République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 19 mai 2006 à 20h30
56e législature - 1re année - 8e session - 39e séance
M 1678
Débat
M. François Gillet (PDC). Cette motion demande en substance qu'il soit procédé à un état des lieux du problème de l'endettement des jeunes à Genève. Tant sur l'ampleur du phénomène, qui a tendance à s'aggraver, que sur les actions menées, aujourd'hui dans ce domaine, par les services sociaux ou par les associations qui s'en occupent.
Quel est le contexte? La presse s'en est fait l'écho récemment, nous assistons actuellement en Suisse - et Genève ne fait pas exception - à une précarisation de la jeunesse de ce pays. Il est vrai qu'à Genève en particulier, et nous l'avons déjà évoqué, le chômage des jeunes contribue à aggraver la situation de cette catégorie de la population. Il est également important de rappeler que la pression sociale, dans une société de consommation telle que la nôtre, incite de nombreux jeunes à consommer, sans forcément en avoir les moyens. Aujourd'hui, les études sur le plan fédéral montrent que ce phénomène s'aggrave. Il s'aggrave de façon inquiétante et nous devons nous en préoccuper. Il a été procédé à un certain nombre d'études qui concernent essentiellement les 18-25 ans et qui montrent que ce phénomène augmente de façon inquiétante dans notre pays. Il faut le dire, et là les chiffres manquent, ce phénomène touche malheureusement de plus en plus de jeunes adolescents, qui dans leur vie de tous les jours ont tendance, là aussi, à emprunter, sans forcément pouvoir rembourser.
Notre parti, par l'intermédiaire de son groupement féminin, a beaucoup travaillé sur cette question et il nous est apparu qu'à Genève le problème était réel et qu'il s'aggravait. Il nous est apparu également qu'un certain nombre d'actions sont aujourd'hui menées par les services sociaux communaux et par l'Hospice général. Il est également apparu que de nombreuses associations sont actives dans ce domaine, mais sans réelle coordination entre elles, et qu'il manque une vision d'ensemble de cette problématique. Il est donc temps de procéder à un état des lieux à Genève et d'envisager des mesures qui, à nos yeux, devraient être essentiellement préventives. Nous en avons parlé tout à l'heure avec la toxicomanie. Là aussi, les écoles doivent prendre conscience du problème et un certain nombre d'actions doivent pouvoir y être menées.
Il est vrai que ce thème, comme d'autres traités par ce parlement, met également en question une certaine responsabilité individuelle et le rôle des familles. Nous en sommes conscients. La question peut se poser de savoir si l'Etat doit intervenir dans ce domaine ou si, finalement, cela ne devrait pas rester du ressort de la responsabilité individuelle et des familles. Malgré tout, lorsqu'un problème avéré débouche sur une situation qui peut compromettre l'avenir d'une partie de notre population, nous pensons que l'Etat a son rôle à jouer, notamment dans le domaine de l'information et de la prévention. Raison pour laquelle, Mesdames, Messieurs les députés, nous souhaiterions ne pas perdre de temps pour que cet état des lieux soit mené.
Nous pensons que cette motion - nous le souhaitons en tout cas - puisse être renvoyée directement au Conseil d'Etat qui vérifiera l'ampleur du problème et déterminera s'il y a lieu ou pas de légiférer en la matière ou de revoir un certain nombre de dispositions en vigueur. Nous n'avons pas, du côté du parti démocrate-chrétien, des solutions toutes prêtes à vous proposer, mais nous pensons qu'il est urgent de se préoccuper de cette question à Genève. (Applaudissements.)
M. Claude Aubert (L). Le problème de l'endettement des jeunes est extrêmement grave et il est évident qu'envoyer cette motion au Conseil d'Etat serait la démarche la plus utile. Il est extrêmement pénible de voir des jeunes de 20 ans ayant déjà 40 000 F de dettes, pour ne pas dire 80 000 F de dettes. Le problème est extrêmement sérieux.
Si vous me le permettez, je voudrais faire un tout petit peu d'humour, malgré la gravité du sujet. Dans la rue, vous pouvez voir des affiches représentant un petit enfant dans une piscine avec une bouée, et l'on traite ici de l'endettement. Mais on pourrait imaginer faire une campagne publicitaire avec l'image d'un jeune homme ou d'une jeune femme, de 20 ans environ, accompagnée du texte: «20 ans et déjà 40 000 F de dettes.» Vous verriez alors les libéraux réagir et proposer: «20 ans: déjà 40 000 F de dette privée et 40 000 F de dette publique»...
