République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 6 octobre 2005 à 17h
55e législature - 4e année - 12e session - 68e séance
P 1481-A
Débat
Le président. Je passe la parole à notre vice-présidente qui va donner lecture du courrier 2076 qui nous a été adressé.
M. Claude Aubert (L), rapporteur. Cette lettre montre bien le sens de la pétition qui est un acte d'accusation contre les services du vétérinaire cantonal, un acte d'accusation contre les décisions du Tribunal administratif et un acte d'accusation contre le Tribunal fédéral. L'ensemble des faits qui viennent d'être rappelés peuvent être égrenés selon cette direction ou dans un autre sens. J'aimerais vous raconter l'histoire des chèvres telle que nous l'a racontée Mme la vétérinaire cantonale, que nous n'avons pas de raison de suspecter.
En 2001, le service cantonal constate la mort de 23 chèvres à cause de graves problèmes de verminose. En 2002, à l'occasion d'un contrôle officiel, on découvre des problèmes zoosanitaires de type brucellose, tuberculose et infractions aux dispositions sur les épizooties. Je vous rappelle que c'est un troupeau de chèvres qui produisait des fromages, et ces fromages doivent être contrôlés. La présence de verminose, de brucellose et de tuberculose pose évidemment problème, même si toutes ces bactéries sont des produits naturels.
En 2003, le troupeau est soumis à un séquestre, étant donné une épizootie et, en 2004, la situation devient critique, faute d'un apport suffisant en fourrage.
En 2004, à l'occasion de l'expulsion des exploitants, on constate que le troupeau est dans un état catastrophique et la vétérinaire cantonale, puisque les exploitants n'ont trouvé aucune autre possibilité de se retourner, décide de faire vendre le troupeau. Les 15 et 19 mars, ce troupeau est en grande partie vendu pour la boucherie. Par conséquent, ce troupeau n'existe plus depuis dix-huit mois. Voilà l'histoire des chèvres.
Maintenant, résumons l'histoire des grandes personnes. Deux mois après la disparition de ce troupeau de chèvres, la pétition intitulée «Pour la sauvegarde d'un troupeau de chèvres» est déposée au Grand Conseil. Le 17 juin, trois mois après la disparition des chèvres, l'avocat des exploitants dépose un recours au Tribunal fédéral pour annuler la suppression de l'effet suspensif à la mesure décidée par le vétérinaire cantonal. On se demande donc si trois mois après la disparition d'un troupeau, la suspension de l'effet suspensif qui a été annulée aurait pu faire changer les choses.
Aujourd'hui, dix-huit mois après les faits, une majorité de la commission estime qu'une pétition est un texte et que l'on doit s'en tenir au texte et ne pas partir dans tous les sens. Le texte est intitulé «pour la sauvegarde» alors que le troupeau n'existe plus, la seule solution est le classement.
Le contenu de la pétition est un acte d'accusation. Nous n'avons pas d'indices pour penser que cette accusation tient. Par conséquent, pour ces raisons, la majorité de la commission demande le classement de cette pétition. Une minorité, qui va certainement s'exprimer maintenant, a en effet un avis un peu différent, et je me réjouis de l'entendre concernant, d'une part, le titre de la pétition: comment va-t-elle justifier de ne pas classer une pétition qui n'a plus d'objet ? Et, d'autre part, cette attaque dirigée contre le service public - en particulier le service public du vétérinaire cantonal - est indigne. Je suppose que la majorité ou l'unanimité de ce parlement viendra à la défense du service public.
Le président. Le Bureau vous propose de clore la liste. Sont encore inscrits: MM. Pagani, Dessuet, Thion, Aubert et le conseiller d'Etat Cramer.
M. Rémy Pagani (AdG). Remarque préliminaire: j'ai entendu quelques ricanements dans cette salle; Je relève simplement qu'il y a quarante ou cinquante ans, si certains s'étaient permis de rigoler quand on traitait de problèmes ruraux - car nous sommes en plein dans un problème rural - ils se seraient fait tancer par passablement de paysans - la majorité de notre population était encore paysanne à cette époque... (Commentaires. Brouhaha.)Aujourd'hui il y a beaucoup de juristes, d'architectes, de banquiers et peu de paysans. Et, en l'occurrence, les paysans qui sont sur vos bancs n'ont pas ricané par rapport à ces problèmes !
J'en viens au fond, Mesdames et Messieurs les députés. Ces personnes ont produit des fromages pendant des années et, aujourd'hui, elles sont, malgré elles, entretenues par l'Hospice général. Je trouve que l'opération est un peu rapide... Même si je ne suis pas juge dans cette affaire - comme M. Aubert le dit - il faut reconnaître que quelque chose a foiré, dans le sens que ces gens produisaient de bons fromages et qu'il n'y a pas eu d'enquête sanitaire concernant leur production. En tout cas, je n'ai pas lu dans le dossier que l'autorité ait relevé de la listériose ou quelque chose de tel dans les fromages.
