République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 28 avril 2005 à 17h10
55e législature - 4e année - 7e session - 42e séance
P 1180-A
Débat
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de minorité. Nous sommes à nouveau face à notre saga RHINO. Cela fait vingt ans, maintenant.
Une voix. RHINO au poteau !
M. Alberto Velasco. Non, il faut quand même du respect pour traiter cet objet. Je vous demande d'entrée de cause, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Contrairement à ce que dit le rapporteur de majorité, cette pétition est d'actualité.
Aujourd'hui, RHINO est devenue une institution, un patrimoine culturel et social pour les Genevoises et Genevois. Il convient de maintenir cette expérience de vie qui y est faite et qui, à mon avis, est relayée ailleurs qu'à Genève, expérience différente que dans des coopératives ou des appartements.
Par ailleurs, les personnes habitant à RHINO ont essayé de trouver d'autres solutions: elles ont tenté d'en faire une coopérative et même proposé l'achat de ces immeubles. Or à chaque fois cela a été un échec, qui ne leur est peut-être pas forcément imputable. C'est à croire que certains milieux immobiliers ont très peu intérêt à ce que cette solution débouche sur une possibilité pour les locataires de RHINO.
Je ne peux donc qu'encourager ce Conseil d'Etat à donner un signal pour qu'une solution soit trouvée. En cas d'utilisation de la manière forte - expulsion par la force des personnes vivant à RHINO - je pense qu'une solidarité de plusieurs milieux de ce canton se formerait pour défendre cette expérience.
Je vous prie donc de bien vouloir renvoyer cette pétition - entre nous soit dit, ce n'est qu'une pétition - au Conseil d'Etat afin qu'une solution soit trouvée, pour la paix de notre République.
M. Jacques Baud (UDC). Squatter ! Je rappelle la loi: «Tout squatter est dans l'illégalité. Le fait de squatter un immeuble est une violence contre la propriété privée». Donc, je demande le classement de cette pétition; nous n'avons pas à en parler !
Mme Michèle Künzler (Ve). Il me semble qu'il faut voir plusieurs choses dans ce projet. C'est vrai, les squatters sont dans l'illégalité, mais pas forcément dans l'illégitimité. (Exclamations.)Voilà la nuance !
A droite, vous organisez souvent des fêtes auxquelles vous invitez des artistes; d'où viennent-ils ? Eh bien, ils logent souvent à RHINO ! J'entendais à la radio une émission sur les danseurs - qui sont payés au lance-pierres parce qu'il s'agit de sommes de l'ordre de 2000 francs par mois... Où logent-ils ? Je vous le donne en mille: à RHINO ! Ou dans des conditions similaires ! Et au niveau des milieux artistiques, il faudrait aussi réfléchir à toutes vos fêtes: qui réalise les performances artistiques que vous appréciez ? Voilà: des gens qui habitent à RHINO!
Peut-être que l'essentiel de cette pétition consiste à dire - pas seulement pour cet immeuble - qu'il faut favoriser toutes les expériences qui permettent un logement associatif ou différent, surtout pour une classe de la population qui n'est finalement pas aussi bien lotie que cela, à savoir les artistes.
Je vous demande de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat parce qu'il faut trouver des solutions dans ce domaine.
M. Rémy Pagani (AdG). Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les députés, je comprends qu'après seize ans d'occupation de cet immeuble, on ne se souvienne plus de l'historique qui a entraîné celle-ci et que l'on soit amené à employer des procédés scabreux revenant à dire: «Ces habitants sont illégaux parce qu'ils sont illégitimes.»
Il faut rappeler qu'avant l'occupation qui a débuté en 1981 ces trois immeubles ont fait l'objet de spéculation - que nous avons constatées, car, chaque jour, tous les citoyens payent les effets de la spéculation provoquée par la Banque Cantonale de Genève en favorisant un certain nombre d'hommes de paille, ou en chair et en os, responsables de faire monter les enchères à des prix exorbitants.
Tel était le cas des trois immeubles, occupés maintenant depuis seize ans. Durant les dix années précédant 1981, ces immeubles ont fait l'objet de multiples ventes et achats, de sorte que la facture de ces spéculations financières s'élevait quasiment à 35 millions de francs. D'ailleurs, c'était également le cas pour une série d'immeubles s'étendant du boulevard des philosophes au rond-point de Plainpalais. C'est ça, la réalité, ce dont je vous parle et que les habitants associés ont cherché à contrer ! Et ce qu'ils veulent et continuent à défendre, c'est remettre des logements abordables sur le marché du logement.
