République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 2 septembre 2005 à 8h
55e législature - 4e année - 10e session - 60e séance
I 2035
M. Rémy Pagani (AdG). Je me réfère à un article, que je vous recommande de lire - qui date aussi - et dont les données m'ont quelque peu surpris. Il est intitulé: «La Suisse aurait-elle les finances les plus «saines» d'Europe ?» Selon un nouveau système établi au niveau européen, je cite: «Une comparaison internationale est possible aujourd'hui. Cette comparaison permet la modernisation en profondeur de l'outil d'analyse.» Cela a permis de découvrir que notre économie était plus vigoureuse que prévu, notamment que le produit intérieur brut, au lieu de se situer à 2,4, en 1998 par exemple, était de 2,8, contrairement à ce qui était indiqué.
Ma première question est donc la suivante. Les critères appliqués aujourd'hui pour le canton sont-ils les nouveaux critères mis en place par Maastricht ou sont-ils toujours les mêmes, qui visent - selon cet article - à diminuer le produit intérieur brut ?
Deuxième point. Il est question dans cet article de la quote-part fiscale - ce sont les recettes fiscales, y compris les cotisations obligatoires aux assurances, par rapport au produit intérieur brut. Eh bien, la charge fiscale de l'ensemble de la Suisse est moins importante que prévu avec 30,5% - selon le dernier chiffre de cet institut - ce qui place la Suisse au même niveau que le Japon et les USA, c'est-à-dire le plus bas sur le plan mondial.
Par conséquent, je pose une deuxième question: notre canton est-il soumis à ces critères et a-t-on évalué la charge fiscale de la Suisse sur ces critères, ce qui pourrait nous permettre d'avoir une vision à peu près réaliste et de savoir si la charge fiscale est réellement aussi forte qu'on nous le répète à longueur de journée sur ces bancs, en nous disant qu'il faut la réduire ? Car, je le répète, il ressort de cet article qu'elle est la plus basse du monde, avec le Japon et les Etats-Unis.
Je voudrais donc bien savoir si ces critères sont appliqués au canton et, si ce n'est pas le cas, s'ils pourront l'être à l'avenir, parce que cette comparaison au niveau international me paraît être extrêmement fiable, du moins en examinant les chiffres donnés. Du reste, l'analyse montre que nous sommes loin derrière la France et d'autres pays européens, notamment en ce qui concerne la charge de l'ensemble de la fonction publique, par exemple.
Je vous remercie de votre réponse, Madame la présidente.
Mme Martine Brunschwig Graf, présidente du Conseil d'Etat. Je n'ai pas très bien compris, Monsieur le député, si vous souhaitez parler de dette ou de charge fiscale et quel type de comparaison vous évoquez...
Ce que je peux signaler en préambule, c'est qu'il faut faire la différence entre le canton et le pays, parce que - je le rappelle - nous avons encore une banque nationale ! Elle sert de relais, et les décisions prises au niveau économique n'ont pas les mêmes effets pour le pays que pour le canton.
Deuxièmement, le calcul du revenu cantonal - c'est valable pour tous les cantons - est le fruit d'une répartition fédérale. Il n'est pas le reflet exact du revenu du canton. Nous ne disposons pas, à l'heure actuelle, des instruments nécessaires, ce qui pose d'ailleurs toute une série de problèmes, puisque nous recevons les informations avec du retard - retard explicable, bien sûr. Et, lorsque nous les recevons, nous ne sommes pas en mesure de comparer la situation réelle du canton - dont nous discutons quand nous élaborons le budget - et la situation fournie par une répartition, en termes de règles subtiles de la Confédération, de ce qui est censé être la richesse de chaque canton. Il n'est donc pas possible, sur cette base-là, de se lancer dans quelque comparaison que ce soit, et ce n'est pas non plus sur cette base que nous discutons aujourd'hui des finances cantonales.
