République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 22 juin 2006 à 17h
56e législature - 1re année - 10e session - 45e séance
GR 446-A
M. Antoine Droin (S), rapporteur. M. S.A. est né le 10 octobre 1956, il est espagnol et en possession d'un permis C. En 2003, il a été condamné pour escroquerie à une peine de prison de six mois avec sursis de cinq ans et à une expulsion de cinq ans avec sursis de cinq ans. M. S.A. n'ayant pas effectué de peine préventive, il lui reste donc une peine de six mois avec sursis.
M. S.A. est né en Espagne - son père était saisonnier dans les années 60 à Genève - et, en 1974, il a émigré en Suisse, a appris le français et a été élève à l'Ecole hôtelière de Lausanne. Après un séjour dans son pays d'origine, M. S.A. a hésité à retourner en Espagne et à entrer au séminaire pour devenir prêtre, mais il a finalement renoncé à cette voie.
En 1978, M. S.A. a été diplômé de l'Ecole hôtelière; il a travaillé dans différentes entreprises, comme aide-cuisinier d'abord, puis comme cuisinier et enfin comme maître d'hôtel. En 1982, il a épousé Mme J.A. avec laquelle il a eu deux enfants qui suivent aujourd'hui une formation. En 1988, M. S.A. a ouvert une station-service avec son frère. De 1993 à 1995, alors qu'il exploitait cette station d'essence, il a eu plusieurs accidents dont certains l'ont atteint dans sa santé physique. Suite à cela, il a connu des phases de dépression importantes. Dans un premier temps, il a été au bénéfice de la CNA - la SUVA d'aujourd'hui - et, après différentes hospitalisations, il a obtenu une prestation de l'assurance-invalidité. En 1999, son épouse s'est retrouvée au chômage, mais en 2000 elle a retrouvé du travail temporaire et depuis 2006 elle occupe une place fixe dans une grande entreprise genevoise.
Différents frais médicaux sont à la charge de M. S.A. pour ses deux enfants: sa fille a énormément de difficultés scolaires et c'est pourquoi M. S.A. l'a placée dans une école privée; quant au fils de M. S.A., il pesait 130 kilos à l'âge de 12 ans et, en raison de ce poids, il a attrapé des virus. La famille a donc dû assumer d'énormes frais de traitement pour que la santé de ce fils s'améliore.
En 1994, M. S.A. a fait faillite avec sa station d'essence et sa dette s'est élevée à 150 000 F. Par la suite, il a ouvert un garage avec son frère, mais ses problèmes de santé étaient trop importants. Finalement, l'entreprise a été détruite par un incendie et tous les investissements de M. S.A. ont été anéantis.
Entre le moment où la CNA - SUVA - et, ensuite, l'AI ont tranché, M. S.A. a été au bénéfice d'une aide de l'Hospice général, et c'est là qu'intervient l'escroquerie. Durant la période où il était à l'Hospice général, il a fait quelques extras dans des restaurants, mais ne les a naturellement pas déclarés. En 2003, l'Hospice général a découvert que M. S.A. travaillait et qu'il avait réalisé des gains pour environ 38 500 F. En décembre 2003, M. S.A. a eu recours à son avocat et a pu trouver un arrangement avec l'Hospice général afin de rembourser 300 F par mois. M. S.A. a si bien remboursé qu'il l'a fait au-delà du contrat passé avec l'Hospice général. En effet, quand il le pouvait, M. S.A. remboursait plus que les 300 F mensuels, ce qui lui a permis de verser plus de 7 000 F en dix-huit mois.
Pendant ce temps, la procédure pénale suivait son cours et M. S.A. a été condamné sans même que son avocat ait pu être entendu; M. S.A. a alors paniqué, car sa famille n'était pas au courant de toute cette problématique, et il n'a pas réagi à temps auprès de son avocat, dépassant ainsi le délai d'opposition.
