République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 9755-A
Rapport de la commission des finances chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat renouvelant un crédit de fonctionnement de 298'500F en 2006 et de 300'000F en 2007, 2008 et 2009 au titre de subvention cantonale annuelle en faveur du Théâtre du Loup

Premier débat

Mme Janine Hagmann (L). Vous avez tous remarqué, Mesdames et Messieurs les députés, que notre collègue Mettan innove dans la manière de rédiger un rapport... Je me permets donc humblement, à mon tour, d'innover dans mon intervention, quitte à faire se retourner Victor Hugo dans sa tombe.

«Ô combien de plaideurs, combien de quémandeurs

Qui sont partis joyeux réclamer des faveurs,

Dans ce morne horizon se sont évanouis !

Combien ont disparu, dure et triste fortune,

Lâchés par un Etat qui n'a pas trop de thunes

Et qui parfois dit: non ! vraiment, c'est inouï !

Combien de crédits morts avec leurs équipages !

Pourtant justifiée leur ampleur semblait sage,

Disaient les quémandeurs, qui surfent sur les flots !

Nul ne saura leur fin dans l'abîme plongée.

Chaque vague en passant d'un butin s'est chargée;

L'une a cassé la quête et l'autre ses héros !

Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues !

Vous roulez à travers les sombres étendues,

Heurtant de vos fronts pâles des écueils inconnus.

Ô que de spectateurs, qui n'avaient plus qu'un rêve,

Apprennent tristement la nouvelle de Genève:

Au Théâtre du Loup: cruelle déconvenue !

On s'entretient de vous parfois dans les veillées.

Maint joyeux cercle assis, la pupille mouillée,

Mêle encore quelque temps vos noms d'ombre couverts

Aux rires, aux redites, aux récits d'aventures,

Aux slogans politiques percutants du futur,

Tandis que vous dormez derrière des rideaux verts !

On s'interroge aussi: ce théâtre survit-il ?

Nous a-t-il délaissés pour un bord plus fertile ?

Les souvenirs élogieux tout à coup ressurgissent:

Comédie, tragédie, chaque pièce est bonne à voir !

Mise en scène et décors, on ne broie pas du noir !

Impossible qu'une telle troupe quitte Genève ou périsse !

Bientôt, des yeux de tous, votre ombre est apparue,

Citoyens, citoyennes descendent dans la rue:

«Subvention ! Subvention !» réclament-ils en choeur.

Les politiques, sensibles, ne peuvent plus attendre,

Parlent encore de vous, en justifiant de rendre

Le crédit demandé, un peu à contre-coeur.

Voilà pourquoi, Mesdames, Messieurs les députés,

Conscients que c'est utile, en plus de qualité,

Et un apport précieux à l'offre de culture,

Suivons les conclusions de ce drame en deux actes,

Créé au mois de mars, à huis clos, par un pacte,

Et, pour cette subvention, desserrons la ceinture !»

(Applaudissements.)

Le président. Monsieur Pierre Kunz, vous avez la parole pour autant que vous vous exprimiez en vers et, au minimum, en alexandrins ! (Rires.)

M. Pierre Kunz (R). Merci, Monsieur le président, mais j'avoue n'avoir jamais appris autre chose que la prose... Vous m'excuserez !

Une voix. Et sans le savoir !

M. Pierre Kunz. Et sans le savoir ! (Rires.) Cela dit et sans vouloir crier «Au loup !», les radicaux aimeraient profiter du texte qui nous occupe pour souligner, à l'attention du Conseil d'Etat, combien, dans le domaine culturel, aussi, il nous paraît nécessaire que notre gouvernement entreprenne le travail qu'il a commencé d'effectuer dans d'autres domaines en matière de subventions des associations.

Nous voulons parler en premier lieu de la manière dont il traite, filtre - ou ne filtre pas - analyse - bien ou mal - les demandes de subvention qu'il reçoit des associations. C'est en effet, le message que nous aimerions faire passer une fois de plus: le rôle du Conseil d'Etat, il faut le rappeler, consiste à étudier les demandes, en faire une synthèse, la plus efficace et la moins coûteuse possible, puis - puis, seulement ! - soumettre le résultat de son analyse au Grand Conseil. Comment, sans cela, pourrions-nous effectuer notre travail convenablement ? Comment pourrions-nous trancher efficacement ? Comment pourrions-nous voter raisonnablement ? (L'orateur est interpellé par M. Etienne Barrillier.) Trancher ou retrancher: effectivement ! (Rires et exclamations.)

