République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 1 décembre 2005 à 17h
56e législature - 1re année - 2e session - 4e séance
IN 128 et objet(s) lié(s)
Préconsultation
M. Pierre Kunz (R). Les auteurs de l'initiative 128 ainsi que tous les citoyens, nombreux, qui l'ont signée sont assez satisfaits. En effet, lorsque l'on parcourt le rapport que le Conseil d'Etat a consacré à ce texte, on peut y lire que ce dernier constate, d'une part, que cette initiative répond bien aux impératifs de l'unité de forme et de genre et que, d'autre part, elle est conforme au droit supérieur dans son ensemble. Enfin, et surtout, notre gouvernement admet assez clairement, à la page 12 de son rapport, que le plan directeur actuel est dépassé par les évolutions démographique et économique du canton et qu'il est désormais insuffisant, justifiant ainsi de facto le texte de l'initiative. Le Conseil d'Etat, s'agissant de la recevabilité de l'initiative, souligne un problème relatif à l'unité de matière. Selon lui, l'adoption de dispositions législatives permettant en l'occurrence d'accélérer et de simplifier les procédures d'octroi des autorisations de construire romprait avec l'unité de matière et que ce point particulier serait contraire au droit supérieur. Nous verrons bien ce qu'en pense la commission législative. Pour les initiants, il conviendrait justement de profiter de cette initiative pour réviser, pour accélérer et simplifier de manière générale la législation. Fort heureusement d'ailleurs, le Conseil d'Etat semble là aussi assez disposé à ne pas écarter cette ambition.
D'autres problèmes soulevés par le Conseil d'Etat ainsi que certains commentaires inquiètent en revanche quelque peu les initiants, comme ils inquiètent tous ceux qui attendent impatiemment une politique volontariste et profondément réformatrice en matière de construction de logements et d'aménagement, de la part du gouvernement. Contrairement aux treize mille citoyens qui ont signé cette initiative, le Conseil d'Etat semble continuer à penser que, hors du plan directeur actuel - à première vue, en tout cas - il n'y aurait pas de salut. Or chacun sait ou devrait savoir désormais que des voies nouvelles doivent absolument être explorées.
En outre, le Conseil d'Etat semble ne pas considérer avec suffisamment d'enthousiasme et de sérieux les opportunités offertes par cette initiative, alors qu'il devrait y trouver matière à ambitions et projets nouveaux. Il insiste sur des appréciations négatives, sur des doutes, sans véritablement pour autant les étayer. Qu'est-ce, par exemple, le «développement trop important des villages» qu'il craint ? Pourquoi d'emblée affirmer que les communes vont rechigner et qu'elles seront incapables de développer des projets d'envergure et attractifs pour les citoyens ? Pourquoi aussi affirmer que les communes, sur les constructions qu'elles lanceront en zone primaire, seront incapables de trouver les ressources pour financer les infrastructures requises ? Pourquoi faudrait-il, comme l'envisage le Conseil d'Etat, partout à Genève en rester au système interventionniste du contrôle des prix et des plans financiers également contrôlés ? Pourquoi considérer aussi comme intangibles les délais de révision du plan directeur - pour autant que celui-ci s'avère vraiment nécessaire et indispensable ? Pourquoi faut-il considérer ainsi ces délais, comme d'ailleurs ceux de déclassement actuellement en cours, alors qu'ils sont manifestement trop longs, plutôt que de tout mettre en oeuvre, profitant des circonstances, pour les raccourcir ? Enfin, Mesdames et Messieurs les députés, pourquoi le Conseil d'Etat feint-il de croire que les terrains à déclasser ne se trouvent qu'en zone agricole, au lieu de souligner comme le font les initiants, qu'un gros potentiel se trouve en zone industrielle - notamment en ville de Genève - et qu'il est tout à fait possible de dégager ailleurs dans le canton de nouvelles zones industrielles, comme on peut penser que c'est nécessaire ?
En conclusion, les initiants, sur la base du rapport du Conseil d'Etat, restent persuadés que l'IN 128 peut constituer l'instrument majeur, le déclencheur d'une politique nouvelle, volontariste des autorités du canton - Conseil d'Etat, communes et Grand Conseil réunis - une politique destinée à mettre un terme dans un délai raisonnable - pas demain, bien sûr - à la pénurie de logement et à l'exode des actifs du canton et des contribuables vers la France et le canton de Vaud. A l'évidence, il revient au Conseil d'Etat d'empoigner avec détermination cette politique réformatrice. C'est vraiment ce que les initiants aimeraient. (Applaudissements.)
