République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 7 avril 2006 à 17h
56e législature - 1re année - 7e session - 33e séance
PL 9592-A
Premier débat
M. Pierre Weiss (L), rapporteur de majorité. Je pense qu'il convient de rendre hommage à l'anglais, parce que cette langue nous renvoie à une meilleure compréhension de notre propre langue. Je dirais même qu'elle nous renvoie «actuellement» à une meilleure compréhension de notre propre langue - vous savez que «actually» signifie «en réalité» en anglais - et j'ajouterai: «Honni soit qui mal y pense !» à propos du projet de loi qui nous avait été soumis, par référence à la devise de la famille anglaise, d'origine allemande... Soit lorsque les Normands ont envahi l'Angleterre pour y améliorer, si j'ose dire, la langue que l'on y parlait. Savez-vous que les 60% du vocabulaire anglais sont d'origine française ou latine ? Imaginez-vous que, tout à coup, les Anglais décident, de la même façon, par une mesure protectionniste, de procéder à une épuration de leur vocabulaire... Eh bien, les voilà qui seraient privés de plus de la moitié de leur propre vocabulaire !
Non, Madame la présidente et Mesdames et Messieurs les députés, nous ne sommes plus au temps de Rivarolle, cet homme des Lumières - un peu excessif, il est vrai - qui prétendait que tout ce qui n'est pas clair n'est pas français; et ce qui n'est pas clair est encore anglais, italien, grec ou latin. Rendez-vous compte de l'excès où l'on pouvait aller !
Je m'étonne d'ailleurs que certains des signataires - et même le rapporteur de minorité, que je connais comme étant un grand «supporter», si j'ose dire, mais également défenseur et promoteur de la Genève internationale - se soient souciés d'entrer en matière sur ce projet de loi, tant les communautés étrangères qui habitent à Genève pourraient se sentir offensées par la frilosité inspirant le texte qui nous est soumis ce soir.
Au fond, ce texte est non seulement superflu, puisqu'une simple directive aurait suffi, mais il est probablement conçu sur un coin de table... Parce qu'il est incomplet: il traite de l'Université mais pas des HES. Il est incohérent: si l'on venait à l'appliquer, on priverait les étudiants de nos universités de 10 à 15% des cours qui s'y donnent, notamment en facultés des sciences ou de médecine. C'est un texte qui oublie la dynamique des langues... C'est au fond une démarche protectionniste qui fait l'impasse sur un problème beaucoup plus important: celui de la maîtrise du français, insuffisamment acquise dans l'école publique genevoise d'aujourd'hui.
La présidente. Il va falloir conclure, Monsieur le rapporteur !
M. Pierre Weiss. Oui, Madame la présidente. C'est parce que nous ne voulons pas d'un Etat qui serait la «police de la langue» qu'une majorité de la commission des finances - parce que c'était elle qui était appelée à en traiter - a refusé d'entrer en matière sur ce projet de loi totalement superflu. En revanche, il y un point sur lequel je suis fondamentalement d'accord avec le rapporteur de minorité: adhérons tous à l'Association de défense de la langue française !
M. Guy Mettan (PDC), rapporteur de minorité. Thank you very much, Misses Chairwoman ! (Rires.) «Mr. Peter White», ici présent, «CEO de la World Alliance libérale-radicale suisse» et «Business Manager» du groupe libéral de ce Grand Conseil, essaie de nous de convaincre qu'il faudrait le suivre dans son «reporting» de majorité... (Rires.) Eh bien moi, je vais essayer de vous convaincre qu'il faut, au contraire, suivre la seule expression anglo-saxonne qui mérite d'entrer dans ce Grand Conseil, à savoir: small is beautiful ! Et qu'en l'occurrence le rapport de minorité est plus beau que celui de majorité ! (Rires et applaudissements.) Pour plusieurs raisons. La première est que, si l'on suivait votre logique et qu'on la poussait jusqu'à l'absurde - c'est ce qui est en train de se passer dans notre société, parce que l'on refuse de placer des limites à l'anglo-saxomanie galopante - eh bien, c'est vrai que, pourquoi pas dans une génération, vos petits-fils - puisque vous avez deux excellents fils - pourraient demander, pour suivre la tendance - pour suivre le «trend» malheureux auquel nous assistons - de changer votre patronyme: M. Weiss en «M. White»... (Rires.) Puisqu'il faut tout changer ! Puisqu'il faut adopter des mots anglais systématiquement...
Une voix. Ou «M. Blanc», peut-être !
M. Guy Mettan. Néanmoins, c'est un bon usage du multilinguisme et du bilinguisme dans ce pays !
Donc, il faut quand même que l'on mette un terme à cette évolution pernicieuse. Pourquoi ? Comme je l'ai écrit dans mon rapport de minorité: parce que la langue est comme une maison symbolique. Dans une langue, on peut tout faire: on peut y vivre, on peut s'installer, on peut l'adapter, on peut l'habiter - comme on le ferait d'une maison. On peut y travailler aussi: c'est un outil de travail, c'est un outil de communication, d'amour, d'affection... Bref, on peut y faire tout ce qu'on fait dans une maison. Or, quand le toit de votre maison fuit, que fait-on ? Eh bien, on le répare ! Vous qui avez une maison à Soral, si votre toit fuyait, vous le répareriez. Donc, on considère qu'une réparation apporte une valeur supplémentaire. C'est un investissement pour votre maison, il lui donne de la valeur. Il en va de même pour la langue.
