République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 19 mai 2006 à 20h30
56e législature - 1re année - 8e session - 39e séance
M 1663
Débat
M. Eric Stauffer (MCG). Le grand fléau du XXIe siècle est sans nul doute le trafic de stupéfiants. En effet, les dealers de drogue vont chercher leurs futurs clients auprès des adolescents, les rendant dépendants des drogues, s'assurant ainsi la fidélité d'une nouvelle clientèle. Ces nouveaux toxicomanes deviendront à leur tour des dealers pour assurer leur propre consommation et certains d'entre eux iront jusqu'à se prostituer ou à voler pour subvenir à leurs besoins. (Brouhaha.)
Il est de notre responsabilité d'élus de tout mettre en uvre afin d'endiguer toute forme de trafic de stupéfiants. Il est également de notre devoir de nous assurer que les forces de police et le pouvoir judiciaire ont les moyens nécessaires à l'accomplissement de leur mission.
Les chiffres à notre disposition sont pour le moins évocateurs du malaise grandissant que notre canton rencontre en matière de lutte contre ce macabre commerce. Il importe de noter qu'en 1995 plus d'une personne par jour était reconnue coupable - 406 exactement - et avait fait l'objet d'une peine privative de liberté. En 2004, c'est environ trois condamnations par jour qui ont été prononcées contre ces trafiquants de la mort - 846 exactement, source de l'Etat de Genève. (Brouhaha.) Les chiffres que je viens de vous indiquer ne tiennent pas compte des procédures qui étaient en cours en 2004 et pour lesquelles aucune condamnation n'avait encore été prononcée. Afin d'être complet, il faut encore préciser que toutes les personnes détentrices de stupéfiants en petite quantité destinée à leur usage personnel ne sont même pas poursuivies par le biais d'une contravention. (Le brouhaha persiste.) Mesdames et Messieurs les députés, ce sujet devrait tous vous préoccuper... (M. Eric Stauffer s'interrompt. Le silence se rétablit.)
Partant de ce principe-là, nous savons que certains secteurs, mais ils ne sont pas encore tous identifiés, sont devenus des quartiers de non-droit. A ce sujet, j'aimerais bien que notre conseiller d'Etat en charge du département des institutions nous donne quelques éclaircissements, notamment à propos du quai des Forces Motrices où plus aucun de nos concitoyens n'ose se promener à partir de 22h, tellement cet endroit est rempli de dealers de toute nature et de toute provenance. Aussi est-il très important de pouvoir cibler notre action. Je ne vais pas m'étendre sur ce sujet, mais sachez simplement que, pour avoir une vision globale, le Mouvement Citoyens Genevois demande la création d'une commission d'enquête, afin qu'elle puisse renseigner notre Grand Conseil sur tous les endroits où de la drogue est vendue, là où il y a des adolescents. Il faut faire en sorte que les contrôles dans les lieux publics que les adolescents fréquentent soient beaucoup plus sévères et, enfin, que soit appliquée une «tolérance zéro» en matière de trafic de stupéfiants.
Le président. Merci, Monsieur le député, de nous avoir lu votre exposé des motifs. La parole est à M. le député Marcel Borloz.
M. Marcel Borloz (L). A la lecture de cette motion demandant la création d'une commission d'enquête parlementaire concernant le trafic de drogue, je me pose la question suivante: que va établir comme faits nouveaux cette motion par rapport à ceux énumérés dans le texte ? Ces faits sont connus du chef du département, des politiques, de la police et de tous les acteurs impliqués dans le problème de la drogue. Comme vous le savez, les services de police n'ont pas attendu cette motion pour prendre des mesures contre ce fléau. En effet, depuis quelques années, une unité, appelée «Task Force Drogue» a été constituée. La brigade des stupéfiants, la brigade des mineurs et tous les policiers disponibles luttent vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour endiguer le trafic.
