République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 16 décembre 2005 à 17h
56e législature - 1re année - 3e session - 14e séance
RD 603 et objet(s) lié(s)
Débat
Mme Véronique Pürro (S), rapporteuse. La maltraitance a occupé à plusieurs reprises et depuis quelques années la commission de contrôle de gestion. Nous avons mandaté la commission d'évaluation des politiques publiques et le département de sociologie de l'Université de Genève pour nous faire rapport sur cette question délicate et fort complexe. Ces rapports sont très intéressants, denses, et je vous invite vraiment à en prendre connaissance.
Dans la mesure où les capacités de la commission paraissaient limitées par rapport au volume de travail à mettre en place, la commission suggère de renvoyer ces deux rapports au Conseil d'Etat en le chargeant de nous transmettre, dans les meilleurs délais, un catalogue de mesures et un calendrier d'action.
Je souligne que le département de l'instruction publique n'a pas attendu nos rapports sur cette question pour aller de l'avant. Il a d'ores et déjà pris position - vous les avez en annexe - sur les recommandations de la commission d'évaluation des politiques publiques et mis en place certaines d'entre elles. Il a notamment engagé un adjoint à la direction de l'office de la jeunesse, particulièrement chargé de ce domaine. Je tiens à remercier le département de ne pas avoir tardé sur cette question importante et délicate.
Mme Sylvia Leuenberger (Ve), rapporteuse. Je ne veux pas allonger le débat, mais je tiens tout de même à rappeler que les douloureux problèmes de maltraitance, de violences ou d'abandons proviennent, le plus souvent, de causes liées à la sphère privée: situation sociale ou professionnelle, problèmes privés, etc.
Par contre, la gestion de la prise en charge des personnes en danger est du ressort de l'Etat. Et, il faut tout de même le souligner, notre enquête a mis en évidence de graves lacunes dans cette gestion.
Effectivement, la CEPP, que nous avions mandatée, a relevé un certain nombre d'éléments: absence de cohérence, peu d'efficacité des organes de pilotage, absence de procédures et d'outils communs, ignorance des conséquences des mesures prises, peu d'interférences avec les professionnels, mauvaise intégration des filières HUG, blocages liés aux secrets médicaux et, surtout, manque de places dans les foyers d'accueil pour prendre des enfants en urgence, loi-cadre insuffisante et non exhaustive et, enfin, non-accompagnement des familles en difficulté pour s'occuper de leurs enfants.
Cette liste est longue; elle est grave; elle est inquiétante.
Il est vrai que le Conseil d'Etat - comme l'a dit Mme Pürro - nous a fait savoir que des mesures étaient à l'étude et en cours de réalisation pour pallier ces lacunes. Mais, en ce qui nous concerne, nous nous intéressons au passage à la concrétisation de ces mesures. C'est pour cela que nous proposons le renvoi de ce rapport au Conseil d'Etat, pour le pousser à aller plus vite dans l'amélioration de la gestion de la maltraitance.
Je dirai juste un mot à propos du rapport sur la proposition de motion 1591, que nous avons à peine traitée en commission de contrôle de gestion... Il s'agit d'un oubli de notre part, et je m'en excuse. Mais elle traite exactement du même problème et souligne également le manque de places d'accueil pour les petits, dans les cas d'urgence.
Nous proposons de renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat, avec le rapport divers 603, pour qu'il puisse répondre à ces deux objets en même temps, dans quelque temps - quand il aura mis en place les mesures que nous attendons.
Mme Marie-Françoise de Tassigny (R). Tout d'abord un coup de chapeau à la CEPP ! Ce rapport est remarquable et restitue parfaitement le vécu sur le terrain. La presque - je dis bien «presque» - surabondance du dispositif en matière de maltraitance occasionne une absence flagrante du «porteur de soucis»...
Parmi les quelques phrases clés de ce rapport, on peut citer: «les interventions étatiques sont insuffisamment coordonnées»; «le dispositif manque de vision»; «la résolution des problèmes de maltraitance est très variable»; «le temps de réaction est souvent long»; «il manque un organisme de coordination». Ces constats choisis reflètent la pertinence de la décision de la commission de contrôle de gestion d'avoir demandé ce rapport.
Les différentes mesures préconisées doivent être rapidement concrétisées, car ce mal du siècle - peut-être plus visible et flagrant dans les périodes de malaise social et de problématiques familiales - doit être pris en compte par la prévention, par une prise en charge coordonnée et par la création d'une unité d'urgence. C'est seulement à ce prix que nous pourrons être en conformité avec la Convention relative aux droits de l'enfant.
C'est pour cette raison que le groupe radical accepte le renvoi de ces objets au Conseil d'Etat.
M. Ivan Slatkine (L). Je vais être très bref... Le parti libéral soutient aussi le renvoi de ces objets au Conseil d'Etat.
Mais je tiens quand même à relever que, au cours de nos travaux de commission - la commission de contrôle de gestion - il nous a été dit que Genève bénéficiait d'un des systèmes les plus performants de Suisse, d'Europe, voire du monde, en matière de prévention de la maltraitance. Il faut tout de même le rappeler !
Il y a certainement des problèmes de fonctionnement et de gestion, car, aujourd'hui, on a l'impression que l'administration a pris le dessus sur le politique. On ne sait plus vraiment qui fixe les normes en termes de maltraitance. Et puis, à travers le rapport fourni par le département de sociologie, nous avons pu constater que la notion de maltraitance est perçue différemment d'un service à un autre...
Il faut donc que le Conseil d'Etat nous précise aujourd'hui qui définit les normes en la matière et qui pilote cet ensemble.
