République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 19 mai 2006 à 20h30
56e législature - 1re année - 8e session - 39e séance -autres séances de la session
La séance est ouverte à 20h30, sous la présidence de M. Michel Halpérin, président.
Assistent à la séance: MM. Pierre-François Unger, président du Conseil d'Etat, Laurent Moutinot, François Longchamp et Mark Muller, conseillers d'Etat.
Exhortation
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Personnes excusées
Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: MM. Charles Beer, Robert Cramer et David Hiler, conseillers d'Etat, ainsi que Mme et MM. David Amsler, René Desbaillets, Pierre Ducrest, Mariane Grobet-Wellner, Jacques Jeannerat, Pierre Losio, Claude Marcet et Pierre Schifferli, députés.
Annonces et dépôts
Le président. L'interpellation urgente écrite suivante a été retirée par son auteur:
Interpellation urgente écrite de Mme Sylvia Leuenberger : Futurs chantiers du CEVA et machines de chantiers les moins polluantes possible (IUE-282)
Il en est pris acte.
Mesdames et Messieurs les députés, nous reprenons le cours de notre ordre du jour avec le point 24. Si cela vous convient, je vous propose de traiter ce dernier en même temps que le point 25, puisque les deux sujets sont étroitement liés. Il s'agit des PL 9120-A et PL 9121-A: incompatibilité avec le mandat de député-e.
Premier débat
Le président. Dans les deux cas, le vote de la commission a été unanime; dans les deux cas, le rapporteur est M. Christian Luscher. Je vous propose par conséquent d'ouvrir le débat sur les deux sujets en même temps - cela vous va-t-il Monsieur le rapporteur ? - et puis, naturellement, nous voterons chacun des textes séparément. Mais, si cela vous convient, nous commencerons ainsi... Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.
M. Christian Luscher (L), rapporteur. Il me paraît effectivement tout à fait conforme à notre volonté d'aller rapidement dans nos travaux en traitant ces deux projets de lois, ces deux rapports, en un seul débat.
De quoi s'agit-il ? Il s'agit simplement du souci de marquer très clairement la séparation des pouvoirs, en l'occurrence législatif et judiciaire. Parce que nous nous sommes rendu compte - ou plutôt certains députés socialistes se sont rendu compte - qu'il existait des cas dans lesquels des députés exerçaient aussi la fonction - la charge plutôt, excusez-moi - de juges suppléants. En tant que suppléants, ils ne siègent pas forcément très souvent, néanmoins il est apparu qu'il pouvait arriver qu'un député qui adoptait une loi risquait de se trouver dans la situation où il exécutait ou appliquait cette même loi qu'il avait votée.
La commission législative a estimé que la séparation des pouvoirs était quelque chose d'extrêmement important, qu'il en allait de la justice - ou plutôt de l'idée que les gens se font de la justice, de l'apparence de la justice - et qu'il était absolument incompatible d'être à la fois député et juge, fût-ce juge suppléant.
Raison pour laquelle ce projet de loi a été déposé et a été accueilli de manière favorable en commission législative puisque, comme vous l'avez relevé, Monsieur le président, ce rapport, respectivement ces deux rapports ont été adoptés à l'unanimité. Je n'ai rien d'autre à ajouter.
M. Yves Nidegger (UDC). Le groupe UDC est évidemment très attaché au principe de séparation des pouvoirs et accueille favorablement le toilettage constitutionnel et législatif qui est proposé, parce que nous vivons une époque où il est particulièrement important de rappeler avec une certaine solennité les grands principes qui sont parfois un peu perdus dans les brumes, voire oubliés. C'est l'occasion de le faire, et c'est pour cela que j'ai pris la parole même si, dans le cas présent, la chose me paraît beaucoup plus symbolique que substantielle.
Je m'en explique. Nous sommes et devons tous être attachés au principe de séparation des pouvoirs. Je précise au passage, à l'égard de collègues, ici, qui pourraient être concernés, que je parle d'autant plus librement pour appuyer ce projet de loi qu'à la suite de mon élection, l'année passée, j'ai moi-même démissionné de quelques fonctions judiciaires de l'ordre de celles que la loi changée rendrait incompatibles avec le mandat de député, parce que cela me semblait logique.
La matérialité du principe de séparation des pouvoirs n'est pas simplement un principe qu'on agite ou qui est seulement fait pour être chanté. Comme l'a dit brillamment le rapporteur de majorité, ce principe vise à éviter qu'une personne puisse se trouver en position d'adopter une loi dans un parlement, puis se retrouve en situation d'appliquer cette loi dans un tribunal.
Il est probable que les grands penseurs de la démocratie à l'origine de ces beaux principes n'avaient pas anticipé l'avènement du fédéralisme helvétique qui présente quelques particularités dont l'une d'entres elles est précisément la suivante. Les tribunaux, si l'on fait exception de la Cour suprême suisse, le Tribunal fédéral, sont cantonaux; mais le droit de fond est fédéral, pour l'essentiel, si l'on excepte quelques natures administratives. Très prochainement, ce sera aussi le cas du droit de procédure, puisqu'on va vers l'unification fédérale des procédures civiles et pénales. Or, vous ne trouverez pas dans la législation cantonale d'incompatibilité notée entre la fonction de conseiller national ou de conseiller aux Etats, qui précisément adoptent le droit qui sera ensuite appliqué par le juge cantonal.
Cette espèce de similitude - ou parallélisme des formes qui semble parfait quand on le regarde à distance - est en fait totalement contreproductive dans ce cas. Et si nous sommes d'accord avec l'idée de supprimer cette exception que le législateur des années 1950 avait accordée pour le juge prud'homme ou pour le juge suppléant, qui se distinguent du juge de carrière pour lequel l'incompatibilité est structurellement beaucoup plus fondamentale, il ne suffit pas de s'arrêter là.
A lire le rapport de la commission, je crains personnellement - et je regrette - que le travail n'ait été quelque peu trop rapidement fait, peut-être même bâclé. On s'est interrogé, par exemple, sur l'incompatibilité possible du conseiller municipal - cela n'a pas beaucoup de pertinence, me semble-t-il, avec la fonction de juge - et l'on a totalement oublié de considérer la chose qui, matériellement, a un impact beaucoup plus important pour le respect de la séparation des pouvoirs que le fait de chasser de cette enceinte les quelques juges assesseurs suppléants au Tribunal de police ou ailleurs qui siègent peut-être deux fois par année: établir, parce que c'est fondamental, l'incompatibilité en droit cantonal entre le mandat de parlementaire fédéral et le mandat de juge cantonal. Parce qu'il y a là une véritable incompatibilité ! Mais le droit fédéral n'en parle pas, puisque son objet est de protéger les instances fédérales d'une éventuelle confusion des pouvoirs au niveau fédéral. Seul le droit cantonal pourrait le faire, or la constitution est muette sur cette question.
Plutôt que d'aller devant le peuple - puisqu'il s'agit de modifier la constitution et qu'en conséquence il faudra voter - avec quelque chose d'assez léger, qui ne posera certainement pas de problème mais qui reste de l'ordre du superficiel, je propose par conséquent que l'on retourne ce projet de loi à la commission législative, afin qu'elle se penche, cette fois-ci avec tout le sérieux voulu, sur la question, importante, d'une compréhension actualisée à notre fédéralisme suisse, du principe de séparation des pouvoirs. Je me réfère aussi au projet de loi 9820 de l'UDC - qui est à la commission des droits politiques en ce moment, je crois - qui pose le problème d'une incompatibilité à clarifier également, cette fois avec le pouvoir exécutif.
Il serait schizophrène d'avoir à la fois une évolution de 1950 à aujourd'hui, qui tende à exclure complètement tout élément de pouvoir judiciaire des travées de ce parlement, et d'avoir l'évolution exactement inverse s'agissant de la séparation des pouvoirs, qui est tout aussi importante lorsqu'il s'agit de la séparation entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif. On sait que depuis 1998 les fonctionnaires sont éligibles et l'on a aujourd'hui des critères qui mériteraient d'être précisés; on a aussi un développement du grand Etat qui fait que les incompatibilités ou les conflits d'intérêt sont différents de ce qu'ils ont été dans le passé.
En conséquence de quoi, tout en soutenant l'esprit, le but, et même le texte du projet qui nous est proposé, je demande le retour de ce dernier à la commission législative, pour permettre un travail de fond beaucoup plus sérieux que celui qui a été fait, de sorte que le peuple puisse voter non pas sur un détail, mais sur un projet qui aura été enrichi et approfondi, afin de prendre en considération des réalités qui comptent véritablement.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Je donne la parole à M. Velasco. (Fort éternuement de M. Alberto Velasco. Rires. Remarques.) Je vous remercie, Monsieur le député, avez-vous autre chose à nous dire ? (Rires.)
M. Alberto Velasco (S). J'ai écouté M. Nidegger avec beaucoup d'attention. Vous n'étiez pas parmi nous durant la précédente législature, Monsieur Nidegger, mais M. Luscher était là, le président était là, il siégeait à la commission et il a travaillé à ce projet de loi pendant... Combien de séances ? Des dizaines de séances. Et nous avons abordé ces questions-là. Et puis, il y avait aussi un éminent juriste de la République, M. Grobet, qui n'est plus parmi nous, mais qui était là, et Dieu sait s'il a participé aux travaux ! Après des séances et des séances, nous sommes arrivés à la conclusion - nos collègues libéraux, surtout - qu'il fallait déjà, au moins, voter ce projet de loi, parce que ce sujet nous menait très loin dans des digressions.
Ce que je veux dire à M. Nidegger, et je le dis aussi à cette noble assemblée, c'est qu'en réalité nous, les socialistes, n'avions pas beaucoup de prétention en déposant ce projet de loi. Ce projet a été présenté suite à l'élection des juges du Tribunal des assurances sociales, à l'occasion de laquelle nous avons vu un député - de nos rangs, il faut le dire - se lever et sortir de la travée pour prêter serment... Cela nous a un peu interpellés de voir que cela pouvait se passer dans un parlement. Nous avons donc voulu corriger la chose en mettant ce projet de loi entre les mains des députés. Ce projet de loi a été déposé il y a deux ou trois ans. Dans deux ans, il y aura de nouvelles élections judiciaires et je pense qu'il serait intéressant que l'on fasse voter le peuple à ce propos et qu'on consacre ainsi un principe du XVIIIe siècle: «De l'Esprit des lois», Montesquieu - n'est-ce pas ? Monsieur Nidegger, si vous avez des velléités comme celles que j'ai eues, rien ne vous empêche de déposer un nouveau projet de loi, que nous aurons le plaisir de travailler ensemble et, pourquoi pas, de voter.
Je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à suivre les conclusions de l'excellent rapport de majorité de M. Luscher et de voter ce projet de loi. (Commentaires. Rires.) D'«unanimité», attention !
M. Eric Stauffer (MCG). La question de la séparation des pouvoirs est éminemment importante, c'est une question de constitution. Mais pour nous, le groupe MCG, plutôt que de brimer un juge assesseur en raison d'une incompatibilité avec le mandat de député, nous demandons très simplement ce qu'il en est des juges d'instruction et des procureurs mis en place par les partis politiques ?! Si l'on veut parler d'incompatibilité, je pense qu'il nous faut aller beaucoup plus loin que d'agir à doses homéopathiques, puisqu'on a vu les limites, comme mon excellent collègue Alberto Velasco l'a dit... (Remarque.) Oui, excellent, parce que son intervention était excellente ! Alors, de voir un député sortir pour venir prêter serment, évidemment que ça choque. Cela montre les limites du système. Et, à l'inverse de l'argument que je donnais, de voir des juges d'instruction et de hauts magistrats mis en place par les partis politiques, nous avons vu aussi les limites de ce système dans le cadre de la débâcle de la BCGe - sans en faire une fixation. (Exclamations.) Mais oui, Mesdames et Messieurs, mais c'est la réalité ! Et vous le savez très bien ! Ce n'est pas à vous, éminents parlementaires que je vais apprendre comment cela fonctionne. C'est pour cela - et pour la faire courte, parce qu'on a toujours un emploi du temps chargé...
Une voix. Merci !
M. Eric Stauffer. Mais je vous en prie ! Simplement, le Mouvement Citoyens Genevois va s'opposer au renvoi en commission et à ce projet.
M. Olivier Jornot (L). Il y a parfois des canons qui servent à tirer sur les mouches. C'est un petit peu ce qui est le fait de ce projet de loi. La commission législative n'a évidemment pas pu faire autrement que de l'approuver, et de manière unanime, puisqu'en effet on ne peut pas dire non à une extension de l'incompatibilité des magistrats, fussent-ils des juges suppléants.
J'aimerais dire deux mots des propos de M. Nidegger et de sa proposition de renvoi en commission. M. Nidegger nous a expliqué avec beaucoup d'érudition quelle était sa conception de la séparation des pouvoirs: je crains qu'il n'ait pas tout à fait vu quel était le véritable problème aujourd'hui, dans un parlement comme le nôtre, avec la séparation des pouvoirs. Il ne s'agit pas tellement de savoir comment concilier le fait de voter une loi puis de l'appliquer. Il s'agit en réalité d'un autre problème, qui est celui de la surveillance, mutuelle, que les pouvoirs doivent pouvoir exercer les uns sur les autres, en toute indépendance. C'est ça qui est la vraie question et c'est la raison pour laquelle, en effet, des magistrats judiciaires de notre canton ne peuvent pas siéger dans notre enceinte, et réciproquement. C'est la raison pour laquelle la grande réflexion que nous sommes invités à mener sur l'incompatibilité des pauvres conseillers nationaux, par rapport à la magistrature genevoise, me semble non seulement théorique, mais, de surcroît, parfaitement inutile si l'on fait une application raisonnable du principe de séparation des pouvoirs.
Je vous inviterai, et les libéraux vous inviteront donc, à voter sur le siège ce projet de loi, tout en ayant relativement peu de conviction quant à l'utilité de déranger le corps électoral sur ce sujet.
Une remarque pour conclure. Nous espérons que ce parlement - qui va faire preuve d'une extrême rigueur sur l'incompatibilité entre le premier et le troisième pouvoir, si tant est qu'on soit autorisé à les affubler d'un rang, entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire - fasse preuve d'autant de rigueur lorsqu'il s'agit d'examiner la compatibilité entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif et ceux qui sont ses agents, c'est à dire la fonction publique. Parce que, au cours des dernières années, on a eu ici - aujourd'hui en a donné un exemple - un renforcement des incompatibilités avec le judiciaire et paradoxalement, au contraire, un adoucissement des incompatibilités avec le pouvoir exécutif et avec ses agents. Il serait peut-être bon qu'à l'avenir ce parlement fasse preuve de cohérence dans son examen des incompatibilités.
