République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 2 septembre 2005 à 14h
55e législature - 4e année - 10e session - 62e séance
R 498
Débat
M. Jacques Jeannerat (R). Je ne veux pas, cinquante minutes avant la fin de la séance, ouvrir un large débat sur la traversée de la rade - on en aurait pour des heures. L'objectif de cette motion est simplement de débloquer le rapport que M. Cramer avait demandé à un groupe de travail pluridisciplinaire en 2002. La mission de ce groupe de travail était de déterminer les caractéristiques et les qualités d'un projet réaliste d'une traversée de la rade qui respecterait les exigences économiques, sociales et environnementales. Ce rapport a été rendu public au mois de décembre 2004, mais, depuis, il est coincé quelque part, dans un bureau de l'administration, dans un bureau dans l'Hôtel de Ville ou dans le bureau de M. Cramer.
L'objet de cette motion est de faire avancer ce dossier, je demande donc que cette motion soit traitée par la commission des transports, parallèlement à la pétition, déposée le 25 janvier 2005, qui demandait également une réalisation de la traversée de la rade.
La présidente. Monsieur le député Kanaan, sur le renvoi à la commission des transports.
M. Sami Kanaan (S). Je ne sais pas s'il est vraiment utile de perdre du temps sur cette résolution à la commission des transports, d'autant que ses auteurs ont visiblement une lecture extrêmement sélective du fameux rapport du groupe de travail. Je rappelle que c'est un groupe de travail effectivement mixte, avec des représentants de ce que l'on pourrait appeler, pour simplifier, les milieux plutôt pro-automobilistes, des représentants des organisations écologistes et des représentants de l'Etat. Ils ont fait un travail intéressant qui a permis de débroussailler un peu les éléments clefs du dossier, de mettre à jour les paramètres d'analyse et les critères qui justifieraient ou non une traversée de la rade. Mais, au niveau des conclusions, les divergences étaient totales.
Les représentants des milieux automobilistes veulent une traversée de la rade tout de suite, et ce n'est même plus la peine de discuter pourquoi: elle est forcément nécessaire et utile. Les représentants des organisations écologistes ont dit qu'une traversée de la rade pouvait se justifier, à condition de l'intégrer dans un concept global de circulation, à condition de prévoir en même temps des mesures d'accompagnement et de compensation et, surtout, à condition d'avoir une vision claire de ce que l'on veut faire dans l'hyper-centre, en matière de mobilité.
Ce discours n'était visiblement pas partagé par le représentant des milieux automobilistes, qui a fait écrire dans le rapport - tenez-vous bien - que tant qu'à faire une traversée c'était un peu timide, timoré. Selon lui, il faut en faire deux - je cite le groupe de travail. Les milieux automobilistes souhaitent une traversée de la rade urbaine du Port Noir à Mon-Repos, et puis, assez rapidement derrière, une deuxième traversée de la rade périurbaine, vers Vengeron et je ne sais pas où. Evidemment, c'est un peu psychédélique. Je crois savoir - le conseiller d'Etat Cramer le précisera - que les études continuent sur la base de ce rapport qui, je le rappelle, n'était pas une pré-étude financière et technique mais une analyse générale du dossier.
J'aimerais rappeler l'existence d'un autre document qui, malheureusement, n'a pas obtenu l'attention qu'il méritait. Le bilan intermédiaire du plan de mesures pour la protection de l'air dans le canton de Genève 2003-2010 - qui est une obligation fédérale de respecter les valeurs en matière de pollution dans le canton d'ici 2010 - rappelle les mesures que l'on est censés prendre pour y arriver. Ce rapport annonce que la prévision de 40% d'augmentation de la mobilité d'ici 2020 - on connaît tous ce chiffre qui est à la base du plan directeur d'aménagement du territoire - va être complètement dépassée. Aujourd'hui, on parle de 47% pour 2020, et probablement que ce sera pire.
On assiste donc à une explosion de la mobilité. Face à cela, on peut suivre un scénario américain et multiplier les autoroutes, les traversées de la rade mais les bouchons ne feront qu'augmenter. Dans n'importe quelle agglomération américaine, on circule très mal. Il faut que l'on essaie d'organiser cette mobilité de manière que la fluidité soit assurée - ce qui paraît être un souci commun - et que l'on mette le paquet sur les transports collectifs et la mobilité douce.