Quel est le message que l'on donne ? Qui signifierait que l'on n'a absolument pas assez confiance en nous-mêmes, qu'on manque tellement de confiance dans notre propre langue qu'on doive importer constamment des mots étrangers... Pour un visiteur venant à Genève, que signifie de lire: «Geneva Palexpo» ?! Mais pourquoi pas le «Calvin's Wall» ?! Pourquoi pas le «Geneva Waterspring» tant qu'on y est? On frise le ridicule ! Et c'est même anti-économique. Parce que ce que viennent chercher les touristes à Genève, c'est de l'authenticité genevoise, avec notre bonne langue française ! On ne va pas à Barcelone pour voir des mots anglais affichés sur les façades ! On ne va pas en Thaïlande pour y lire des mots anglais: on y va pour voir des mots thaïs, voir des Thaïs, de la culture thaï! Et l'on va en Espagne pour y trouver la culture espagnole ! Et l'on vient à Genève, en Suisse romande, visiter notre beau pays, parce qu'on veut apprécier la langue qu'on y parle.
Donc, je pense que c'est anti-économique - pour vous, qui êtes sensibles à l'économie - que de ne pas défendre cette langue qui nous est si chère. En plus, c'est pernicieux ! Parce qu'on montre à nos enfants, aux étrangers, à nos hôtes, qu'on a si peu confiance en nous-mêmes, si peu confiance en notre avenir, si peu confiance en notre destin de communauté genevoise, de République genevoise, qu'on abandonne la langue française.
Pour conclure, je dis simplement: non au défaitisme ! Non à l'abdication ! Non à la capitulation ! Non à la renonciation ! Non à la négation et au déni de soi-même ! (Applaudissements.)
Mme Janine Hagmann (L). Quel pays de cocagne que celui qui permet à une respectable commission des finances de se pencher sur un sujet qui, au premier abord, préoccuperait plutôt des gens concernés par la formation ! Mais quel plaisir aussi de lire les deux rapports qui nous sont soumis ! M. Weiss et M. Mettan se sont «défoncés», si j'ose dire. (Rires.) Connaissant les ordres du jour - «overbooked» dirait M. Weiss; «surchargés» dirait M. Mettan - de la commission des finances, le «match» - ou la joute - qui les oppose n'en a que plus de saveur... Quel «punch», chez M. Weiss, qui pense avoir marqué un «ace», alors que M. Mettan, percutant comme souvent, a aussi un service gagnant... Le «ring» - l'enceinte - où ils évoluent leur permet à chacun son tour de marquer un «goal» - ou un but - grâce à un «upercut» - ou un coup droit. Tout cela pour savoir s'il faut légiférer, c'est-à-dire cadrer pour longtemps, rigidifier, une langue vivante ! Personnellement, je ne le pense pas, même si je suis très attachée à protéger la langue que je chéris.
Chacun est conscient que l'utilisation d'une langue est différente selon son interlocuteur et selon le contexte, c'est ce qu'on appelle «les niveaux de langage». Chacun d'entre nous ici ne s'exprime pas du tout de la même manière, pas avec le même vocabulaire, s'il est à la buvette ou lors d'une intervention. Et le langage oral est bien différent du langage écrit. C'est pourquoi je pourrais adhérer à l'injonction d'utiliser des terminologies françaises lors de communications officielles. Mais y a-t-il besoin d'une loi pour cela ? Je pense qu'il faut savoir convaincre et persuader, et que la beauté et la pureté de notre langue doivent être pérennisées tout en lui permettant d'évoluer. En fait, il s'agit d'un patrimoine à protéger.
Comment agir ? J'ai quelques idées. Par exemple, en se rendant régulièrement aux réunions de la Francophonie. Je vous rappelle que le Grand Conseil paie chaque année une cotisation à cette association, mais il n'y envoie pas régulièrement un député pour représenter Genève. J'ai eu la chance d'y être déléguée et je vous assure que les débats qui se déroulent à cette assemblée sont d'un haut niveau et donnent envie de défendre le français partout, même sans loi. Quant à l'association intitulée «Défense du français», elle publie des feuilles de route qui valent la peine d'être lues. Le dernier envoi était accompagné de carnets de «colle-notes» - je traduis par «post-it» - qui incitent au respect de la langue. Bravo ! Mais je voudrais juste signaler à cette association que, selon moi, l'orthographe mérite aussi d'être respectée. Dans la supplique adressée à celles et ceux qui avaient «oubliés» - avec «s» - de bien vouloir payer leur cotisation, je me demande si les auteurs n'ont pas oublié, eux, comment fonctionne l'accord du participe passé avec l'auxiliaire «avoir»... (Rires) La preuve est ici, je l'ai apportée, Monsieur Mettan.