Le président. Monsieur le Conseiller d'Etat, souhaitez-vous intervenir à la fin du débat ou avant le vote sur le renvoi en commission ? (Réponse hors micro.) A la fin du débat.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 9120-A à la commission législative est rejeté par 58 non contre 8 oui.
Mme Sandra Borgeaud (MCG). Concernant ces projets de lois, dans le fond je suis d'accord qu'un magistrat n'a rien à faire au Grand Conseil, mais je crains que cela ne permette d'ouvrir des portes supplémentaires et de trouver des incompatibilités de mandat dans de nombreuses autres fonctions qui, visiblement, ne poseraient pas de problèmes. Je rappelle tout de même qu'au niveau professionnel, il y a un secret de fonction, le secret professionnel, qui a tout son sens. Donc, logiquement, nous ne sommes pas censés venir répéter au Grand Conseil ce que nous faisons sur nos lieux de travail.
Ma crainte est que, si l'on accepte ce projet de loi, il y en aura d'autres. Et vous savez qu'il y a ici certaines personnes qu'on a essayé de défendre, et je ne sais pas jusqu'à quand on y arrivera. Donc, malheureusement, je ne soutiendrai pas ces deux projets de lois.
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Dès lors que l'un des deux projets que vous traitez est d'ordre constitutionnel, il est légitime que le gouvernement vous donne son avis sur ce projet. Il s'agit d'un bon projet, il s'agit de supprimer une situation qui n'était pas normale, à savoir qu'une même personne puisse être à la fois membre de votre législatif et magistrat du pouvoir judiciaire. Cette question est parfaitement claire; elle est réglée de manière parfaitement claire par les deux projets de lois et je vous invite, par conséquent, à les approuver.
Tout autres sont les questions ayant trait à d'autres types d'incompatibilités - à la composition même de votre Grand Conseil. C'est un tout autre débat. Mais, simplement, entre les institutions genevoises - et pour les excellentes raisons qu'a rappelées M. le député Jornot - il ne doit pas y avoir de personnes qui appartiennent aux deux pouvoirs en même temps.
Mis aux voix, le projet de loi 9120 est adopté en premier débat par 60 oui contre 5 non et 1 abstentions.
La loi 9120 est adoptée article par article en deuxième débat et en troisième débat.
Mise aux voix, la loi 9120 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 58 oui contre 2 non et 6 abstentions.
Mis aux voix, le projet de loi 9121 est adopté en premier débat par 58 oui contre 3 non et 5 abstentions.
La loi 9121 est adoptée article par article en deuxième débat et en troisième débat.
Mise aux voix, la loi 9121 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 58 oui contre 4 non et 4 abstentions.
Débat
M. Eric Stauffer (MCG). Le grand fléau du XXIe siècle est sans nul doute le trafic de stupéfiants. En effet, les dealers de drogue vont chercher leurs futurs clients auprès des adolescents, les rendant dépendants des drogues, s'assurant ainsi la fidélité d'une nouvelle clientèle. Ces nouveaux toxicomanes deviendront à leur tour des dealers pour assurer leur propre consommation et certains d'entre eux iront jusqu'à se prostituer ou à voler pour subvenir à leurs besoins. (Brouhaha.)
Il est de notre responsabilité d'élus de tout mettre en uvre afin d'endiguer toute forme de trafic de stupéfiants. Il est également de notre devoir de nous assurer que les forces de police et le pouvoir judiciaire ont les moyens nécessaires à l'accomplissement de leur mission.
Les chiffres à notre disposition sont pour le moins évocateurs du malaise grandissant que notre canton rencontre en matière de lutte contre ce macabre commerce. Il importe de noter qu'en 1995 plus d'une personne par jour était reconnue coupable - 406 exactement - et avait fait l'objet d'une peine privative de liberté. En 2004, c'est environ trois condamnations par jour qui ont été prononcées contre ces trafiquants de la mort - 846 exactement, source de l'Etat de Genève. (Brouhaha.) Les chiffres que je viens de vous indiquer ne tiennent pas compte des procédures qui étaient en cours en 2004 et pour lesquelles aucune condamnation n'avait encore été prononcée. Afin d'être complet, il faut encore préciser que toutes les personnes détentrices de stupéfiants en petite quantité destinée à leur usage personnel ne sont même pas poursuivies par le biais d'une contravention. (Le brouhaha persiste.) Mesdames et Messieurs les députés, ce sujet devrait tous vous préoccuper... (M. Eric Stauffer s'interrompt. Le silence se rétablit.)
Partant de ce principe-là, nous savons que certains secteurs, mais ils ne sont pas encore tous identifiés, sont devenus des quartiers de non-droit. A ce sujet, j'aimerais bien que notre conseiller d'Etat en charge du département des institutions nous donne quelques éclaircissements, notamment à propos du quai des Forces Motrices où plus aucun de nos concitoyens n'ose se promener à partir de 22h, tellement cet endroit est rempli de dealers de toute nature et de toute provenance. Aussi est-il très important de pouvoir cibler notre action. Je ne vais pas m'étendre sur ce sujet, mais sachez simplement que, pour avoir une vision globale, le Mouvement Citoyens Genevois demande la création d'une commission d'enquête, afin qu'elle puisse renseigner notre Grand Conseil sur tous les endroits où de la drogue est vendue, là où il y a des adolescents. Il faut faire en sorte que les contrôles dans les lieux publics que les adolescents fréquentent soient beaucoup plus sévères et, enfin, que soit appliquée une «tolérance zéro» en matière de trafic de stupéfiants.
Le président. Merci, Monsieur le député, de nous avoir lu votre exposé des motifs. La parole est à M. le député Marcel Borloz.
M. Marcel Borloz (L). A la lecture de cette motion demandant la création d'une commission d'enquête parlementaire concernant le trafic de drogue, je me pose la question suivante: que va établir comme faits nouveaux cette motion par rapport à ceux énumérés dans le texte ? Ces faits sont connus du chef du département, des politiques, de la police et de tous les acteurs impliqués dans le problème de la drogue. Comme vous le savez, les services de police n'ont pas attendu cette motion pour prendre des mesures contre ce fléau. En effet, depuis quelques années, une unité, appelée «Task Force Drogue» a été constituée. La brigade des stupéfiants, la brigade des mineurs et tous les policiers disponibles luttent vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour endiguer le trafic.
Les résultats sont là, puisqu'ils ressortent de la motion. En 1995, 406 personnes ont fait l'objet d'une peine privative de liberté; en 2004, ce sont 846 personnes qui ont été arrêtées. Au vu de ces chiffres, on remarque que la chasse est bien organisée. De plus, vous avez pu le lire dans la presse, une saisie de 7 kilos de drogue a été réalisée. Au sujet de la nationalité des dealers, nous pouvons reprendre la conférence de presse du chef de la police sur la criminalité à Genève. En ce qui concerne les expulsions, des mesures sont déjà prises et des interdictions du territoire notifiées aux délinquants.
A propos des périmètres d'exclusion, comme par exemple la gare, chacun remarquera que l'on peut s'y rendre et prendre son train sans problème. Il est évident que chaque fois qu'une opération coup de poing est organisée dans un quartier, on déplace le problème, mais les forces de l'ordre suivent ces déplacements et créent une instabilité chez les trafiquants. En règle générale, il n'y a aucune tolérance envers les dealers et les délinquants mineurs, la police les arrête et le pouvoir judiciaire les condamne. Effectivement, en ce qui concerne les ASM, les agents de sécurité municipaux, ceux-ci pourraient être employés nettement mieux qu'uniquement pour les problèmes de stationnement, mais plutôt pour des problèmes de proximité, en faisant acte de présence aux abords des écoles. Un projet de loi libéral a été déposé en ce sens.
Je n'ai constaté qu'un point intéressant dans cette motion, celui qui propose que les membres de la commission d'enquête se mettent à auditionner les détenus et les toxicomanes. Je pense qu'il s'agirait là de renforts inespérés pour augmenter les effectifs de la police.
Mesdames et Messieurs les députés, au vu de ce qui précède, il est inutile de créer cette commission, puisque pratiquement tous les problèmes sont connus. Il est évident que ce serait une perte d'énergie, de temps et d'argent que de se lancer dans ce genre d'audiences. Certains projets de lois visent à diminuer le nombre de commissions, mais, ici, on veut en créer des nouvelles ! Pour ces motifs, le groupe libéral n'entrera pas en matière sur cette motion. (Applaudissements.)
Le président. Sont inscrits: Mmes et MM. les députés Portier, Fehlmann Rielle, Leyvraz, Catelain, Gautier, Stauffer, Barrillier et le conseiller d'Etat Moutinot. La liste est close. La parole est à M. Pierre-Louis Portier. Trop tard, Monsieur Jeanneret !
M. Pierre-Louis Portier (PDC). Je siège depuis quelques années dans ce parlement et je crois pouvoir affirmer que j'ai déjà vu pas mal de projets de lois, de motions et de résolutions qui faisaient fort en matière de gesticulations et de démagogie. Mais là, sincèrement, j'ai l'impression qu'on atteint des sommets ! C'est d'autant plus grave qu'on essaie d'évoquer un problème extrêmement important, comme mes préopinants l'ont rappelé, et dont, d'ailleurs, ce parlement a déjà très souvent et longuement débattu.
Permettez-moi de m'étonner quand même sur un certain nombre de choses qui sont dites dans cette motion. Tout d'abord, la procédure: à ma connaissance, ce n'est pas le Grand Conseil qui demande au Conseil d'Etat de nommer une commission d'enquête. Cela n'existe pas ! J'aimerais simplement renvoyer les auteurs de cette motion à l'article 230E de notre règlement, qui définit bien la procédure: c'est le Grand Conseil qui nomme en son sein, éventuellement, une commission d'enquête pour un problème particulier, mais il ne charge en tout cas pas le Conseil d'Etat de le faire.
Si vous m'en laissez un peu le temps, j'aimerais encore faire quelques commentaires sur les invites. Tout d'abord, la troisième invite demande de «définir le statut des dealers de drogue...». J'apprends par cette motion que les dealers ont un statut, ou en tout cas elle suppose qu'ils en ont un, Pour ma part, ça m'étonne ! Cette même invite introduit aussi tout de suite un a priori que je trouve tout à fait détestable - et mon groupe partage ce point de vue - c'est qu'immédiatement on évoque les étrangers et les réfugiés économiques ! (Brouhaha.)
La quatrième invite est aussi assez troublante: de «trouver le mode opératoire des dealers, en auditionnant notamment les détenus, les toxicomanes, la police judiciaire;». Je crois que c'est justement le travail que M. Borloz a décrit et que les policiers font au quotidien. Heureusement, on connaît déjà un peu le mode opératoire des dealers, ce qui permet de les combattre !
Enfin, la sixième invite - parce qu'il y en a beaucoup: onze, toutes plus étonnantes les unes que les autres... Donc, la sixième invite demande que les agents de sécurité municipaux patrouillent dans les écoles. J'aimerais rappeler que le parti démocrate-chrétien avait déposé une motion en ce sens, il y a de cela près de trois ans. Cela a notamment débouché sur une collaboration entre le département de l'instruction publique - qui s'appelle maintenant «département des institutions» - la Ville de Genève et les communes, qui travaillent ensemble à la surveillance étroite des préaux. Donc, il me semble que là, une fois encore, vous enfoncez des portes ouvertes.
La huitième invite propose de «prendre toutes les dispositions nécessaires pour une "tolérance zéro" en matière de trafic de stupéfiants, notamment pour les trafics de stupéfiants touchant les adolescents». Si vous avez déjà toutes les réponses, je ne vois pas l'utilité d'une commission d'enquête !
Neuvième invite: «de s'assurer que la loi relative à la consommation d'alcool et de drogue pour les adolescents soit strictement respectée, notamment dans des "disco mobile", raves parties, etc.» Bref, on mélange tout, on parle de drogue, ensuite d'alcool et autres. Excusez-moi de le répéter, mais je ne peux pas m'en empêcher: c'est vraiment tout et n'importe quoi ! On feint de s'occuper d'un problème grave qui préoccupe nos concitoyens, mais avec une démarche touffue, très peu réfléchie et carrément incompréhensible. On se moque des citoyens genevois, dont les auteurs de cette motion se réclament pourtant ! Qui plus est, on encombre tout à fait inutilement la table de travail de ce parlement et l'on en retarde d'autant plus d'autres travaux, autrement plus utiles à la République et Canton ! Je pense notamment aux travaux de la Fondation de valorisation des actifs de la BCGe, chère à l'un des auteurs de cette motion...
Bref, vous m'avez compris, Mesdames et Messieurs, et je termine: le parti démocrate-chrétien n'entrera même pas en matière. (Applaudissements.)
Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). Un certain nombre de choses, auxquelles je souscris, ont été dites par mes préopinants. Cette motion traite d'une problématique qui est importante, mais pas nouvelle, hélas ! Cette motion, à notre sens, enfonce des portes ouvertes et donne des informations erronées, notamment quand elle assimile les réfugiés à des trafiquants de drogue. Il faut savoir que beaucoup de réfugiés sont admis en Suisse de manière juste. Et si parmi les trafiquants on trouve des requérants d'asile, il y a aussi parmi les trafiquants des ressortissants de notre pays. Dans tous les cas, cette motion dénote d'une totale méconnaissance de la politique qui est menée dans notre canton en matière de toxicomanie.
Je souhaite quand même rappeler deux ou trois choses à nos collègues du MCG. Notamment que, depuis une vingtaine d'année, le Canton mène une politique globale et pragmatique en matière de toxicomanie, et qui repose sur quatre piliers: la prévention, le traitement et les soins, puis, plus récemment, la réduction des risques - symbolisée notamment par le local d'injection «le Quai 9» - et, enfin, le pilier de la répression, qui fait l'objet de cette motion. Et pour être efficace, une politique en matière de drogue doit être équilibrée et développer les quatre piliers. Elle ne doit pas seulement se concentrer sur la répression, mais également sur les autres piliers, la prévention notamment.
Puisque nous parlons de répression, parce qu'il est question de trafics de drogue, je rappelle encore que le Canton a mis en place, il y a une vingtaine d'année aussi, une commission consultative en matière d'addiction, dans laquelle siègent un certain nombre de professionnels du domaine et également le chef de la police. Il existe également une «Task Force Drogue» et nous savons que la police dispose d'une brigade des stupéfiants et d'une brigade des mineurs. Même si cette politique est perfectible, nous avons un certain nombre d'instruments à disposition, qui sont mis en oeuvre, qui peuvent être améliorés, mais qui ont au moins le mérite d'exister.
Vous demandez dans votre motion qu'il y ait une politique de «tolérance zéro». Sachez que le Procureur général a fait le postulat de pratiquer cette politique de «tolérance zéro» qui, parfois, peut malheureusement poser des problèmes et être en contradiction avec la politique de réduction des risques. Mais ce n'est pas le propos aujourd'hui.