En second lieu, il s'agit pour le Conseil d'Etat de fixer au plus vite, dans le domaine culturel aussi, une répartition efficace et raisonnable des tâches avec les communes et la Ville. Avec les communes, et surtout la Ville ! Nous demandons que soit mis un terme aux doubles financements commune/Etat et ville/Etat, si nombreux actuellement. Des doubles financements qui, sans aucun doute, conduisent au gonflement non indispensable des dépenses des associations.

Les radicaux invitent, dans ce contexte, le Conseil d'Etat à viser la fin de son engagement direct dans les théâtres. Le subventionnement de ceux-ci doit être pris exclusivement par les communes, moyennant - moyennant ! - sous une forme ou sous une autre, de la part de l'Etat, une contribution annuelle globale, aisément contrôlable par ce Grand Conseil, aux communes concernées.

Alors, Mesdames et Messieurs, dans l'attente de ce monde où, en matière culturelle, tout ne sera plus que calme, douceur et volupté, les radicaux vous incitent à suivre le rapport de M. Mettan.

Le président. Merci, Monsieur le député. La fin n'était pas mal ! La parole, pour une saynète ou un quatrain, est donnée à M. Henry Rappaz...

M. Henry Rappaz (MCG). Le loup dont je veux vous parler n'est pas le loup carnassier du Mercantour... Un large public composé de députés, d'adolescents, d'artistes, d'amoureux du spectacle - qui le connaissent, qui l'ont observé - sait combien il est indispensable à notre environnement, ce théâtre ! Il vous prie donc de lui faire un bon accueil dans notre enceinte, parce que, vous l'aurez sans doute compris, c'est bien du Théâtre du Loup dont qu'il est question !

Aussi, c'est en choeur que le Mouvement Citoyens Genevois lance à son tour un appel d'encouragement à la meute de parlementaires pour que soit accordée à ce théâtre la subvention indispensable à sa survie ! (Des députés imitent le hurlement du loup.)

Le président. Merci, merci ! Madame la députée Virginie Keller Lopez, avez-vous quelque poésie à ajouter à ce florilège ?

Mme Virginie Keller Lopez (S). Je voudrais rappeler à M. Kunz qu'il n'est pas si facile dans le domaine de la culture de séparer les communes de l'Etat. Depuis de nombreuses années, le travail du Théâtre du Loup - et j'ai l'impression que vous l'appréciez tous, dans cette enceinte - s'est réalisé patiemment. Il lui a fallu, année après année, convaincre la commune de la Ville de Genève, puis convaincre - année après année aussi - les députés ici présents, afin de pouvoir, toujours année après année, bricoler des petits budgets pour faire fonctionner ce théâtre, et cela au ravissement de tous et de toutes aujourd'hui.

C'est facile, Monsieur Kunz, de nous dire qu'il faut cesser tout double financement ! Mais si ces réalisations existent - et que vous saluez aujourd'hui tous ensemble, vaillamment - c'est bien parce que des conseillères et conseillers municipaux et des députées et députés se sont battus pendant des années pour que ces projets aboutissent ! Demander aujourd'hui que l'Etat ne se préoccupe plus de culture, Monsieur Kunz, n'est-ce pas aller à l'encontre de tous les ponts qui ont été construits durant des décennies, entre notre système éducatif et tous ces théâtres, avec les concerts et orchestres que vous connaissez, que vous subventionnez et que vous soutenez ?

En lisant le rapport sur le Théâtre du Loup, on salue non seulement l'esprit de créativité de ses membres, leur humour, leur capacité de rassembler les Genevoises et les Genevois autour de leurs spectacles, mais aussi le travail extrêmement important effectué en lien avec le DIP: les spectacles, l'aspect scolaire, les stages et cours. Et c'est cet édifice, Monsieur Kunz, construit patiemment entre le DIP et la culture, le résultat d'une collaboration très importante entre la Ville de Genève et l'Etat, que vous mettez en danger ! Il n'est pas si simple que chacun reprenne ses billes aujourd'hui sans mettre en danger cette structure...

Des discussions ont déjà eu lieu à propos des répartitions - de même que l'on traitait hier, au point 65, du projet de loi 9902 sur les répartitions dans le domaine social - et il est important d'en parler. Le conseiller d'Etat, je crois, le fait avec le magistrat de la Ville depuis quelque temps déjà, mais il n'est pas aussi simple de se répartir les tâches, le théâtre pour l'un, la musique pour l'autre, etc. Les personnes qui, patiemment, travaillent dans le domaine de la culture et de l'éducation savent que bien des projets sont liés à la collaboration. Et il me semble un peu simpliste de parler aujourd'hui de doublons, je préfère parler de collaboration.