Mme Michèle Künzler (Ve). En préambule, j'aimerais rappeler que les Verts, contrairement à ce qui est parfois dit, ont accepté tous les déclassements de la dernière législature. Jamais ils n'ont demandé de diminuer le taux d'occupation, cela contrairement à certains partis de droite qui, bien qu'ils préconisent actuellement cette initiative, quand il s'agit de concrétiser, se montrent moins disposés à le faire.
Pour moi cette initiative part certainement d'un bon sentiment, mais c'est une utopie dans le vrai sens du terme: elle n'a pas de lieu et elle se terminera sans lieu. En effet, elle pose énormément de problèmes, parce que, contrairement à ce qui a été dit, on ne peut pas déclasser en dehors du plan directeur puisque c'est validé par le Conseil fédéral.
Par ailleurs, on ne peut pas faire une procédure spéciale, parce que cela représenterait une non-équité face aux autres personnes qui voudraient construire ailleurs. Vous essayez, en outre, de changer la donne en disant qu'il faudra construire pour tout le monde et faire des lois qui évitent la spéculation foncière. Mais cela existe déjà: cela s'appelle une zone de développement. Nous sommes tout à fait favorables à la révision du plan directeur et à la création de nouvelles zones de développement, mais dans ce cadre précis. Il faut respecter les lois. Les citoyens ont des droits et c'est dans ce cadre-là qu'il faut faire avancer les choses !
Le meilleur moyen de faire avancer les choses, c'est d'accélérer ce qui est en cours. Beaucoup de déclassements sont déjà en cours et c'est là qu'on peut faire avancer les choses et gagner ainsi du temps. Mais proposer des déclassements dans des non-lieux où l'on ne sait même pas ce qu'on fera, ce n'est en tout cas pas accélérer les choses. Par ailleurs, l'essentiel est de ne pas recourir à la zone ordinaire. Elle pose énormément de problèmes puisqu'il n'y aura pas de taxes d'équipement pour les communes, qu'il n'y aura pas un droit de regard pour l'Etat et, ce qui est important, qu'on ne pourra même pas contrôler les prix ni même avoir de droit de préemption pour construire les équipements. Cela n'en vaut pas la peine, franchement.
Mais comme treize mille personnes ont signé cette initiative, nous pensons que c'est beaucoup et que c'est bien. Il faut donc étudier la chose, voir comment on peut satisfaire la demande de logement. Mais ce n'est en tout cas pas par le biais de cette initiative qui est une utopie.
M. Alain Etienne (S). Quinze mille logements pour sortir Genève de la crise... Si c'était aussi simple que cela, ces logements auraient été construits depuis longtemps. Le parti socialiste a d'ailleurs montré sa volonté de résoudre la crise du logement en votant tous les projets de lois proposés par le Conseil d'Etat. Je ne vous rappellerai pas l'épisode du déclassement de Frontenex-La Tulette où l'Entente a réduit considérablement les potentiels à bâtir. J'aimerais rappeler que le plan directeur cantonal, s'il est appliqué, doit pouvoir répondre aux besoins en logements de la population genevoise. Pour cela, il faut simultanément mettre en oeuvre les trois mesures suivantes: l'urbanisation de la couronne suburbaine, la densification de terrains en zone villas et le déclassement de quelques terrains en zone agricole.
Le rapport du Conseil d'Etat est plein d'enseignement. A l'évidence cette initiative pose un certain nombre de problèmes que Mme Künzler a énoncés. Déclasser 1% supplémentaire de la zone agricole implique forcément la révision du plan directeur cantonal... (Brouhaha.)
Le président. Excusez-moi, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs les députés, la parole est au seul intervenant. Les autres, comme d'habitude, sont priés ou de se taire pour l'écouter ou de bavarder à l'extérieur de cette salle.
M. Alain Etienne. Merci, Monsieur le président. Cette révision devra forcément être approuvée par le Conseil fédéral, ce qui n'est pas assuré. Il faudra également faire une pesée des intérêts. Nous le savons, les intérêts en présence sont divers. Nous devrons préserver les surfaces d'assolement et garantir l'outil de travail des agriculteurs. Si nous voulons encore une agriculture de proximité, il faudra bien conserver le sol.
Autre problème: cette initiative n'est pas formulée. Il faudra donc bien un jour dire où construire. Mais M. Kunz ne m'écoute pas. Il faudra bien évidemment consulter les communes. Or nous voyons que, lorsque des périmètres sont déjà identifiés dans le plan directeur cantonal, les communes émettent des réticences et des résistances. Il faudra donc quand même que les initiants expliquent comment nous pourrions arriver à trouver d'autres périmètres.
C'est contenu dans le point 3 du rapport du Conseil d'Etat, et Mme Künzler l'a aussi relevé, il y a une inégalité de traitement en matière d'accélération des procédures. Je ne vois pas comment la police des constructions pourra accorder des autorisations de construire plus facilement par rapport à certains terrains qu'à d'autres.