Il faut quand même rappeler aujourd'hui que la police a comme mission, tout d'abord, de réprimer le grand trafic, avant de pourchasser les petits consommateurs. Donc, tout cela devrait aller dans votre sens. Dans votre motion, vous vous inquiétez du nombre de condamnations prononcées. Eh bien, s'il y a une augmentation des condamnations, c'est bien parce que la police y est pour quelque chose ! Alors, je ne vois pas très bien ce que vous allez apporter de plus avec une commission d'enquête.
En conclusion, nous pensons que cette motion n'apportera rien de nouveau, aucune solution qui n'est déjà recherchée. Je dis bien que cette politique peut tout à fait être encore améliorée, mais je ne vois pas en quoi une commission d'enquête pourrait apporter une solution qui soit utile. Donc, le groupe socialiste vous propose de ne pas entrer en matière sur cette motion. (Applaudissements.)
M. Eric Leyvraz (UDC). Cette motion n'a pas lieu d'être. A la commission des pétitions, nous traitons deux pétitions qui concernent le trafic de drogue. Ce que nous avons entendu nous a effrayés. Il ne s'agit pas de petites rues de Genève, mais des quais de Genève, face à notre monument, le Jet d'eau. Mais tous les pétitionnaires reconnaissent la qualité du travail de la police et de sa «Task Force» et ils disent que ces gens sont admirables dans leur travail. La «Task Force» connaît absolument tous les aboutissants de ce trafic de drogue: on sait qui trafique, comment se passe ce trafic et ce qui se trafique. Donc, une commission est absolument inutile.
Ce qui manque, d'après nous, dans ce canton, c'est une volonté politique de prendre à bras-le-corps ce problème de la drogue. C'est un problème qui met en danger notre démocratie, qui met en danger la santé publique et qu'il faut absolument prendre en compte. Si nous n'agissons pas, eh bien, des mafias vont s'installer à Genève et nous ne pourrons plus nous en débarrasser ! Cette motion est donc inutile. Ayons le courage politique de prendre les choses en main !
M. Gilbert Catelain (UDC). Le mérite qu'on peut reconnaître à cette motion est de nous rappeler que la situation dans ce domaine est grave, qu'elle a évolué négativement et qu'on peut constater, au bout de trente ans de luttes diverses, que notre société a, pour l'instant, échoué dans ce combat. La situation en matière de consommation de drogue à Genève et en Suisse s'est aggravée. La consommation de haschich, dont le taux de substance active, le THC, a été multiplié par dix en l'espace de trente ans, touche des couches de la population de plus en plus jeunes: le service médico-pédagogique a mené une enquête au niveau des établissements scolaires et a déterminé que l'âge moyen pour le début de la consommation se situe entre 11 et 12 ans. La consommation moyenne à Genève, au niveau de la tranche d'âge des 12 à 15 ans, s'élève à environ 100 kilos par mois: 100 kilos de haschich sont consommés chaque mois à Genève, ce qui représente plus d'une tonne de consommation annuelle de haschich pour les seuls élèves de 12 à 15 ans ! La politique des quatre piliers a lamentablement échoué, sauf au niveau de la réduction des risques. Il faut reconnaître que, sur ce plan là, le nombre de décès liés à des overdoses a considérablement diminué.
Notre société doit se ressaisir ! Au niveau des invites de cette motion, on peut dire qu'elles enfoncent essentiellement des portes ouvertes et qu'on ne va pas apprendre grand-chose: la situation est connue, seulement notre société n'a pas la volonté de lutter contre ce fléau.
D'autre part, je suis étonné d'entendre le MCG dire qu'il y avait trop de peines préventives: hier, il disait que les juges enfermaient à tour de bras à Champ-Dollon et qu'ils n'avaient pas le sens de la réalité... On sait pourtant que les 80% des détentions préventives à Champ-Dollon sont dues soit au trafic de drogue, soit à la communauté touristique. Je suis donc étonné qu'on puisse, un jour, être contre Champ-Dollon, être contre la répression, être contre l'enfermement en préventive des trafiquants de drogue, et que, le lendemain, on nous fasse une leçon sur la manière de combattre le trafic de drogue dans ce canton !
Il y a des possibilités de sévir, puisqu'on peut sans aucun problème condamner un trafiquant à cinq ans de réclusion, seulement la capacité carcérale de ce canton et la volonté du pouvoir politique dans ce canton ne le permettent plus ! Il s'agit d'un thème de nature fédérale. Je rappelle que la loi est fédérale, et la meilleure façon d'agir est de permettre aux différents acteurs de prendre les bonnes décisions et d'appliquer les meilleures mesures. Il faut agir au niveau fédéral par un renforcement de la loi sur les stupéfiants. Mais je crois que le climat politique actuel, au niveau fédéral, ne va pas du tout dans ce sens, et il faut s'attendre à une aggravation de la situation.
Donc, le groupe UDC n'est pas opposé, bien au contraire, à un renforcement de la lutte dans le domaine du trafic de stupéfiants, mais cette motion n'en prend pas le bon chemin. Je rappelle aussi que, contrairement à ce que disent la plupart des intervenants des bancs d'en face, on doit admettre que, dans ce canton, le trafic de drogue est essentiellement l'oeuvre des requérants d'asile et que l'un des moyens de parvenir à réprimer ce trafic, c'est de durcir la loi sur l'asile. (Brouhaha.) Et je crois que le peuple, qui aura la possibilité de se prononcer sur ce thème dans quelques mois, verra très bien la relation entre asile et trafic...
Une voix. Pas «asile», mais: «requérants d'asile» !
M. Gilbert Catelain. Oui, «Requérants d'asile», pardon ! Vous avez raison: celui qui obtient l'asile n'a, en principe, pas commis de délits en matière de trafic de stupéfiants - c'est la minorité, car on sait très bien que le trafic à Genève est le fait des requérants d'asile.
Une autre solution pourrait être aussi la surveillance vidéo de certains emplacements où ont lieu ces trafics. Le MCG cite, par exemple, les préaux d'école; je citerai la commune d'Annemasse qui a décidé de se doter d'environ 80 caméras de surveillance. Cette commune, socialiste, est victime d'une hausse importante de la criminalité. Bien que socialiste, cette commune a dû se dire que, finalement, il y avait des moyens efficaces et qu'il suffisait de les mettre en oeuvre.
Nous vous proposons donc de ne pas entrer en matière sur cette motion et d'agir par d'autres voies pour permettre aux acteurs qui, tous les jours, dans ce canton, oeuvrent contre le trafic de stupéfiants et aussi au niveau des dealers, de faire leur travail dans les meilleures conditions.
M. Renaud Gautier (L). M. de La Palice doit «faire la girouette dans sa tombe» parce que, comme on l'a dit tout à l'heure, le nombre de portes ouvertes enfoncées est absolument astronomique...
Une voix. Mais ça fait moins mal !
M. Renaud Gautier. Oui, ça fait moins mal. J'avais prévu de ne pas prendre la parole, mais les raisonnements de notre excellent collègue, M. Catelain, qui parle en spécialiste, m'effarent un peu. On veut tout en même temps faire une enquête sur le trafic de drogue, une enquête limitée aux drogues répréhensibles - et n'incluant pas, par exemple, les excellentes drogues que fabrique mon ami Jean-Michel Gros... (Exclamations. Rires.) On ne veut pas s'occuper d'autres problèmes, par exemple de voitures plus ou moins puissantes... (Rires. Brouhaha.)
Une voix. Des noms !
M. Renaud Gautier. Mais on est juste dans la «victimisation» d'une classe de la population, en décidant a priori que ceux qui commettent ces crimes sont, par principe, étrangers. Alors, je voudrais rétablir une balance tout à fait méritoire. Tout le monde sait que, dans ce parlement, il y a plus d'un député à qui il est arrivé de «trafiquer» - cela doit probablement être aussi le cas dans le public qui nous regarde et nous écoute. Il n'y a pas forcément que des étrangers qui trafiquent. C'est un problème suffisamment important, à propos duquel l'Etat fait des efforts qui doivent être reconnus, pour qu'on n'essaie pas de minimiser le problème ou d'attribuer à une classe de la population une responsabilité qu'elle n'a pas, par rapport à d'autres.
Il faut le redire ici, des moyens nombreux sont mis en place. Je regrette que M. Stauffer ne puisse pas aller se promener le long des quais du Rhône après 22h - je pense que cela lui ferait du bien - et son propos m'a l'air totalement erroné. Au lieu de stigmatiser, je voudrais simplement que l'on s'intéresse au travail effectif de la police, d'une part, mais aussi à celui de tous ceux qui travaillent dans le domaine de la prévention, car on diminuera réellement cette problématique lorsque l'on fournira autant d'efforts du côté de la prévention que l'on en place du côté de la répression. (Applaudissements.)
M. Eric Stauffer (MCG). Pour sûr, seuls ceux qui ne font rien ne risquent pas la critique, hein ? C'est bien de critiquer la motion du MCG, hein ? A vous écouter, il n'y a que des Suisses qui sont dealers de drogue et en prison... A vous écouter, hein,... (Brouhaha.) ... en fait il n'y a aucun problème, tout va bien. Tout est connu, hein ? Mais alors, on pourrait se demander ce qui se passe et pourquoi il y a autant de zones d'insécurité à Genève !
Des voix. Hein ? (Chahut. Remarque.)
M. Eric Stauffer. Ah bon ! Il n'y a pas de zones d'insécurité ? Il vous faut lire les journaux, chers collègues ! (Brouhaha.) Je crois qu'il y a eu un meurtre au bord du Rhône, il n'y a pas si longtemps, commis par deux jeunes toxicomanes qui, pour voler quelques centaines de francs, ont assassiné un Hollandais, hein ? (Chahut.) Et ce n'est que le dernier exemple ! Je crois qu'il faut être un petit peu sérieux... (Brouhaha.) Le MCG ne prétend pas...
Le président. Un instant, Monsieur le député ! Mesdames, Messieurs les députés, je vous prie de laisser l'orateur s'exprimer ! Vos sarcasmes sont malvenus. Vous avez la parole, Monsieur Stauffer.
M. Eric Stauffer. Merci, Monsieur le président. C'est sûr que ce problème est très important, surtout pour nos concitoyens qui ont des adolescents entre 14 et 18 ans, période la plus cruciale dans l'éducation de notre progéniture. Maintenant, c'est sûr que le Mouvement Citoyens Genevois ne prétend pas que cette motion, qui demande la création d'une commission parlementaire, constitue la panacée. Mais cette commission a au moins le mérite de vous responsabiliser, chers collègues ! Parce qu'on peut créer une commission d'enquête qui va durer... je ne sais pas, un semestre par exemple, comme les autres commissions ad hoc que nous avons dans ce parlement. Mais au moins, elle mettra clairement en lumière, pour notre Grand Conseil, tout ce qu'il y a à analyser ! Surtout, cette commission permettra de voir quels sont les moyens que nous, politiques, pourrons amener au pouvoir judiciaire pour renforcer sa mission de protection de nos concitoyens.
Quand j'entends que «cette motion parle des étrangers» et quand j'entends M. Portier s'étonner que les trafiquants aient un statut... Oui, Monsieur Portier, les trafiquants, comme n'importe quel citoyen, ont un statut ! Et c'est cela que cette commission d'enquête pourrait tendre à démontrer ! C'est de savoir - et je vous le donne dans l'ordre: «définir le statut des dealers de drogues: Suisses, étrangers, réfugiés économiques ou politiques;». Moi qui fais partie de la commission des visiteurs officiels, je sais qu'il est vrai - et vous pouvez le demander à vos collègues qui en font partie - que le trafic de cocaïne, par exemple, est exclusivement le fait de ressortissants du Nigeria... Et qui sont ces ressortissants du Nigeria ? Eh bien, ce sont des réfugiés politiques ! (Remarques. Brouhaha.) Ecoutez... Bref, vous ne connaissez pas les chiffres, alors ne parlez pas de ce que vous ne savez pas !
Pour en revenir à cette motion, Mesdames et Messieurs, ce que nous vous demandons, c'est de l'accepter. Encore une fois, une commission ad hoc pourra durer un trimestre ou un semestre, mais elle donnera une information claire à notre Grand Conseil: vous serez informés. Et, partant de ce principe-là, nous pourrons examiner les éléments à mettre en oeuvre pour améliorer tout ça.
M. Gabriel Barrillier (R). C'est un problème grave que nous traitons maintenant, je crois qu'il ne faut pas se voiler la face. Les citoyennes et citoyens qui nous regardent ont l'impression que, finalement, les problèmes de la drogue et tout ça font l'objet d'une soirée joyeuse du Grand Conseil... Moi j'estime qu'il n'y a pas à provoquer des lazzis contre le groupe politique ou le collègue qui a soulevé cette affaire.
Maintenant, attention ! Je pense que, effectivement, le MCG, en déposant cette motion, que nous devons refuser... Evidemment, en la refusant, on passe pour les méchants, on passe pour les gens qui ne s'occupent pas d'un problème grave. Et là, c'est le côté, je suis désolé de vous le dire, un peu machiavélique de votre motion ! (Brouhaha.)
M. Eric Stauffer. Alors, acceptez-là !
M. Gabriel Barrillier. Je vais m'expliquer. Je suis désolé, ça c'est... C'est une motion facile ! C'est la motion que j'appelle «Zorro» - c'est à dire qu'avant votre arrivée il ne s'est rien passé, les autorités politiques n'ont rien fait, le Grand Conseil n'a jamais traité cette question...
M. Eric Stauffer. C'est peut-être pour ça qu'on a été élus ! (Brouhaha.)
M. Gabriel Barrillier. Cher collègue, je ne vous ai pas interrompu ! J'ai dit au départ que c'était un problème grave et j'ai rappelé que, en ce qui me concernait, il n'était pas dans ma nature de me moquer ou de manifester à l'encontre d'un collègue qui s'explique. Mais j'ai dit que c'était une motion «Zorro» parce qu'encore une fois, tout à l'heure, le député brigadier Borloz nous a expliqué par le menu - mais dans votre groupe vous avez également des collègues qui font partie de la force publique - tout le dispositif mis au point pour essayer d'enrayer ce phénomène. Donc, nous ne sommes pas restés les bras ballants ! Et avec votre commission d'experts, il y a un problème de forme. D'abord, j'ai cru que c'était une commission parlementaire - cela a été dit, on n'a pas compris, donc cela ne peut pas être une commission parlementaire, ce serait une commission d'enquête. Quand on crée une commission d'enquête, le Grand Conseil demande au Conseil d'Etat de la nommer - encore que ce ne soit pas une procédure très courante... Cela veut dire que cela a complètement foiré !