Cela étant, la commission est saisie d'une pétition qui porte sur le troupeau, et, comme le troupeau n'existe plus, car il a malheureusement été vendu et destiné à la boucherie, la pétition n'a plus d'objet. Or, Monsieur Aubert, notre rôle de député ne se limite pas à constater que les objets des pétitions n'existent plus et qu'il n'y a plus lieu de s'en inquiéter: notre rôle de député est aussi de contrôler ce qu'a fait l'administration. Et non seulement cela, mais aussi de représenter les droits des citoyens. Nous sommes dans un Etat de droit et, en l'occurrence, la commission des pétitions n'a pas fait son travail, de vérifier si les droits de ces gens ont été respectés. C'est malheureux, car ils ont subi des congés-ventes. On leur a proposé de racheter la ferme, et ils n'en avaient pas les moyens, ils ont dû partir. Et, comme par hasard, on a trouvé tous les défauts au troupeau qu'ils avaient dans cette ferme.
Dans votre rapport, vous vous inquiétez de l'avis de la vétérinaire cantonale - que je ne remets en cause - mais je n'ai pas constaté d'inquiétude à propos des droits de ces gens. En effet, ils avaient le droit d'être entendus, non seulement par votre commission, mais aussi par la justice. Là, il y a un problème ! Le Tribunal administratif a dit, comme la majorité de la commission des pétitions: «Ah, mais il n'y a plus de troupeau ! Donc, il n'y a plus d'objet et l'on classe aussi le problème.» Cela n'empêche pas que ces gens ont des droits, même si le troupeau n'existe plus: ils ont le droit d'être entendus et le droit de faire valoir leurs doléances, et une autorité quelconque doit prendre en compte leurs doléances. Malheureusement, je constate que la commission des pétitions n'a pas pris en compte leurs doléances ! Il n'a pas été investigué sur le fond - parce que ce n'est pas à nous de faire la justice - ni sur la forme. Est-ce que ces gens ont pu être entendus par la justice ? Non ! Est-ce que ces gens ont pu faire valoir leurs droits devant le conseiller d'Etat, qui est une instance de recours ? Non ! Tout cela n'a pas été fait: je demande que ce le soit. Si vous étiez honnêtes, vous reprendriez cette pétition et vous regarderiez si, effectivement, les procédures ont été respectées et si ces gens ont obtenu le minimum, soit le droit d'être entendu sur la procédure. Et puis, il faudrait demander à M. Cramer d'examiner de plus près les activités de la vétérinaire cantonale, car, là aussi, il y a des règles à respecter. J'en veux pour preuve: une vétérinaire cantonale qui va en France voisine récupérer un troupeau sans avoir passé par une commission rogatoire... Je trouve cela un peu bizarre. Et vous me permettrez de dire - même si la vétérinaire a peut-être bien fait son travail - que je trouve le procédé un peu cavalier si, effectivement, cela s'est passé comme cela. (Brouhaha.)
Je demande à ce que votre commission des pétitions investigue sur le droit de ces gens d'être entendus et je demande à M. Cramer de bien vouloir examiner si les commissions rogatoires pour aller rechercher des troupeaux en France ont bien été demandées et si le droit, là aussi, a été respecté.
M. Jean-Claude Dessuet (L). Je parlerais plutôt de l'élevage, que je connaissais, et malheureusement je vais contredire certaines personnes, et qui n'était pas tout à fait de qualité, comme vous le dites. Ces chèvres étaient de race Saanen, race à production laitière. Cela n'a pas été marqué, mais il faut savoir que les Saanen sont blanches - j'ai bien dit «Saanen», pas «Annen», pour que tout le monde comprenne bien... (Exclamations.)C'est une race qui est très difficile à élever, contrairement à ce qu'on croit: il faut un fourrage équilibré, il faut les surveiller, ces chèvres ont souvent des problèmes leurs genoux de devant qui lâchent. Il y a aussi des problèmes de mammite parce que ce sont des chèvres qui fournissent une certaine production: environ 300 litres la première année et environ 600 litres la deuxième; après, cela varie entre 900 et 1000 litres par année. Mais ces bêtes ne vivent jamais plus de cinq ans, il faut le savoir, et souvent, on doit les éliminer à cause des mammites. Quand je suis allé voir - car on m'avait demandé ce qu'on pourrait en faire - elles avaient des mammites à staphylocoques. Toutes les chèvres adultes que j'ai vues étaient mammiteuses; on ne pouvait donc pas les commercialiser et, à la limite, on ne pouvait même pas les manger - à cause des staphylocoques. Donc, j'ose espérer que la décision de la vétérinaire cantonale n'a pas été de les destiner au commerce pour l'alimentation, mais qu'elles ont été brûlées.
M. François Thion (S). Je vais être assez bref à ce sujet. On a d'abord affaire à un drame humain, il ne faut pas l'oublier. Au-delà de ce troupeau de chèvres, il y a véritable drame humain, car des gens ont dû quitter leur exploitation et se trouvent sans travail.