Les résultats sont là, puisqu'ils ressortent de la motion. En 1995, 406 personnes ont fait l'objet d'une peine privative de liberté; en 2004, ce sont 846 personnes qui ont été arrêtées. Au vu de ces chiffres, on remarque que la chasse est bien organisée. De plus, vous avez pu le lire dans la presse, une saisie de 7 kilos de drogue a été réalisée. Au sujet de la nationalité des dealers, nous pouvons reprendre la conférence de presse du chef de la police sur la criminalité à Genève. En ce qui concerne les expulsions, des mesures sont déjà prises et des interdictions du territoire notifiées aux délinquants.
A propos des périmètres d'exclusion, comme par exemple la gare, chacun remarquera que l'on peut s'y rendre et prendre son train sans problème. Il est évident que chaque fois qu'une opération coup de poing est organisée dans un quartier, on déplace le problème, mais les forces de l'ordre suivent ces déplacements et créent une instabilité chez les trafiquants. En règle générale, il n'y a aucune tolérance envers les dealers et les délinquants mineurs, la police les arrête et le pouvoir judiciaire les condamne. Effectivement, en ce qui concerne les ASM, les agents de sécurité municipaux, ceux-ci pourraient être employés nettement mieux qu'uniquement pour les problèmes de stationnement, mais plutôt pour des problèmes de proximité, en faisant acte de présence aux abords des écoles. Un projet de loi libéral a été déposé en ce sens.
Je n'ai constaté qu'un point intéressant dans cette motion, celui qui propose que les membres de la commission d'enquête se mettent à auditionner les détenus et les toxicomanes. Je pense qu'il s'agirait là de renforts inespérés pour augmenter les effectifs de la police.
Mesdames et Messieurs les députés, au vu de ce qui précède, il est inutile de créer cette commission, puisque pratiquement tous les problèmes sont connus. Il est évident que ce serait une perte d'énergie, de temps et d'argent que de se lancer dans ce genre d'audiences. Certains projets de lois visent à diminuer le nombre de commissions, mais, ici, on veut en créer des nouvelles ! Pour ces motifs, le groupe libéral n'entrera pas en matière sur cette motion. (Applaudissements.)
Le président. Sont inscrits: Mmes et MM. les députés Portier, Fehlmann Rielle, Leyvraz, Catelain, Gautier, Stauffer, Barrillier et le conseiller d'Etat Moutinot. La liste est close. La parole est à M. Pierre-Louis Portier. Trop tard, Monsieur Jeanneret !
M. Pierre-Louis Portier (PDC). Je siège depuis quelques années dans ce parlement et je crois pouvoir affirmer que j'ai déjà vu pas mal de projets de lois, de motions et de résolutions qui faisaient fort en matière de gesticulations et de démagogie. Mais là, sincèrement, j'ai l'impression qu'on atteint des sommets ! C'est d'autant plus grave qu'on essaie d'évoquer un problème extrêmement important, comme mes préopinants l'ont rappelé, et dont, d'ailleurs, ce parlement a déjà très souvent et longuement débattu.
Permettez-moi de m'étonner quand même sur un certain nombre de choses qui sont dites dans cette motion. Tout d'abord, la procédure: à ma connaissance, ce n'est pas le Grand Conseil qui demande au Conseil d'Etat de nommer une commission d'enquête. Cela n'existe pas ! J'aimerais simplement renvoyer les auteurs de cette motion à l'article 230E de notre règlement, qui définit bien la procédure: c'est le Grand Conseil qui nomme en son sein, éventuellement, une commission d'enquête pour un problème particulier, mais il ne charge en tout cas pas le Conseil d'Etat de le faire.
Si vous m'en laissez un peu le temps, j'aimerais encore faire quelques commentaires sur les invites. Tout d'abord, la troisième invite demande de «définir le statut des dealers de drogue...». J'apprends par cette motion que les dealers ont un statut, ou en tout cas elle suppose qu'ils en ont un, Pour ma part, ça m'étonne ! Cette même invite introduit aussi tout de suite un a priori que je trouve tout à fait détestable - et mon groupe partage ce point de vue - c'est qu'immédiatement on évoque les étrangers et les réfugiés économiques ! (Brouhaha.)