Selon la résolution, non seulement il faut faire cette traversée mais, en plus, c'est une priorité. La même Entente, qui n'arrête pas de nous faire des discours sur les priorités budgétaires, la crise budgétaire et le souci d'économie, ne précise évidemment pas aux frais de quoi cette priorité doit être faite. Ce serait un peu plus difficile, car une vraie priorité dit aussi à quoi on renonce. Ce serait trop difficile de le dire pour vous, Mesdames et Messieurs les députés. Peut-être, un jour, serez-vous un peu plus clairs. En l'occurrence, ce serait une priorité très coûteuse - au bas mot 1 milliard, si on le fait correctement - et, évidemment, si on fait une traversée de la rade, il est exclu qu'elle s'arrête sur le quai des Eaux-Vives. Il faudra au moins monter jusqu'au plateau de Malagnou.
A ce stade, si cela vous fait vraiment plaisir d'occuper la commission des transports, on peut le faire. Cela permettra à la commission des transports de se renseigner sur le travail du groupe en question et de regarder les annexes qui sont presque plus intéressantes que le rapport. Et j'espère qu'à ce moment vous arriverez à la sage conclusion que ce projet n'a aucun sens, à court terme. Surtout, je conclurai en disant que l'augmentation du prix du baril de pétrole va très probablement régler le problème. Nous estimons inutile d'aller occuper la commission des transports et nous voterons contre le renvoi en commission.
La présidente. Le Bureau vous propose de clore la liste. Sont encore inscrits Mme et MM. Baud, Pagani, Künzler, Catelain, Meylan et Desbaillets.
M. Jacques Baud (UDC). Que voilà un long serpent de mer ! Cela fait des années et des années que cela dure. On prend le Pont-Butin, il est engorgé. Bel-Air est éclatée. Que ce soit le Mont-Blanc, le pont Sous-Terre pentu ou la Coulou qui n'en peut plus, les relations entre la rive gauche et la rive droite ne fonctionnent plus. Ce sont deux poumons qui ne se connaissent plus. Cela n'est plus possible, cela ne peut plus durer ainsi.
Il est vrai que le peuple a refusé le projet du pont sur la rade et le tunnel que nous avions proposé, mais je pense qu'il est temps de revenir à une certaine sagesse et de revoir ce projet de tunnel, indispensable pour désengorger le centre-ville. On ne peut plus y échapper. C'est impossible. Je propose donc de renvoyer cette résolution à la commission des transports. Il faut que l'on prenne nos responsabilités face à la population de façon qu'enfin on puisse passer de la rive gauche à la rive droite en moins d'une heure.
M. Rémy Pagani (AdG). Je ne reviendrai pas sur l'argumentation de mon collègue Sami Kanaan, car tout a été dit concernant l'inutilité de ce projet. Pourtant, je trouve assez extraordinaire de la part de M. Baud de dire qu'il faut être sage. Ce matin, on a vu à quel point les dettes de notre canton étaient abyssales. Nous avons de la peine à boucler notre budget et, aujourd'hui, on vient nous proposer une idée qui, effectivement, est un serpent de mer, qui va coûter plusieurs centaines de millions, voire 1 milliard, voire plus. Au point où on en est, cette construction nous reviendrait à quelques milliards.
Un certain nombre de personnes sortent de leur boîte et disent qu'il n'y a qu'à faire payer un droit de passage sur ce pont, qu'il n'y a qu'à augmenter l'impôt et taxer de manière plus importante les automobilistes et que, ainsi, tout cela sera réglé. Mesdames et Messieurs les députés, il faut être sérieux dans cette affaire. Nous n'avons pas les moyens - quoi que l'on puisse penser - de nous payer une telle installation.
Ce qu'il y a d'étonnant - j'ai été le premier surpris - c'est de voir M. Cramer, qui a fait partie des opposants farouches à cette traversée de la rade, revenir à la charge et soutenir une telle étude - parce qu'il est conseiller d'Etat je suppose. Je me réjouis, à la fin de ce débat, de connaître sa position. Toujours est-il que cela m'a surpris de la part d'un écologiste responsable des finances cantonales. Je me suis étonné de voir à quel point M. Cramer était peu soucieux de la gestion de notre budget et à quel point il était anti-écologique, en soutenant une telle traversée de la rade, alors qu'il s'y était opposé quand il était sur nos bancs. Je trouve cela un peu spécial et j'attends de lui quelques lumières pour nous informer de la manière dialectique avec laquelle il gère ce dossier.
