si vous croyez, comme nous, que l'activité de l'Etat est nécessaire, à déclarer cette initiative irrecevable. Nous devons le faire, par respect pour les citoyens qui ont signé cette initiative en étant trompés par des initiants qui leur ont fait sciemment signer un texte manifestement irrecevable.
Mme Michèle Ducret (R). Après une telle démonstration, qu'est-ce que je viendrais ajouter ? C'était une magnifique démonstration juridique ! Cela dit, nous n'avons à examiner ici que la recevabilité de cette initiative. Deux points ne concordaient pas selon l'avis de la commission: l'un des deux n'était pas aussi important que l'autre. Celui qui, pour nous, semble vraiment primordial, c'est celui de l'exécutabilité. Nous considérons que cette initiative est inexécutable. Et si les initiants avaient voulu paralyser l'Etat, ils ne s'y seraient pas pris autrement. C'est l'avis qu'a eu la majorité de la commission et c'est la raison pour laquelle le groupe radical, sans en ajouter plus, vous engage, Mesdames et Messieurs, à refuser cette initiative.
La présidente. Le Bureau vous propose de clore la liste. Sont encore inscrits: Mme Catherine Baud, M. Philippe Guénat, M. Pascal Pétroz, les deux rapporteurs et M. le conseiller d'Etat Laurent Moutinot.
Mme Catherine Baud (Ve). En effet, à la lecture des résultats des votes très serrés de la commission législative, on peut constater que deux points ont posé problème: l'unité de la matière et l'exécutabilité. Je ne souhaiterais pas entrer dans le fond de la discussion, parce que tel n'est pas le but aujourd'hui. Nous devons strictement rester sur la forme et considérer les conditions de forme de cette initiative qui s'intitule: «Touche pas à mon Hôpital et aux services publics !».
L'unité de la matière: il est vrai que l'énoncé de sept situations, de sept points particuliers, constitue un domaine d'application très large, voire trop large, c'est sûr. Toutefois, il est clair que, dans l'esprit des initiants, ces différents points relèvent d'un même but: la préservation des services publics. Il apparaît donc particulièrement spécieux de se mettre à la place des initiants et d'arguer que ceux-ci ont manifestement abusé du droit d'initiative en déposant un texte partiellement nul en toute connaissance de cause. Il ne s'agit pas d'objets distincts et fondamentalement différents selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il s'agit de domaines d'activités qui résultent d'une vision large du service public. C'est la raison pour laquelle la position du Conseil d'Etat est parfaitement défendable. L'invalidation très partielle de ce texte - des deux derniers points en l'occurrence - ne change rien à l'esprit de cette initiative et l'unité de la matière est ainsi tout à fait possible et existante.
Enfin, sur l'exécutabilité, qui semble poser beaucoup de problèmes sur les bancs d'en face, c'est vrai que, dans le cas où le texte est modifié en enlevant les deux derniers points, l'exécutabilité devient tout à fait réaliste.
Alors, argumenter sur le fait que cette initiative entraînerait des votations multiples, notamment dans le cas de modifications ou de réductions d'horaires de certains bureaux peut paraître totalement excessif et même d'une certaine mauvaise foi. Le raisonnement est certainement séduisant, mais il est, à mon avis, dénué de sens. Une réduction d'horaire ne constituant aucunement, je cite, «une cessation d'activités assumées régulièrement».
Le but de cette initiative est de protéger les services publics existants, pas des les empêcher de vivre. Elle est destinée également à renforcer les droits populaires dans le domaine des services publics et de l'Hôpital en particulier. Les Verts soutiendront donc le préavis du Conseil d'Etat et le rapport de minorité tel qu'il a été rédigé, avec la modification de l'article 53B. Nous soutenons donc ce rapport de minorité.