Evidemment que la situation n'est pas bonne ! Moi aussi, je me promène dans le parc des Eaux-Vives et dans le parc La Grange quand je fais mon footing... Evidemment qu'on voit beaucoup de choses ! Mais ce que l'on ne peut pas accepter, chers collègues du MCG, c'est que vous arriviez, que vous déposiez une motion fourre-tout, qui donne l'impression que vous allez sauver la République ! Moi j'appelle ça du poujadisme. Le poujadisme, Madame, Messieurs, c'est quand on fait des promesses qu'on ne peut pas tenir ! En tant que parlement responsable, on ne peut pas suivre cette voie.
Votre motion traite d'un problème gravissime. Gravissime ! Et que, en tout cas en ce qui me concerne, de même que le groupe radical, nous ne passons pas sur la jambe, c'est évident ! Mais il y a déjà des procédures en cours et il y a une y a une confusion des rôles ! Cette commission se substituerait à toutes les instances et à toutes les «Task Forces» - j'ai utilisé un terme anglais, vous l'avez remarqué... (Commentaires.) Bon, je ne sais pas s'il y a un autre terme. Donc, j'estime que vous devriez retirer votre motion. Vous nous demandez parfois de vous suivre et d'avoir du courage... Vous aussi ! Vous devriez retirer votre motion, faire confiance aux procédures, aux campagnes actuelles, aux engagements et aux efforts qui sont entrepris par toutes les instances de la République pour essayer d'enrayer ce phénomène ! Et ne pas faire croire aux gens que vous êtes les seuls à pouvoir régler ce problème.
Le groupe radical va refuser cette motion, mais je rappelle, et souligne, que le refus de cette dernière ne signifie pas que nous n'avons pas compris le problème et que nous ne sommes pas désireux de combattre un phénomène très grave. (Applaudissements.)
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. La motion qui vous est soumise demande la création d'une commission d'enquête. Qui dit «commission d'enquête» dit qu'il y aurait des choses que nous ignorerions et qu'il faudrait que nous apprenions. Or aujourd'hui - l'ensemble de vos interventions le démontre - nous savons parfaitement bien ce qui se passe et qui se bat, jour après jour, à savoir la police, pour réprimer le trafic de drogue. Alors, il n'y aucune raison d'enquêter sur quoi que ce soit. Si vous manquez d'informations, Monsieur Stauffer, vous pouvez vous adresser à moi !
Vous avez dit qu'il y a un manque de volonté politique. Je ne le pense pas parce que, dans ce parlement, chaque fois qu'il y a été question de drogue, il y a toujours eu un accord extrêmement large sur cette politique des quatre piliers, qui va de la prévention à la répression en passant par les soins et les traitements. Ce que nous devons faire aujourd'hui, comme l'a dit M. Gabriel Barrillier, c'est réaffirmer notre volonté de lutter contre le fléau de la drogue, et non pas juste vouloir savoir ou se promènent les trafiquants, parce que cela, on le sait. Ce que nous devons faire aussi, c'est peut-être prendre l'engagement, lors d'un prochain débat budgétaire, d'augmenter les sommes nécessaires à la prévention car, comme l'a rappelé M. le député Gautier, c'est par là que l'on peut éradiquer le fléau de la drogue. La répression intervient à un stade où les consommateurs sont à ce point pris par leur produit et les trafiquants à ce point là appâtés par le gain que, de toute évidence, il n'y a plus que la répression, et qu'elle n'est même pas susceptible de succès extrêmement spectaculaires, puisque l'addiction et l'appât du gain sont tels qu'il y a toujours des toxicomanes, des policiers qui doivent leur courir après et des dealers qui font des affaires. Ce qu'il faut faire pour réduire le fléau de la drogue, c'est, fondamentalement, prévenir ! Parce qu'il n'y a de dealers que s'il y a des toxicomanes, il faut bien le dire !
Donc, la seule manière d'empêcher qu'il y ait un trafic de drogue, c'est de faire en sorte, par toutes les manières possibles, que nos enfants et nos adolescents ne soient pas pris dans ce fléau, dans cette spirale, à partir de laquelle il n'existe, à un moment donné, plus que la répression dont l'efficacité, malgré l'engagement de la police, est quelquefois limitée.
Alors, Mesdames et Messieurs les députés, cette motion a permis de dire un certain nombre de choses qui devaient être dites. Quant à la proposition qu'elle contient, elle est inutile et vous la rejetterez. (Applaudissements.)
Mise aux voix, la proposition de motion 1663 est rejetée par 66 non contre 6 oui et 2 abstentions.
Débat
Le président. La parole n'est pas demandée... Si ! Elle l'est par Mme Carole-Anne Kast, à qui je la donne.
Mme Carole-Anne Kast (S). Cette motion met en exergue un certain nombre de problèmes au sein du pouvoir judiciaire, notamment un problème évident: dans les conditions actuelles, les audiences de conciliation n'arrivent pas à atteindre leur but. Maintenant, la question est de savoir si le remède que les motionnaires proposent est satisfaisant. En effet, les motionnaires, tout soucieux d'économie et d'efficacité de la justice, se disent qu'on n'a pas le temps de concilier, que cela fait une audience de plus, que ça n'en vaut pas la peine et qu'il faut supprimer les audiences de conciliation... Pourtant, Mesdames et Messieurs les motionnaires, dans les domaines où la conciliation peut être faite - il y en a deux où elle l'est avec succès: les baux et loyers et les Prud'hommes - elle donne des résultats. Elle pourrait être encore améliorée, mais elle donne de bons résultats. On est bien loin des 3% évoqués dans votre texte, les chiffres de conciliation oscillent plutôt entre 25 et 50%. Genève n'est pas véritablement le canton champion en la matière, puisqu'on y est plutôt proche des 30% alors que les autres cantons suisses sont généralement un peu plus haut.
Il s'agirait plutôt de se demander comment rendre la conciliation efficace. Fondamentalement, il y a un vieil adage qui dit qu'il vaut mieux un mauvais accord qu'un bon procès: je pense qu'un accord ne peut pas être mauvais du moment qu'il est accepté librement par les deux parties. Puis, finalement, une affaire conciliée, c'est une affaire qui ne charge pas les tribunaux.
Par conséquent, même si cette motion met en exergue un certain nombre de problèmes qui sont vrais, nous considérons que les solutions apportées ne sont pas satisfaisantes et nous estimons qu'il convient de rejeter cette motion.
M. Damien Sidler (Ve). Les Verts, sur beaucoup de points, approuvent ce qui vient d'être dit. Effectivement, les 3% évoqués sont une perspective bien pessimiste de ce que l'on peut concevoir de cette conciliation, mais il nous semble qu'elle est quand même plus efficace que vous ne l'avez indiqué dans votre motion.
Cependant, on remarque quand même un problème, étant donné que c'est quelque chose de récurrent. Pour preuve, un projet de loi a déjà été déposé devant ce Grand Conseil - il se trouve d'ailleurs actuellement à la commission législative. Il a été déposé en 2000, par le parti radical - ou en tout cas par des membres du parti radical. Donc, on a déjà eu beaucoup d'auditions sur ce sujet qui proposait une suppression totale de la conciliation. Ce projet est d'ailleurs toujours dans cette commission; il est suspendu, étant donné qu'on attend que des choses se précisent au niveau fédéral, sauf erreur. Mais il y a eu un paquet d'auditions, des procès-verbaux qui sont déjà bien fournis, et le rapport est prêt à être rédigé.
Je vous demanderai, si l'on entre en matière, de renvoyer cette motion devant cette commission pour, éventuellement, grouper les deux objets pour achever d'examiner cette question qui, semble-t-il, mérite quand même d'être étudiée.
Le président. Monsieur le député, votre conclusion est-elle que vous souhaitez le renvoi de cette motion à la commission législative ou que vous ne l'envisagez que si la motion est adoptée ? Parce que ce n'est pas la même démarche: la motion peut être soit renvoyée au Conseil d'Etat, ce qui est son objet ou en tout cas celui des proposants, soit renvoyée en commission, soit rejetée. Je vous laisse réfléchir, vous nous direz quelle est votre position. La parole est à M. Olivier Wasmer.
M. Olivier Wasmer (UDC). Vous entendez parler à chaque occasion, dans ce parlement, des grands problèmes de la justice, on en parle en matière pénale et en matière civile. Les juges sont aujourd'hui débordés à tel point que, lors des audiences d'appel des causes, certains d'entre eux nous distribuent de petits papiers pour nous informer que, malheureusement, les affaires ne pourront plus être appointées avant le mois de septembre. On est donc au mois de mai et l'on reçoit des petits papiers de plusieurs chambres du tribunal, les juges croulent totalement sous le travail puisque les procédures ont carrément doublé ou triplé. A ce sujet, je vous renvoie aux directives de l'administration du Palais de justice qui vous donne des statistiques à ce sujet.
La conciliation, comme l'a dit la députée Carole-Anne Kast tout à l'heure, est un préalable à toutes les procédures civiles. Dans les procédures ordinaires, quand une demande a été déposée - comme dans le cas de la BCGe dont on parle beaucoup, qu'il s'agisse d'une affaire à 6 millions de francs, à 20 millions de francs ou à 9000 francs, elle doit passer devant le juge de conciliation, qui en a environ une centaine voire jusqu'à deux cents à traiter entre 14h et 16h... Inutile de vous préciser que le juge n'a absolument pas le temps d'entendre les parties. Je fais, bien entendu, abstraction de la procédure devant le Tribunal des prud'hommes et devant le Tribunal des baux et loyers.
De toute façon, les parties ne sont pas du tout disposées à transiger, puisque chacune d'elles est convaincue de son bon droit. Il est vrai qu'à peu près 20% des affaires sont conciliées, mais, cela étant, les juges n'ont plus le temps de concilier parce qu'ils ont beaucoup trop de jugements à rendre. Aujourd'hui, la conciliation doit être supprimée. Mais dans ce projet, dans cette motion que l'UDC a déposée, nous souhaitons également que, le cas échéant, la conciliation puisse devenir totalement facultative, ce qu'elle n'est pas encore tout à fait aujourd'hui, alors que c'est le cas dans plusieurs autres cantons. Cela permettrait aux parties, le cas échéant, de solliciter expressément la conciliation si le besoin s'en fait sentir. Il est vrai qu'il vaut mieux un mauvais arrangement qu'un bon procès, tout le monde le sait, chaque avocat le dira à son client. Mais aujourd'hui, le problème est que les juges n'ont pas le temps d'entendre les parties en conciliation et que les demandes déposées font parfois 20, 30 ou 40 pages... Inutile de vous préciser que les juges, avec tout le respect que je leur dois, n'ont pas le temps de lire 20 ou 30 pages pour une audience de conciliation. Donc cela, c'est le premier point, s'agissant des conciliations, et, comme je l'ai souligné, cela ne touche ni le Tribunal des baux et loyers, ni le Tribunal des Prud'hommes, dans lesquels, il est vrai, le système de la conciliation aboutit parfois à de très bons résultats.
Autre volet du dossier: les audiences d'introductions. Après l'audience de conciliation, il existe une audience d'appel des causes où toutes les affaires nouvelles sont appelées, généralement le jeudi matin, quand les chambres du tribunal se réunissent. A ce moment-là, chaque avocat a l'obligation de se présenter pour qu'on lui fixe un délai et qu'on renvoie cette affaire à une audience de plaidoirie. Et cela fait se déplacer tous les avocats genevois, ou en tout cas leurs collaborateurs, devant cette chambre... Les systèmes vaudois, fribourgeois et valaisans sont tout à fait différents: dès qu'un juge est saisi d'une demande, en dehors, bien entendu, du domaine du bail et de celui des prud'hommes, le juge téléphone à l'avocat - au lieu de le convoquer à une audience spéciale qui dure une heure - et il lui demande de quel délai il a besoin pour répondre à cette demande. C'est bien plus simple ! Je signale à ce sujet que les audiences d'appel des causes durent de 8h à midi, tous les jeudis matin.
Les juges sont donc totalement mobilisés pour une seule raison: pour fixer les délais - ou recevoir des dossiers de plaidoiries. Dans tous les autres cantons qui nous entourent, cette audience d'introduction n'existe pas puisque, comme je vous l'ai dit, les juges donnent des délais à réception d'une demande quelle qu'elle soit, qu'il s'agisse d'une demande en divorce, d'une demande en paiement, ou d'une demande de dommages et intérêts.
Donc, ce qu'on sollicite aujourd'hui, c'est de supprimer cette audience d'appel des causes, de façon que la procédure soit simplifiée et que, plutôt que de perdre leur temps pendant près d'une heure chaque matin devant une chambre, les avocats soient tout de suite fixés par courrier, ou même verbalement, sur le délai que le tribunal leur accordera.
M. Olivier Jornot (L). Il y a des projets de lois ou des motions qui sont inspirés par des considérations purement idéologiques. Celui-là est au contraire inspiré par des considérations purement pragmatiques. A sa lecture, on ne peut s'empêcher d'éprouver de la compassion pour ce jeune avocat, décrit errant d'une audience à l'autre, en passant quelques minutes ici, quelques minutes là, en mal de «time sheet». J'ai trouvé ce texte extrêmement émouvant.
Mais, pour maintenant redevenir sérieux et parler des choses comme elles sont, j'aimerais rappeler aux motionnaires que, depuis quelques années, il y a un processus en cours sur le plan fédéral qui est le processus d'unification de la procédure civile. Les membres de la commission législative qui, comme M. Sidler l'a rappelé tout à l'heure, ont dû étudier un projet portant exactement sur le même objet sont précisément arrivés à la conclusion qu'il ne servait à rien de dépenser de l'énergie sur un projet de ce type puisque, précisément, la procédure civile fédérale allait tout régler.
L'avant-projet de nouvelle procédure civile fédérale institue l'essai obligatoire de conciliation ! Et il consacre très exactement 13 articles à l'essai obligatoire de conciliation: dans quels cas il est vraiment obligatoire, dans quels cas il y a des dispenses, dans quels cas les parties peuvent le demander ou ne pas le demander. Par hypothèse, cela signifie que si nous devions accéder à la proposition qui est faite et qui en soi, évidemment, n'est pas dépourvue d'intérêt, si nous devions considérer que le taux de réussite des conciliations était insuffisant et devait nous inciter à supprimer l'essai obligatoire de conciliation, ce serait pour le réintroduire dans quatre ans, à la faveur de l'introduction de la procédure civile fédérale unifiée. Il y a là, il faut bien le dire, quelque chose qui ne serait pas parfaitement cohérent, ce d'autant moins que cette nouvelle procédure civile fédérale est annoncée pour l'horizon 2010. Compte tenu du temps nécessaire pour traiter cette motion en commission, puis pour, le cas échéant, la faire revenir devant l'ordre du jour, la renvoyer au Conseil d'Etat afin qu'il élabore une modification législative, nous arriverons, comme les carabiniers d'Offenbach, une fois que la bagarre sera complètement terminée.