M. Pierre Kunz (R). Je crois me rappeler que le PDC s'affiche comme le parti de la famille et défend le rôle essentiel qu'elle joue dans notre société. Je crois aussi me rappeler que le PDC se réfère souvent, dans son discours politique, à la responsabilité individuelle. D'ailleurs, cela a été rappelé. Mais alors, Mesdames et Messieurs les députés, où sont passés, dans la rédaction de cette motion, ces piliers de la doctrine PDC ? Où cette motion se réfère-t-elle au rôle de la famille, au rôle éducatif des parents, à la valeur de l'exemple parental dans cette éducation ? Où cette motion rappelle-t-elle la responsabilité personnelle, celle des adultes et celle des jeunes adultes aussi, s'agissant de l'équilibre que chacun d'entre nous doit maintenir entre ses envies et ses moyens ? Où cette motion, axée sur un symptôme, condamne-t-elle la société de l'envie et du matérialisme que nous avons laissée se développer ?! (Rires.) Mais oui, c'est vrai, Mesdames et Messieurs ! Nous vivons, et je la connais bien, dans une société d'hyperconsommation, de consommation stupide même! (Rires. Remarques.) Et si je tiens ces propos, c'est parce que je suis particulièrement bien placé pour savoir de quoi il s'agit, contrairement à un certain nombre d'entre vous, peut-être! Mais les auteurs de cette motion doivent-ils pour autant nier les responsabilités et inverser les rôles ? Doivent-ils faire passer la liberté de consommer derrière une espèce de fatalité, cette fatalité qui guetterait chacun d'entre nous - les jeunes en particulier - et pousserait à la surconsommation et à l'endettement ?!
Mesdames, Messieurs, que se passe-t-il chez nos collègues PDC ?
Une voix. Qu'est-ce qui se passe... (Brouhaha.)
M. Pierre Kunz. D'une part, ils entendent aider financièrement les familles à coups d'allocations familiales extrêmement généreuses... (Commentaires.) ... distribuées à tous, et, d'autre part, ils admettent que nombre de parents sont incapables «de conscientiser» leurs enfants aux modes de consommation et qu'ils sont incapables de réunir, je cite: le «minimum de conditions nécessaires» à la responsabilisation de leurs enfants. Et d'en appeler à l'intervention de l'Etat !
Insensibles à ce paradoxe, nos collègues demandent au Conseil d'Etat de construire une de ces usines, dites «de prévention», une usine destinée - excusez du peu - à ne pas laisser les jeunes sans réponses appropriées... A lutter efficacement contre l'endettement des jeunes... A sensibiliser ceux-ci... Et la suite est encore plus intéressante: à adapter notre système d'éducation en incluant la thématique de l'endettement dans des cours secondaires et professionnels. Et ça continue: à élaborer «de nouveaux modes de collaboration interinstitutionnels» associant «différents partenaires émanant du secteur public, du monde associatif et du secteur privé...». Je ne continue pas la liste, parce que cela me prendrait tout mon temps de parole.
Mesdames et Messieurs les députés, si cette motion n'était que démagogique, on s'en moquerait ! Mais le texte qui nous est soumis est désastreux dans le message déresponsabilisant qu'il fait passer aux familles, comme aux individus ! Il est désastreux, car, une fois de plus, certains laissent croire aux moins bien armés d'entre nous que, pour diverses raisons - par exemple qu'ils manqueraient de volonté ou céderaient trop facilement à certains mauvais penchants - ils ne peuvent pas s'en sortir seuls ou avec l'aide de leurs proches, qu'ils sont excusables, bien entendu, et que l'«Etat nounou» va prendre soin d'eux, afin de leur éviter la peine d'assumer les conséquences de leurs bêtises... Eh bien non, Mesdames et Messieurs, cette manière de traiter les familles et les jeunes adultes comme s'ils étaient des bébés n'est pas supportable ! Elle est «in»humaine, au sens étymologique du terme, c'est-à-dire qu'elle n'est pas conforme à l'espèce humaine, à ce que l'on entend par un être humain. Et il est temps, Mesdames, Messieurs du PDC, que vous remettiez vraiment «l'humain au centre» ! (Rires. Commentaires) Et que vous laissiez l'Etat s'occuper des vraies missions qui lui incombent, celles qui concernent l'instruction, l'ordre et la santé publique. Mesdames, Messieurs, l'endettement dû à la surconsommation imbécile ne constitue pas un enjeu de société ! (Commentaires.) Il concerne quelques individus, et même si l'un ou l'autre d'entre eux devait tomber à l'assistance - parce que vous n'avez pas manqué de pousser cette musique-là - eh bien, ça n'empêche que cette motion ne mérite pas notre soutien ! Contrairement au soutien que nous avons apporté pour les crèches.