M. Philippe Guénat (UDC). Sous le titre pompeux «Touche pas à mon Hôpital !», les initiants ont volontairement trompé, voire abusé le peuple genevois qui a cru signer une initiative qui allait améliorer son bien-être dans l'Hôpital. Il n'en est rien ! Les initiants, routiniers de nos institutions qui, au fil du temps, sont devenues de véritables brontosaures de notre vie politique, ont sous ce titre fallacieux mélangé les genres et, dans un article 53B, fait un véritable fourre-tout ! Pour nous, cette initiative 136 est irrecevable: le groupe UDC votera non.
M. Pascal Pétroz (PDC). Le groupe démocrate-chrétien ne votera pas la recevabilité de cette initiative, car elle est clairement irrecevable, c'est la logique même. Cela a été dit: cette initiative est un fourre-tout qui contient des dispositions sans aucun rapport les unes avec les autres. Elle viole par conséquent le principe de l'unité de la matière, ce que la commission, à l'unanimité, a admis. Maintenant, toute la portée du débat - cela a été dit tout à l'heure - est de savoir ce que l'on fait d'une initiative qui viole de manière aussi crasse le principe de l'unité de la matière. On doit admettre que le peuple a été trompé.
Grâce doit être rendue au rapporteur de majorité, qui a cité ce fameux arrêt du Tribunal fédéral relatif à l'initiative 119, cette fameuse initiative 119 qui nous avait occupés lors de la législature précédente et qui émanait d'ailleurs des mêmes auteurs. Le Tribunal fédéral avait validé la décision d'irrecevabilité du Grand Conseil en disant que c'était à juste titre que le Grand Conseil avait voulu sanctionner le procédé consistant à réunir dans un même texte deux objets fondamentalement différents. Dans l'initiative 119, c'étaient deux objets; ici, il y a quatre ou cinq objets différents: modification de la composition des organes des statuts, sous-traitance, etc. Ces éléments n'ont aucun rapport entre eux.
Le Tribunal fédéral a également indiqué et retenu pour l'initiative 119 que le lien entre les deux parties de cette initiative était totalement artificiel, ce dont ne pouvaient manquer de s'apercevoir les auteurs de l'initiative, parlementaires cantonaux. Il se trouve que, par bonheur, ils ne sont plus dans cette enceinte, mais ils bénéficient tout de même de l'expérience acquise à l'occasion de ces nombreuses années passées sur nos bancs, raison pour laquelle l'approche doit être exactement la même.
Le Tribunal fédéral a également indiqué dans le cadre de l'initiative 119 que le principe de l'unité de la matière avait été violé de manière particulièrement évidente et que la sanction à apporter pouvait - conformément au principe de la proportionnalité - être à la mesure de cette violation, à savoir la déclaration d'irrecevabilité de cette initiative.
Il en va de même en ce qui concerne l'initiative qui nous est soumise ce soir. Cette initiative est un fourre-tout d'éléments qui n'ont aucun rapport intrinsèque ou extrinsèque entre eux. Par conséquent, il se justifie d'abord de déclarer que cette initiative viole le principe d'unité de la matière et, ensuite, d'apporter à cette initiative la sanction qu'elle mérite, à savoir: la poubelle.
M. Christian Luscher (L), rapporteur de majorité. Je vais essayer d'être le plus concis possible pour vous dire ceci: il est vrai que dans mon rapport de majorité je ne me suis pas longuement exprimé sur l'unité de la matière dont la rapporteuse - ou «trice», peu importe - de minorité nous a expliqué aujourd'hui que c'était un principe important. Nous sommes tous d'accord sur ce sujet, mais si j'en ai assez peu parlé dans mon rapport, c'est parce que, lors des travaux de commission, nous sommes tous parvenus à la conclusion que cette initiative ne respecte pas le principe de l'unité de la matière. Il ne s'est pas trouvé un commissaire pour venir à son secours ! Et unanimement, il a été constaté que cette initiative violait le principe de l'unité de la matière.