Raison pour laquelle le groupe libéral, tout en ayant, encore une fois, beaucoup de compréhension pour les situations évoquées dans cette proposition de motion, vous suggère de ne pas la suivre et de ne pas encombrer inutilement le rôle de l'une ou l'autre des commissions de ce parlement.
M. Pascal Pétroz (PDC). Nous vivons depuis quelques mois dans une osmose absolument extraordinaire qui fait que, alors qu'il y a quelques mois cela n'aurait pas été possible, le représentant des Verts peut avoir exactement les mêmes propos sur le fond que le représentant du parti libéral ! En l'occurrence, tant le parti écologiste que le parti libéral ont totalement raison. Le groupe démocrate-chrétien s'associera bien évidemment aux propos très sensés qui viennent d'être tenus dans cette enceinte.
De fait, la procédure civile fédérale unifiée entrera en vigueur sous peu, de sorte qu'il n'y a absolument aucune raison de modifier notre procédure cantonale pour quelque chose qui va être changé tout à fait prochainement au niveau fédéral. J'aimerais dire à nos amis de l'Union démocratique du centre que leur proposition est très intéressante et qu'elle mérite le respect. En même temps, si l'UDC, qui était représentée dans ce parlement lors de la précédente législature, l'avait correctement été à la commission législative qui a eu l'occasion de traiter de ces questions, comme M. Sidler l'a rappelé, elle aurait été au courant du fait que la question de la conciliation obligatoire a été traitée dans de nombreuses séances de cette commission législative. Et, M. Sidler l'a rappelé à bon escient tout à l'heure, la commission législative a décidé de geler les travaux sur cette question, compte tenu de l'entrée en vigueur prochaine de la législation sur la procédure civile unifiée.
Alors, merci à l'UDC de vouloir réinventer la roue ! Merci à l'UDC de vouloir proposer des projets que des gens ont proposés avant eux ! Merci beaucoup pour cette contribution très adéquate au débat politique ! Cela étant, soyons sérieux, Mesdames et Messieurs les députés: la prochaine procédure civile fédérale entrera en vigueur bientôt, il convient par conséquent de refuser cette motion avec clarté et énergie.
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. J'aimerais tout d'abord rendre hommage à M. le député Damien Sidler, qui est le seul non-avocat à s'être risqué dans cette matière délicate. La motion qui vous est proposée va à l'inverse de ce qui est souhaitable, sur un point, parce que vous avez à maintes reprises - et à juste titre - insisté sur la nécessité de trouver des mécanismes de médiation, de conciliation et d'apaisement des conflits extrajudiciaires. Dès lors, supprimer la conciliation est exactement l'inverse de ce qu'il faut faire. Il conviendrait, au contraire, de la renforcer pour lui permettre d'atteindre le degré de réussite qu'elle a lorsqu'elle bien organisée, comme c'est le cas devant le Tribunal des baux et loyers ou devant le Tribunal des Prud'hommes. Toutefois, et plusieurs d'entre vous l'ont relevé, les projets de procédure civile fédérale unifiée sont tels qu'il n'est pas très raisonnable qu'à quelques années de cet avènement-là nous refassions notre système genevois.
En ce qui concerne l'audience d'introduction, qui est un problème totalement différent, il est vrai qu'aujourd'hui, Monsieur le député Wasmer, ce n'est pas très satisfaisant. On pourrait se demander si, sans se lancer dans des travaux parlementaires compliqués, on ne pourrait pas trouver une solution qui permette, dans un certain nombre de cas, d'éviter cette audience d'introduction. Cela ne nécessiterait pas forcément des travaux très importants et ça n'est pas en contradiction avec le fait que nous attendons la procédure civile unifiée. Je suggère que nous en rediscutions. Pour des motifs d'économie de procédure parlementaire et d'économie de moyens, je crois qu'aujourd'hui cette motion doit être rejetée et que l'on reprenne de manière adéquate la question de l'audience d'introduction.
Mise aux voix, la proposition de motion 1670 est rejetée par 61 non contre 9 oui et 2 abstentions.
Débat
M. François Gillet (PDC). Cette motion demande en substance qu'il soit procédé à un état des lieux du problème de l'endettement des jeunes à Genève. Tant sur l'ampleur du phénomène, qui a tendance à s'aggraver, que sur les actions menées, aujourd'hui dans ce domaine, par les services sociaux ou par les associations qui s'en occupent.
Quel est le contexte? La presse s'en est fait l'écho récemment, nous assistons actuellement en Suisse - et Genève ne fait pas exception - à une précarisation de la jeunesse de ce pays. Il est vrai qu'à Genève en particulier, et nous l'avons déjà évoqué, le chômage des jeunes contribue à aggraver la situation de cette catégorie de la population. Il est également important de rappeler que la pression sociale, dans une société de consommation telle que la nôtre, incite de nombreux jeunes à consommer, sans forcément en avoir les moyens. Aujourd'hui, les études sur le plan fédéral montrent que ce phénomène s'aggrave. Il s'aggrave de façon inquiétante et nous devons nous en préoccuper. Il a été procédé à un certain nombre d'études qui concernent essentiellement les 18-25 ans et qui montrent que ce phénomène augmente de façon inquiétante dans notre pays. Il faut le dire, et là les chiffres manquent, ce phénomène touche malheureusement de plus en plus de jeunes adolescents, qui dans leur vie de tous les jours ont tendance, là aussi, à emprunter, sans forcément pouvoir rembourser.
Notre parti, par l'intermédiaire de son groupement féminin, a beaucoup travaillé sur cette question et il nous est apparu qu'à Genève le problème était réel et qu'il s'aggravait. Il nous est apparu également qu'un certain nombre d'actions sont aujourd'hui menées par les services sociaux communaux et par l'Hospice général. Il est également apparu que de nombreuses associations sont actives dans ce domaine, mais sans réelle coordination entre elles, et qu'il manque une vision d'ensemble de cette problématique. Il est donc temps de procéder à un état des lieux à Genève et d'envisager des mesures qui, à nos yeux, devraient être essentiellement préventives. Nous en avons parlé tout à l'heure avec la toxicomanie. Là aussi, les écoles doivent prendre conscience du problème et un certain nombre d'actions doivent pouvoir y être menées.
Il est vrai que ce thème, comme d'autres traités par ce parlement, met également en question une certaine responsabilité individuelle et le rôle des familles. Nous en sommes conscients. La question peut se poser de savoir si l'Etat doit intervenir dans ce domaine ou si, finalement, cela ne devrait pas rester du ressort de la responsabilité individuelle et des familles. Malgré tout, lorsqu'un problème avéré débouche sur une situation qui peut compromettre l'avenir d'une partie de notre population, nous pensons que l'Etat a son rôle à jouer, notamment dans le domaine de l'information et de la prévention. Raison pour laquelle, Mesdames, Messieurs les députés, nous souhaiterions ne pas perdre de temps pour que cet état des lieux soit mené.
Nous pensons que cette motion - nous le souhaitons en tout cas - puisse être renvoyée directement au Conseil d'Etat qui vérifiera l'ampleur du problème et déterminera s'il y a lieu ou pas de légiférer en la matière ou de revoir un certain nombre de dispositions en vigueur. Nous n'avons pas, du côté du parti démocrate-chrétien, des solutions toutes prêtes à vous proposer, mais nous pensons qu'il est urgent de se préoccuper de cette question à Genève. (Applaudissements.)
M. Claude Aubert (L). Le problème de l'endettement des jeunes est extrêmement grave et il est évident qu'envoyer cette motion au Conseil d'Etat serait la démarche la plus utile. Il est extrêmement pénible de voir des jeunes de 20 ans ayant déjà 40 000 F de dettes, pour ne pas dire 80 000 F de dettes. Le problème est extrêmement sérieux.
Si vous me le permettez, je voudrais faire un tout petit peu d'humour, malgré la gravité du sujet. Dans la rue, vous pouvez voir des affiches représentant un petit enfant dans une piscine avec une bouée, et l'on traite ici de l'endettement. Mais on pourrait imaginer faire une campagne publicitaire avec l'image d'un jeune homme ou d'une jeune femme, de 20 ans environ, accompagnée du texte: «20 ans et déjà 40 000 F de dettes.» Vous verriez alors les libéraux réagir et proposer: «20 ans: déjà 40 000 F de dette privée et 40 000 F de dette publique»...
M. Pierre Kunz (R). Je crois me rappeler que le PDC s'affiche comme le parti de la famille et défend le rôle essentiel qu'elle joue dans notre société. Je crois aussi me rappeler que le PDC se réfère souvent, dans son discours politique, à la responsabilité individuelle. D'ailleurs, cela a été rappelé. Mais alors, Mesdames et Messieurs les députés, où sont passés, dans la rédaction de cette motion, ces piliers de la doctrine PDC ? Où cette motion se réfère-t-elle au rôle de la famille, au rôle éducatif des parents, à la valeur de l'exemple parental dans cette éducation ? Où cette motion rappelle-t-elle la responsabilité personnelle, celle des adultes et celle des jeunes adultes aussi, s'agissant de l'équilibre que chacun d'entre nous doit maintenir entre ses envies et ses moyens ? Où cette motion, axée sur un symptôme, condamne-t-elle la société de l'envie et du matérialisme que nous avons laissée se développer ?! (Rires.) Mais oui, c'est vrai, Mesdames et Messieurs ! Nous vivons, et je la connais bien, dans une société d'hyperconsommation, de consommation stupide même! (Rires. Remarques.) Et si je tiens ces propos, c'est parce que je suis particulièrement bien placé pour savoir de quoi il s'agit, contrairement à un certain nombre d'entre vous, peut-être! Mais les auteurs de cette motion doivent-ils pour autant nier les responsabilités et inverser les rôles ? Doivent-ils faire passer la liberté de consommer derrière une espèce de fatalité, cette fatalité qui guetterait chacun d'entre nous - les jeunes en particulier - et pousserait à la surconsommation et à l'endettement ?!
Mesdames, Messieurs, que se passe-t-il chez nos collègues PDC ?
Une voix. Qu'est-ce qui se passe... (Brouhaha.)
M. Pierre Kunz. D'une part, ils entendent aider financièrement les familles à coups d'allocations familiales extrêmement généreuses... (Commentaires.) ... distribuées à tous, et, d'autre part, ils admettent que nombre de parents sont incapables «de conscientiser» leurs enfants aux modes de consommation et qu'ils sont incapables de réunir, je cite: le «minimum de conditions nécessaires» à la responsabilisation de leurs enfants. Et d'en appeler à l'intervention de l'Etat !
Insensibles à ce paradoxe, nos collègues demandent au Conseil d'Etat de construire une de ces usines, dites «de prévention», une usine destinée - excusez du peu - à ne pas laisser les jeunes sans réponses appropriées... A lutter efficacement contre l'endettement des jeunes... A sensibiliser ceux-ci... Et la suite est encore plus intéressante: à adapter notre système d'éducation en incluant la thématique de l'endettement dans des cours secondaires et professionnels. Et ça continue: à élaborer «de nouveaux modes de collaboration interinstitutionnels» associant «différents partenaires émanant du secteur public, du monde associatif et du secteur privé...». Je ne continue pas la liste, parce que cela me prendrait tout mon temps de parole.
Mesdames et Messieurs les députés, si cette motion n'était que démagogique, on s'en moquerait ! Mais le texte qui nous est soumis est désastreux dans le message déresponsabilisant qu'il fait passer aux familles, comme aux individus ! Il est désastreux, car, une fois de plus, certains laissent croire aux moins bien armés d'entre nous que, pour diverses raisons - par exemple qu'ils manqueraient de volonté ou céderaient trop facilement à certains mauvais penchants - ils ne peuvent pas s'en sortir seuls ou avec l'aide de leurs proches, qu'ils sont excusables, bien entendu, et que l'«Etat nounou» va prendre soin d'eux, afin de leur éviter la peine d'assumer les conséquences de leurs bêtises... Eh bien non, Mesdames et Messieurs, cette manière de traiter les familles et les jeunes adultes comme s'ils étaient des bébés n'est pas supportable ! Elle est «in»humaine, au sens étymologique du terme, c'est-à-dire qu'elle n'est pas conforme à l'espèce humaine, à ce que l'on entend par un être humain. Et il est temps, Mesdames, Messieurs du PDC, que vous remettiez vraiment «l'humain au centre» ! (Rires. Commentaires) Et que vous laissiez l'Etat s'occuper des vraies missions qui lui incombent, celles qui concernent l'instruction, l'ordre et la santé publique. Mesdames, Messieurs, l'endettement dû à la surconsommation imbécile ne constitue pas un enjeu de société ! (Commentaires.) Il concerne quelques individus, et même si l'un ou l'autre d'entre eux devait tomber à l'assistance - parce que vous n'avez pas manqué de pousser cette musique-là - eh bien, ça n'empêche que cette motion ne mérite pas notre soutien ! Contrairement au soutien que nous avons apporté pour les crèches.
Des voix. Merci, Pierre... Merci... (Brouhaha.)
Mme Anne Mahrer (Ve). Non, Monsieur Kunz, ça ne concerne pas que quelques individus qui auraient une addiction pour la consommation. Cela concerne un nombre croissant de jeunes, et les Verts accueillent favorablement cette motion. Ils imaginaient d'ailleurs la renvoyer à la commission des affaires sociales et élargir cette problématique aux familles qui sont de plus en plus surendettées parce que, justement, des jeunes adultes de 24-25 ans fondent des familles et sont entraînés dans la spirale de l'endettement et du surendettement.
Il se trouve que mercredi et jeudi derniers, dans notre canton, a eu lieu l'assemblée générale de l'Association faîtière suisse des services d'assainissement de dettes, à laquelle j'ai participé pour son ouverture. Cette association regroupe tous les services qui travaillent dans ce domaine, dont l'Antenne romande des services d'assainissement des dettes qui fait un excellent travail, ainsi que le Centre social protestant, le CSP, et Caritas. Leurs constats sont alarmants ! Ils sont alarmants parce que des familles dont les membres travaillent ne les empêchent pas d'être pauvres. De plus, elles sont souvent dans l'impossibilité de régler leur loyer ou leurs impôts et ne s'en sortent plus. Donc, les services d'assainissement jouent un rôle essentiel.
Il y a un certain nombre de choses qui ont été mises en places et que nous pourrions reprendre, sans réinventer la roue, notamment une campagne de sensibilisation, campagne nationale destinée aux jeunes et qui se trouvent d'ailleurs sur leur site Internet qui s'appelle «Max.Money», que j'ai été voir. Ce site est tout à fait remarquable et permet d'obtenir des liens vers d'autres sites. Ces sites sont si bien faits qu'ils pourraient déjà être utilisés dans le cadre de notre éducation citoyenne à l'école ou, pourquoi pas, dans un cours de mathématiques, sur la façon de gérer un budget et son argent de poche.