Des voix. Merci, Pierre... Merci... (Brouhaha.)
Mme Anne Mahrer (Ve). Non, Monsieur Kunz, ça ne concerne pas que quelques individus qui auraient une addiction pour la consommation. Cela concerne un nombre croissant de jeunes, et les Verts accueillent favorablement cette motion. Ils imaginaient d'ailleurs la renvoyer à la commission des affaires sociales et élargir cette problématique aux familles qui sont de plus en plus surendettées parce que, justement, des jeunes adultes de 24-25 ans fondent des familles et sont entraînés dans la spirale de l'endettement et du surendettement.
Il se trouve que mercredi et jeudi derniers, dans notre canton, a eu lieu l'assemblée générale de l'Association faîtière suisse des services d'assainissement de dettes, à laquelle j'ai participé pour son ouverture. Cette association regroupe tous les services qui travaillent dans ce domaine, dont l'Antenne romande des services d'assainissement des dettes qui fait un excellent travail, ainsi que le Centre social protestant, le CSP, et Caritas. Leurs constats sont alarmants ! Ils sont alarmants parce que des familles dont les membres travaillent ne les empêchent pas d'être pauvres. De plus, elles sont souvent dans l'impossibilité de régler leur loyer ou leurs impôts et ne s'en sortent plus. Donc, les services d'assainissement jouent un rôle essentiel.
Il y a un certain nombre de choses qui ont été mises en places et que nous pourrions reprendre, sans réinventer la roue, notamment une campagne de sensibilisation, campagne nationale destinée aux jeunes et qui se trouvent d'ailleurs sur leur site Internet qui s'appelle «Max.Money», que j'ai été voir. Ce site est tout à fait remarquable et permet d'obtenir des liens vers d'autres sites. Ces sites sont si bien faits qu'ils pourraient déjà être utilisés dans le cadre de notre éducation citoyenne à l'école ou, pourquoi pas, dans un cours de mathématiques, sur la façon de gérer un budget et son argent de poche.
Il ne s'agit pas d'un problème mineur, notre société est confrontée à cette problématique, et je pense que les collectivités publiques ont leur part de responsabilité. La collaboration avec tous ces services d'assainissement, en tenant compte de tout ce qu'ils sont déjà en train de faire, serait évidemment extrêmement profitable. Pour notre part, les Verts, nous suggérerions que l'on travaille sur ce sujet à la commission des affaires sociale et nous proposons donc le renvoi en commission de cette motion. (Applaudissements.)
Mme Véronique Pürro (S). Beaucoup de choses ont déjà été dites et j'approuve entièrement les paroles de Mme Mahrer. Aujourd'hui, le phénomène de l'endettement, voire du surendettement, est très inquiétant. Il touche de plus en plus de personnes qui viennent frapper à la porte des différents services sociaux et je vous assure, Monsieur Kunz, que le phénomène atteint une telle ampleur qu'on ne peut plus seulement s'en remettre à la responsabilité familiale. Je crois qu'il s'agit d'un phénomène de société, et c'est bien à la collectivité d'y apporter une réponse.