Ensuite, une série de projets - tous aussi luxueux les uns que les autres - ont été opposés à ceux des habitants, et aujourd'hui les propriétaires nous annoncent qu'ils ont un projet, HLM quasiment, et que les habitants ayant défendu cet immeuble devraient, sans coup férir, quitter les lieux... Il est illusoire de penser que les choses pourraient se dérouler de la sorte ! Autant notre Parlement a été d'accord - lorsqu'il a été question d'ôter le poids, le boulet, qui «plombait» la Banque Cantonale de Genève - de mettre sur une voie de garage l'ensemble des immeubles faisant l'objet de spéculation dans les années 80, autant notre parlement doit aujourd'hui favoriser une solution négociée avec les habitants de ces trois immeubles, sans jamais oublier que ces derniers font partie intégrante de l'ensemble de la problématique des années 80 ! Ils doivent être considérés comme, si j'ose m'exprimer ainsi: «la queue de la comète» qui a fait exploser le marché immobilier durant ces années-là.
Nous nous devons de trouver des solutions en concertation avec ces habitants - que l'on doit remercier, Monsieur Baud, pour avoir entretenu ces immeubles tout au long de ces années de spéculation... (Commentaires. Brouhaha.)Si ces immeubles n'avaient pas été habités - vous le savez très bien, Mesdames et Messieurs les architectes et députés siégeant sur les bancs d'en face - et s'ils avaient été vidés dix ans avant 1981 ainsi qu'au cours des seize années suivantes, ils seraient maintenant en ruines ! Alors, de ce point de vue là, il y a un réel effort à fournir: dans la lutte contre la hausse des loyers et dans celle des locataires pour que ces appartements à prix modique restent sur le marché du logement.
C'est pourquoi nous vous invitons à trouver un modus vivendi avec les auteurs de cette pétition, de même qu'une solution qui ne mette pas, une nouvelle fois, notre République à feu et à sang pour simplement régler un problème provenant du fond des âges, soit des années 80, années de spéculation!
M. René Koechlin (L). Ce débat m'inspire une réflexion toute vaudoise: «Quand j'entends ce que j'entends et que je vois ce que je vois, je suis bien content de penser ce que je pense.» Quoi que l'on dise, tout ce qui touche à RHINO: c'est rosse ! (Exclamations.)
C'est pourquoi je vous invite à suivre le rapport de majorité qui nous propose de classer cette pétition.
M. Luc Barthassat (PDC). Quand j'entends M. Velasco nous dire que RHINO est un patrimoine pour Genève et les Genevois... (Rires.)... Excusez-moi, mais les chaussettes m'en tombent ! Et pourtant j'en ai mis des longues...
Ensuite, M. Velasco ose nous dire que les personnes habitant à RHINO sont des «locataires»... Alors que ce sont des squatters. Mais on devrait tous éclater de rire - excusez-moi, Monsieur Velasco !
Enfin, il faudrait «remercier les squatters pour la paix de Genève»... Mais ils feraient mieux de nous la foutre, la paix, entre nous soit dit ! (Rires.)
Je ne veux pas m'étendre sur le sujet, mais dire que ce projet est conforme à la LDTR. Alors, classons tout simplement cette pétition ! Et l'on fera la même chose pour celle d'après. Et passons à des choses sérieuses !
M. Sami Kanaan (S). Il est aisé de faire de l'humour facile ! Et je trouve dommage qu'un nouveau représentant de Genève au Conseil national, à Berne, témoigne d'un pareil mépris et d'une telle vulgarité. On peut être d'accord ou pas avec les objectifs poursuivis par les occupants de RHINO, cela est tout à fait légitime, mais on doit quand même y mettre les formes.
