République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 12 octobre 2006 à 20h30
56e législature - 1re année - 12e session - 58e séance
PL 9801-A
Suite du premier débat
Le président. Nous sommes au point 21 de l'ordre du jour. Nous reprenons nos travaux là où nous les avions laissés. J'invite les rapporteurs de majorité et de minorité, Mme Fabienne Gauthier et Mme Emery-Torracinta, à regagner la table des rapporteurs, bien qu'elles n'aient plus la parole et je la donne à M. le député Christian Brunier.
M. Christian Brunier (S). Je voudrais quand même rappeler à propos de quoi on est en train de débattre. Parce que la dernière personne qui s'est exprimée sur le projet de loi avant la pause, c'est Mme Bartl de l'UDC, qui, visiblement, n'avait pas lu notre projet de loi puisqu'elle a fait toute une intervention en disant qu'elle était totalement opposée aux quotas et qu'elle ne voulait pas qu'on réserve dans ce parlement la moitié des sièges aux femmes et l'autre moitié aux hommes. Malheureusement, ce n'est pas du tout ce qu'indique notre projet de loi.
Une voix. Dommage !
M. Christian Brunier. Et pourtant nous sommes pour les quotas ! Pour permettre aux femmes d'entrer dans les parlements. Néanmoins, nous prenons en compte la volonté populaire - il y a eu un vote populaire, il y a quelques années, qui a montré que le peuple n'en voulait pas. Donc, nous avons fait un projet de loi qui tient compte de cela. (Brouhaha.) Nous avons fait un projet de loi...
Le président. Excusez-moi, Monsieur le député ! Messieurs, Mesdames, ceux que les quotas n'intéressent plus, parce que les dames ne sont plus de la partie, peuvent se taire ou se retirer dignement. La parole est aux messieurs pour un court moment, et à eux seuls. Monsieur Brunier, veuillez poursuivre.
M. Christian Brunier. Merci, Monsieur le président. Notre projet de loi demande une seule chose, c'est d'offrir un choix à la population et des listes proposant une parité entre les hommes et les femmes. Ensuite, la population a toute la liberté de choisir si elle a envie d'avoir un parlement composé en grande majorité de femmes ou en grande majorité d'hommes, c'est le choix de la population, exprimé à travers le vote. Nous voulons juste un équilibre sur les listes, ce qui n'est aujourd'hui pas le cas. (Brouhaha.)
Mme Gautier, rapporteure de majorité, nous dit qu'il ne faut pas légiférer, qu'il faut laisser le choix aux partis. Or, Madame Gautier, vous savez très bien qu'il y a déjà quelques années un tel projet avait été soumis au parlement et que déjà la droite avait dit que c'était un mauvais projet. Mais la droite disait qu'elle avait conscience qu'il fallait plus de femmes au parlement... On nous a dit qu'il fallait faire confiance aux partis... Alors, nous avons fait confiance, non par choix mais par obligation, vu que vous aviez shooté notre projet de loi à l'époque.
Alors, on se retrouve environ quatre ans plus tard et il y a eu une élection cantonale dans l'intervalle. Vous aviez le choix de faire progresser les femmes de vos partis. Quel est le résultat ? UDC: 1 femme sur 11 députés; MCG: 1 femme sur 9; parti libéral: 5 femmes sur 23; PDC: 3 femmes sur 12; parti radical: 3 femmes sur 12. Donc, on a laissé le choix aux partis et le résultat n'est pas fameux ! Il y a deux partis qui ont décidé de prévoir des contraintes: dans les statuts des Verts et ceux du parti socialiste, il y a aujourd'hui la notion de parité des listes. (Exclamations. Remarques.) Mesdames, Messieurs, le résultat il est là ! Sur 17 élus du parti socialiste, il y a 11 femmes. Et sur 16 élus Verts, il y a 10 femmes. (Remarques. Brouhaha.) On voit bien que lorsque le parti... (Manifestation dans la salle.)
Le président. Qu'est-ce qui vous arrive, Mesdames et Messieurs les députés ? Vous ne voulez pas laisser parler l'orateur ? (Rires.) Monsieur Brunier, vous avez toujours la parole.
M. Christian Brunier. Merci une nouvelle fois, Monsieur le président. On aimerait plus de femmes dans ce parlement, déjà rien que pour être écouté car, visiblement, certains hommes ont une moins bonne faculté d'écoute que les femmes !