La quatrième invite est aussi assez troublante: de «trouver le mode opératoire des dealers, en auditionnant notamment les détenus, les toxicomanes, la police judiciaire;». Je crois que c'est justement le travail que M. Borloz a décrit et que les policiers font au quotidien. Heureusement, on connaît déjà un peu le mode opératoire des dealers, ce qui permet de les combattre !
Enfin, la sixième invite - parce qu'il y en a beaucoup: onze, toutes plus étonnantes les unes que les autres... Donc, la sixième invite demande que les agents de sécurité municipaux patrouillent dans les écoles. J'aimerais rappeler que le parti démocrate-chrétien avait déposé une motion en ce sens, il y a de cela près de trois ans. Cela a notamment débouché sur une collaboration entre le département de l'instruction publique - qui s'appelle maintenant «département des institutions» - la Ville de Genève et les communes, qui travaillent ensemble à la surveillance étroite des préaux. Donc, il me semble que là, une fois encore, vous enfoncez des portes ouvertes.
La huitième invite propose de «prendre toutes les dispositions nécessaires pour une "tolérance zéro" en matière de trafic de stupéfiants, notamment pour les trafics de stupéfiants touchant les adolescents». Si vous avez déjà toutes les réponses, je ne vois pas l'utilité d'une commission d'enquête !
Neuvième invite: «de s'assurer que la loi relative à la consommation d'alcool et de drogue pour les adolescents soit strictement respectée, notamment dans des "disco mobile", raves parties, etc.» Bref, on mélange tout, on parle de drogue, ensuite d'alcool et autres. Excusez-moi de le répéter, mais je ne peux pas m'en empêcher: c'est vraiment tout et n'importe quoi ! On feint de s'occuper d'un problème grave qui préoccupe nos concitoyens, mais avec une démarche touffue, très peu réfléchie et carrément incompréhensible. On se moque des citoyens genevois, dont les auteurs de cette motion se réclament pourtant ! Qui plus est, on encombre tout à fait inutilement la table de travail de ce parlement et l'on en retarde d'autant plus d'autres travaux, autrement plus utiles à la République et Canton ! Je pense notamment aux travaux de la Fondation de valorisation des actifs de la BCGe, chère à l'un des auteurs de cette motion...
Bref, vous m'avez compris, Mesdames et Messieurs, et je termine: le parti démocrate-chrétien n'entrera même pas en matière. (Applaudissements.)
Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). Un certain nombre de choses, auxquelles je souscris, ont été dites par mes préopinants. Cette motion traite d'une problématique qui est importante, mais pas nouvelle, hélas ! Cette motion, à notre sens, enfonce des portes ouvertes et donne des informations erronées, notamment quand elle assimile les réfugiés à des trafiquants de drogue. Il faut savoir que beaucoup de réfugiés sont admis en Suisse de manière juste. Et si parmi les trafiquants on trouve des requérants d'asile, il y a aussi parmi les trafiquants des ressortissants de notre pays. Dans tous les cas, cette motion dénote d'une totale méconnaissance de la politique qui est menée dans notre canton en matière de toxicomanie.
Je souhaite quand même rappeler deux ou trois choses à nos collègues du MCG. Notamment que, depuis une vingtaine d'année, le Canton mène une politique globale et pragmatique en matière de toxicomanie, et qui repose sur quatre piliers: la prévention, le traitement et les soins, puis, plus récemment, la réduction des risques - symbolisée notamment par le local d'injection «le Quai 9» - et, enfin, le pilier de la répression, qui fait l'objet de cette motion. Et pour être efficace, une politique en matière de drogue doit être équilibrée et développer les quatre piliers. Elle ne doit pas seulement se concentrer sur la répression, mais également sur les autres piliers, la prévention notamment.
Puisque nous parlons de répression, parce qu'il est question de trafics de drogue, je rappelle encore que le Canton a mis en place, il y a une vingtaine d'année aussi, une commission consultative en matière d'addiction, dans laquelle siègent un certain nombre de professionnels du domaine et également le chef de la police. Il existe également une «Task Force Drogue» et nous savons que la police dispose d'une brigade des stupéfiants et d'une brigade des mineurs. Même si cette politique est perfectible, nous avons un certain nombre d'instruments à disposition, qui sont mis en oeuvre, qui peuvent être améliorés, mais qui ont au moins le mérite d'exister.