Dans le cas qui nous occupe, il est trop facile de se réfugier derrière l'illégalité - effective, au sens formel du terme - de l'occupation de RHINO pour simplement balayer cet objet, comme vous le faites d'ailleurs à chaque fois que l'on en parle. Parce que les habitants de RHINO ont objectivement contribué à dénoncer les abus de la spéculation immobilière ! Cela peut paraître lointain pour certains qui oublient volontiers cette période, pourtant marquée par des abus et des actes illégaux dont la plupart n'ont, comme par hasard, pas été sanctionnés... On attend toujours des sanctions contre les gens qui, pendant des années, ont soustrait des objets au marché immobilier, qui ont fait de la spéculation pure et qui ont pourri le marché du logement en créant des situations de nécessité et d'urgence pour une bonne partie de la population. C'est marrant, ça: ça ne dérange visiblement personne... C'est légitime, c'est légal, c'est normal !
En revanche, vous vous acharnez sur l'occupation de ce bâtiment - occupation qui est, c'est vrai, formellement illégale: vous méprisez la valeur de la contribution de ses habitants, que ce soit sous l'aspect culturel, social, en matière de logement ou d'intégration, et vous balayez cela du revers de la main ! C'est typiquement un mépris que l'on pourrait presque appeler «un mépris de classe»: quand les élites font des erreurs, c'est permis, c'est légitime; quand d'autres font des erreurs ou se permettent de ne pas respecter la loi à la lettre, cela, vous le trouvez alors fondamentalement inacceptable !
Aujourd'hui, évidemment que vous obtiendrez la majorité, et vous classerez cette pétition. Je suppose que vous classerez la suivante aussi. Mais vous ne vous débarrasserez pas du problème ainsi... Peut-être que les habitants de RHINO perdront leur bataille, peut-être qu'ils devront quitter les bâtiments; un projet existe, un pseudo-HLM qui le sera pendant quelques années, puis ses logements deviendront des habitations de luxe, avec des loyers élevés en pleine ville de Genève... Alors, quand vous prétendez résoudre la crise du logement, y compris pour les gens qui n'ont pas les moyens de se payer des appartements de luxe, c'est un peu contradictoire ! Et la lutte devra se poursuivre sous d'autres formes.
En refusant de vous montrer parfois un peu plus flexibles et ouverts à la discussion, vous durcissez l'affrontement inutilement et, par là même, vous empêchez toute discussion sereine pour trouver ensemble des solutions. On ne peut que regretter cette intolérance et cette totale fermeture au dialogue !
Mme Véronique Pürro (S). On a beaucoup parlé de logements au sujet de cette pétition et de RHINO, et il est vrai que, comme l'a rappelé M. Pagani, lorsque le squat de RHINO a été ouvert - j'ai fait partie de ceux qui, à l'époque, ont ouvert les portes de cet immeuble - c'était parce qu'il y avait une forte spéculation et un manque criant de logements à bas prix, comme c'est le cas à l'heure actuelle. J'aimerais aussi relever que, si RHINO a permis depuis lors de loger de nombreuses personnes, il l'est relevé dans la pétition et par les lettres de soutien qui lui sont annexées, hormis la contribution en matière de logement, RHINO aura aussi contribué de manière importante au développement de la culture genevoise.
On parle de «culture alternative». Pour certains, c'est très dévalorisant... (L'oratrice est interpellée.)... Non, ce ne sont pas forcément des petits copains ! Ce sont des gens dont les actions ont rayonné et rayonnent bien au-delà de nos frontières locales et nationales.
En effet, la Cave 12, développée à RHINO, est connue pour sa programmation pointue; ce qui se passe à la Cave 12 rayonne bien au-delà de Genève. Quand on voit que l'ADC, Association pour la danse contemporaine genevoise, et que le festival Archipel - qui ne sont pas des organismes de la culture parmi les moindres - de même qu'un réalisateur comme Alain Tanner, un chorégraphe comme Gilles Jobin et qu'un groupe connu sur scène internationale comme les Young Gods soutiennent RHINO pour sa contribution au développement de la culture locale, eh bien, on ne peut pas rester indifférent !
Alors, soit ! Il y a le logement, mais je crois que l'on peut remercier, féliciter et encourager RHINO pour tout ce qui y a été fait, contribuant ainsi au rayonnement de la Genève culturelle.
M. Hugues Hiltpold (R), rapporteur de majorité. Je voudrais rappeler que la commission a traité ce dossier correctement puisqu'elle a auditionné tant les propriétaires et les avocats représentant lesdits propriétaires que les occupants actuels du bâtiment, venus présenter leur projet qu'ils qualifiaient, je cite, de: «projet de logement alternatif social».