Personne n'est capable de dire réellement, sur le plan économique et en termes absolus, quel serait le niveau d'une dette supportable... Mais, nous savons tous qu'il y a deux signes qui ne sont pas supportables: une dette qui augmente très rapidement, régulièrement, sans possibilité de la stopper, et, surtout, les intérêts qui en découlent, et d'avoir une masse d'intérêts à régler qui dépend du marché des taux d'intérêts pour ce qui est du compte de fonctionnement. C'est un danger permanent !
J'ai déjà eu l'occasion de vous le dire: lorsque la dette atteignait 9 milliards en 1995, nous payions à l'époque environ 430 millions d'intérêts. Aujourd'hui, grâce aux taux d'intérêts dont nous disposons sur le marché, grâce, aussi, à une gestion de la dette extrêmement dynamique, les comptes 2005 prévoient que nous devrons payer 300 millions d'intérêts pour une dette de l'ordre de 12,5 milliards. Ce sont les chiffres annoncés pour les comptes.
Mais que se passerait-il si les taux d'intérêts augmentaient d'un quart de point, d'un demi-point, voire d'un point ? Ou à des niveaux comme ceux que nous avons connus en 1995 ? Je ne vais pas vous faire des calculs ici... Mais il est clair qu'entre 430 millions d'intérêts pour une dette de 9 milliards et 300 millions d'intérêts pour une dette de 12,5 milliards, il y a un écart important, et nous travaillons à nous préserver d'un tel retournement. Notre préoccupation - ma collègue qui m'a précédé vous disait la même chose lorsqu'elle était responsable des finances - c'est que nous sommes pieds et poings liés pour payer les intérêts et que nous n'avons plus aucune liberté de décision en ce qui concerne le compte de fonctionnement, ce qui est dangereux. C'est le critère principal ! Le deuxième, qui en découle, c'est que non seulement nous ne sommes pas capables de financer nos investissements, mais encore nous devons emprunter pour manger, c'est-à-dire pour financer le compte de fonctionnement. C'est la situation dans laquelle nous nous trouvons ! Ces deux critères suffisent amplement pour prendre un certain nombre de décisions, parce que nous savons que, factuellement, nous sommes en danger. Il n'est pas nécessaire de faire des comparaisons sur le plan international pour s'en rendre compte ! Vous qui souhaitez augmenter les dépenses publiques, vous qui soutenez la politique sociale, vous qui soutenez la politique de formation, vous qui soutenez la politique de sécurité, vous êtes en danger, car il n'est pas possible de financer toutes ces politiques ! Nous sommes en danger, et, à ce stade, peut me chaut de savoir ce que sont les critères de Maastricht, ce que disent les articles de journaux ! Ce que je sais, c'est que la situation actuelle nous oblige à prendre des mesures !
M. Rémy Pagani (AdG). Je vous remercie, Madame la présidente du Conseil d'Etat, mais je suis tout de même étonné que vous ne puissiez pas mettre en rapport le produit intérieur brut du canton et la charge de la dette, par exemple, comme cela a déjà été fait... J'ai longtemps décrié les critères de Maastricht, et je continue d'ailleurs, mais il est écrit dans cet article que, selon ces critères, la dette ne devrait pas dépasser 60% du produit intérieur brut . Avec sa dette de 222 milliards et son produit intérieur brut de 427 milliards, la Suisse est à 52%, donc bien moins de 60% !