Je dirai que ce phénomène, contrairement à ce que laisse entendre la motion, ne touche malheureusement pas que les jeunes - cela a été relevé par plusieurs personnes - et, comme dans de nombreux domaines à Genève, il n'existe pas de véritable politique coordonnée. Mme Mahrer y a fait référence: à Genève, seuls deux services privés sont en mesure de faire face aux problèmes d'endettement et de surendettement, parce que ce sont les deux seuls services qui ont les compétences nécessaires. Il s'agit du Centre social protestant et de Caritas. Je crois qu'il faut ici leur rendre hommage, parce que, même si des communes ou des services comme l'Hospice général apportent une aide au niveau financier, eh bien, la prise en charge d'une situation d'endettement ou de surendettement exige des compétences qu'aucune collectivité publique n'a aujourd'hui. Et il serait peut-être bien de nous pencher sur cette question-là, vu l'ampleur du phénomène.
Je regrette un peu que les invites de cette motion ne proposent que des pistes au niveau de la prévention. Parce que, même s'il est très important de prévenir, il s'agit aussi, pour faire face à ces situations, de développer des compétences publiques, et pas uniquement celles des services privés, à l'image de ce qu'ont fait d'autres cantons ou d'autres communes telles que celle de Lausanne.
Pour terminer, je renverrai les auteurs de cette motion à leurs responsabilités fédérales, car, comme vous l'avez très bien indiqué dans l'exposé des motifs de votre motion, une des origines de la problématique est liée à la loi sur le crédit à la consommation qui, en Suisse, est très insatisfaisante. Et je sais que la gauche aborde régulièrement ce sujet pour faire en sorte que cette loi ne permette pas, aussi facilement qu'à l'heure actuelle, d'accéder aux petits crédits. Je sais que la gauche est très seule dans ce combat, et si le parti démocrate-chrétien pouvait faire remonter cette problématique jusqu'à ses élus fédéraux, je crois qu'entre le PS et le PDC se dégagerait une majorité suffisante pour agir au niveau fédéral. Car c'est bien là qu'il faut agir, et non pas au niveau cantonal, puisqu'au niveau cantonal nous ne sommes là que pour guérir. Si l'on veut vraiment prévenir, Mesdames et Messieurs du PDC, c'est au niveau fédéral, qu'il faudrait agir. (Applaudissements.)
M. Gilbert Catelain (UDC). Le problème soulevé par cette motion est effectivement grave, il s'amplifie d'année en année, il n'est en tout cas pas nouveau. Je me souviens que dans l'administration dans laquelle je suis entré il y a une vingtaine d'année, l'employeur, déjà à cette époque, donnait une information sur la manière de gérer un budget. Cela parce que cette administration devait prendre en charge des personnes incapables de gérer leur revenu, alors que d'autres - la majorité - y parvenaient. Ces personnes n'arrivaient tout simplement pas à planifier l'utilisation de leurs revenus.
Nous sommes aujourd'hui confrontés à une évolution des mentalités: on sait que, de toute manière, l'Etat ne nous laissera pas tomber, que, si l'on est endetté et qu'on ne peut pas rembourser, on bénéficiera d'un filet social. A partir de ce moment-là, la responsabilisation attendue par M. Kunz n'est pas favorisée par la société elle-même. Hier, le parti radical a préconisé la socialisation de l'éducation des enfants en nous demandant la journée scolaire continue pour les placer à l'école de 6h du matin à 19h... (Brouhaha.) Aujourd'hui, il fait la leçon au parti démocrate-chrétien qui vise à socialiser l'information des élèves... Je crois que le parti démocrate-chrétien est assez conséquent: à partir du moment où les enfants sont à l'école de 6h à 19h, je ne vois pas comment les parents vont pouvoir les responsabiliser ! Parce qu'elle commence tôt, cette responsabilisation ! Elle commence à partir du moment où l'on commence à donner de l'argent de poche à son enfant; ça commence à partir du moment où l'on fait comprendre à l'enfant que tout n'est pas acquis, que tout n'est pas gratuit, que les choses ont un coût et qu'elles ont une certaine valeur.
La principale cause d'endettement chez les jeunes est liée à l'acquisition de la voiture et à son entretien: il est clair qu'un jeune ayant son permis de conduire veut exercer son droit à la conduite. Il commence par s'acheter une voiture hors de prix, et non pas d'occasion, et il prend un leasing pour lequel il doit payer des mensualités de 500 F, 800 F voire 1000 F par mois, mensualités qui sont sans commune mesure avec son revenu du travail. La deuxième cause d'endettement est liée à la consommation de substances psychotropes: on sait qu'à Genève pour se fournir à Genève une quantité moyenne de drogue, pour les adolescents c'est en moyenne 20 grammes par mois, on arrive déjà à 400 F de revenu. Rien que pour se fournir cette consommation ! (Brouhaha.)