Cela étant, au moment où nous avons traité cette pétition, nous avons admis qu'il n'y avait pas d'autre choix que de classer cette pétition, dans la mesure où les invites faisaient référence à une autorisation de construire datant de 1997. Ladite autorisation de construire est, à ce jour, sans objet.
Si d'aventure ce Grand Conseil venait à renvoyer cette pétition devant le Conseil d'Etat, cela n'aurait strictement aucun sens. C'est la raison pour laquelle je vous recommande à toutes et à tous de classer cette pétition.
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de minorité. Mon collègue Barthassat s'offusque du fait que «j'ose dire» certaines choses. Si, dans ce parlement, on n'ose pas tenir de tels propos, je ne vois pas où l'on osera le faire. Par conséquent, Monsieur Barthassat, oui, j'ose tenir certains propos - Dieu merci, la démocratie nous permet encore cela !
Ce sont vos milieux qui ont fait que ces personnes ont décidé d'occuper ces bâtiments, ce n'est pas nous - la gauche - qui avons dit à celles-ci: «Allez occuper !» Ce sont vos milieux, avec leurs pratiques spéculatives des années 70, qui ont entraîné de nombreuses occupations d'immeubles. Et ni moi ni M. Pagani ne sommes arrivés à la conclusion que ces bâtiments ont été maintenus en bon état grâce à leur occupation: c'est la brigade des squats. Dans le cadre de nos travaux à la commission du logement, nous avons reçu la brigade des squats qui nous a confirmé que, parce que ces bâtiments avaient été occupés et que le chauffage avait fonctionné, ils n'avaient pas été détériorés. Ne nous accusez donc pas de ce que les gens squattent à Genève ! Les gens squattent à Genève parce qu'on ne leur a pas permis, à un moment donné, de se loger dignement. Dignement ! Or il leur faut de quoi se loger dignement.
Si vous voulez régler les problèmes de squats, Messieurs, c'est possible ! Mais il faudra au préalable que toutes les personnes qui sont squatters, avec leurs enfants, puissent être logées de manière digne. Pour le moment, aucune solution ne leur a été proposée. Je tiens par ailleurs à dire que ces personnes ont, à maintes reprises, essayé de racheter les immeubles et de trouver une solution à leur situation.
Au sujet de la culture, Monsieur Barthassat, votre insensibilité à ce domaine fait que vous ne pouvez pas comprendre ce qui s'est passé là-bas ! La culture ne se trouve pas que dans l'art de faire des paysages. La culture, vous savez, c'est très, très vaste... Il y a d'autres domaines que le vôtre. Il faut donc quand même élargir votre horizon culturel.
Pour le reste, je comprends les propos du rapporteur de majorité - ce que vous dites est vrai, Monsieur Hiltpold: l'objet pour lequel cette pétition a été adoptée n'est pas de mise aujourd'hui. Malheureusement, vous le savez, le débat concernant RHINO dépasse les propos et l'origine de la pétition. C'est pourquoi, si je demande que cette dernière soit renvoyée au Conseil d'Etat, c'est pour que nous trouvions, de manière républicaine, une solution à ce problème.
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Je vais vous donner simplement quelques informations sur l'actualité de ce dossier. Après les efforts que l'Etat avait réalisés pour tenter de trouver une solution, la Ville, de son côté, sur la base d'une résolution de son Conseil municipal, a essayé d'instaurer une sorte de table ronde pour trouver une issue qui arrangerait tout le monde. Malheureusement, ces efforts ont été vains, et je n'entends pas me prononcer sur la question de savoir à qui en incombe la faute. En son temps, vous nous aviez demandé de faire ces efforts: nous les avons faits.
Aujourd'hui, que se passe-t-il ? L'autorisation précédant celle dont il est question dans la pétition est devenue caduque, faute - par le propriétaire - de l'avoir prolongée. Nous ne portons donc aucune responsabilité à cet égard.
Une deuxième autorisation a été délivrée en mai 2004; elle fait aujourd'hui l'objet de recours et, par conséquent, nous sommes les uns et les autres dans l'attente d'une décision judiciaire.
Mises aux voix, les conclusions de la commission du logement (classement de la pétition) sont adoptées par 39 oui contre 31 non.