Alors, je vous demande simplement - je pourrais faire le calcul moi-même, puisque visiblement vous ne pouvez pas répondre à ce point précis - si le canton est réellement en dessous des critères de Maastricht - qui sont déjà draconiens - comme cela est mentionné dans cet article. Car, je le répète, selon cet article, le rapport entre la dette et le produit intérieur brut de la Suisse est un des plus bas d'Europe, alors que la Grande Bretagne, la France et l'Allemagne sont à plus de 60%. Des critères objectifs de ce type nous permettraient peut-être de mieux traiter le problème et non de dramatiser la situation. Comme vous, je suis préoccupé par une éventuelle augmentation des taux d'intérêts, car cela nous obligerait à payer davantage pour les intérêts de la dette de 12,5 milliards, mais nous devons nous baser sur les mêmes critères. Les critères de Maastricht me semblent déjà assez draconiens, mais les vôtres semblent encore plus sévères ! Je trouve un peu facile de nous répondre comme vous l'avez fait, en disant que nous n'aurions pas de critères en Suisse, que tout est très nébuleux dans ce domaine, mais que la dette est énorme... Effectivement, quand on annonce une dette de 12,5 milliards, cela fait peur au simple quidam, y compris à moi ! Toutefois, le rapport entre la dette et le produit intérieur brut du canton, selon des critères scientifiques, comme ceux de Maastricht, permet de relativiser, de mieux évaluer la situation et, ainsi, de traiter plus efficacement le problème sur la base de chiffres précis.
Mme Martine Brunschwig Graf, présidente du Conseil d'Etat. Vous savez à merveille déformer les propos des gens, Monsieur le député... Je n'ai pas répondu que la situation était floue: j'ai simplement dit que le canton devait commencer par examiner son niveau d'autofinancement pour évaluer sa situation financière. Et j'ai ajouté que le premier critère - qui n'est pas flou du tout - était que, lorsqu'il fallait recourir à l'emprunt pour la totalité des investissements et, en plus, pour le compte de fonctionnement, eh bien, notre premier devoir est de ramener le budget du canton à un niveau permettant d'éviter de recourir à l'emprunt pour le compte de fonctionnement, à savoir d'emprunter pour manger. Nul besoin de faire de grands calculs: ce critère est simple ! Toute société qui emprunte pour financer son budget de fonctionnement est en danger et, si elle persiste, elle finit automatiquement par détourner les moyens destinés aux missions principales de l'Etat pour financer l'intérêt. Je vous présente donc, au moment des comptes et des budgets, un critère simple, accessible à tous et dont chacun peut comprendre la portée.
Deuxième critère. Lorsqu'une dette augmente, en l'occurrence elle augmente de plus de 500 millions par année, cela n'est pas bon signe non plus !
Ce que je vous ai expliqué à propos du revenu cantonal n'est pas flou du tout. Je vous ai indiqué que les cantons n'avaient pas, au niveau du revenu cantonal, un instrument suffisamment fiable à leur disposition pour pouvoir obtenir dans un délai normal le rapport entre la dette et les richesses. Nous obtenons ces informations avec un certain décalage. Ce que je peux vous dire, malgré ce décalage, c'est que nous sommes largement au-dessus des 50%, même si, je crois, nous n'atteignons pas encore les 60%... Mais peut-on être satisfait que la dette du canton représente plus de la moitié de sa richesse ? Ce n'est pas possible d'admettre que cela soit une situation satisfaisante ! Comme je l'ai dit tout à l'heure, la marge au niveau cantonal en matière de politique monétaire est étroite. Lorsque la Confédération emprunte, elle bénéficie, de facto, d'un triple A, alors qu'elle est pratiquement dans une situation analogue à la nôtre, en termes de rapport: vous multipliez par 10 les résultats du canton et vous arrivez à peu près aux résultats fédéraux. Mais la différence, c'est que, via la Banque nationale, le triple A lui permet d'emprunter au taux de base. Nous ne sommes pas dans ce cas de figure: lorsque la situation du canton se détériore, les intérêts, même si le marché reste stable, augmentent ! C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas raisonner au niveau cantonal de la même manière qu'au niveau fédéral: nous n'avons pas la même marge de manoeuvre !
Je vous réponds donc que le rapport entre la dette et le produit intérieur brut est supérieur à 50%, inférieur à 60%, mais - et vous m'excuserez de vous le dire - je ne trouve pas admissible d'être satisfait de savoir que la dette de l'Etat, du canton uniquement, représente plus de la moitié de sa richesse ! (Applaudissements.)
Cette interpellation est close.