République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 17 février 2006 à 20h30
56e législature - 1re année - 5e session - 23e séance
PL 9439-A
Premier débat
Le président. Le rapporteur de majorité est M. Hiltpold et le rapporteur de première minorité, M. Velasco, que j'accueille à la table des rapporteurs. Le rapporteur de deuxième minorité, lui, ne peut pas les rejoindre...
M. Hugues Hiltpold (R), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, je voudrais rappeler que ce projet de loi a été déposé par des députés qui demandaient de doter le Conseil d'Etat d'un montant de 30 millions de francs pour qu'il acquière des terrains destinés à la construction de logements locatifs d'utilité publique.
En commission, un certain nombre de discussions ont porté sur la question de la couverture financière. M. Brunier nous a rappelé tout à l'heure que toute dépense proposée par des députés devait être couverte financièrement, ce qui n'est manifestement pas le cas de ce projet de loi, puisque, précisément, l'article 97 de la constitution interdit à des députés de déposer un projet de loi qui engendre une dépense qui ne serait pas couverte financièrement.
Je tiens également à rappeler à ce parlement que le même cas de figure s'est présenté avec le projet de loi déposé par le groupe des Verts sur les logements étudiants pour un montant de 10 millions, qui avait été repris par le Conseil d'Etat. Un projet de loi avait aussi été déposé par l'Alliance de gauche concernant le bonus conjoncturel à la rénovation pour un montant de 30 millions, qui avait également été repris par le Conseil d'Etat et qui ne posait dès lors pas de problème quant à la couverture financière.
Enfin, quant au fond du projet de loi, je tiens à dire que les partis qui ont refusé ce projet de loi ne sont pas opposés au logement social, bien au contraire, puisqu'ils ont toujours voté les crédits d'investissement concernant les logements HBM.
C'est la raison pour laquelle la majorité de la commission vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à refuser ce projet de loi. (Applaudissements.)
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de première minorité. Certes, Monsieur le rapporteur de majorité, la couverture de ce projet de loi déposé par l'Alliance de gauche ne figurait pas dans le projet. Quoi qu'il en soit, la décision n'a pas été fondée sur ce point en commission, mais sur le fait de savoir si nous étions d'accord d'attribuer 30 millions supplémentaires pour l'acquisition de terrains. Un projet de loi présenté par les Verts a effectivement été accepté par une petite majorité de la commission, qui demandait 20 millions pour l'achat d'objets immobiliers de la Fondation de valorisation. Ce projet est différent: il propose d'octroyer 30 millions au Conseil d'Etat - qui s'ajouteraient aux 20 autres, ce qui ferait 50 millions - pour acquérir des terrains et lui permettre de mener une politique foncière active.
Mesdames et Messieurs les députés, nous pouvons bien parler des heures et des heures de logements sociaux pérennes, mais, si nous ne nous en donnons pas les moyens - et les moyens sont financiers - notre République ne pourra pas aller de l'avant ! A l'instar de mon groupe, je trouve ce projet de loi intéressant à plus d'un titre, puisqu'il permettrait justement d'avoir un fonds d'acquisition de terrains pour les mettre à disposition de coopératives, pour des projets de logements sociaux.
C'est la raison pour laquelle je ne comprends pas que la majorité de la commission ait balayé ce projet de la sorte, surtout sachant que la pénurie de logements est importante actuellement. Le parc immobilier comptait 17% de logements sociaux: il en comporte aujourd'hui à peine plus de 10%... C'est dire qu'il faut absolument soutenir ce secteur. M. Muller nous parlait hier encore, à propos de l'initiative de la BNS, de la volonté du Conseil d'Etat en matière de politique du logement social pérenne. Nous attendons à ce sujet sa contre-proposition à cette initiative.
Voilà un projet, Monsieur le conseiller d'Etat, qui pourrait très bien s'inscrire dans le cadre de la politique du logement social pérenne dont vous avez parlé. Le Conseil d'Etat pourrait en demander le gel en attendant les propositions qu'il va faire, et nous pourrions ensuite décider de son issue. Il y a eu le fameux projet deux tiers un tiers que la majorité avait présenté et qui donnait justement des prérogatives supplémentaires aux communes pour prendre des décisions sur ce sujet. Il y a eu le projet présenté par le groupe des Verts sur l'octroi de 20 millions pour l'acquisition de biens immobiliers de la Fondation de valorisation. Et puis, il y a ce projet, qui est un troisième outil d'acquisitions foncières qui nous permettrait d'agir. Je pense donc que ce projet pourrait, au même titre que les deux autres, être gelé. Je dois le dire, Monsieur le conseiller d'Etat, je n'ai pas compris pourquoi vous avez laissé ce projet être débattu ce soir alors que vous auriez pu demander son ajournement.