Mme Michèle Künzler (Ve). Je suis assez surprise par ce projet de résolution. Au fond, une résolution est une déclaration qui n'entraîne aucun effet, comme on l'a vu ce matin. Heureusement, parce qu'avec un projet aussi vieux jeu et ringard que la traversée de la rade que vous nous resservez à chaque élection, j'espère bien que cela n'entraînera aucun effet ! C'est un projet cher, je ne vois même pas ce qu'on irait faire en commission, car c'est parfaitement inutile et on n'a pas les moyens de se payer cette traversée de la rade. Il y a des choses bien plus utiles pour Genève. Cessons de toujours resservir les mêmes sauces, on n'a pas besoin d'aller en commission !
M. Alain Meylan (L). Naturellement, le groupe libéral soutiendra le renvoi en commission. J'ai bien retenu la lueur d'espoir dans les propos de M. Kanaan, qui a dit qu'en tout cas, à court terme, cette traversée n'était pas envisageable. Cela laisse supposer que, dans un objectif à un peu plus long terme, il entrerait en matière sur une traversée de la rade. Il faudra certes s'entendre sur la signification du court terme, est-ce que c'est six mois, une année ou deux ans ? On verra. Mais c'est une raison de plus pour tout de suite renvoyer cette résolution en commission et entamer le débat et les travaux sur l'étude de cette traversée de la rade. Comme cela va très probablement ressortir - et on l'a lu dans les journaux ces derniers mois - l'étude démontre l'utilité d'une traversée de la rade, en tenant compte de tous les points du développement durable, à savoir l'économie, le social et l'écologie. Cette traversée urbaine sous la rade a un bilan positif.
D'autre part, cette traversée de la rade s'inscrit dans le principe de la complémentarité des moyens de transports, récemment voté au niveau de la constitution. M. Pagani a dit que cela allait coûter 1 milliard. Naturellement, ce sont de nouveau les mêmes arguments qu'il y a quelques années. La traversée de la rade actuellement est «budgetisée» à 300 millions de francs, de quai à quai; il ne s'agit pas de la grande traversée de la rade. On parle de complémentarité mais on a voté le CEVA - quelque chose dont je doute toujours de l'utilité; je le répète, c'est un truc qui part de nulle part, qui passe nulle part et qui va nulle part - et on va dépenser allègrement 1,5 milliard ou 2 milliards pour ce projet. On parle d'un élément qui est en faveur de la mobilité en ville dont le prix est de 300 000 millions, contre un développement des transports publics de 2 milliards. Je pense par conséquent que l'on peut accepter ce genre de complémentarité.
On peut imaginer le financement de plusieurs manières. Le bureau des autos fait des bénéfices qui entrent dans le budget de l'Etat - et il y a beaucoup à dire par rapport à ses structures et sa manière de fonctionner - on pourrait donc imaginer que ce qui est payé par les automobilistes d'un côté leur revienne, d'un autre côté.
Parlons - peut-être plus indirectement - du temps perdu dans les bouchons. Un rapide calcul démontre que 50 000 voitures qui passent 10 minutes par jour dans les bouchons à 40 F de l'heure, cela fait déjà 60 millions de perdus tous les jours sur le pont du Mont-Blanc. On voit que ce genre de discussion peut mener très loin. On va s'arrêter là.
Renvoyons cette résolution à la commission des transports et réalisons cette traversée de la rade !
M. Pierre-Louis Portier (PDC). Le groupe démocrate-chrétien souhaite le renvoi en commission, car il souhaite une traversée de la rade. Il souhaite surtout que le débat sur cette traversée de la rade redémarre le plus vite possible. Nous entendons des velléités de construire une traversée de la rade plus urbaine que ce que l'on avait pensé par le passé, mais, pour notre part, nous avons une vision un peu plus ambitieuse.
