République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 22 avril 2005 à 20h30
55e législature - 4e année - 7e session - 38e séance
P 1473-A
Débat
M. Claude Aubert (L), rapporteur. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas forcément le sujet de cette pétition, je rappelle qu'il s'agit de la lecture en classe d'un ouvrage intitulé «Le grand cahier» de Mme Agota Kristof.
Indéniablement, ce livre décrit des scènes de zoophilie, qui, considérées comme telles à l'état brut, ne peuvent que choquer lecteurs et lectrices. Lire en classe un texte embarrassant ne saurait aller de soi, la clairvoyance des enseignants étant un préalable indispensable pour qui voudrait, au travers de la littérature, parler du monde et de ses turpitudes...
La majorité de la commission, par douze voix contre deux, a choisi de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil en indiquant, d'une part que les pétitionnaires avaient soulevé des problèmes importants mais, d'autre part qu'il appartenait aux écoles, cycles et collègues, dans une concertation adéquate, de trouver des solutions à ces questions délicates, favorisant une juste utilisation de la liberté d'enseigner, sans qu'il soit nécessaire de remplacer le bon sens par des directives frôlant la censure.
M. Robert Iselin (UDC). Lors d'un débat précédent, je m'étais aventuré à demander la modification de la loi sur l'instruction publique, considérant que les parents conservent un droit absolu sur l'éducation de leurs enfants. Ce Grand Conseil m'a donné tort. Je pense qu'il a eu raison, et j'ai accepté ce verdict.
Aujourd'hui, il s'agit de décider si l'on est libre de lire des ouvrages à caractère pornographique dans les écoles du canton... J'en vois qui rient... Je dois vous dire que j'ai connu une République dans laquelle les magistrats étaient les défenseurs de la propreté morale ici bas ! Ça semble ne plus être le cas... Il y a des centaines d'oeuvres qui montrent la beauté de l'âme humaine, et l'on ferait mieux de lire ces textes aux jeunes - je rappelle qu'il s'agit de jeunes de 15 ou 16 ans, et non de 20 ou 25 ans, âge auquel ils sont libres de faire ce qu'ils veulent - au lieu de leur salir l'esprit avec les scènes décrites dans le livre de Mme Agota Kristof.
J'ai malheureusement dû, à mon grand dam, le lire deux ou trois fois...
Une voix. Tu y as pris goût ?
M. Robert Iselin. ...mais je dois vous dire que la peinture qu'elle laisse du monde moderne et de l'âme humaine est tellement triste que je ne voudrais en aucun cas que mes enfants - et encore moins mes petits-enfants - lisent des choses pareilles !
Je conclus donc en demandant que ce texte soit renvoyé au Conseil d'Etat.
M. Gabriel Barrillier (R). J'aimerais d'emblée dire tout le respect que je porte aux propos tenus par mon collègue Iselin qui, comme d'habitude, déclenchent des ricanements... Je trouve que ce n'est pas très sympathique pour notre collègue, qui montre une certaine grandeur d'âme ! (Exclamations et applaudissements.)
J'aimerais également vous dire une deuxième chose. Tout à l'heure, vous nous avez reproché de ne pas prendre au sérieux une pétition signée par mille ou mille cinq cents apprentis... En l'occurrence, cette pétition a été signée par deux mille huit cent quatre-vingt-une personnes, et je constate que vous n'en tenez pas compte du tout, surtout certains d'entre vous. Je vois que la démocratie est à géométrie variable !
Une voix. Bravo !
M. Gabriel Barrillier. Cela dit, en lisant le rapport de cette commission - je parle de la commission, et non du rapporteur - on constate qu'elle manie la langue de bois. En examinant les résultats du vote sur le renvoi au Conseil d'Etat, on s'aperçoit que trois députés libéraux et un radical se sont abstenus... J'en déduis que nos cousins libéraux doivent être un peu gênés aux entournures !
Je vais vous lire la conclusion de ce rapport, car elle est vraiment intéressante: «Renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat signifierait, dans le contexte actuel - mais quel est-il ? cela ne veut rien dire ! - que la commission prend fait et cause pour l'invite de la pétition - signée par deux mille huit cents pétitionnaires: «agir pour que cesse rapidement l'obligation de lire des livres à caractère pornographique dans les écoles publiques de notre canton». C'est clair ! Dans le paragraphe qui précède, vous reconnaissez que ce problème est de «première importance» ! Votre conclusion est donc complètement fausse: vous n'avez pas eu le courage de prendre une décision claire ! A mon avis, il faut respecter les deux mille huit cents pétitionnaires et avoir le courage de dire que ce n'est pas à l'école et aux enseignants de décider de ce que l'on peut lire, mais que c'est au parlement, qui représente le peuple, de donner des directives en la matière ! (Exclamations.)