Mme Gautier écrit dans son rapport que la Suisse était quand même un modèle pour promouvoir les femmes en politique... Certains ont fait allusion à l'histoire de la Suisse, alors que l'histoire de la Suisse en la matière, j'en suis désolé, n'est pas forcément une référence ! Moi, je vais faire référence à quelque chose qui va vous faire plaisir, Mesdames et Messieurs de la droite: c'est le Forum économique mondial de Davos ! Vous ne le savez peut-être pas, mais le Forum économique mondial a lancé, il y a quelques mois, une grande étude sur le développement économique des pays à travers les femmes. Et l'un des pays européens qui est en queue de liste, c'est - il n'y en a que deux après elle - la Suisse ! La condition des femmes en Suisse donne un des pires résultats au niveau européen ! Et ce ne sont pas les partis de gauche qui vous le disent, ce ne sont pas des mouvements ultraféministes: c'est le Forum économique de Davos ! Des gens que vous n'arrêtez pas de citer en référence quand il s'agit de parler d'économie ! Comme par hasard, lorsqu'il s'agit de citer la condition de la femme, ce n'est plus votre référence.
Finalement, on nous a dit aussi que les partis n'avaient pas besoin de contraintes, qu'ils faisaient un effort, mais que, si les partis de la droite y arrivaient moins bien que ceux de la gauche, c'est qu'il était très difficile pour les femmes de droite d'être candidates... J'en suis certain ! Mais c'est difficile aussi pour les femmes de gauche ! Premièrement, il y a un attrait du pouvoir, ce qui est plutôt masculin, et deuxièmement il y a une difficulté plus grande pour une femme que pour un homme à conjuguer vie de famille, vie professionnelle et vie politique. Néanmoins, et là je vais faire l'autocritique du parti socialiste, je peux vous dire qu'au parti socialiste où les mouvements féministes sont très bien représentés, et ce depuis des années, eh bien, lorsque nous n'avions pas encore instauré de quotas, nous n'arrivions pas à trouver suffisamment de femmes pour nos listes. On pensait en avoir la volonté, mais on n'y arrivait pas... On se disait que c'était impossible, que c'était trop dur, que les conditions étaient trop périlleuses pour que les femmes se présentent et on craignait ne jamais arriver à l'équilibre. Alors, on a introduit les quotas dans nos statuts, on a eu quasiment le même débat qu'ici, et, depuis, le parti socialiste fait cet effort - parce qu'il faut se battre plus pour pouvoir inscrire une femme sur une liste - et nous réussissons aujourd'hui à respecter ce quota et à faire élire des femmes !
Donc, on voit bien que les partis politiques, même les plus féministes, ont de la peine à se mettre en mouvement s'ils n'ont pas de contraintes. Et la liberté de choix que vous voulez, sans contrainte légale, ne marchera pas - ou cela mettra des décennies ! Nous voulons contraindre les partis politiques, y compris les partis de gauche, pour permettre aux femmes d'accéder aux responsabilités, comme les hommes ont pu le faire.
On sent qu'il y a quand même une problématique dans laquelle personne n'est à l'aise, même sur les rangs de droite; vous avez tous constaté que ce serait bien qu'il y ait plus de femmes. Moi, je vous lance le défi ! Honnêtement, le travail en commission n'a pas eu lieu: vous avez consacré à peine une heure sur ce thème, il n'y a eu aucune audition et vous avez shooté ce projet de loi un peu facilement - on voit que l'habitude de ce parlement, lorsqu'il ne travaille pas bien, c'est de renvoyer les dossiers en commission.
Puisque vous voulez qu'il y ait plus de femmes dans ce parlement et puisque vous voulez aussi travailler sur d'autres solutions, nous sommes prêts à cela et à les instaurer, si vous ne voulez pas passer tout de suite à la solution législative. Nous demandons le renvoi de ce projet en commission pour, justement, instaurer ensemble un minimum de conditions pour favoriser l'ascension des femmes en politique.
Le président. Il vous faut conclure !
M. Christian Brunier. Je suis en train de demander le renvoi en commission ! Si vous êtes honnêtes dans ce que vous avez dit, et je le crois, eh bien, renvoyons le projet en commission ! Et nous ferons le bilan ensuite pour savoir si les gens sont cohérents, entre ce qu'ils disent ici et ce qui se fait réellement en commission. (Applaudissements. Commentaires.)