Vous demandez dans votre motion qu'il y ait une politique de «tolérance zéro». Sachez que le Procureur général a fait le postulat de pratiquer cette politique de «tolérance zéro» qui, parfois, peut malheureusement poser des problèmes et être en contradiction avec la politique de réduction des risques. Mais ce n'est pas le propos aujourd'hui.
Il faut quand même rappeler aujourd'hui que la police a comme mission, tout d'abord, de réprimer le grand trafic, avant de pourchasser les petits consommateurs. Donc, tout cela devrait aller dans votre sens. Dans votre motion, vous vous inquiétez du nombre de condamnations prononcées. Eh bien, s'il y a une augmentation des condamnations, c'est bien parce que la police y est pour quelque chose ! Alors, je ne vois pas très bien ce que vous allez apporter de plus avec une commission d'enquête.
En conclusion, nous pensons que cette motion n'apportera rien de nouveau, aucune solution qui n'est déjà recherchée. Je dis bien que cette politique peut tout à fait être encore améliorée, mais je ne vois pas en quoi une commission d'enquête pourrait apporter une solution qui soit utile. Donc, le groupe socialiste vous propose de ne pas entrer en matière sur cette motion. (Applaudissements.)
M. Eric Leyvraz (UDC). Cette motion n'a pas lieu d'être. A la commission des pétitions, nous traitons deux pétitions qui concernent le trafic de drogue. Ce que nous avons entendu nous a effrayés. Il ne s'agit pas de petites rues de Genève, mais des quais de Genève, face à notre monument, le Jet d'eau. Mais tous les pétitionnaires reconnaissent la qualité du travail de la police et de sa «Task Force» et ils disent que ces gens sont admirables dans leur travail. La «Task Force» connaît absolument tous les aboutissants de ce trafic de drogue: on sait qui trafique, comment se passe ce trafic et ce qui se trafique. Donc, une commission est absolument inutile.
Ce qui manque, d'après nous, dans ce canton, c'est une volonté politique de prendre à bras-le-corps ce problème de la drogue. C'est un problème qui met en danger notre démocratie, qui met en danger la santé publique et qu'il faut absolument prendre en compte. Si nous n'agissons pas, eh bien, des mafias vont s'installer à Genève et nous ne pourrons plus nous en débarrasser ! Cette motion est donc inutile. Ayons le courage politique de prendre les choses en main !
M. Gilbert Catelain (UDC). Le mérite qu'on peut reconnaître à cette motion est de nous rappeler que la situation dans ce domaine est grave, qu'elle a évolué négativement et qu'on peut constater, au bout de trente ans de luttes diverses, que notre société a, pour l'instant, échoué dans ce combat. La situation en matière de consommation de drogue à Genève et en Suisse s'est aggravée. La consommation de haschich, dont le taux de substance active, le THC, a été multiplié par dix en l'espace de trente ans, touche des couches de la population de plus en plus jeunes: le service médico-pédagogique a mené une enquête au niveau des établissements scolaires et a déterminé que l'âge moyen pour le début de la consommation se situe entre 11 et 12 ans. La consommation moyenne à Genève, au niveau de la tranche d'âge des 12 à 15 ans, s'élève à environ 100 kilos par mois: 100 kilos de haschich sont consommés chaque mois à Genève, ce qui représente plus d'une tonne de consommation annuelle de haschich pour les seuls élèves de 12 à 15 ans ! La politique des quatre piliers a lamentablement échoué, sauf au niveau de la réduction des risques. Il faut reconnaître que, sur ce plan là, le nombre de décès liés à des overdoses a considérablement diminué.
Notre société doit se ressaisir ! Au niveau des invites de cette motion, on peut dire qu'elles enfoncent essentiellement des portes ouvertes et qu'on ne va pas apprendre grand-chose: la situation est connue, seulement notre société n'a pas la volonté de lutter contre ce fléau.