M. Charles Beer, conseiller d'Etat. La problématique qui a été traitée par la commission de contrôle de gestion est - ô combien ! - importante et délicate à traiter au niveau politique, même pour prendre des décisions ponctuelles. En effet, chaque fois qu'on ne prend pas une décision alors qu'un enfant est en danger, cela peut se révéler grave et irrémédiable. Et chaque fois que l'on prend une décision alors qu'un enfant n'est pas suffisamment en danger, c'est également grave et irrémédiable.
Comme je le dis régulièrement, dans ce type de dispositif - je pense à la clause péril, évidemment - la notion d'exercice politique interdit pratiquement toute faute en raison des conséquences humaines toujours graves qui en résultent.
Permettez-moi de rappeler brièvement trois choses à propos du travail de la commission de contrôle de gestion.
Première chose. A l'occasion du drame de Meyrin - il s'agit du décès d'une fillette - Genève a connu un véritable moment d'émoi, je dirais même un véritable traumatisme. Comment était-il possible qu'une fillette puisse mourir de faim et de soif, enfermée dans un appartement, sans qu'il soit possible d'intervenir avec les personnes composant le tissu social directement ou indirectement rattaché à cette fillette, à sa maman ou, plus largement, à sa famille ?
Je relève également que ce n'est pas la seule «affaire», entre guillemets, traitée par la commission de contrôle de gestion. C'est l'occasion de rendre hommage à la très regrettée députée Alexandra Gobet-Winiger qui s'était beaucoup mobilisée pour aiguiller un certain nombre de cas très délicats vers la commission de contrôle de gestion.
Alors - et ce sera ma deuxième remarque - je me plais à souligner le sérieux avec lequel la commission de contrôle de gestion a abordé cette problématique. En effet, la commission a souhaité, autant que cela était possible - et je crois que l'attente n'a pas été déçue - travailler avec le département de l'instruction publique, de manière à pouvoir répondre à son mandat.
La Commission externe d'évaluation des politiques publiques a été saisie, mais, devant l'importance de la mission qui lui était confiée, elle a suggéré qu'une partie de celle-ci, notamment l'évaluation du concept de maltraitance au niveau sociologique, soit renvoyée à l'Université de Genève. C'est donc le département de sociologie de l'Université de Genève qui a complété le rapport de la Commission d'évaluation des politiques publiques.
Les réponses sont vastes; elles sont complexes; elles sont contradictoires sur un certain nombre de points. D'abord parce que la Commission d'évaluation des politiques publiques traite surtout des aspects les plus graves de la maltraitance, alors que le rapport de l'Université de Genève indique à quel point le concept de maltraitance peut être variable et combien les réactions peuvent varier d'un service à l'autre. Et vous avez, à cet égard, tout à fait raison, Monsieur Slatkine.
Au-delà des services de l'office de la jeunesse, il importe donc aujourd'hui de définir, pour l'ensemble des corps constitués de l'Etat, les modes d'intervention et la coordination indispensable, pour être très efficace et, surtout, pour éviter de «noyer» les décisions les plus graves et les plus importantes dans un ensemble de considérations beaucoup plus larges sur le sort des mineurs dans notre République. S'agissant du mauvais traitement des enfants, on ne peut pas galvauder les mots: on ne doit pas confondre des éléments qui ne sont pas forcément très graves avec les faits les plus graves concernant la maltraitance des enfants. La frontière entre les deux est délicate à établir. C'est bien une des tâches les plus difficiles à assumer par l'ensemble des professionnels concernés, et je profite de l'occasion pour leur rendre hommage.
Troisième point. Nous devons sans cesse chercher à agir plus rapidement et plus efficacement. Au-delà du rapport - je rends également hommage à Mme Pürro pour la qualité des travaux de la commission de contrôle de gestion et pour son rapport - je voudrais mettre en avant les décisions prises récemment par le Conseil d'Etat. Dans le traitement des dossiers des mineurs, en ce qui concerne notamment tout ce qui relève des séparations et des divorces, j'ai remarqué que la question des mandats tutélaires était régulièrement évoquée comme étant une difficulté à Genève, puisqu'elle relève, d'une part, de la protection de la jeunesse en ce qui concerne le rapport au Tribunal tutélaire et, d'autre part, du service du tuteur général en ce qui concerne l'exécution du mandat. C'était une particularité helvétique.
Au niveau du Conseil d'Etat, nous avons évoqué ce problème ainsi que les regroupements nécessaires - je remercie du reste M. Longchamp d'avoir été particulièrement attentif à cette question - et nous avons enfin pu prendre la décision, par arrêté, de séparer la gestion des personnes majeures de ceux des mineurs, de manière à intégrer l'exécution des mandats pour les mineurs au sein du service de protection de la jeunesse, afin d'assurer une continuité de la prise en charge. Ainsi celui qui demande le mandat pour le suivi d'un enfant a la possibilité de l'exécuter ensuite, tant il est important d'assurer la continuité des prestations et non la discontinuité des prestations en fonction de l'organisation administrative de l'Etat.
Je terminerai en disant tout simplement que la réorganisation de l'Etat va parfois dans le sens d'une amélioration des prestations.
Le président. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, il faut que nous procédions à un vote, parce que le rapport divers 603 conclut, sous la plume de la commission de contrôle de gestion, à son renvoi au Conseil d'Etat. Je vous soumets donc cette conclusion.
Mis aux voix, le rapport divers 603 est adopté par 65 oui (unanimité des votants) et renvoyé au Conseil d'Etat.
Le président. Je vous soumets maintenant le renvoi de la motion 1591-A au Conseil d'Etat, comme le demande également la commission de contrôle de gestion.
Mise aux voix, la motion 1591 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 65 oui (unanimité des votants).