Suite au jugement, la CNA a déduit une partie de ce que M. S.A. reçu touché rétroactivement, c'est-à-dire une somme de 185 000 F. En touchant une partie de ce que la SUVA lui devait - et qui était un précédent à la phase durant laquelle il recevait des montants de l'Hospice général - M. S.A. a encaissé un peu plus de 78 000 F, ce qui lui a permis de payer d'un coup le solde dû à l'Hospice général, soit plus de 30 000 F
Dès 2002, M. S.A. s'est inscrit dans une entreprise d'emplois temporaires et il a trouvé du travail, en fonction de son état de santé, auprès d'entreprises genevoises. En 2004, M. S.A. a obtenu un poste de maître d'hôtel à 50% dans une grande banque genevoise; cette dernière se dit prête à l'engager à 100%, mais elle souhaiterait que M. S.A. ait un casier judiciaire vierge. Si l'on tient compte de ce que toutes les dettes ont été remboursées - sauf un petit arrangement effectué avec l'administration fiscale, à laquelle il doit encore 8 000 F - et vu l'attestation que cette grande banque a établie concernant un engagement à 100% si le casier de M. S.A. était vide, M. S.A. et son avocat ont déposé une requête un peu curieuse: ils ont demandé que le sursis de cinq ans soit abrégé en le ramenant au jour de notre décision, ce qui n'a finalement aucune influence sur l'annulation de son casier judiciaire.
Après discussion, la commission estime que la suite des événements leur appartiendra par rapport à la radiation du casier judiciaire, mais qu'en l'état il est important de répondre favorablement à la demande de grâce et d'abréger ainsi le délai d'épreuve de cinq ans en le ramenant au jour de notre décision. Donc, la commission a voté en faveur de la grâce par 8 oui et 2 abstentions.
M. Jean-Michel Gros (L). Vous me savez en général assez sévère à la commission de grâce, mais là, il s'agit véritablement d'un cas de réinsertion fantastique.
A l'époque, cette personne a escroqué l'AI et l'Hospice général, mais elle est complètement réinsérée dans la société depuis lors. En effet, M. S.A. a remboursé toutes les sommes qui lui ont été retenues et il a retrouvé un emploi. Il ne lui manque plus que la radiation de son casier judiciaire, qu'il demandera par la suite si nous lui accordons la grâce - il n'est pas sûr que son casier judiciaire soit radié.
Il faut donner une chance à M. S.A., et il y a véritablement un élément nouveau: sa volonté de réinsertion, qui s'est manifestée par des faits concrets. C'est pourquoi je vous demande aussi de lui accorder la grâce de... de ce qu'il demande... C'est un peu compliqué, c'est vrai ! (Brouhaha.)
Une voix. Il ne veut pas passer à l'échafaud !
M. Olivier Jornot (L). J'ai été tout à fait convaincu par les explications du rapporteur et par celles de M. Gros quant à l'opportunité d'accorder cette grâce, même si je n'ai pas tout à fait bien compris les propos du rapporteur lorsqu'il a déclaré que M. S.A. n'avait «naturellement» pas déclaré les revenus intermédiaires: on ne sait pas à quoi le «naturellement» faisait allusion.
J'aimerais intervenir par rapport à ce que M. Droin a qualifié de «requête un peu curieuse» et que M. Gros n'a pas pu nous expliquer en raison de sa complexité, à savoir la problématique de la réduction du délai d'épreuve. Vous savez que lorsqu'une peine est assortie du sursis, l'autorité de jugement fixe une durée qui est le délai d'épreuve pendant lequel le condamné ne doit pas commettre de nouvelles infractions. C'est donc une règle de comportement parfaitement normale qui est assortie à un très grand nombre de sanctions prononcées par les tribunaux.
J'aimerais vous faire part du fait que, à mon sens, la réduction du délai d'épreuve doit impérativement rester «l'exception de l'exception» ! Car la grâce est déjà une exception en tant que telle. Mais le fait de commencer à tripatouiller le délai d'épreuve, soit de dire aux gens qu'à partir de maintenant ils ont de nouveau le droit de commettre des infractions sans que le sursis précédent ne risque d'être révoqué, est quelque chose de dangereux.
Je dis cela à titre de réflexion, à l'égard de mes collègues fort estimés, M. Droin, de la commission des grâces, en leur conseillant de manipuler ce genre de concept avec précaution.
M. Antoine Droin (S), rapporteur. Monsieur Jornot, j'aimerais pouvoir retirer le mot malheureux de «naturellement», car il n'était pas du tout volontaire de ma part. Je prie la personne qui a demandé la grâce, de même que vous, de m'en excuser.
Mis aux voix, le préavis de la commission (abrègement du délai d'épreuve de cinq ans de la peine d'emprisonnement et de l'expulsion en la ramenant au jour de la décision du Grand Conseil) est adopté par 51 oui contre 9 non et 8 abstentions.