Le groupe UDC est donc sensible à la motion présentée par le parti démocrate-chrétien. Il reconnaît la pertinence de trouver des solutions, d'une part via la société, d'autre part via la responsabilisation. Il est juste de dire que l'Etat ne doit pas tout faire et qu'il y a une prise en charge par la famille, pour autant que l'on en donne à celle-ci les possibilités. Le groupe UDC aimerait juste ajouter un point - et c'est pourquoi nous soutiendrons le renvoi en commission - notamment par rapport à la première invite. Il est juste de dire qu'il faut initier une politique d'éducation quant à cette responsabilisation, politique d'information et de sensibilisation destinée aux adolescents. Par contre, il faut aussi sensibiliser les jeunes aux conséquences sociales de l'endettement ! Car ce que l'on oublie de dire, notamment dans cette motion, c'est qu'à un jeune - et je peux vous le confirmer - qui vient actuellement chercher un travail dans une administration - pas forcément toutes - et qui a les compétences, qui a les certificats, eh bien, on va lui demander quoi ? On va lui demander de fournir un certificat attestant qu'il n'a pas de dettes ! Et selon l'importance de ses dettes, on va lui dire: «Monsieur, vous êtes bien gentil, vous êtes aimable, vous avez les qualifications, vous avez les compétences, malheureusement vous avez 50 000 F de dettes ! Il y a pour nous - surtout si l'on manipule de l'argent dans cette profession - trop de risques que vous ne retombiez à la charge de l'entreprise au niveau du service social et de l'encadrement.» Donc, on dit à cette personne qu'on est désolé et qu'on ne l'engage pas !
L'endettement a un effet pervers qui est l'exclusion sociale. Et c'est sur cet élément-là que nous devons responsabiliser les jeunes en les sensibilisant aux conséquences de l'endettement qui, souvent, sont passées sous silence. Pour ce motif, je soutiendrai le renvoi en commission.
Mme Véronique Schmied (PDC). Les jeunes que nous évoquons, lorsque nous parlons d'endettement, sont ceux qui vivent dans le présent immédiat; ce sont ceux qui sont déconnectés du passé, déconnectés de l'avenir, ils ne se projettent pas dans l'avenir. C'est le «tout, tout de suite», avec une incapacité à évaluer les conséquences des actes de consommation qu'ils engagent. C'est aussi un manque de perspective dû au fait qu'ils préfèrent ou qu'ils sont contraints de se contenter de petits jobs, plutôt que de faire un apprentissage qui dure plusieurs années et au terme duquel on va pouvoir entrer dans un emploi dans lequel on va se développer, etc. Ça n'est pas dans leur manière de voir, la publicité y est évidemment pour quelque chose, on l'a évoquée. On a évoqué aussi la surenchère des marques, parce que quand on porte des habits de marques, on a un statut dans le groupe dans lequel on s'insère. C'est un peu une vie à l'image du «Natel»: on consomme maintenant, on paiera plus tard. Et 80% des personnes endettées - des adultes endettés - ont commencé à s'endetter avant 25 ans. C'est donc vraiment sur les jeunes de cette tranche d'âge, jusqu'à 25 ans, qu'il faut agir.
Alors, que font les parents ? M. Kunz a très justement demandé ce que l'on pouvait faire en dehors de la responsabilité de la famille, en dehors de l'implication de la famille. On ne peut rien faire en dehors de la famille, mais on doit toucher la famille par l'intermédiaire du jeune. En éduquant le jeune, on sait très bien que ce qui est enseigné est répercuté ensuite à la maison. L'exemple que l'on donne peut modifier la vision du jeune qui voit aussi, éventuellement, ses parents s'engager dans des dettes, parce que ceux-ci n'ont peut-être pas les moyens d'assumer les besoins auxquels ils pensent devoir répondre pour leur famille. Tout, à la maison, est à crédit, de la télévision à la voiture, et l'on pense d'abord à ces objets-là, par lesquels on vit une vie à peu près semblable à celle de ses voisins, plutôt que d'assumer l'essentiel, modeste et insatisfaisant.