Au parti socialiste, nous sommes très contents de voter ce projet de loi, qui pérennise le travail effectué depuis des années pour la réalisation de ces projets. En effet, des personnes devaient venir chaque année défendre leur subvention et leur travail devant des commissions; aujourd'hui, notre plénum a la sagesse de reconnaître ce travail, de le pérenniser par un contrat valable plusieurs années. Nous espérons que nous pourrons - ici, au Grand Conseil - continuer à soutenir cet aspect de la vie, essentiel et indispensable quand il s'agit du besoin de respect, de culture et d'éducation. Il faut donc continuer à subventionner ces projets culturels !

Mme Véronique Pürro (S). Je souhaite également répondre à notre collègue, M. Kunz. Pour avoir travaillé pendant quasiment deux ans sur la question de la répartition des institutions privées subventionnées par la Ville et par le canton dans le domaine du social et de la santé, je suis en mesure de dire que l'on ne peut pas du tout comparer ce domaine avec celui de la culture, et cela pour plusieurs raisons. J'aurais voulu en évoquer au moins une, celle des compétences des institutions publiques. En effet, si dans le domaine du social et de la santé, l'Etat et les communes délèguent à des associations privées qu'elles subventionnent des compétences qui sont généralement reconnues comme étant les leurs, il n'en est pas de même s'agissant de la culture.

Dans le domaine du social et de la santé, nous avons en général des bases légales et, bien souvent, nous confions certaines missions de ces dernières à des institutions privées. Vous les connaissez, puisque certains d'entre vous font partie de leurs comités. En réalité, il s'est créé une véritable logique pour éviter - non pas les doublons, parce que l'on n'a jamais octroyé doublement une subvention - les difficultés liées au fait qu'une subvention provenait de deux entités différentes, en répartissant les subventions selon les compétences qui sont fixées, comme je vous l'ai dit, dans les bases légales.

Mais il n'en va pas du tout de même au niveau de la culture. On ne peut pas dire que le domaine de la culture est aussi vaste et complexe que celui du social et de la santé, mais, si nous souhaitons assurer la diversité culturelle dans tous les domaines de la culture et sous toutes ces facettes, il est important que nous assurions une diversité de subventionnements et que les communes puissent soutenir certains projets moins importants, alors que certains projets nécessitent un subventionnement plus conséquent réparti sur les communes et le canton.

Ce sujet doit être abordé avec une véritable une rigueur intellectuelle. Il ne faut pas vouloir mettre ce qui a été fait dans le domaine du social et de la santé dans le même trend. Parce que ces domaines ne sont pas comparables, Monsieur Kunz ! Même si votre idée est bonne à la base, elle est peu applicable dans le domaine de la culture. Ce que nous pourrions peut-être suggérer aux magistrats - mais peut-être le font-il déjà - c'est de reprendre dans le domaine culturel la première étape que nous avons effectuée dans le domaine social et de la santé. C'est-à-dire que les personnes qui font des demandes de subventionnement n'aient plus à présenter des dossiers différents; qu'une institution culturelle subventionnée par le canton, qui doit produire un rapport d'activité - ce qui est normal - et un rapport aux comptes, puisse produire le même rapport, avec le même type d'informations, aux communes qui la subventionnent.

M. Pierre Weiss (L). Je n'ai pas besoin de faire l'exégèse des propos de mon collègue Kunz... Je crois qu'il va prendre à nouveau la parole pour clarifier les propos qu'il a tenus tout à l'heure.

Je trouve qu'il faut pas mal de culot, le jour même où la Ville annonce la suppression de sa subvention à quatre écoles de musique, pour vanter la qualité de sa politique ! De ce point de vue, il me semble qu'un dérapage aurait pu être évité dans des interventions précédentes. Une répartition claire des compétences est nécessaire, y compris en matière culturelle, que ce soit le canton ou que ce soit la Ville ! Mais le mélange actuel contribue à des complexités, voire à des inefficiences importantes !

Pour notre part, nous voterons la subvention au Théâtre du Loup, parce que nous considérons que ce théâtre fait un excellent travail, et il le fait à des coûts qui sont remarquables, compte tenu de la qualité des spectacles qui sont fournis et des moyens qui sont mis à sa disposition. Mais, de grâce, que l'on ne vienne pas nous servir l'antienne sur l'aide inespérée que peut apporter la Ville, quand on voit ce qu'elle fait par ailleurs !

M. Eric Bertinat (UDC). Une partie de mon intervention est similaire à celle de Pierre Weiss, à savoir qu'il conviendrait tout de même d'avoir une répartition des tâches claire. La culture, c'est plutôt le rôle de la Ville, à voir le budget qu'elle y consacre; il serait donc judicieux, à mon avis, de définir son rôle.