Il ne s'agit pas d'un problème mineur, notre société est confrontée à cette problématique, et je pense que les collectivités publiques ont leur part de responsabilité. La collaboration avec tous ces services d'assainissement, en tenant compte de tout ce qu'ils sont déjà en train de faire, serait évidemment extrêmement profitable. Pour notre part, les Verts, nous suggérerions que l'on travaille sur ce sujet à la commission des affaires sociale et nous proposons donc le renvoi en commission de cette motion. (Applaudissements.)
Mme Véronique Pürro (S). Beaucoup de choses ont déjà été dites et j'approuve entièrement les paroles de Mme Mahrer. Aujourd'hui, le phénomène de l'endettement, voire du surendettement, est très inquiétant. Il touche de plus en plus de personnes qui viennent frapper à la porte des différents services sociaux et je vous assure, Monsieur Kunz, que le phénomène atteint une telle ampleur qu'on ne peut plus seulement s'en remettre à la responsabilité familiale. Je crois qu'il s'agit d'un phénomène de société, et c'est bien à la collectivité d'y apporter une réponse.
Je dirai que ce phénomène, contrairement à ce que laisse entendre la motion, ne touche malheureusement pas que les jeunes - cela a été relevé par plusieurs personnes - et, comme dans de nombreux domaines à Genève, il n'existe pas de véritable politique coordonnée. Mme Mahrer y a fait référence: à Genève, seuls deux services privés sont en mesure de faire face aux problèmes d'endettement et de surendettement, parce que ce sont les deux seuls services qui ont les compétences nécessaires. Il s'agit du Centre social protestant et de Caritas. Je crois qu'il faut ici leur rendre hommage, parce que, même si des communes ou des services comme l'Hospice général apportent une aide au niveau financier, eh bien, la prise en charge d'une situation d'endettement ou de surendettement exige des compétences qu'aucune collectivité publique n'a aujourd'hui. Et il serait peut-être bien de nous pencher sur cette question-là, vu l'ampleur du phénomène.
Je regrette un peu que les invites de cette motion ne proposent que des pistes au niveau de la prévention. Parce que, même s'il est très important de prévenir, il s'agit aussi, pour faire face à ces situations, de développer des compétences publiques, et pas uniquement celles des services privés, à l'image de ce qu'ont fait d'autres cantons ou d'autres communes telles que celle de Lausanne.
Pour terminer, je renverrai les auteurs de cette motion à leurs responsabilités fédérales, car, comme vous l'avez très bien indiqué dans l'exposé des motifs de votre motion, une des origines de la problématique est liée à la loi sur le crédit à la consommation qui, en Suisse, est très insatisfaisante. Et je sais que la gauche aborde régulièrement ce sujet pour faire en sorte que cette loi ne permette pas, aussi facilement qu'à l'heure actuelle, d'accéder aux petits crédits. Je sais que la gauche est très seule dans ce combat, et si le parti démocrate-chrétien pouvait faire remonter cette problématique jusqu'à ses élus fédéraux, je crois qu'entre le PS et le PDC se dégagerait une majorité suffisante pour agir au niveau fédéral. Car c'est bien là qu'il faut agir, et non pas au niveau cantonal, puisqu'au niveau cantonal nous ne sommes là que pour guérir. Si l'on veut vraiment prévenir, Mesdames et Messieurs du PDC, c'est au niveau fédéral, qu'il faudrait agir. (Applaudissements.)
M. Gilbert Catelain (UDC). Le problème soulevé par cette motion est effectivement grave, il s'amplifie d'année en année, il n'est en tout cas pas nouveau. Je me souviens que dans l'administration dans laquelle je suis entré il y a une vingtaine d'année, l'employeur, déjà à cette époque, donnait une information sur la manière de gérer un budget. Cela parce que cette administration devait prendre en charge des personnes incapables de gérer leur revenu, alors que d'autres - la majorité - y parvenaient. Ces personnes n'arrivaient tout simplement pas à planifier l'utilisation de leurs revenus.
Nous sommes aujourd'hui confrontés à une évolution des mentalités: on sait que, de toute manière, l'Etat ne nous laissera pas tomber, que, si l'on est endetté et qu'on ne peut pas rembourser, on bénéficiera d'un filet social. A partir de ce moment-là, la responsabilisation attendue par M. Kunz n'est pas favorisée par la société elle-même. Hier, le parti radical a préconisé la socialisation de l'éducation des enfants en nous demandant la journée scolaire continue pour les placer à l'école de 6h du matin à 19h... (Brouhaha.) Aujourd'hui, il fait la leçon au parti démocrate-chrétien qui vise à socialiser l'information des élèves... Je crois que le parti démocrate-chrétien est assez conséquent: à partir du moment où les enfants sont à l'école de 6h à 19h, je ne vois pas comment les parents vont pouvoir les responsabiliser ! Parce qu'elle commence tôt, cette responsabilisation ! Elle commence à partir du moment où l'on commence à donner de l'argent de poche à son enfant; ça commence à partir du moment où l'on fait comprendre à l'enfant que tout n'est pas acquis, que tout n'est pas gratuit, que les choses ont un coût et qu'elles ont une certaine valeur.
La principale cause d'endettement chez les jeunes est liée à l'acquisition de la voiture et à son entretien: il est clair qu'un jeune ayant son permis de conduire veut exercer son droit à la conduite. Il commence par s'acheter une voiture hors de prix, et non pas d'occasion, et il prend un leasing pour lequel il doit payer des mensualités de 500 F, 800 F voire 1000 F par mois, mensualités qui sont sans commune mesure avec son revenu du travail. La deuxième cause d'endettement est liée à la consommation de substances psychotropes: on sait qu'à Genève pour se fournir à Genève une quantité moyenne de drogue, pour les adolescents c'est en moyenne 20 grammes par mois, on arrive déjà à 400 F de revenu. Rien que pour se fournir cette consommation ! (Brouhaha.)
Le groupe UDC est donc sensible à la motion présentée par le parti démocrate-chrétien. Il reconnaît la pertinence de trouver des solutions, d'une part via la société, d'autre part via la responsabilisation. Il est juste de dire que l'Etat ne doit pas tout faire et qu'il y a une prise en charge par la famille, pour autant que l'on en donne à celle-ci les possibilités. Le groupe UDC aimerait juste ajouter un point - et c'est pourquoi nous soutiendrons le renvoi en commission - notamment par rapport à la première invite. Il est juste de dire qu'il faut initier une politique d'éducation quant à cette responsabilisation, politique d'information et de sensibilisation destinée aux adolescents. Par contre, il faut aussi sensibiliser les jeunes aux conséquences sociales de l'endettement ! Car ce que l'on oublie de dire, notamment dans cette motion, c'est qu'à un jeune - et je peux vous le confirmer - qui vient actuellement chercher un travail dans une administration - pas forcément toutes - et qui a les compétences, qui a les certificats, eh bien, on va lui demander quoi ? On va lui demander de fournir un certificat attestant qu'il n'a pas de dettes ! Et selon l'importance de ses dettes, on va lui dire: «Monsieur, vous êtes bien gentil, vous êtes aimable, vous avez les qualifications, vous avez les compétences, malheureusement vous avez 50 000 F de dettes ! Il y a pour nous - surtout si l'on manipule de l'argent dans cette profession - trop de risques que vous ne retombiez à la charge de l'entreprise au niveau du service social et de l'encadrement.» Donc, on dit à cette personne qu'on est désolé et qu'on ne l'engage pas !
L'endettement a un effet pervers qui est l'exclusion sociale. Et c'est sur cet élément-là que nous devons responsabiliser les jeunes en les sensibilisant aux conséquences de l'endettement qui, souvent, sont passées sous silence. Pour ce motif, je soutiendrai le renvoi en commission.
Mme Véronique Schmied (PDC). Les jeunes que nous évoquons, lorsque nous parlons d'endettement, sont ceux qui vivent dans le présent immédiat; ce sont ceux qui sont déconnectés du passé, déconnectés de l'avenir, ils ne se projettent pas dans l'avenir. C'est le «tout, tout de suite», avec une incapacité à évaluer les conséquences des actes de consommation qu'ils engagent. C'est aussi un manque de perspective dû au fait qu'ils préfèrent ou qu'ils sont contraints de se contenter de petits jobs, plutôt que de faire un apprentissage qui dure plusieurs années et au terme duquel on va pouvoir entrer dans un emploi dans lequel on va se développer, etc. Ça n'est pas dans leur manière de voir, la publicité y est évidemment pour quelque chose, on l'a évoquée. On a évoqué aussi la surenchère des marques, parce que quand on porte des habits de marques, on a un statut dans le groupe dans lequel on s'insère. C'est un peu une vie à l'image du «Natel»: on consomme maintenant, on paiera plus tard. Et 80% des personnes endettées - des adultes endettés - ont commencé à s'endetter avant 25 ans. C'est donc vraiment sur les jeunes de cette tranche d'âge, jusqu'à 25 ans, qu'il faut agir.
Alors, que font les parents ? M. Kunz a très justement demandé ce que l'on pouvait faire en dehors de la responsabilité de la famille, en dehors de l'implication de la famille. On ne peut rien faire en dehors de la famille, mais on doit toucher la famille par l'intermédiaire du jeune. En éduquant le jeune, on sait très bien que ce qui est enseigné est répercuté ensuite à la maison. L'exemple que l'on donne peut modifier la vision du jeune qui voit aussi, éventuellement, ses parents s'engager dans des dettes, parce que ceux-ci n'ont peut-être pas les moyens d'assumer les besoins auxquels ils pensent devoir répondre pour leur famille. Tout, à la maison, est à crédit, de la télévision à la voiture, et l'on pense d'abord à ces objets-là, par lesquels on vit une vie à peu près semblable à celle de ses voisins, plutôt que d'assumer l'essentiel, modeste et insatisfaisant.
Donc, initier ces jeunes à planifier une dépense, leur permettre d'apprendre à élaborer un budget sont des notions relativement simples que l'on peut introduire dans des programmes sans avoir besoin de cours spéciaux pour cela. Ça peut entrer dans les cours de mathématiques, d'arithmétique, même à l'école primaire - comme l'a dit M. Catelain, on peut commencer très jeune. On comprend tout de suite, quand on a 2 F par semaine, ce qu'on va pouvoir faire avec ces 2 F et ce que l'on ne va pas pouvoir faire.
Mais le retour du jeune dans une famille où la seule satisfaction réside dans la consommation immédiate, eh bien, c'est un pari! Mais on est bien obligé de faire des paris, si on veut avancer, si on ne veut pas laisser cette jeunesse s'endetter toujours plus et toujours plus ! C'est l'un des problèmes principaux que doivent traiter les assistants sociaux de l'Hospice général. Ce n'est pas une fatalité, contrairement à ce qu'a dit M. Kunz. C'est un fait de société ! M. Kunz devrait le savoir, puisqu'il a longtemps dirigé un grand centre commercial qui sert de centre de loisirs à des centaines de jeunes ! Ce fait de société, on ne peut pas le dénoncer en mettant la faute uniquement sur la famille. En tant que membres de cette société, il nous faut également prendre ce problème à bras le corps et tenter de contrarier cette incitation, parfois éhontée, il faut bien le dire, à la consommation frénétique.
Nous soutenons donc le renvoi à la commission sociale, comme cela a été demandé.
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Le Conseil d'Etat accueille favorablement cette motion, même s'il se trouve que l'un ou l'autre des éléments des invites peuvent poser problème. Nous éviterons en tous les cas toute usine à gaz en la matière.
Je dois d'ailleurs vous informer que l'Office des poursuites et faillites, dans les nombreuses mesures qu'il prend pour lutter contre la surcharge de travail qui le paralyse, est en train de préparer, à ma demande, un projet de prévention de l'endettement des jeunes. Ce projet se conduit notamment avec quelques communes particulièrement touchées par ce phénomène, en particulier celle de Vernier.
Effectivement, Monsieur Catelain, vous avez eu le mot qu'il faut: l'endettement conduit à l'exclusion. Vous avez eu le mot qu'il faut, Monsieur, ai-je dit... Pour une fois ! (Rires.) Nous avons tout à l'heure eu un débat sur la drogue. Il faut bien savoir que l'état d'endettement, l'état d'exclusion qu'il engendre, est un des facteurs qui peut conduire à l'alcoolisme ou à la toxicomanie. Lorsque l'on parle de prévention, c'en est une que d'éviter que les jeunes ne s'endettent !
Monsieur Kunz, vous connaissez beaucoup de choses sur la consommation. Malheureusement, je crains que vous n'en connaissiez un peu moins sur l'endettement des jeunes. Parce qu'il se trouve, lorsque vous vous en remettez à la responsabilité des parents, que les enfants qui s'endettent ont en général des parents endettés ! Ils ne font que reproduire ce qu'ils connaissent à la maison ! Pire: nous enregistrons maintenant aux Offices des poursuites des poursuites contre des enfants de moins de 10 ans, pour des sommes de plusieurs milliers de francs. Pourquoi ? Pour deux raisons: la première, ce sont des parents qui mettent au nom de leur enfant des dettes qu'ils ont faites eux-mêmes... L'enfant a 8 ans ! Deuxième cas: ce sont des enfants qui ont contracté des abonnements vidéo ou pour le «Natel», ce genre de choses-là, et il y a pour des milliers de francs de dettes !
On est donc dans une situation où il y a des enfants de moins de 10 ans qui sont à l'Office des poursuites. Avec des parents manifestement incapables d'empêcher cette situation ! Il ne s'agit donc pas que de quelques individus, on est face à un véritable problème social qui mérite tout notre intérêt. Et je suis très heureux - mais malheureux pour vous, Monsieur Kunz - de constater que la quasi-totalité des membres de ce parlement jugent ce fléau à sa juste valeur et sont prêts à s'engager pour le réduire. (Applaudissements.)
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1678 à la commission des affaires sociales est adopté par 53 oui contre 11 non et 1 abstention.
Débat
Le président. Le rapporteur est M. Gabriel Barrillier... qui ne demande pas la parole. Mais elle est demandée par Mme la vice-présidente Anne Mahrer.
Mme Anne Mahrer (Ve). Les Verts se sont abstenus en commission et ils s'abstiendront ce soir, car nous sommes loin, bien loin - et nous l'avons déjà dit à plusieurs reprises - de l'application de la loi votée en 2001. Nous n'avons consacré en 2004 que 0,22% de notre budget à l'aide publique au développement. Nous sommes donc loin du 0,7% que nous avions fixé.
Notre canton doit tenir ses engagements et nous espérons que les réductions de subventions opérées dans les budgets cantonaux de 2004 et de 2005 ne se reproduiront pas en 2006.
Nous vous invitons donc à vous abstenir également sur ce rapport.
M. Christian Brunier (S). Comme les Verts, nous sommes, bien sûr, déçus du manque de volontarisme de ce parlement et du gouvernement - de l'époque en tout cas - en matière de solidarité internationale.