Je terminerai par la citation d'une romancière britannique décédée en 1941: «Le français est comme le vin: il pétille, il pique le palais, il a de la saveur.» Ce soir, nous nous en sommes aperçu. Ces trois actions conviennent très bien aux deux rapports que nous étudions. Défendons le français envers et contre tout, mais, s'il vous plaît, pas à travers une loi ! (Applaudissements.)
M. Gilbert Catelain (UDC). Je crois que nous sommes tous concernés par le débat soulevé par ce projet de loi, puisque nous sommes là pour défendre, d'une manière ou d'une autre - la question étant de savoir quelle est la meilleure - notre langue qui, finalement, est le fondement de notre culture et de notre société.
Mme Hagmann a milité pour une défense non légale de la langue; M. «Blanc» a une milité pour une absorption des termes anglais pour enrichir la langue française, il a même déclaré que c'était presque une chance que la langue française se soit inspirée de 60% de termes anglais... Ce qu'il oublie de dire, c'est qu'effectivement la langue française a inspiré la langue anglaise - c'est une chose; que la langue française a aussi, naturellement, incorporé des termes anglais, mais qu'elle les a en quelque sorte naturalisés, c'est-à-dire qu'elle les a rendus acceptables pour l'oreille et pour le sens.
Ce qui se joue aujourd'hui, ce n'est pas de savoir si l'on va incorporer ou pas des termes anglais, mais sous quelle forme et dans quel but. Parce que cette assimilation de termes anglais non naturalisés dénature la langue, l'enlaidit et, finalement, l'appauvrit. La plupart des mots que l'administration utilise dans sa communication sont des mots qui trouvent leur équivalent dans la langue française. Petite anecdote: lorsque les médecins ont manifesté sur la place fédérale, la Télévision Suisse Romande a effectué un reportage dans le canton du Valais au sujet d'un médecin de campagne qui allait se pencher sur le lit d'une vieille dame... Alors, le médecin lui dit: «Donnez-moi votre feed-back»; la pauvre dame, sur son lit d'hôpital, lui répond: «Hein ?». Le médecin répète: «Donnez-moi votre feed-back !». Nouvelle réponse: «Hein ?». Le médecin lui pose la même question une troisième fois... (Rires et commentaires.) La pauvre dame ne comprenant toujours pas, le médecin doit finalement se résoudre à utiliser un terme français pour obtenir une réponse à sa question...
Nous sommes vraiment dans une situation où, à force d'utiliser des mots anglais - que chacun ne comprend pas puisqu'ils ne font partie de sa propre langue, d'ailleurs on le constate même en commission - eh bien, on doit systématiquement demander des clarifications. Qui comprend dans la société - ou chez le commun des mortels - la notion de «reporting», par exemple ?
Pour les Anglo-Saxons, l'anglais est devenu une arme permettant d'imposer leur culture. On a vu que le canton de Zurich voulait supprimer l'apprentissage de la langue française... Cette dernière n'étant pas défendue, elle devient secondaire. Et à force de devenir secondaire, elle devient tertiaire. Finalement, le raisonnement zurichois n'est peut-être pas tout à fait faux: autant abandonner l'apprentissage du français, puisque l'anglais est devenu incontournable et que l'on peut très bien se débrouiller avec l'anglais dans toutes les situations.
Nous devons donc prendre conscience que notre langue n'est pas éternelle, que des langues meurent, que des dialectes meurent... La République française l'a très bien compris à la Révolution, puisqu'elle a - pour imposer sa langue, un régime politique et une économie - interdit à l'ensemble des régions de pratiquer leurs dialectes. Finalement, c'est sur cette base-là que la France a conquis l'Europe et fait triompher la langue française dans la plupart des pays européens - notamment est européens - et que la langue française est devenue la langue diplomatique. Par ce biais-là et par qualité de ses auteurs.
Nous disposons du contre-exemple d'un pays - d'une province - qui défend bec et ongles la langue française. Ce n'est pas la France, ce n'est pas la Suisse, mais c'est le Québec. Le Québec lutte tous les jours pour défendre sa langue, menacé par les provinces voisines qui sont largement majoritaires et essaient d'imposer un seul langage: l'anglais. Le Québec a donc mis en place toute une structure pour prévoir systématiquement dans ses dictionnaires une équivalence à un mot anglais. Pour chaque mot anglais, vous trouverez y trouverez une équivalence, il n'y a généralement pas besoin de l'inventer puisqu'elle figure déjà au dictionnaire.
Le projet de loi qui nous est soumis ce soir ne va pas aussi loin que ce que fait le Québec: il nous demande simplement - l'administration, l'ensemble des associations, l'Université, les commissions officielles, le pouvoir judiciaire - de nous sensibiliser au fait que nous avons une langue, qu'elle mérite d'être défendue et qu'elle doit être utilisée. Et si nous la défendons, nous enrichirons culturellement l'ensemble de la population et pourrons enrichir son vocabulaire.
La présidente. Nous arrêtons ici nos débats et reprendrons cette discussion à 20h30.
Fin du débat: Session 07 (avril 2006) - Séance 34 du 07.04.2006