Il suffit, Mesdames et Messieurs les députés, si vous avez trente secondes à consacrer à cette initiative, d'en lire le texte, qui est truffé d'erreurs de syntaxe, de fautes d'orthographe, pour constater qu'il mélange un nombre absolument incalculable de sujets entre eux. D'abord, on parle de la privatisation, qui est déjà autre chose que la sous-traitance et qui est également autre chose qu'un transfert d'activités. Et ce n'est que la première proposition qui est faite, c'est-à-dire d'obliger non seulement le parlement à rédiger un projet de loi pour toute privatisation, mais encore pour toute sous-traitance ou pour tout transfert partiel d'activités, et de le soumettre obligatoirement au peuple.
Le Conseil d'Etat nous dit qu'on peut, peut-être, sur ce premier chef d'initiative, considérer qu'il y a un rapport intrinsèque et qu'il y a donc une unité de la matière sur cette première proposition. Si vous me permettez une petite parenthèse, les socialistes font aujourd'hui grand cas de l'accord du Conseil d'Etat sur l'invalidation partielle... Le Conseil d'Etat ne fait que donner un préavis. Le Grand Conseil est absolument souverain ! Comme il l'était hier soir, lorsqu'il s'agissait de traiter des naturalisations. Et je ne crois pas que grand monde se soit finalement beaucoup intéressé au préavis qui nous était donné par une commune. Donc, il s'agit simplement d'un préavis et nous avons toute liberté de manoeuvre.
Le gros problème de cette initiative, c'est la deuxième partie des propositions qui sont faites. On voudrait, Mesdames et Messieurs les députés... Je vous demande trente secondes d'attention, parce qu'il s'agit de la paralysie pure et simple de nos institutions. On voudrait que toute cessation d'activité, tout changement dans les organes d'une institution publique ou parapublique - par exemple la Banque cantonale de Genève - on voudrait que toute vente d'immeuble, que tout changement dans les statuts d'organisations autonomes fasse non seulement l'objet d'un projet de loi, mais soit soumis obligatoirement au vote de la population. Cela signifie, Mesdames et Messieurs les députés, je vous le dis sans effets de manche: cela signifie des centaines de votations supplémentaires par année ! Des centaines ! Vous changez un membre du Conseil d'administration de l'Hôpital; vous changez un membre du Conseil d'administration de la Banque cantonale de Genève: il y a un changement au sein d'un organe ! Parce que vous savez aussi bien que moi que le Conseil d'administration est un organe. Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, à rigueur de ce texte, il y a lieu de faire une loi et de la soumettre au peuple !
Mais le plus grave, dans tout cela, c'est que l'amas de conclusions numéro un a été greffé sur un amas de conclusions numéro deux, et que tous ces sujets n'ont strictement rien à voir les uns avec les autres ! C'est la raison pour laquelle nous sommes arrivés à la conclusion qu'il n'y avait pas unité de la matière. Alors, nous nous sommes effectivement posé la question de savoir ce qu'il faut faire lorsque nous sommes confrontés à une violation aussi crasse de l'unité de la matière. Constatant que cette violation était intentionnelle, qu'elle émanait des mêmes initiants que ceux qui avaient déjà essayé de faire croire au Grand Conseil, dans l'IN 119, qu'il y avait unité de la matière et qui avaient recouru - sans succès - au Tribunal fédéral contre la déclaration d'irrecevabilité de ce Grand Conseil, nous avons considéré, nous, Grand Conseil, que cela suffisait et qu'on ne pouvait pas tromper ainsi le peuple ! Et qu'à ce groupe d'initiants, qui reviennent toujours avec des initiatives, qui sont rompus à l'exercice des droits populaires, qui savent que leurs initiatives violent l'unité de la matière, eh bien, il y a un jour un message qui doit passer ! Et ce message, c'est: on en a assez ! Ce n'est quand même pas très compliqué de faire une initiative populaire et ce n'est pas très compliqué de proposer un seul sujet à la population! Le message doit être celui-ci: on ne fera pas des frappes chirurgicales dans vos initiatives, raison pour laquelle nous avons considéré de façon majoritaire, en commission législative, qu'on ne devait procéder ni à une scission ni à une invalidation partielle, mais à une irrecevabilité complète de cette initiative. C'est pourquoi la majorité de la commission a sereinement décidé de déclarer cette initiative totalement irrecevable.