M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs du parti socialiste, je ne comprends pas ! Vous êtes pour les muselières ! Pour les quotas ! Ce n'est plus une démocratie que vous prônez, c'est une véritable dictature ! Où est la démocratie dans votre projet de loi, à vouloir imposer des quotas pour les femmes en politique ? (Protestations.) Où est le principe démocratique de la liberté de choix ? Imaginez-vous dans la situation où un parti n'aurait pas assez de femmes à présenter pour les élections... (Exclamations.) Nous, on les accueille les bras ouverts ! Mais ça ne se trouve pas aussi facilement. Qu'est-ce que ça donnerait comme situation, Monsieur le président ? Eh bien, la démocratie, c'est-à-dire le vote populaire, l'expression la plus forte de la démocratie dans les arcanes de la République genevoise, ne serait plus respectée ! Vous le dites vous-même: 45% de représentantes du sexe féminin sur la liste ! Mais alors, il faudrait prendre n'importe qui parce qu'on ne va pas trouver ! (Protestations.) Aucune expression démocratique !
Mesdames et Messieurs, j'aimerais quand même vous dire que je suis aussi un fervent défenseur de l'égalité hommes-femmes. J'en veux pour preuve, Monsieur le président, que je suis le seul homme à siéger dans la commission consultative de l'égalité, exception faite du conseiller d'Etat ici présent qui siège d'office. Vous m'avez bien compris: je suis le seul représentant du sexe masculin à vouloir défendre le statut des femmes ! (Exclamations.) Oui, mais pas en imposant des quotas ! C'est antidémocratique, il faut laisser la liberté ! Vous qui prônez cette liberté et cette ouverture, quand nous avons voulu mettre des quotas pour les frontaliers vous avez crié à la xénophobie ! Et aujourd'hui, vous voulez mettre des quotas sur les femmes ! Mais où allons-nous ?! Où est cette logique démocratique que vous prônez ?!
Monsieur le président, en l'occurrence nous refuserons de voter ce projet de loi et nous refuserons le renvoi en commission, parce qu'il n'y a juste rien à dire ! Votre projet de loi n'est pas bon !
Mme Véronique Pürro (S). Monsieur le président, avant d'intervenir sur le projet de loi, j'aurais souhaité savoir si vous comptiez encore donner la parole aux deux rapporteures ?
Le président. Madame, puisque vous me posez la question, je dois vous renvoyer à l'article 78A de la loi portant règlement du Grand Conseil, qui ne prévoit pas d'exceptions pour les rapporteurs lors de la clôture d'une liste, à la différence d'autres dispositions comme l'article 73 ou l'article 78. En conséquence de quoi et à grand regret je ne leur donnerai pas la parole. Mais je vous la donne à vous, parce que vous vous étiez inscrite avant la clôture de la liste.
Mme Véronique Pürro. Si je souhaitais intervenir, c'était pour faire part à la fois de mon étonnement et de ma déception. Mon étonnement, d'une part, à la lecture des deux rapports, lecture qui m'a appris que la commission n'avait consacré qu'une seule et unique séance de commission à ce sujet. Permettez-moi de vous dire que ça me choque ! Parce qu'on peut très bien ne pas être d'accord avec ce que le projet de loi propose, mais traiter en deux ou trois coups de cuiller à pot un sujet aussi important que la place des femmes en politique alors qu'on est capable de faire traîner d'autres projets sur des dizaines de séances, permettez-moi de vous dire, Mesdames et Messieurs les députés, que je trouve que c'est particulièrement choquant.
Deuxième déception, c'est le constat, triste, voire déprimant, fait tout à l'heure par nos collègues femmes de droite. Qu'avons-nous entendu de leurs bouches ? Les femmes ne seraient pas suffisamment nombreuses; les femmes ne seraient pas assez compétentes; les femmes auraient des obligations, notamment familiales, qui ne leur permettraient pas d'assumer les charges parlementaires. Mesdames les députées de droite, regardez le résultat de votre politique et de vos discours ! Parti radical genevois: 12 sièges, 3 femmes. (Protestations.) Parti libéral: 23 sièges, 5 femmes... (Remarque. Brouhaha.) Je crois que c'est important de le rappeler, Madame Hagmann ! Parti démocrate-chrétien: 12 sièges, 3 femmes. Je vais quand même parler de l'UDC et du MCG, même si c'est presque marginal dans le sujet qui nous préoccupe ce soir... UDC: 11 sièges, 1 femme....