Mesdames et Messieurs les députés, j'aurais aimé que le Conseil d'Etat demande que ce troisième projet soit mis dans la même escarcelle que les deux autres, en attendant de connaître les éléments de sa nouvelle politique, notamment sur ce point.
Je n'ai rien d'autre à ajouter. Je vous invite toutefois, si le Conseil d'Etat ne veut pas aller dans le sens que je souhaite, à entrer en matière sur le projet de loi qui nous est soumis.
Le président. Sont encore inscrits Mme Schenk-Gottret, M. Aumeunier, Mme Künzler, M. Pétroz et le conseiller d'Etat. La liste est close.
Mme Françoise Schenk-Gottret (S). La pénurie de logements frappe de plein fouet la majorité de notre population, c'est-à-dire les personnes dont les revenus sont inférieurs à 70 000 F par an. Acheter une villa ou une PPE leur est, bien entendu, inaccessible.
C'est pourquoi les collectivités publiques se doivent de favoriser la construction d'immeubles locatifs dont les loyers soient en adéquation avec les revenus de ces personnes. En menant une politique d'achat de terrains à bâtir, l'Etat pourrait les mettre à la disposition d'institutions publiques ou de sociétés sans but lucratif, telles les sociétés coopératives, par exemple.
Je rappelle que la LGL est la loi générale sur le logement et la protection des locataires. Compléter la LGL par le nouvel alinéa 5 de l'article 11 proposé dans le projet de loi permettrait de lutter contre la spéculation foncière et de construire des immeubles dont les appartements échapperaient à la hausse des loyers dont souffre notre canton.
C'est pourquoi je vous invite, sans grande illusion, à voter cet alinéa 5, qui prévoit de mettre un crédit de 30 millions à la disposition de l'Etat.
M. Christophe Aumeunier (L). Outre le fait que le principe de la couverture financière n'est pas respecté par ce projet de loi, celui-ci ne préconise aucune mesure pour réduire la pénurie de logements. Il n'avance à rien; il ne propose rien, et il ne réduira donc en rien la pénurie de logements !
Comme l'a dit M. Hiltpold, rapporteur de majorité, vous avez en effet toujours voté, Mesdames et Messieurs les députés - le parlement a toujours voté - les crédits d'investissement HBM point par point.
Au bénéfice de ce qui précède, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, le groupe libéral vous propose de refuser ce projet de loi.
Mme Michèle Künzler (Ve). Au contraire, il nous semble très important de voter ce projet de loi ! Ce qui a été dit est inexact: les dernières fois que des crédits d'investissement ont été proposés pour des acquisitions de terrains, ils n'ont pas été votés, en tout cas pas dans les proportions suffisantes !
Nous pensons que, pour pouvoir mener une véritable politique du logement social, il faut absolument passer par l'acquisition de terrains. C'est l'objectif à poursuivre.
Par contre, nous sommes un peu plus mitigés sur le procédé utilisé dans le cadre de ce projet de loi. En effet, il aurait été beaucoup plus simple de donner un fonds complémentaire à la FPLC, qui poursuit le même objectif, plutôt que de créer encore un autre fonds. Quoi qu'il en soit, il faut poursuivre cet objectif.
Si vous deviez refuser ce projet de loi, j'espère au moins que vous voterez rapidement un crédit complémentaire quand la FPLC aura épuisé ses fonds.
M. Pascal Pétroz (PDC). Tous dans cette salle - en tout cas les différents représentants des partis en commission du logement - nous sommes d'accord sur le constat et sur les objectifs en matière de logement social. Il y a en effet manifestement un problème en matière de logement social, dans la mesure où les HLM, qui sont soumis à un contrôle étatique limité dans le temps, sortent de plus en plus de ce contrôle, ce qui fait qu'il y en a de moins en moins au fil du temps. Nous constatons tous que les lois Dupont - je vous le rappelle, car il ne faut pas l'oublier: ces lois ont été créées par le PDC - si elles étaient un instrument vraiment essentiel à l'époque, ne correspondent plus aux besoins de la Genève de demain.
Nous nous entendons tous sur ce constat, et nous avons également tous la volonté de remédier à ce problème, mais ce n'est pas chose facile. Un certain nombre de projets de lois sont à l'étude pour tenter de trouver des solutions: il y a le projet des Verts, notamment, qui préconise d'octroyer un crédit pour permettre aux fondations HBM d'acquérir des objets mis en vente par la Fondation de valorisation des actifs de la BCGe; le projet de loi du Conseil d'Etat sur les logements sociaux pérennes; l'excellent projet de loi du parti démocrate-chrétien... (Rires.) ...sur l'aide à la personne. Le climat actuel semble propice à une discussion qui permette de trouver un accord global sur ce sujet qui satisfasse tout le monde.