D'autre part, je suis étonné d'entendre le MCG dire qu'il y avait trop de peines préventives: hier, il disait que les juges enfermaient à tour de bras à Champ-Dollon et qu'ils n'avaient pas le sens de la réalité... On sait pourtant que les 80% des détentions préventives à Champ-Dollon sont dues soit au trafic de drogue, soit à la communauté touristique. Je suis donc étonné qu'on puisse, un jour, être contre Champ-Dollon, être contre la répression, être contre l'enfermement en préventive des trafiquants de drogue, et que, le lendemain, on nous fasse une leçon sur la manière de combattre le trafic de drogue dans ce canton !
Il y a des possibilités de sévir, puisqu'on peut sans aucun problème condamner un trafiquant à cinq ans de réclusion, seulement la capacité carcérale de ce canton et la volonté du pouvoir politique dans ce canton ne le permettent plus ! Il s'agit d'un thème de nature fédérale. Je rappelle que la loi est fédérale, et la meilleure façon d'agir est de permettre aux différents acteurs de prendre les bonnes décisions et d'appliquer les meilleures mesures. Il faut agir au niveau fédéral par un renforcement de la loi sur les stupéfiants. Mais je crois que le climat politique actuel, au niveau fédéral, ne va pas du tout dans ce sens, et il faut s'attendre à une aggravation de la situation.
Donc, le groupe UDC n'est pas opposé, bien au contraire, à un renforcement de la lutte dans le domaine du trafic de stupéfiants, mais cette motion n'en prend pas le bon chemin. Je rappelle aussi que, contrairement à ce que disent la plupart des intervenants des bancs d'en face, on doit admettre que, dans ce canton, le trafic de drogue est essentiellement l'oeuvre des requérants d'asile et que l'un des moyens de parvenir à réprimer ce trafic, c'est de durcir la loi sur l'asile. (Brouhaha.) Et je crois que le peuple, qui aura la possibilité de se prononcer sur ce thème dans quelques mois, verra très bien la relation entre asile et trafic...
Une voix. Pas «asile», mais: «requérants d'asile» !
M. Gilbert Catelain. Oui, «Requérants d'asile», pardon ! Vous avez raison: celui qui obtient l'asile n'a, en principe, pas commis de délits en matière de trafic de stupéfiants - c'est la minorité, car on sait très bien que le trafic à Genève est le fait des requérants d'asile.
Une autre solution pourrait être aussi la surveillance vidéo de certains emplacements où ont lieu ces trafics. Le MCG cite, par exemple, les préaux d'école; je citerai la commune d'Annemasse qui a décidé de se doter d'environ 80 caméras de surveillance. Cette commune, socialiste, est victime d'une hausse importante de la criminalité. Bien que socialiste, cette commune a dû se dire que, finalement, il y avait des moyens efficaces et qu'il suffisait de les mettre en oeuvre.
Nous vous proposons donc de ne pas entrer en matière sur cette motion et d'agir par d'autres voies pour permettre aux acteurs qui, tous les jours, dans ce canton, oeuvrent contre le trafic de stupéfiants et aussi au niveau des dealers, de faire leur travail dans les meilleures conditions.
M. Renaud Gautier (L). M. de La Palice doit «faire la girouette dans sa tombe» parce que, comme on l'a dit tout à l'heure, le nombre de portes ouvertes enfoncées est absolument astronomique...
Une voix. Mais ça fait moins mal !
M. Renaud Gautier. Oui, ça fait moins mal. J'avais prévu de ne pas prendre la parole, mais les raisonnements de notre excellent collègue, M. Catelain, qui parle en spécialiste, m'effarent un peu. On veut tout en même temps faire une enquête sur le trafic de drogue, une enquête limitée aux drogues répréhensibles - et n'incluant pas, par exemple, les excellentes drogues que fabrique mon ami Jean-Michel Gros... (Exclamations. Rires.) On ne veut pas s'occuper d'autres problèmes, par exemple de voitures plus ou moins puissantes... (Rires. Brouhaha.)