Donc, initier ces jeunes à planifier une dépense, leur permettre d'apprendre à élaborer un budget sont des notions relativement simples que l'on peut introduire dans des programmes sans avoir besoin de cours spéciaux pour cela. Ça peut entrer dans les cours de mathématiques, d'arithmétique, même à l'école primaire - comme l'a dit M. Catelain, on peut commencer très jeune. On comprend tout de suite, quand on a 2 F par semaine, ce qu'on va pouvoir faire avec ces 2 F et ce que l'on ne va pas pouvoir faire.
Mais le retour du jeune dans une famille où la seule satisfaction réside dans la consommation immédiate, eh bien, c'est un pari! Mais on est bien obligé de faire des paris, si on veut avancer, si on ne veut pas laisser cette jeunesse s'endetter toujours plus et toujours plus ! C'est l'un des problèmes principaux que doivent traiter les assistants sociaux de l'Hospice général. Ce n'est pas une fatalité, contrairement à ce qu'a dit M. Kunz. C'est un fait de société ! M. Kunz devrait le savoir, puisqu'il a longtemps dirigé un grand centre commercial qui sert de centre de loisirs à des centaines de jeunes ! Ce fait de société, on ne peut pas le dénoncer en mettant la faute uniquement sur la famille. En tant que membres de cette société, il nous faut également prendre ce problème à bras le corps et tenter de contrarier cette incitation, parfois éhontée, il faut bien le dire, à la consommation frénétique.
Nous soutenons donc le renvoi à la commission sociale, comme cela a été demandé.
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Le Conseil d'Etat accueille favorablement cette motion, même s'il se trouve que l'un ou l'autre des éléments des invites peuvent poser problème. Nous éviterons en tous les cas toute usine à gaz en la matière.
Je dois d'ailleurs vous informer que l'Office des poursuites et faillites, dans les nombreuses mesures qu'il prend pour lutter contre la surcharge de travail qui le paralyse, est en train de préparer, à ma demande, un projet de prévention de l'endettement des jeunes. Ce projet se conduit notamment avec quelques communes particulièrement touchées par ce phénomène, en particulier celle de Vernier.
Effectivement, Monsieur Catelain, vous avez eu le mot qu'il faut: l'endettement conduit à l'exclusion. Vous avez eu le mot qu'il faut, Monsieur, ai-je dit... Pour une fois ! (Rires.) Nous avons tout à l'heure eu un débat sur la drogue. Il faut bien savoir que l'état d'endettement, l'état d'exclusion qu'il engendre, est un des facteurs qui peut conduire à l'alcoolisme ou à la toxicomanie. Lorsque l'on parle de prévention, c'en est une que d'éviter que les jeunes ne s'endettent !
Monsieur Kunz, vous connaissez beaucoup de choses sur la consommation. Malheureusement, je crains que vous n'en connaissiez un peu moins sur l'endettement des jeunes. Parce qu'il se trouve, lorsque vous vous en remettez à la responsabilité des parents, que les enfants qui s'endettent ont en général des parents endettés ! Ils ne font que reproduire ce qu'ils connaissent à la maison ! Pire: nous enregistrons maintenant aux Offices des poursuites des poursuites contre des enfants de moins de 10 ans, pour des sommes de plusieurs milliers de francs. Pourquoi ? Pour deux raisons: la première, ce sont des parents qui mettent au nom de leur enfant des dettes qu'ils ont faites eux-mêmes... L'enfant a 8 ans ! Deuxième cas: ce sont des enfants qui ont contracté des abonnements vidéo ou pour le «Natel», ce genre de choses-là, et il y a pour des milliers de francs de dettes !
On est donc dans une situation où il y a des enfants de moins de 10 ans qui sont à l'Office des poursuites. Avec des parents manifestement incapables d'empêcher cette situation ! Il ne s'agit donc pas que de quelques individus, on est face à un véritable problème social qui mérite tout notre intérêt. Et je suis très heureux - mais malheureux pour vous, Monsieur Kunz - de constater que la quasi-totalité des membres de ce parlement jugent ce fléau à sa juste valeur et sont prêts à s'engager pour le réduire. (Applaudissements.)
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1678 à la commission des affaires sociales est adopté par 53 oui contre 11 non et 1 abstention.