Il y a également le problème de la zone primaire, mentionnée dans l'initiative. Il est plus intéressant, si l'on veut garantir le potentiel à bâtir, de passer par la zone de développement où il y a un contrôle des prix et où les plans localisés de quartier permettent de garantir la qualité urbaine de vie dans ces nouveaux quartiers.
Cette initiative est trompeuse, et nous verrons bien quel sort lui sera fait en commission législative.
Le président. Sont encore inscrits M. Stauffer, M. Velasco, M. Weiss, M. Portier et le conseiller d'Etat Moutinot. Le Bureau clôt la liste. Je salue la présence, à la tribune, de l'ancien président du Grand Conseil, M. Pierre Milleret... (Applaudissements.) ...de même que celle de notre ancien collègue, M. Jean-Claude Dessuet. (Applaudissements.)
M. Eric Stauffer (MCG). L'initiative proposée sera soutenue par le Mouvement citoyens genevois. C'est sûr qu'il faut aller plus loin. Aujourd'hui, on a pris beaucoup de retard en termes de construction. Comme l'a fait remarquer mon collègue, il y a un exode de la population genevoise dans le canton de Vaud et en France. Je dois quand même rendre grâce à mon voisin d'en face, c'est-à-dire à gauche, parce qu'il est au moins cohérent: on ne construit pas à Genève, ce qui favorise l'exode en France, et l'avantage que ça rapporte, c'est que les plaques françaises ne paient plus de contraventions à Genève.
Chaque fois qu'une initiative est adoptée pour augmenter le nombre de logements, elle se voit opposer de farouches discours de la part de la gauche. Je n'ai, pour ma part, pas vu beaucoup d'initiatives de la part de la gauche.
Nous saluons donc cette initiative et le Mouvement citoyens genevois la soutiendra.
Le président. Nous sommes uniquement en discussion sur la recevabilité de cette initiative. Je le rappelle à toutes fins utiles. Vous aurez d'autres occasions de parler du fond.
M. Alberto Velasco (S). J'ai voulu intervenir parce que M. Kunz a parlé de l'importance de cette initiative, notamment pour résoudre le problème du logement, de manière pérenne. Le problème, Monsieur Kunz, c'est que vous ne parlez pas du type de logements que vous voulez construire. A la vue des votes qu'il y a eus à la commission du logement par rapport aux projets qui nous ont été soumis - si je prends les 2/3-1/3, par exemple, ou si je prends les derniers projets sur l'allocation d'un fond pour un rachat de certains immeubles de la Fondation - on ne vous a pas vu agir avec emphase pour résoudre le problème du logement. J'en déduis que cette initiative est en réalité destinée à du logement surtout en PPE.
Chers collègues, ce sont les problèmes sociaux qui sont les gros problèmes, à Genève. Les deux tiers de la population ont un revenu de 60 000 F. C'est pour ces gens-là qu'il faut construire. On ne résoudra pas le problème du logement avec la PPE. C'est pour cela que j'étais étonné que le Mouvement citoyens genevois qui, donc, s'intéresse aux citoyens, soutienne cette initiative. Car elle est adressée à une élite de notre canton, Monsieur Stauffer. Et elle ne résoudra pas les problèmes de départs des citoyens genevois dans le canton de Vaud ni les histoires d'amendes dont vous parliez.
J'aimerais bien voir si, pour les prochains objets qui seront bientôt traités ici et qui concernent le logement social, vous serez d'accord pour les 15 000 logements, parce que ces objets sociaux contribueront à résoudre le problème du logement.
Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Stauffer, la parole ne vous sera pas redonnée, la liste est close.
M. Pierre Weiss (L). Il ne s'agit pas de faire un discours sur la politique du logement, il s'agit uniquement de se prononcer sur le rapport du Conseil d'Etat. On voit que le rapport du Conseil d'Etat conclut à la recevabilité de l'initiative. Par ailleurs, concernant l'un des points de l'initiative, il considère que ce dernier doit être supprimé lorsque le projet sera soumis au peuple.
La commission législative se prononcera sur ce rapport et nous apportera les conclusions qu'il convient.
M. Pierre-Louis Portier (PDC). Permettez-moi tout d'abord brièvement d'exprimer la satisfaction du groupe démocrate-chrétien de voir cette initiative aboutir. En effet, vous vous rappelez que nous étions quelques-uns de l'Entente à avoir demandé, par le passé, que ce gouvernement procède à l'inventaire de quelques parcelles non exploitables qui réservaient quelques possibilités de construire dans la zone agricole. Cela nous semblait une solution beaucoup plus précise, beaucoup plus fine que celle qui nous est proposée aujourd'hui. Le Conseil d'Etat chargé de ce travail ne nous a répondu que par la bande - nous avons d'ailleurs été obligés de lui renvoyer son rapport à ce sujet. Par conséquent, nous avons été obligés, si vous me permettez l'expression, de sortir la grosse artillerie. C'est donc satisfaits que nous voyons maintenant le peuple appuyer une telle demande: cela a l'immense avantage de mettre ce parlement et le nouveau gouvernement élu devant leurs responsabilités.