Une voix. Des noms !
M. Renaud Gautier. Mais on est juste dans la «victimisation» d'une classe de la population, en décidant a priori que ceux qui commettent ces crimes sont, par principe, étrangers. Alors, je voudrais rétablir une balance tout à fait méritoire. Tout le monde sait que, dans ce parlement, il y a plus d'un député à qui il est arrivé de «trafiquer» - cela doit probablement être aussi le cas dans le public qui nous regarde et nous écoute. Il n'y a pas forcément que des étrangers qui trafiquent. C'est un problème suffisamment important, à propos duquel l'Etat fait des efforts qui doivent être reconnus, pour qu'on n'essaie pas de minimiser le problème ou d'attribuer à une classe de la population une responsabilité qu'elle n'a pas, par rapport à d'autres.
Il faut le redire ici, des moyens nombreux sont mis en place. Je regrette que M. Stauffer ne puisse pas aller se promener le long des quais du Rhône après 22h - je pense que cela lui ferait du bien - et son propos m'a l'air totalement erroné. Au lieu de stigmatiser, je voudrais simplement que l'on s'intéresse au travail effectif de la police, d'une part, mais aussi à celui de tous ceux qui travaillent dans le domaine de la prévention, car on diminuera réellement cette problématique lorsque l'on fournira autant d'efforts du côté de la prévention que l'on en place du côté de la répression. (Applaudissements.)
M. Eric Stauffer (MCG). Pour sûr, seuls ceux qui ne font rien ne risquent pas la critique, hein ? C'est bien de critiquer la motion du MCG, hein ? A vous écouter, il n'y a que des Suisses qui sont dealers de drogue et en prison... A vous écouter, hein,... (Brouhaha.) ... en fait il n'y a aucun problème, tout va bien. Tout est connu, hein ? Mais alors, on pourrait se demander ce qui se passe et pourquoi il y a autant de zones d'insécurité à Genève !
Des voix. Hein ? (Chahut. Remarque.)
M. Eric Stauffer. Ah bon ! Il n'y a pas de zones d'insécurité ? Il vous faut lire les journaux, chers collègues ! (Brouhaha.) Je crois qu'il y a eu un meurtre au bord du Rhône, il n'y a pas si longtemps, commis par deux jeunes toxicomanes qui, pour voler quelques centaines de francs, ont assassiné un Hollandais, hein ? (Chahut.) Et ce n'est que le dernier exemple ! Je crois qu'il faut être un petit peu sérieux... (Brouhaha.) Le MCG ne prétend pas...
Le président. Un instant, Monsieur le député ! Mesdames, Messieurs les députés, je vous prie de laisser l'orateur s'exprimer ! Vos sarcasmes sont malvenus. Vous avez la parole, Monsieur Stauffer.
M. Eric Stauffer. Merci, Monsieur le président. C'est sûr que ce problème est très important, surtout pour nos concitoyens qui ont des adolescents entre 14 et 18 ans, période la plus cruciale dans l'éducation de notre progéniture. Maintenant, c'est sûr que le Mouvement Citoyens Genevois ne prétend pas que cette motion, qui demande la création d'une commission parlementaire, constitue la panacée. Mais cette commission a au moins le mérite de vous responsabiliser, chers collègues ! Parce qu'on peut créer une commission d'enquête qui va durer... je ne sais pas, un semestre par exemple, comme les autres commissions ad hoc que nous avons dans ce parlement. Mais au moins, elle mettra clairement en lumière, pour notre Grand Conseil, tout ce qu'il y a à analyser ! Surtout, cette commission permettra de voir quels sont les moyens que nous, politiques, pourrons amener au pouvoir judiciaire pour renforcer sa mission de protection de nos concitoyens.