La deuxième remarque que je veux faire porte sur les nombreuses associations qui nous sollicitent. Aujourd'hui, c'est le Théâtre du Loup, qui fait du bon travail - tout le monde l'a reconnu en commission. Mais quand nous avons fait remarqué à ses représentants que les finances du canton étaient en grande difficulté et que nous attendions de chacun qu'il fasse un effort - eux y compris - par exemple, en diminuant de 10% leur subvention et en la reportant dans leur prestation, peut-être en faisant un spectacle de moins, une économie ici ou là, nous avons reçu une fin de non recevoir: ils nous ont expliqué que cela était absolument impossible. C'est, du reste, pratiquement la même chose pour toutes les associations qui nous sollicitent et à qui nous demandons de réfléchir à l'état désastreux de nos finances.

Nous nous sommes donc abstenus, et nous nous abstiendrons encore lors de ce vote. C'est une manière de reconnaître le bon travail qui s'y fait, mais, aussi, de manifester notre dépit face à toutes ces associations qui nous sollicitent et qui ne sont pas prêtes à faire des efforts pour nous aider à redresser les finances.

M. Pierre Kunz (R). Si j'ai bien compris, nos collègues socialistes qui se sont exprimées ont compris que les radicaux soutenaient la subvention... C'est déjà ça !

Par contre, il me semble qu'elles n'ont pas bien compris la suite: les radicaux ne proposent pas que l'Etat se retire de la vie culturelle du canton. Ils proposent l'adoption, en quelque sorte, pour les associations, de ce que l'on appelle dans d'autres domaines le «guichet unique» ! Un guichet unique qui serait financé dans chaque commune par une contribution cantonale annuelle, que ce parlement pourrait contrôler correctement et dont la commune disposerait pour mener sa politique culturelle. Il ne s'agit donc pas non plus d'un transfert de charges, mais bien d'une répartition intelligente entre ceux qui disposent de moyens financiers, mais qui sont éloignés de la culture - à savoir nous - et les communes qui, elles, n'ont peut-être pas toujours les moyens financiers, mais qui savent quels sont les lieux où se déroule la vie culturelle.

M. Roger Deneys (S). Je voulais m'inscrire en faux contre les propos de M. Weiss... Car la Ville de Genève fait des efforts extraordinaires en matière de culture ! Et je vous rappelle que si elle doit prendre des mesures concernant les écoles de musique, c'est parce que nous - le Grand Conseil - imposons des charges supplémentaires aux communes ! Dans ce sens, nous les mettons dans des situations très délicates.

En ce qui me concerne, je trouve que la Ville de Genève a tort avec les mesures qu'elle a prises à l'égard des écoles de musique, elle ferait bien mieux de diminuer la subvention au Grand Théâtre et de mettre le Grand Conseil devant ses responsabilités !

Une remarque a été faite concernant les équipements du Théâtre du Loup. Le Théâtre du Loup fait un travail exceptionnel, c'est reconnu. Vous suggérez, Monsieur Bertinat, qu'il fasse un spectacle en moins... Je suis désolé de vous le dire, mais je trouve cela ridicule. Si un théâtre existe, c'est pour que des personnes y travaillent, pour qu'il soit utilisé à longueur d'année qu'il soit reconnu ! Et au niveau cantonal, on n'a aucune leçon à donner quand on pense au stade de la Praille qui a coûté une fortune, soit bien plus cher que ce théâtre, et qui n'a rien rapporté à personne à ce jour !

M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Je remercie la commission des finances et M. Guy Mettan pour la qualité de son rapport. Je relève simplement que les débats sur la répartition des tâches, notamment traitée par vous-mêmes à travers la Conférence culturelle il n'y a guère plus d'une année, nous donneront la possibilité de revenir sur ces questions.

Pour l'instant, je vous remercie de soutenir cette subvention et le Conseil d'Etat.

Le président. Nous avons donc achevé ce débat... Je voudrais à mon tour saluer l'originalité et la mise en page du travail de M. le rapporteur Mettan. Comme Cyrano, on aurait pu dire: «Ô Dieu, bien des choses en somme !» Et avec Victor Hugo, choisi par Mme Janine Hagmann, on aurait pu dire, parodiant «La légende des siècles»: «2006 ! Ô temps où des Genevois sans nombre attendaient prosternés sous un nuage sombre que ce Conseil eût dit oui !» Ou encore, plus politique, tirée de «Ruy Blas», cette apostrophe: «Bon appétit, Messieurs ! Ô ministres intègres !» (Rires.)

Mis aux voix, le projet de loi 9755 est adopté en premier débat par 57 oui et 6 abstentions.

La loi 9755 est adoptée article par article en deuxième débat et en troisième débat.

Mise aux voix, la loi 9755 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 59 oui et 3 abstentions.

Loi 9755