Je ne veux pas me prononcer sur l'état de santé du troupeau de chèvres, on a entendu la vétérinaire cantonale et il faut lui faire confiance. Je ne sais pas ce que sont devenues ces chèvres - si ce n'est qu'elles ont été tuées depuis très longtemps - mais j'espère qu'elles ne sont pas parties à la boucherie, comme c'est indiqué.
Simplement, je relève qu'il y a une petite différence d'appréciation sur le vote qui est demandé: la majorité souhaite le classement de cette pétition; nous demandons un dépôt sur le bureau, car nous sommes sensibles à ces exploitants, mis à la porte de leur ferme à cause d'un changement de propriétaires.
M. Claude Aubert (L), rapporteur. Je ferai humblement remarquer que nous avons auditionné les exploitants. Nous les avons auditionnés, et peut-être que mon préopinant pense que d'entendre quelqu'un signifie être d'accord avec lui... Nous les avons auditionnés et j'espère que vous avez lu plus attentivement le reste du rapport.
M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Comme l'a relevé M. Thion, nous sommes effectivement dans une affaire où l'on peut parler de drame humain, et même de plusieurs drames. C'est une affaire où il y a essentiellement des victimes. Et la victime qui apparaît à travers la pétition, c'est la personne qui ne peut plus continuer cet élevage de chèvres auquel elle est attachée. Mais derrière cette victime, il y en a une autre. Quand on parle d'Etat de droit, de respect des procédures, etc., il faut savoir qu'avant les procédures qui ont eu trait à la décision de la vétérinaire cantonale il y a eu toutes celles relatives à la procédure d'évacuation. Pourquoi ces procédures ont-elles été engagées ? Ce n'était pas parce qu'il s'agissait d'un congé-vente, ou pour favoriser on ne sait quelle spéculation immobilière. C'était pour favoriser un très petit agriculteur que l'on connaît un peu à Genève - c'est une figure genevoise qui élève des ânes avec lesquels il promène les enfants - et qui voulait ainsi accéder au rêve d'une existence pour lequel il a économisé sous par sous pendant des années. Finalement, il a pu acquérir un terrain, mais voilà que ce terrain a été occupé, qu'il a dû engager des procédures devant les tribunaux pour récupérer son bien. La conséquence est que cette activité d'agriculteur s'engagera dans des conditions très difficiles, parce que le temps passe et parce qu'au niveau de la législation agricole il est très compliqué, à partir d'un certain âge, de posséder une exploitation.
Mais il y a encore d'autres victimes, les animaux. Le rapport montre la façon dont ils ont été traités et M. Dessuet, qui connaît bien l'élevage, vous a indiqué ce qu'il en était. Et puis, il y a enfin - et je remercie beaucoup le rapporteur de l'avoir mentionné, car on ne le dit pas assez souvent dans cette enceinte - les services de l'administration. Pour avoir voulu assumer ses responsabilités, les devoirs de sa charge, la vétérinaire cantonale a été singulièrement maltraitée. Et elle continue à l'être encore, à travers une certaine presse qui se spécialise dans la défense des animaux et qui tient à son égard des propos pouvant être totalement qualifiés d'intentatoires à l'honneur et qui font l'objet des procédures nécessaires dans le canton de Vaud. Voilà pour les victimes.
Je n'entends pas ici distribuer de bons ou de mauvais points, j'entends simplement dire que l'administration s'exprime par des décisions pouvant être sujettes à recours, qu'il y a des organes judiciaires qui traitent de ces recours. En l'occurrence, la décision de la vétérinaire cantonale a fait l'objet de trois décisions judiciaires: deux décisions du Tribunal administratif, une sur mesures provisionnelles et l'autre sur le fond, et une troisième décision du Tribunal fédéral. Dans les trois cas, les juridictions ont donné raison à l'administration.
A partir de là, nous ne sommes plus dans le cadre de la pétition. La pétition est faite lorsque l'on entend saisir le Grand Conseil d'un dysfonctionnement de l'administration que l'on ne peut pas faire constater autrement. Ici, ce n'est pas le cas, puisqu'une voie judiciaire pouvait être actionnée, et des tribunaux démocratiquement élus ont estimé qu'il n'y avait rien à redire aux décisions de la vétérinaire cantonale.
Le deuxième élément est que toute mesure qui transmettrait le message que le Grand Conseil donne raison - au-delà des tribunaux, au-delà des décisions de justice - aux pétitionnaires, reviendrait concrètement à condamner, et de façon extrêmement injuste, une fonctionnaire qui fait son travail au plus près de sa conscience et qui, je vous l'assure, honore notre administration cantonale.
Le président. Nous allons voter sur le renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi la P 1481-A à la commission des pétitions est rejeté par 56 non contre 1 oui.
Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétition (classement de la pétition) sont adoptées par 33 oui contre 24 non et 3 abstentions.