Quand j'entends que «cette motion parle des étrangers» et quand j'entends M. Portier s'étonner que les trafiquants aient un statut... Oui, Monsieur Portier, les trafiquants, comme n'importe quel citoyen, ont un statut ! Et c'est cela que cette commission d'enquête pourrait tendre à démontrer ! C'est de savoir - et je vous le donne dans l'ordre: «définir le statut des dealers de drogues: Suisses, étrangers, réfugiés économiques ou politiques;». Moi qui fais partie de la commission des visiteurs officiels, je sais qu'il est vrai - et vous pouvez le demander à vos collègues qui en font partie - que le trafic de cocaïne, par exemple, est exclusivement le fait de ressortissants du Nigeria... Et qui sont ces ressortissants du Nigeria ? Eh bien, ce sont des réfugiés politiques ! (Remarques. Brouhaha.) Ecoutez... Bref, vous ne connaissez pas les chiffres, alors ne parlez pas de ce que vous ne savez pas !
Pour en revenir à cette motion, Mesdames et Messieurs, ce que nous vous demandons, c'est de l'accepter. Encore une fois, une commission ad hoc pourra durer un trimestre ou un semestre, mais elle donnera une information claire à notre Grand Conseil: vous serez informés. Et, partant de ce principe-là, nous pourrons examiner les éléments à mettre en oeuvre pour améliorer tout ça.
M. Gabriel Barrillier (R). C'est un problème grave que nous traitons maintenant, je crois qu'il ne faut pas se voiler la face. Les citoyennes et citoyens qui nous regardent ont l'impression que, finalement, les problèmes de la drogue et tout ça font l'objet d'une soirée joyeuse du Grand Conseil... Moi j'estime qu'il n'y a pas à provoquer des lazzis contre le groupe politique ou le collègue qui a soulevé cette affaire.
Maintenant, attention ! Je pense que, effectivement, le MCG, en déposant cette motion, que nous devons refuser... Evidemment, en la refusant, on passe pour les méchants, on passe pour les gens qui ne s'occupent pas d'un problème grave. Et là, c'est le côté, je suis désolé de vous le dire, un peu machiavélique de votre motion ! (Brouhaha.)
M. Eric Stauffer. Alors, acceptez-là !
M. Gabriel Barrillier. Je vais m'expliquer. Je suis désolé, ça c'est... C'est une motion facile ! C'est la motion que j'appelle «Zorro» - c'est à dire qu'avant votre arrivée il ne s'est rien passé, les autorités politiques n'ont rien fait, le Grand Conseil n'a jamais traité cette question...
M. Eric Stauffer. C'est peut-être pour ça qu'on a été élus ! (Brouhaha.)
M. Gabriel Barrillier. Cher collègue, je ne vous ai pas interrompu ! J'ai dit au départ que c'était un problème grave et j'ai rappelé que, en ce qui me concernait, il n'était pas dans ma nature de me moquer ou de manifester à l'encontre d'un collègue qui s'explique. Mais j'ai dit que c'était une motion «Zorro» parce qu'encore une fois, tout à l'heure, le député brigadier Borloz nous a expliqué par le menu - mais dans votre groupe vous avez également des collègues qui font partie de la force publique - tout le dispositif mis au point pour essayer d'enrayer ce phénomène. Donc, nous ne sommes pas restés les bras ballants ! Et avec votre commission d'experts, il y a un problème de forme. D'abord, j'ai cru que c'était une commission parlementaire - cela a été dit, on n'a pas compris, donc cela ne peut pas être une commission parlementaire, ce serait une commission d'enquête. Quand on crée une commission d'enquête, le Grand Conseil demande au Conseil d'Etat de la nommer - encore que ce ne soit pas une procédure très courante... Cela veut dire que cela a complètement foiré !
Evidemment que la situation n'est pas bonne ! Moi aussi, je me promène dans le parc des Eaux-Vives et dans le parc La Grange quand je fais mon footing... Evidemment qu'on voit beaucoup de choses ! Mais ce que l'on ne peut pas accepter, chers collègues du MCG, c'est que vous arriviez, que vous déposiez une motion fourre-tout, qui donne l'impression que vous allez sauver la République ! Moi j'appelle ça du poujadisme. Le poujadisme, Madame, Messieurs, c'est quand on fait des promesses qu'on ne peut pas tenir ! En tant que parlement responsable, on ne peut pas suivre cette voie.