Mme Anne Emery-Torracinta (S), rapporteuse de minorité. Nous vivons un moment historique ! Entendre un éminent député libéral nous rappeler ce soir que l'activité de l'Etat est nécessaire... J'estime que c'est un moment historique... (Applaudissements.) ... et j'espère que tous ici, dans ce parlement, nous nous le rappellerons lors du vote du budget ! (Rires. Commentaires.)
Cela dit, pour revenir à ce qui concerne cette initiative, je ne peux pas laisser M. Pétroz ou M. Luscher parler de l'initiative 119 sans rappeler quand même que, dans le cas précis, il y a avait effectivement violation de l'unité de la matière. Parce que c'étaient deux sujets totalement différents. Il y avait deux sujets qui étaient, d'une part, plus ou moins l'initiative qui nous est proposée aujourd'hui mais également une caisse maladie unique - je veux bien qu'il n'y ait aucun rapport entre une caisse maladie unique et la privatisation d'un organisme public. Là, il y avait véritablement une violation flagrante; ce n'est manifestement pas le cas ici.
Concernant l'exécutabilité, j'admire aussi le lyrisme et l'emphase de certains, puisqu'en commission le rapporteur de majorité s'est adressé à l'un des initiants, il lui a dit: «Mais si votre initiative passe, c'est trente à quarante votations par année !» Ce à quoi les initiants ont répondu que c'était complètement absurde. Aujourd'hui, on nous parle de centaines de votations... Je ne sais pas sur quoi ces chiffres se fondent, mais je vous rappelle que, si nous allons dans le sens du rapport du Conseil d'Etat - même si ce n'est qu'un préavis, je vous invite à le suivre - nous enlevons la partie concernant la gouvernance des organismes autonomes. Il en découle que la remarque de M. Luscher, qui était de dire que, par exemple, le départ d'un membre d'un Conseil d'administration serait soumis à la volonté populaire, même si cela semble totalement absurde, ne rentrerait pas en ligne de compte.
En définitive, Mesdames et Messieurs les députés, ce que l'on doit bien se rappeler, c'est que nous ne parlons pas, comme l'a dit Mme Baud, du fond de l'initiative, mais bien de la forme. Ce que je défends ici, ce n'est pas forcément le contenu de cette initiative, mais le fait qu'elle peut parfaitement être soumise au peuple et que c'est au peuple de trancher.
Je suis très inquiète quand j'entends certains d'entre vous avoir une telle défiance à l'égard de ce que pourrait dire le peuple. Parce que si, Mesdames et Messieurs les députés, ce que les opposants à cette initiative affirment est vrai, je crois que vous aurez suffisamment d'arguments pour convaincre l'électeur qu'il ne faut pas voter en faveur de cette initiative. Bon Dieu, de quoi avez-vous peur ?
Je suis d'autant plus inquiète, parce que je veux bien reconnaître que derrière cette initiative, derrière cet appel systématique aux votations populaires, il y a une certaine défiance face au parlement et, au fond, quelques traits populistes. Mais je ne crois pas qu'en déclarant cette initiative irrecevable vous démontrerez qu'on peut faire confiance aux élus. Au contraire, vous ferez le jeu de ceux-là même que vous voulez combattre et je ne pense pas que le populisme se combatte devant le Tribunal fédéral, parce que c'est bien là que vous allez pousser les initiants.