Puisqu'il faut en venir à la recevabilité, nous avons pris bonne note qu'il serait une bonne idée d'opposer à une telle initiative un contreprojet. Pour notre part, nous l'attendons avec impatience, parce que nous sommes décidés à aller de l'avant pour enfin résoudre les problèmes de Genève en matière de logement.
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Comme l'a rappelé M. Kunz, la lutte contre la pénurie de logement est une tâche essentielle du gouvernement et doit être appuyée par votre parlement. Dans ce sens, l'initiative qui demande 15 000 logements supplémentaires est saluée par le Conseil d'Etat. Elle pose cependant un certain nombre de problèmes, et il est heureux qu'elle ait été déposée en termes non formulés. En effet, pour raisonner en termes politiques, si cette initiative venait à être refusée, cela marquerait à tous les coups l'arrêt brutal d'un certain nombre de projets de déclassements. A l'inverse, si elle était acceptée, nous n'aurions pas fait un pas en avant, puisque le véritable problème ne se pose qu'à partir du moment où une zone est déclassée afin qu'il puisse s'y bâtir quelque chose et que c'est là, endroit par endroit, que doit se développer l'énergie politique.
J'ai par conséquent rencontré le comité d'initiative pour lui tenir ce discours et lui proposer - je suis persuadé que mon excellent collègue M. Robert Cramer poursuivra ce travail - d'identifier ces périmètres qui, par prudence et afin d'éviter la lourdeur d'une procédure de modification du plan directeur cantonal, devraient à mon sens être les terrains de réserve de ce plan. C'est cette démarche concrète qui devra, dans la prise en considération de cette initiative, être faite. Compte tenu de la procédure prévue pour l'examen de la recevabilité, elle peut être faite sans tarder.
Le souhait des initiants consistant à accélérer les procédures est évidemment un souhait honorable que le Conseil d'Etat partage - vous en saurez plus à ce sujet prochainement - mais il tombe sous le sens qu'on ne peut pas avoir deux catégories de règles, une pour certains terrains et une autre règle, pour d'autres terrains. Si on améliore la procédure, autant l'améliorer pour tout le monde, Monsieur Kunz, me semble-t-il.
J'aimerais faire encore deux remarques pour que les choses soient complètes. Vous avez dit, Monsieur Kunz, que le Conseil d'Etat s'était limité à la zone agricole. C'est vrai; mais c'est tout simplement parce que c'est ce que demande cette initiative. Elle demande que l'on construise dans des zones aujourd'hui non constructibles. Or la zone industrielle étant par définition une zone constructible, elle ne résout pas votre problème. Il relève d'une tout autre question de savoir quel est l'avenir de la zone industrielle et l'avenir de l'industrie à Genève - vous connaissez mon attachement à cette activité, dans le but de défendre la mixité économique du canton. Ce qui est en tout cas clair, c'est que ça ne peut pas entrer dans la discussion dans ce cadre-là, puisque la zone industrielle est une zone à bâtir.
Mesdames et Messieurs les députés, je souhaite vivement que cette initiative - qui est un voeu pouvant soutenir une politique sérieuse en la matière - trouve, par les contacts nécessaires avec les milieux intéressés et dans vos rangs, une concrétisation, de manière que nous évitions de nous battre sur des textes qui ne sont pour l'instant que des idées - et qui en plus ont quelques défauts que d'aucuns ont remarqué. Ainsi une zone primaire prive les communes de la taxe d'équipement. Or ce sont précisément les frais d'équipements qui sont l'argument invoqué par les communes pour refuser le développement. Par conséquent je ne crois pas que ce soit une bonne idée de leur dire par avance qu'on va les priver des moyens d'assumer leurs charges.
Nous aurons l'occasion de débattre sur le fond. J'imagine en effet que votre commission législative suivra les propositions du Conseil d'Etat.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. La parole n'est plus demandée. L'initiative 128, avec le rapport du Conseil d'Etat qui porte le numéro 128-A, est renvoyée à la commission législative. Ce n'est qu'au terme du rapport de la commission législative sur la validité de l'initiative que ce plénum se prononcera sur les conclusions préconisées par le Conseil d'Etat.
Le rapport du Conseil d'Etat IN 128-A est renvoyé à la commission législative.
L'IN 128 est renvoyée à la commission législative.