Nous nous sommes abstenus en commission. Pourquoi n'avoir finalement pas refusé le rapport du Conseil d'Etat ? Tout simplement parce que nous avons vu que le service qui s'occupe de la solidarité internationale fait un excellent travail et nous ne voulions pas sanctionner ce service alors que c'est la majorité de ce parlement qui porte la responsabilité des coupes budgétaires dans le budget de la solidarité internationale.
Je vous rappelle quand même qu'en 2001 le vote de la loi attribuant 0,7% du budget de ce canton à la solidarité avait été un vote très largement favorable ! Il n'y avait pas eu de conflit gauche-droite. Une très grande majorité de ce parlement avait décidé de mettre un peu en sourdine les débats idéologiques, pour dire que nous étions, malgré les problèmes budgétaires du Canton, une des régions les plus riches du monde et que nous devions faire quelque chose pour la solidarité internationale. C'est la vocation de Genève ! Nous sommes la cité qui symbolise la défense des droits de l'Homme et le développement des pays les plus pauvres. Nous voulions tous faire quelque chose de plus, nous pensions que c'était possible et que 0,7% de notre budget de fonctionnement c'était finalement bien dérisoire.
Néanmoins, depuis cette date, le budget de la solidarité internationale stagne, voire régresse selon les années. Et cela n'est pas acceptable, Mesdames et Messieurs les députés ! Nous ne pouvons pas incarner la Genève internationale, incarner la solidarité internationale et faire si peu pour les plus défavorisés de ce canton. Les chiffres sont quand même affolants: je vous rappelle que les 20% de la population mondiale vivent actuellement avec moins de un dollar par jour ! Oui, 20% de la population avec moins de un dollar par jour ! En Afrique subsaharienne, c'est même le cas pour 46% de la population. Plus près de nous, en Russie, plus de 30 millions de personnes sont passées au-dessous du seuil de pauvreté en dix ans. Si vous voulez permettre aux populations les plus pauvres de pouvoir continuer à vivre dans leurs pays, si vous voulez permettre de donner un minimum de dignité à tous les habitants de cette planète, eh bien, nous devons faire plus pour la solidarité internationale !
Et les personnes qui vont me dire, après mon intervention, qu'il faut faire avant tout preuve de solidarité par rapport aux plus pauvres du canton, je leur rétorquerai juste que ceux et celles qui se battent dans ce parlement pour défendre les plus défavorisés de ce canton sont les mêmes qui se battent pour les plus défavorisés de la planète ! (Applaudissements.)
Le Grand Conseil prend acte du rapport de la commission RD 580-A.
L'interpellation 2040 est close.
Premier débat
Le président. Nous avions décidé la discussion immédiate. La parole est à Mme la députée Michèle Künzler.
Mme Michèle Künzler (Ve). Nous avions demandé une procédure exceptionnelle pour ce projet de loi parce que nous pensons qu'il est extrêmement néfaste. Il est vrai que dans cette enceinte nous ne partageons absolument pas tous le même point de vue; certains, à droite, étaient favorables à ce projet de loi, mais la situation est maintenant différente: une concertation pour une nouvelle politique du logement se met en place, le Conseil d'Etat l'a aussi présentée récemment à la presse. Ce serait gâcher tout le travail de concertation qui se fait, pour un résultat qu'on sait déjà inexistant ! Puisque la population s'est prononcée sur ce sujet il n'y a pas même deux ans, en le refusant à une très large majorité.
En réalité, nous vous demandons de refuser immédiatement l'entrée en matière sur ce projet de loi qui est un brûlot et qui n'aidera en rien à résoudre la crise du logement à Genève. Je crois que nous avons des choses plus importantes à faire maintenant et je vous demande vraiment de refuser ce projet de loi.
M. Olivier Wasmer (UDC). J'imaginais bien que l'UDC allait échauffer les esprits ce soir, avec ce projet de loi. L'UDC salue d'ailleurs, à ce propos, le président, M. Mark Muller, qui a fait des efforts considérables pour trouver des moyens de faire du logement. Nous avons tous lu ses projets, qui vont effectivement dans le bon sens. Toujours est-il que cela n'est malheureusement pas suffisant. Ce ne l'est pas parce qu'aujourd'hui, à Genève, le droit de la propriété est totalement bafoué.
Je m'explique. Il faut savoir que dans les années 80, à cause de la spéculation qui avait cours à l'époque et que vous connaissez tous, à cause des crédits de l'ordre de 120% octroyés par les banques - dont la BCGe, pour parler d'elle, qui reprenait toutes les casseroles des autres banques - à des propriétaires sans le sou, pour l'acquisition d'immeubles que l'on vidait ensuite de leurs locataires, pour les revendre à des prix exorbitants.
Cette période déplorable est heureusement révolue. Les temps ont changé, ces gens-là n'existent plus et les exigences légales ne sont plus les mêmes. La preuve, c'est qu'aujourd'hui tous les établissements bancaires exigent généralement 30% de fonds propres de celui qui veut acquérir un immeuble. Bien plus encore: le marché immobilier est aujourd'hui au plus haut et, considérant le risque de remontée des taux hypothécaires, de moins en moins de banques accordent des crédits immobiliers. En tous les cas, les spéculateurs de l'époque ont, pour la plupart d'entre eux, soit fait faillite soit été condamnés pénalement.
Cela étant, le Grand Conseil avait voté un projet de loi, devenu d'ailleurs une loi, stipulant:
«L'aliénation, sous quelque forme que ce soit - notamment la cession de droits de copropriété d'étages ou de parties d'étages, d'actions, de parts sociales - d'un appartement à usage d'habitation, jusqu'alors offert en location, est soumise à autorisation dans la mesure ou l'appartement entre, à raison de son loyer ou de son type, dans une catégorie de logement où sévit la pénurie.» C'est là-dessus que l'UDC veut revenir.
Vous savez tous que la pénurie est devenue totale et sert à justifier le refus absolu du département des travaux publics - devenu le DCTI - d'accorder quelque dérogation que ce soit, puisque l'alinéa 2 de l'article 39 prévoit que l'intérêt public et l'intérêt général résident, en période de pénurie de logements, dans le maintien de l'affectation locative des appartements loués. Et c'est là que le bât blesse ! Si nous essayons, par diverses démarches, de surélever des immeubles, de construire en divers endroits et d'acquérir des immeubles de la Fondation de valorisation qui ne peuvent pas se vendre, il est vrai qu'aujourd'hui beaucoup de petits propriétaires d'immeubles aimeraient se désengager parce que les taux montent. Très souvent, malheureusement pour eux, ils sont coincés: l'autorisation d'aliéner un studio, un appartement de trois pièces, voire un cinq-pièces, leur est généralement refusée, puisque aujourd'hui les appartements de ces catégories entrent dans la liste de celles touchées par la pénurie.
Plusieurs problèmes résultent du fait que les petits propriétaires ne peuvent pas vendre leurs appartements. J'ai constaté, en tant que membre de la commission de contrôle de la Fondation de valorisation des actifs de la BCGe, que celle-ci a vendu de très nombreux immeubles en bloc plutôt que par lots, pendant six ans, soit depuis le début de son existence. Bien entendu préoccupé par cela, j'ai demandé à la Fondation les raisons de cette façon de faire. Il m'a été répondu ce que nous savions déjà tous, c'est-à-dire que l'article 39 de la LDTR interdisait formellement de vendre par lots ces appartements dans ces immeubles, ce qui aurait pourtant permis à la Fondation de valorisation - puisque c'était son but, et ce l'est toujours - de valoriser ces immeubles. En fait, aujourd'hui on a perdu plusieurs centaines de millions de francs à cause de cet article 39 LDTR !
La Fondation détient encore de très nombreux immeubles à vendre, et je pense que ce serait une opportunité que de pouvoir les vendre par lots, puisqu'en fait ça ne lèse personne. Il faut savoir qu'aujourd'hui, grâce à la LPP, beaucoup de petits propriétaires souhaiteraient acquérir un petit appartement, un trois-pièces ou un quatre- pièces, et on a vu encore hier, et même cet après-midi, qu'il y avait une très forte demande pour ces appartements. Les locataires eux-mêmes aimeraient souvent acquérir un appartement ! Il faut savoir que, avec la règle imposant le recueil de l'accord de 60% des autres locataires de son immeuble, un locataire qui désire acheter son logement ne parvient malheureusement jamais à acquérir son appartement, alors même que c'est son envie et qu'il possède les fonds suffisants.
Aujourd'hui, cet article 39 LDTR pénalise également les rentrées d'impôts. En effet, si ces appartements pouvaient être vendus, cela ferait des entrées fiscales en plus et, de manière générale, cela régénérerait le commerce des petits appartements.
Pour tous ces motifs, l'UDC demande aujourd'hui le renvoi de ce projet en commission.
M. Hugues Hiltpold (R). Je voudrais rappeler, comme l'a fait Mme Künzler, que le peuple s'est prononcé sur un assouplissement de l'article 39 de la LDTR, suite à un référendum sur une loi qu'avait votée notre parlement. Le peuple n'a pas voulu d'un assouplissement sur cet article 39. Je n'imagine même pas ce qu'il en serait si le peuple devait se prononcer purement et simplement sur l'abrogation de cet article. Cela étant, la problématique soulevée est intéressante parce que la LDTR pose un certain nombre de problèmes, pas uniquement avec l'article 39 mais dans nombre d'autres articles, et il nous faudra un jour ou l'autre en débattre.
Le projet de loi qui nous est proposé ce soir est une déclaration de guerre, et c'est comme cela qu'il est ressenti. Et cette déclaration de guerre, le groupe radical n'en veut pas ! Il n'en veut pas parce qu'il a confiance dans le gouvernement; il a confiance dans le Conseil d'Etat qui a fait un certain nombre de propositions. Le groupe radical se réjouit du débat qui va avoir lieu sur la question du logement, suite aux conclusions du Conseil d'Etat. C'est la raison pour laquelle, ce soir, le groupe radical refusera ce projet de loi et vous engage à en faire de même, tout en étant conscient que la LDTR pose un certain nombre de problèmes dont il nous faudra débattre. Toutefois, le devrons dans le cadre d'une réflexion politique plus générale sur la question du logement. (Applaudissements.)
M. Olivier Jornot (L). Nous avons connu le groupe UDC plus ambitieux ! A raison d'un projet de loi par législature pour supprimer un article de la LDTR, nous serons venus à bout de cette loi en 2206 ! Les libéraux espèrent bien que nous parviendrons avant à mettre cette hydre à terre ! Parce que la LDTR, et nous l'avons dit chaque fois que nous l'avons pu, est une loi qui est nuisible: c'est une loi qui empêche concrètement la rénovation du parc immobilier de notre canton; c'est une loi génératrice de pénurie, parce qu'elle institue tant de blocages et d'obstacles que les constructeurs sont découragés. Et c'est une loi qui, s'agissant particulièrement de l'article dont l'abrogation est demandée, décourage concrètement l'accession à la propriété. Je dirai même plus: elle empêche les locataires qui le souhaitent de devenir propriétaires de leur propre logement.
Et pourtant, nous nous trouvons aujourd'hui, ou depuis quelques jours par le fruit de l'actualité, dans une situation particulière. Cela a été dit: M. Mark Muller, le conseiller d'Etat en charge du département des constructions, a lancé un processus particulièrement novateur et intéressant en matière de politique du logement. Vous avez tous pu en prendre connaissance, et les membres de la commission du logement en particulier. Il y a là des perspectives qui sont ouvertes. Bien sûr, pour les libéraux, tous les éléments du projet ne sont pas aussi délectables les uns que les autres parce que, précisément, il y a ouverture de plusieurs pistes. Il y a volonté de trouver un compromis et, pourquoi pas, d'associer ceux qui traditionnellement aiment à mener une guerre intégrale sur le front du logement.
Compte tenu de cette situation-là, Mesdames et Messieurs, faut-il maintenant ouvrir un débat, commencer un combat qui ne manquera pas d'arriver devant le peuple pour un seul article de la LDTR ? (Interférence dans le micro provoquée par un téléphone portable. Brouhaha.) Voyez dans quelles conditions on travaille ! (Rires.) Mesdames, Messieurs, en dépit du fait que l'abrogation de tout article de la LDTR sonne doux à ses oreilles, le groupe libéral vous recommande aujourd'hui de ne pas suivre ce projet de loi, trop partiel et trop générateur de disputes en un moment où les chances de compromis historique sont bien réelles.
Le président. Si je comprends bien, lorsque quelque chose sonne doux à vos oreilles, cela fait une interférence dans votre micro ! La parole est à M. le député Mario Cavaleri.
M. Mario Cavaleri (PDC). Je ne veux pas répéter ce qui a été dit par plusieurs préopinants, si ce n'est, quand même, de remercier, en raison de l'actualité, le groupe UDC et notamment M. Wasmer. Parce qu'ils nous donnent l'occasion de saluer la démarche du Conseil d'Etat en vue de prévoir, enfin - et sérieusement - le dossier du logement. Alors, c'est une bonne nouvelle que nous avons eue, il y a quelques jours, à savoir que nous avons enfin des propositions qui sont certainement susceptibles de créer un consensus. «Enfin», aurais-je la tentation de dire !
Oui, on peut en penser ce qu'on veut de la LDTR, mais elle a été plébiscitée à moult occasions par le peuple. C'est un fait et il n'y a aucune raison de vouloir ouvrir une brèche sur ce que je me permettrai de nommer un faux problème.
En réalité, ce que vous recherchez, c'est une possibilité d'accéder à la propriété. Parfait ! Nous sommes, au PDC, parfaitement convaincus qu'il y a des mesures à prendre pour favoriser l'accession à la propriété des particuliers, notamment des familles. Pour preuve - un exemple, mais je pourrais en citer d'autres - c'est la «loi Opériol» qui, pour des raisons politiques, n'a pas été utilisée: on a découragé les personnes qui auraient souhaité faire appel aux dispositions de cette loi.
Alors, je me réjouis que nous puissions aborder ce problème dans le cadre de la concertation qu'a ouverte le Conseil d'Etat, par l'intermédiaire de M. le conseiller d'Etat Mark Muller. En cela, le parti démocrate-chrétien est très heureux parce que nous allons enfin agir au sens de l'article 10A de la constitution qui confère le droit au logement à toutes et à tous, mais qui oblige l'Etat - et les communes ! - à prendre des mesures d'encouragement appropriées - c'est une partie de l'article - de manière à réaliser des logements en location et en propriété. Là, je m'adresse à nos collègues de la gauche, parce que c'est une mission qui a été voulue par le peuple et que vous ne pouvez pas ignorer, mais que nous nous réjouissons de mettre en oeuvre. Avec vous et pas contre vous ! Et lorsque nous aurons trouvé des solutions qui correspondent à l'ensemble de la demande de logements, que ce soit en locations, que ce soit sous forme de coopératives d'habitations, que ce soit sous forme de copropriétés en PPE, eh bien, nous aurons rempli notre mission ! La tâche est importante, mais je ne doute pas de la volonté du Conseil d'Etat d'aboutir enfin à des solutions qui soient réellement consensuelles. Et le groupe démocrate-chrétien se réjouit de pouvoir en discuter à la commission du logement.