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Dans son préavis - c'est effectivement un préavis - le Conseil d'Etat n'a fait qu'appliquer l'article 66, alinéa 2, de la constitution genevoise, qui dit: «Il - le Grand Conseil - scinde ou déclare partiellement nulle l'initiative qui ne respecte pas l'unité de la matière, selon que ses différentes parties sont en elles-mêmes valides ou non; à défaut, il déclare l'initiative nulle.» Le Conseil d'Etat a considéré qu'il y avait un corps dans cette initiative. Un corps qui - une fois amputé des deux éléments, parce qu'il y en a deux, qui ne respectent pas l'unité de la matière - présente une partie suffisante pour, précisément débarrassée de ses scories, respecter l'unité de la matière en tant que telle et, par conséquent, être soumise au peuple.
Ces deux éléments, vous en avez tous parlé, il s'agit de la modification des organes, d'une part, et de la cession d'actifs immobiliers, d'autre part, dès lors qu'on entre dans la problématique de la gouvernance et non pas dans celle du service public ou de la privatisation. Mesdames et Messieurs les députés, quand vous lisez le texte après amputation de ces deux éléments qui ne respectent pas l'unité de la matière, il vous reste un corps qui correspond très largement à ce qui a été demandé par les initiants et qui, lui, respecte l'unité de la matière.
S'agissant du deuxième critère, qui est l'exécutabilité, il est vrai qu'avec ces deux éléments-là il est très vraisemblable que l'initiative soit inexécutable pour les raisons rappelées par M. Luscher. Parce que si à chaque démission, déménagement, décès d'un membre d'un conseil quelconque, il fallait voter un projet de loi soumis au référendum obligatoire, là, on serait effectivement aux limites de l'exécutabilité. Mais, si l'on enlève cet élément-là, le reste ne pose pas de problème particulier. Votre exemple, Monsieur le député Jornot, de dire que, lorsqu'on supprime une halte, c'est une cessation d'activités, n'est pas exact. Si l'on supprime les tramways ou les autobus, c'est une cessation d'activités. Mais pas si l'on supprime un abribus. Ce serait faire beaucoup d'honneur à un abribus que de le considérer à lui tout seul comme une activité du service public !
Par conséquent, il existe une interprétation conforme au voeu des initiants, mais, bien entendu, après avoir enlevé de l'initiative les deux éléments qui sont des éléments d'extranéité qui font qu'elle ne respecte pas l'unité de la matière.
Et puis, je suis navré, Monsieur Pétroz, mais je ne peux pas vous laisser dire, parlant d'une initiative populaire, qu'il faut la mettre à la poubelle. Il y a plus de 10 000 citoyens... (L'orateur est interpellé.) ... qui l'ont signée ! Il est juste et il est de votre devoir de faire en sorte que le droit en matière d'initiative soit respecté, mais précisément dans le respect des électeurs et électrices qui ont signé ce texte. (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je propose que vous votiez dans l'ordre dans lequel a procédé la commission, conformément à la page 7 du rapport.
Mise aux voix, l'unité du genre de l'initiative 136 est adoptée par 82 oui (unanimité des votants).
Mise aux voix, l'unité de la forme de l'initiative 136 est adoptée par 75 oui et 8 abstentions.
Mise aux voix, l'unité de la matière de l'initiative 136 est rejetée par 45 non contre 15 oui et 23 abstentions.
Mise aux voix, la proposition de scinder l'initiative 136 est rejetée par 81 non et 1 abstention.
Mise aux voix, la proposition de principe de déclarer l'initiative 136 partiellement nulle est rejetée par 46 non contre 36 oui et 1 abstention.
Mise aux voix, la conformité au droit supérieur de l'initiative 136 est adoptée par 39 oui contre 5 non et 37 abstentions.
Mise aux voix, l'exécutabilité de l'initiative 136 est rejetée par 44 non contre 36 oui et 2 abstentions.
Mise aux voix, la recevabilité de l'initiative 136 dans son ensemble est rejetée par 43 non contre 37 oui et 1 abstention. (Applaudissements à l'annonce du résultat du vote.)
L'IN 136 est donc déclarée invalide.
L'IN 136-A est close.
Le Grand Conseil prend acte du rapport de commission IN 136-B.