Mais nous ne pensons pas que ce projet de loi puisse être inclus dans le cadre de cet accord global, en tout cas pas sous sa forme actuelle. Il n'est pas exclu qu'une dotation à la FPLC, par exemple, puisse résulter de cet accord; il est vraisemblable que des moyens supplémentaires seront octroyés aux fondations HBM, mais pas de cette manière, pas par le biais d'un projet de loi qui va à rebours du bon sens dans la mesure où il modifie la loi générale sur le logement. Ce serait du jamais vu: jamais une loi existante n'a été modifiée par le vote d'une autre loi ouvrant un crédit !
Ce projet de loi est également d'un manque de clarté absolue... Il indique juste qu'il s'agit d'un crédit de 30 millions pour acquérir des terrains. Mais il ne précise pas qui va les acquérir, à quelles conditions ni comment les choses vont se passer !
Au bénéfice des explications qui précèdent, le groupe PDC vous recommande de rejeter ce projet de loi non pas, comme je l'ai déjà dit, qu'il soit exclu que des crédits d'investissement pour le logement social puissent être ouverts dans un avenir proche, mais parce que le moyen proposé ce soir est franchement mauvais.
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de première minorité. Je voudrais dire à notre collègue, M. Pétroz, qu'il aurait pu tenir les mêmes propos en commission, s'agissant de la FPLC ! Nous aurions, par exemple, pu amender ce projet de loi et mettre à la disposition de cette fondation ces 30 millions pour acquérir des terrains ! Mais rien de tel n'a été proposé en commission ! Le vote d'entrée en matière a été négatif, et les choses en sont restées là ! C'est ce que je regrette aujourd'hui...
C'est pour cela, Monsieur le conseiller d'Etat, que je vous suggère - même si ce n'est pas sous cette forme - de retenir l'idée de doter cette fondation pour qu'elle puisse mener une politique d'acquisition foncière. J'attends donc que vous puissiez me rasséréner, ou, au moins, me garantir que vous avez pris conscience du problème.
Le président. Cela tombe bien, Monsieur le rapporteur, M. le conseiller d'Etat souhaite justement prendre la parole !
M. Mark Muller, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je suis vraiment navré, Monsieur le rapporteur de minorité, je vais devoir vous décevoir. Je ne vais pas proposer, au nom du Conseil d'Etat, le gel de ce projet de loi, pour différentes raisons.
Tout d'abord, une raison purement formelle nous l'interdit: c'est le problème de la couverture financière qui a été évoqué par M. Hiltpold. Effectivement, si toute nouvelle dépense proposée par un député doit faire l'objet d'une couverture financière, il en va de même pour les nouvelles dépenses proposées par le Conseil d'Etat. Il ne suffit pas au Conseil d'Etat de déclarer vouloir reprendre à son compte une proposition de nouvelle dépense pour que le problème de la couverture financière soit résolu.
La deuxième raison pour laquelle le Conseil d'Etat ne souhaite pas soutenir ce projet de loi sous quelque forme que ce soit, en le reprenant à son compte ou en proposant de le geler, c'est que cette proposition est prématurée. Cela a très bien été expliqué par M. Pétroz, et je ne vais pas répéter ce qu'il a dit - ce que j'ai d'ailleurs également eu l'occasion de dire à plusieurs reprises, notamment dans le cadre du débat d'hier soir sur l'initiative concernant l'or de la BNS. Nous sommes au début d'un processus de concertation qui va déboucher sur un certain nombre de propositions. Et il est probable - tout du moins, il est possible - que dans ces propositions figurent des crédits qui permettront d'acquérir des immeubles ou des terrains pour mener une politique active dans le domaine du logement.
Quoi qu'il en soit, les projets en cours suffiraient tout à fait à s'inscrire dans cette perspective, en particulier le projet de loi des Verts qui propose l'ouverture d'un crédit d'investissement de 20 millions. Et puis, il y a l'initiative dont nous avons parlé hier soir. Les instruments existent donc, et nous aurons la possibilité de revenir avec des propositions qui vont dans le sens de ce projet de loi. (Brouhaha.)
Par ailleurs, je vous livre deux informations, puisque vous l'avez souhaité, Monsieur le député. La première, c'est que, sur le crédit de 30 millions que votre Grand Conseil a ouvert au Conseil d'Etat pour acquérir des terrains, il en reste plus du tiers. Le Conseil d'Etat a toujours à disposition, précisément dans le cadre de ce crédit-cadre, une somme de plus de 10 millions pour acquérir des terrains directement ou par le biais de fondations immobilières de droit public.
La deuxième, c'est que l'Observatoire du logement a été convoqué et que la concertation va démarrer dans ce cadre, en parallèle des discussions que nous aurons à la commission du logement. J'espère donc que nous pourrons revenir très prochainement avec un consensus sur cette question, ô combien sensible, de la politique du logement.
Mis aux voix, le projet de loi 9439 est rejeté en premier débat par 53 non contre 28 oui.