Nous avons une vision très régionale du développement, non seulement de notre canton, mais aussi de notre région. Il nous semble que ce type d'équipements doit également concerner l'ensemble de la région. Il faut certainement donner priorité aux transports publics dans l'agglomération urbaine de Genève, mais si l'on doit faire un effort pour les transports privés - et nous sommes en cela fidèles à votre idée de répartition des différents moyens de transports - c'est peut-être sur ce type d'équipements qu'il faut donner priorité et surtout concentrer nos moyens financiers.
S'agissant du financement, une vision, peut-être beaucoup plus ambitieuse que ce que l'on n'a jamais envisagé pour la traversée de la rade, nous permettrait de rechercher d'autres financements que ceux - maintenant bien maigres - provenant du canton de Genève.
M. Georges Letellier (HP). Je vais être très bref dans mes remarques. Je trouve qu'actuellement nous tournons un peu en rond. Le débat devrait être déplacé un peu plus haut. La traversée de la rade est vraiment indispensable pour Genève, sur le plan écologique comme sur le plan de la liberté de circulation. Mais il faut regarder cela dans le contexte franco-valdo-genevois, c'est-à-dire dans le cadre d'une région. On s'entête à en parler mais cela n'avance pas. La solution du futur - pour les frontaliers et les autres - passe à travers une région franco-valdo-genevoise.
M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Nous avons le débat auquel nous pouvions nous attendre, à quelques semaines des élections. Ce débat est suscité par une résolution, l'acte produisant le moins d'effets mais susceptible d'être adopté par notre parlement, car, à Genève, la résolution non seulement ne produit aucun effet législatif, mais elle n'implique même pas la nécessité, pour le Conseil d'Etat, d'y répondre par un rapport. Et ce débat est traité par une proposition de renvoi en commission, ce qui est véritablement la façon la plus énergique d'empoigner l'affaire.
Cela dit, le Conseil d'Etat ne s'opposera bien sûr pas à ce renvoi en commission qui apparaît d'autant plus opportun que, de toute façon, la commission des transports est saisie actuellement d'une pétition. En même temps qu'elle répondra à la pétition - qui comporte à peu près les mêmes termes, à mon souvenir - elle répondra à la résolution.
Puisque chacun a pu s'exprimer sur bien d'autres choses que le renvoi en commission, vous me permettrez d'ajouter deux considérations. La première concerne l'existence de ce groupe de travail sur lequel j'ai été interpellé. Je considère effectivement, dès l'instant où un sujet préoccupe tant de gens à Genève, il est tout à fait normal que les autorités soient prêtes à l'étudier également. Et, avant de le faire sous la pression de telle motion ou de tel projet de loi qui aurait pu être adopté par ce parlement, il m'a semblé plus simple, plus serein et plus dépassionné de prendre l'initiative de créer un groupe de travail et de m'assurer qu'il soit composé de façon paritaire, c'est-à-dire qu'il comporte autant de représentants de milieux favorables à l'automobile et aux activités économiques au centre-ville que de représentants des associations environnementales. Et c'est ainsi que ce groupe de travail a eu les moyens de sa réflexion et a rendu un rapport.
Ce rapport est aujourd'hui examiné par l'administration. Il a fait l'objet d'un premier examen par la délégation du Conseil d'Etat aux transports et, bien sûr, le Conseil d'Etat sera également amené à se prononcer sur les conclusions de ce groupe de travail.
A ce stade, je ne peux que livrer des réflexions personnelles, et elles rejoignent très largement les propos tenus par M. Portier. Si on doit réfléchir à une infrastructure routière, on doit le faire dans une perspective régionale. On ne sera plus, Monsieur Meylan, dans les montants de 300 millions que vous avez articulés - je ne sais pas où vous êtes allé les chercher car les vrais montants pour une traversée urbaine sont de l'ordre de 800 millions - on sera dans des montants de l'ordre de 2 à 3 milliards. Il y aura la nécessité du soutien de la Confédération et de l'obligation de trouver des financements nouveaux. Mais, de tout cela, nous aurons l'occasion de parler si, toutefois, le prix de l'essence nous en donne le loisir. Il paraît qu'aujourd'hui l'essence vaut 1,75 F au litre; on ne sait pas ce qu'il vaudra le jour des débats en commission, mais peut-être y a-t-il là une autre issue à notre discussion sur la traversée de la rade... Je me réjouis d'en discuter avec vous.
Mis aux voix, le renvoi de cette proposition de résolution à la commission des transports est adopté par 48 oui contre 32 non.