M. Claude Marcet. Elle est mignonne !
Une voix féminine. C'est le seul attribut d'une femme ?
Mme Véronique Pürro. ... MCG: 9 sièges, 1 femme. Effectivement, Monsieur Marcet, si la seule préoccupation qui vous anime s'agissant des femmes, c'est de savoir jusqu'où va leur décolleté, c'est vrai que, là, les vôtres battent tous les records. (Huées et applaudissements.)
Une voix masculine. Jalouse !
Une autre voix masculine. C'est pas la quantité qui compte ! (Brouhaha.)
Mme Véronique Pürro. Mesdames les députées de droite, de quoi avez-vous peur, finalement ?
Une voix masculine. Des quotas !
Mme Véronique Pürro. Pensez-vous réellement, comme vous l'avez laissé entendre précédemment, que les femmes ne sont pas suffisamment compétentes ? Pensez-vous très honnêtement que tous les hommes qui siègent dans cette enceinte sont tous très compétents ?
Je ne vais pas vous faire le total des femmes élues au sein de la gauche par rapport au nombre de sièges dans ce parlement, mais je crois que vous le voyez, en face de vous, chaque fois que nous siégeons dans cette enceinte. Ne vous êtes-vous jamais demandées, Mesdames les femmes de droite, parce que c'est bien à vous que j'ai envie de m'adresser ce soir, pourquoi nous sommes à gauche beaucoup plus nombreuses que vous ne l'êtes à droite ? La raison en est toute simple, M. Brunier l'a très justement dit tout à l'heure, c'est parce que les partis de gauche - les Verts et le parti socialiste - ont cette préoccupation de constituer des listes paritaires où les femmes ont toute leur place ! Et je vous assure qu'il y en a suffisamment dans nos rangs. Il n'y a pas de raison que des femmes qui ont des opinions de droite, qui partagent vos points de vues, ne soient pas également nombreuses.
Je sais très bien quelle va être l'issue de ce vote, mais ce qui me déçoit énormément, c'est que vos partis vous envoient, vous, Mesdames les femmes de droite, vous prononcer sur ce genre de sujets alors que vous ne vous exprimez pas très souvent. (Sifflets.)
Le président. C'est inadmissible ! C'est totalement inadmissible ! Je ne sais pas qui s'est permis cette liberté...
Une voix féminine. Une femme libérale... qui ne s'exprime pas très souvent !
Le président. Je préviens que si je constate une nouvelle manifestation de mauvaise éducation de ce genre, d'une part la séance sera suspendue et, d'autre part, les impétrants feront l'objet de sanctions ! La parole est à M. le conseiller d'Etat Laurent Moutinot.
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Dans un débat précédent, M. le député Aubert avait usé de l'image du verre à moitié plein et du verre à moitié vide. C'est la même image que j'utiliserai dans ce débat. Le verre à moitié plein, c'est qu'il y a une volonté de promouvoir les femmes en politique que je constate sur tous les bancs. Le verre à moitié vide, c'est qu'il n'y a pas grand monde pour mettre tout cela en pratique.
Par conséquent, ce qu'il appartiendra désormais de faire au Conseil d'Etat et au Service pour la promotion de l'égalité, ce sera de revenir devant votre Grand Conseil avec des propositions concrètes, de diverses natures, qui porteront aussi bien sur des mesures incitatives, des mesures d'information, des mesures facilitatrices, que sais-je encore, afin que, dans un temps qui soit le plus rapproché possible, les principes d'égalité, contenus dans la Constitution fédérale et dans la constitution genevoise, que nous avons la charge de mettre en oeuvre, puissent être respectés également en ce qui concerne la participation des femmes dans les organes politiques. (Applaudissements.)
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 9801 à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil est rejeté par 45 non contre 23 oui.
Une voix. Je demande l'appel nominal !
Le président. Cette demande étant soutenue, nous procédons ainsi.
Mis aux voix à l'appel nominal, le projet de loi 9801 est rejeté par 48 non contre 23 oui et 1 abstention.