En conclusion, je dois vous dire que nous nous rallions à nos préopinants pour dire que ce projet de loi est inapproprié quant au fond parce qu'on ne réglerait pas le problème. Au regard de l'actualité, ce projet est d'autant moins approprié que nous allons avancer vers des solutions que nous allons certainement partager. C'est en tout cas le voeu du parti démocrate-chrétien. Enfin, si nous estimons que ce projet de loi n'est pas approprié, c'est également en fonction du fait qu'il est inutile d'ouvrir à nouveau une guerre des tranchées pour des mauvaises raisons, à un mauvais moment. En raison de toutes ces considérations, le groupe démocrate-chrétien vous propose, Mesdames, Messieurs, chers collègues, de refuser ce projet de loi.
Mme Carole-Anne Kast (S). Je tiens quand même à dire que voilà ce soir un bel oecuménisme dans cette assemblée ! Je crois que, d'une aile bien à droite - peut être pas tout à droite - jusqu'à l'aile la plus à gauche de ce parlement, on tombera d'accord pour dire que ce projet est inopportun. Probablement pas pour les mêmes raisons. En tout cas une chose est évidente: le parlement, je crois, a tiré des leçons: de la guerre des tranchées qu'il a pu se faire lors la dernière législature et de ce que les passages en force sur un certain nombre de sujets n'amenaient rien de bon. Le gouvernement l'a également compris, peut-être même avant le parlement. Alors, Mesdames et Messieurs de l'UDC, vous arrivez avec ce projet qui tombe comme un cheveu sur la soupe... Il risque véritablement de mettre le feu aux poudres, et à un moment ou le parlement semble avoir compris qu'il faut se mettre autour d'une table et discuter si l'on veut pouvoir débloquer certaines situations de crise. Nous considérons donc que ce projet est inopportun. Quant au fond, évidemment que nous y sommes aussi opposés. Je ne vais pas aller plus avant dans cette argumentation, ce n'est pas la peine.
Il est néanmoins clair que, si ce parlement devait vouloir travailler comme vous le préconisez actuellement, eh bien, il faudrait alors refourbir ses armes ! Or il me semble que la majorité de ce parlement ne veut pas de ça: elle veut d'un vrai travail de discussion, de dialogue, de débat, de confrontation d'idées. Mais pas de débats stériles ! Je crois que le parlement veut quelque chose qui puisse déboucher sur un consensus. C'est le sens, c'est le discours que le gouvernement, depuis sa composition, a réussi à afficher dans ce domaine, mais également dans d'autres. Singulièrement, c'est aussi dans ces autres domaines que vous faites des propositions qui attaquent cet esprit de dialogue et de consensus ! Vu ce qui précède, évidemment que le groupe socialiste vous invite à refuser ce projet.
M. Gilbert Catelain (UDC). Je constate que ce parlement consacre l'inégalité de traitement entre locataires, puisque cet après-midi encore ce même parlement a accepté à l'unanimité une loi qui permettait à la Fondation de valorisation des actifs de la BCGe de vendre une villa à son locataire. Par contre, s'il s'était agi d'un locataire d'un immeuble, celui-ci n'aurait même pas pu imaginer racheter le logement dont il est locataire. Donc, c'est - en tout cas pour la gauche - un non-sens.
Plusieurs fois l'ouvrage a été mis sur le métier, et la droite de ce parlement a perdu - à cause d'une mauvaise communication de sa part et d'une campagne mensongère de l'Alliance de gauche - en votation populaire. On a fait peur aux gens ! Or la LDTR, et en particulier l'article qui nous est soumis ce soir, présente deux gros inconvénients. D'une part, elle engendre la pénurie, soit l'augmentation des prix du logement, dont toute la population est victime, et, par voie de conséquence, elle engendre l'appauvrissement de la population et de l'Etat, celui-ci devant suppléer par des subsides aux revenus des familles.
Ce parlement ne doit pas oublier non plus que nous sommes confrontés à un vieillissement de la population. Les rentes du deuxième pilier qui sont versées aujourd'hui ne seront pas celles de demain. (Brouhaha.) La semaine passée, la commission politique du conseil national a décidé qu'un salarié qui partirait à la retraite à 62 ans, après quarante ans de cotisations, ne toucherait que 53% du gain assuré. Nous savons que le financement de l'AVS n'est pas garanti à long terme. L'une des seules possibilités de lutter contre la dégradation des rentes et des revenus des personnes âgées dans les prochaines années, c'est de favoriser l'accession à la propriété, non pas parce qu'elles n'auront plus de charges ou plus de loyer à payer dans quelques années, mais tout simplement parce qu'elles pourront au moins revendre leur bien et alimenter leur deuxième pilier.
La situation est grave, nous devons en prendre en conscience; nous devons trouver un compromis, aussi sur cet objet là. Si nous ne le faisons pas, ce sont les charges financières de l'Etat et du département concerné qui vont prendre l'ascenseur. A savoir que dans quelques années, lorsqu'un couple de personnes âgées aura un revenu de 3000 F par mois et qu'il devra payer 2000 F de loyer et 1000 à 2000 F de caisse maladie, c'est l'Etat qui passera à la caisse !
Je vous invite donc à prendre vos responsabilités et à, au moins, avoir l'élégance de renvoyer ce projet de loi en commission.
M. André Reymond (UDC). Je trouve que tout ce qui s'est dit est navrant... Bon, je peux comprendre que la gauche ait une grande peur à l'idée de l'abrogation de cette LDTR. Mais il est un peu plus difficile à comprendre que les milieux qui se prétendent de droite et veulent protéger la promotion du logement à Genève aient une position aussi tiède en disant qu'il ne faut pas ouvrir une nouvelle guerre des tranchée.
Je tiens tout simplement à rappeler que des caisses de pension dont les cotisations sont prélevées à Genève commencent à se faire du souci quant à la position de Genève en matière de politique du logement... Et ces caisses de pension préfèrent aller investir dans un autre canton ! Parce que nous nous montrons tièdes, parce que les milieux de droite ont peur et veulent avoir une position très transparente et très neutre. C'est dommage. Quand on pense que dans le canton de Vaud le Grand Conseil a chargé le Conseil d'Etat de réaliser des logements et a accepté, lors de sa séance du 28 mars dernier, une motion demandant l'abrogation de la loi sur l'aliénation d'appartements loués et de la loi sur les démolitions, qu'il considérait comme archaïque et rigide... Et Genève est le seul canton à vouloir garder cette loi vieillotte et qui paralyse le marché du logement !
On l'a dit tout à l'heure, nous ne sommes plus dans la période des spéculations, quand des locataires étaient mis sous pression pour acheter leur logement. Je crois - comme mon collègue Wasmer l'a dit - que nous ne sommes plus dans cette situation-là ! Je trouve regrettable de donner ce signe à notre population, même si je comprends qu'on soit plus strict avec les banques. Même si vous ne voulez pas que la Fondation de valorisation puisse réaliser des gains substantiels en vendant des appartements au coup par coup, pour amortir cette fameuse dette dont on a parlé longuement cet après-midi, je trouve regrettable que personne, dans ce parlement, n'ose parler des petits épargnants ou des personnes modestes qui ont un ou deux appartements et qui, elles, sont bloquées et mises en difficulté à cause de cette loi.
Je crois que les électeurs se souviendront de la position de tous les partis dans cette enceinte, et l'UDC restera un parti d'opposition qui saura garder sa ligne de conduite.
Le Président. Merci, Monsieur le député. Sont encore inscrits: M. Pétroz et M. Jeanneret. Ensuite, la liste est close.
M. Pascal Pétroz (PDC). M. André Reymond a raison sur un point: le peuple se souviendra des positions des différents partis politiques. Et le peuple se souviendra qu'il y a deux ans nous avons eu une votation populaire sur les ventes d'appartements. Il s'agissait d'une proposition de réforme extrêmement tempérée, visant à rendre un peu moins difficiles les ventes d'appartements. Le peuple a donné tort à une large majorité qui était celle des partis l'Entente, de l'UDC, et des Verts qui nous avaient suivis sur ce plan, au prix de concessions mutuelles. Et le peuple a donné tort à ce point de vue.
Alors, il faut parler clair dans cette enceinte: il faut distinguer le fond, il faut distinguer la forme ! Sur le fond du problème, Monsieur le député Reymond, nous sommes tout à fait d'accord. Ce ne sont pas les députés de l'Entente, et encore moins ceux du parti démocrate-chrétien, qui vont vous dire que le fait de soumettre à autorisation une vente d'appartement est quelque chose qui nous paraît enthousiasmant. Non ! Cela ne nous plaît pas et nous voulons combattre cela.
Cela étant, maintenant il y a la forme. Lors de la précédente législature, il y a eu trois votations populaires concernant la LDTR. A chaque fois, les propositions de l'Entente, si petites fussent-elles, ont été battues en brèche par le peuple. Et il me semble que lorsqu'on on fait de la politique on doit respecter la volonté populaire ! Si l'on veut se battre pour quelque chose et que le peuple nous dit: «Non, vous avez tort, il faut faire autrement !», eh bien, il faut respecter la volonté du peuple ! Si vous, Mesdames et Messieurs de l'UDC, vous voulez encore une fois - après le projet sur la conciliation obligatoire dont nous avons débattu tout à l'heure - réinventer la roue et redéposer des projets qui ont déjà été discutés, alors faites-le ! Mais il est de notre rôle de vous dire que le peuple doit être respecté. Et le message délivré par le peuple durant ces quatre dernières années est particulièrement clair: ne pas toucher pas à la LDTR ! Même si nous ne sommes pas d'accord avec la LDTR, que nous n'aimons pas cette loi et que nous aimerions beaucoup la changer, il faut la respecter ! Honnêtement, il serait totalement contre-productif de se lancer dans un combat à ce sujet, indépendamment de toutes les considérations de ce soir, qui sont pertinentes, sur la nécessité de cesser la guerre du logement et d'arriver à des compromis acceptables. (Brouhaha.) En ce qui concerne la LDTR en particulier, il ne sert à rien d'arriver avec une idée, qui est intéressante, qui est pertinente sur le fond, mais dont on sait très bien qu'elle n'arrivera à rien. Dans un combat, Mesdames et Messieurs les députés de l'UDC, quand a une chance de gagner, il faut y aller; mais quand on sait qu'on va perdre, il faut s'asseoir ! C'est ce que je vais faire maintenant, en demandant à ce parlement de refuser cette loi.
M. Claude Jeanneret (MCG). Je vais être très bref parce que je crois que tout a été dit. Mais il y a quand même quelque chose qu'il faut relever ce soir: nous avons découvert un nouveau Conseil d'Etat ces derniers jours et M. Muller nous a annoncé qu'il a allait entreprendre beaucoup de choses pour construire des logements à Genève. Je pense que c'est là que réside le plus grand intérêt pour nous. Le blocage de constructions pour divers motifs plus ou moins idéologiques depuis près de dix ans fait qu'aujourd'hui Genève n'a pas assez de logements pour sa population. Le grand drame, c'est le manque de logements. (Brouhaha.)
La LDTR avait ceci de particulier: elle protégeait au moins ceux qui avaient un logement, leur permettant de le conserver. Je ne pense pas que la LDTR soit en elle-même une très bonne loi pour l'avenir, mais tant qu'on n'aura pas suffisamment de logements, elle protégera au moins les gens qui en ont un et qui le méritent.
Je crois qu'il faut accorder notre confiance à M. Muller et il faut attendre la réalisation de nouveaux logements. Et lorsque Genève aura enfin trouvé une solution pour loger tous ses habitants, à ce moment la LDTR mourra de sa belle mort. Parce qu'elle ne sera plus nécessaire ! Puisque chacun pourra faire le choix d'être ou propriétaire ou locataire. Le Suisse n'a jamais eu la vocation d'être propriétaire, le nombre d'habitants intéressés à devenir propriétaires en Suisse a toujours été beaucoup moins important que chez nos grands voisins européens. (Brouhaha.) Cette mentalité peut changer, mais, pour le moment, nous ne devons pas modifier des lois existantes. Nous devons attendre de nouveaux appartements, de nouveaux logements, de nouvelles maisons.
C'est la raison pour laquelle le MCG ne trouve pas opportun de changer la loi maintenant, et nous dirons non à ce projet.
M. Mark Muller, conseiller d'Etat. Je ne vous cacherai pas une certaine sympathie pour ce projet de loi. Il fut un temps, pas si éloigné où j'aurais peut-être même pu le signer ! Cela étant, aujourd'hui le moment est à la discussion, le moment est à la négociation et à la concertation autour des véritables enjeux de la politique du logement, qui consistent à nous donner les moyens politiques, économiques de construire davantage de logements. Et c'est dans ce sens-là que le Conseil d'Etat a formulé un certain nombre de propositions tout récemment, propositions qui consistent à mettre sur la table des solutions, des pistes, qui sont équilibrées et susceptibles de réunir un très large consensus.
Dans ma très brève intervention, je voudrais essentiellement vous remercier, tous partis confondus - à l'exception, bien sûr, du parti qui a proposé ce projet de loi. Je voudrais vous remercier pour la modération de vos propos: je n'ai pas entendu parler de démantèlement des acquis sociaux, d'attaque frontale contre les locataires ou... (Brouhaha.) ... de violation des droits inaliénables des propriétaires. Les propos sont restés mesurés et je vous en suis reconnaissant. C'est dans cet esprit que je souhaite que les discussions continuent dans le domaine du logement. Et, lorsque nous aurons trouvé un consensus sur cette question là - cette année encore, je l'espère - il sera nécessaire que le Conseil d'Etat revienne devant vous avec d'autres propositions, dans d'autres domaines que celui de la construction de logements. Ce ne sera pas sur la question de la vente d'appartements loués, ce sera plus précisément dans un autre domaine touché par la LDTR, c'est la question de la rénovation des immeubles locatifs. Mais il est trop tôt pour en parler, ça viendra en temps utile, lorsque nous aurons traité les questions urgentes qui sont celles de la construction de logements. Je vous remercie.
Mis aux voix, le renvoi du projet de loi 9795 à la commission du logement est rejeté par 68 non contre 8 oui et 2 abstentions.
Mis aux voix, le projet de loi 9795 est rejeté en premier débat par 66 non contre 8 oui et 4 abstentions.
Le président. Mesdames, Messieurs, je vous souhaite une bonne nuit.
La séance est levée à 23h.