Votre motion traite d'un problème gravissime. Gravissime ! Et que, en tout cas en ce qui me concerne, de même que le groupe radical, nous ne passons pas sur la jambe, c'est évident ! Mais il y a déjà des procédures en cours et il y a une y a une confusion des rôles ! Cette commission se substituerait à toutes les instances et à toutes les «Task Forces» - j'ai utilisé un terme anglais, vous l'avez remarqué... (Commentaires.) Bon, je ne sais pas s'il y a un autre terme. Donc, j'estime que vous devriez retirer votre motion. Vous nous demandez parfois de vous suivre et d'avoir du courage... Vous aussi ! Vous devriez retirer votre motion, faire confiance aux procédures, aux campagnes actuelles, aux engagements et aux efforts qui sont entrepris par toutes les instances de la République pour essayer d'enrayer ce phénomène ! Et ne pas faire croire aux gens que vous êtes les seuls à pouvoir régler ce problème.
Le groupe radical va refuser cette motion, mais je rappelle, et souligne, que le refus de cette dernière ne signifie pas que nous n'avons pas compris le problème et que nous ne sommes pas désireux de combattre un phénomène très grave. (Applaudissements.)
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. La motion qui vous est soumise demande la création d'une commission d'enquête. Qui dit «commission d'enquête» dit qu'il y aurait des choses que nous ignorerions et qu'il faudrait que nous apprenions. Or aujourd'hui - l'ensemble de vos interventions le démontre - nous savons parfaitement bien ce qui se passe et qui se bat, jour après jour, à savoir la police, pour réprimer le trafic de drogue. Alors, il n'y aucune raison d'enquêter sur quoi que ce soit. Si vous manquez d'informations, Monsieur Stauffer, vous pouvez vous adresser à moi !
Vous avez dit qu'il y a un manque de volonté politique. Je ne le pense pas parce que, dans ce parlement, chaque fois qu'il y a été question de drogue, il y a toujours eu un accord extrêmement large sur cette politique des quatre piliers, qui va de la prévention à la répression en passant par les soins et les traitements. Ce que nous devons faire aujourd'hui, comme l'a dit M. Gabriel Barrillier, c'est réaffirmer notre volonté de lutter contre le fléau de la drogue, et non pas juste vouloir savoir ou se promènent les trafiquants, parce que cela, on le sait. Ce que nous devons faire aussi, c'est peut-être prendre l'engagement, lors d'un prochain débat budgétaire, d'augmenter les sommes nécessaires à la prévention car, comme l'a rappelé M. le député Gautier, c'est par là que l'on peut éradiquer le fléau de la drogue. La répression intervient à un stade où les consommateurs sont à ce point pris par leur produit et les trafiquants à ce point là appâtés par le gain que, de toute évidence, il n'y a plus que la répression, et qu'elle n'est même pas susceptible de succès extrêmement spectaculaires, puisque l'addiction et l'appât du gain sont tels qu'il y a toujours des toxicomanes, des policiers qui doivent leur courir après et des dealers qui font des affaires. Ce qu'il faut faire pour réduire le fléau de la drogue, c'est, fondamentalement, prévenir ! Parce qu'il n'y a de dealers que s'il y a des toxicomanes, il faut bien le dire !
Donc, la seule manière d'empêcher qu'il y ait un trafic de drogue, c'est de faire en sorte, par toutes les manières possibles, que nos enfants et nos adolescents ne soient pas pris dans ce fléau, dans cette spirale, à partir de laquelle il n'existe, à un moment donné, plus que la répression dont l'efficacité, malgré l'engagement de la police, est quelquefois limitée.
Alors, Mesdames et Messieurs les députés, cette motion a permis de dire un certain nombre de choses qui devaient être dites. Quant à la proposition qu'elle contient, elle est inutile et vous la rejetterez. (Applaudissements.)
Mise aux voix, la proposition de motion 1663 est rejetée par 66 non contre 6 oui et 2 abstentions.