C'est la raison pour laquelle, en ce qui me concerne, puisque j'étais déjà intervenu sur ce sujet par le biais d'une interpellation, je propose de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat ! C'est logique !
La présidente. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs les députés, le Bureau vous propose de clore la liste des intervenants. Sont inscrits Mmes et MM. François Thion, Jocelyne Haller, Pierre Weiss, Gilbert Catelain, Jacques Follonier et Janine Hagmann. Monsieur le député Thion, je vous donne la parole.
M. François Thion (S). Mesdames et Messieurs les députés, je crois que l'on vous doit quelques explications sur cette pétition...
Je vais d'abord situer les choses. Je dirai deux mots sur l'auteur, un mot ou deux sur le livre, je m'exprimerai sur les circonstances qui ont conduit à lire cet ouvrage dans une classe de deuxième de l'Ecole de culture générale, puis je conclurai.
Mme Agota Kristof est une romancière d'origine hongroise, d'expression française. Monsieur Barrillier, vous pouvez écouter ! Elle est née en Hongrie en 1935; elle a connu l'occupation allemande, la dictature des nazis, puis la dictature du parti communiste. Elle a été réfugiée en 1956 en Suisse, Monsieur Iselin. A l'époque, il était assez simple d'obtenir un permis de réfugié.
«Le grand cahier» est le premier livre d'une trilogie. Il a été publié en 1986. Il a été suivi d'un deuxième livre intitulé «La preuve», publié en 1988, et d'un troisième «Le troisième mensonge», paru en 1991. Il faut avoir lu les trois livres l'un après l'autre pour comprendre qu'ils dénoncent le totalitarisme d'une manière remarquable, qu'il soit d'extrême droite ou du parti communiste soviétique.
Traduit en vingt langues, ce livre est conseillé comme lecture par le Ministère de l'éducation nationale en France. Il est lu dans des classes en Angleterre, aux Pays-Bas, en Allemagne et au Danemark.
Une voix. Et en Valais ! (Rires.)
M. François Thion. Ce livre a reçu le Prix des auditeurs de France-Inter en 1992 et la qualité de l'oeuvre est attestée à la fois par les critiques littéraires et par de nombreuses études universitaires.
J'en viens maintenant sur les circonstances qui ont conduit à lire cet ouvrage dans une classe de deuxième de l'Ecole de culture générale. Pour quelle raison procéder à une telle lecture s'adressant à des jeunes de 16 ans - ou, plutôt, de 17 ans, Monsieur Iselin ? Ce livre est extrêmement facile à lire: le style est clair, les chapitres sont extrêmement courts - deux ou trois pages au maximum - les phrases aussi et elles comportent peu de métaphores. En fait, c'est très bien pour des élèves qui n'ont pas l'habitude de lire. Un rapport a été fait par le Conseil d'Etat sur l'enseignement du français, sur la lecture, sur l'écriture, et je peux vous dire que ce bouquin - comme d'autres de ce genre - est tout à fait à la portée d'élèves de l'Ecole de culture générale et est susceptible de les encourager à lire.
J'en viens maintenant aux scènes de déviances sexuelles. Il faut les situer dans leur contexte ! Elles sont évoquées dans un contexte particulier où rien n'est normal. La toile de fond de l'histoire est la guerre, pendant l'Occupation, à une époque où sévissaient la disette et la déportation. J'ajouterai que, par rapport à l'ensemble du bouquin, ces scènes sont quantitativement extrêmement infimes.
Je conclurai en disant qu'il serait très dangereux que des députés du Grand Conseil se mêlent d'établir une liste des lectures autorisées dans nos écoles. Je ne voudrais pas faire un parallèle spécieux, mais cela me rappelle des faits qui se sont passés dans certaines communes françaises gérées par des maires du Front national qui ont censuré les bibliothèques municipales en interdisant des livres sur la mondialisation, le racisme ou le rap au nom de je ne sais quel critère ! Je n'aimerais pas que l'on en arrive à une telle situation, Monsieur Iselin ! (Applaudissements.)
Mme Jocelyne Haller (AdG). J'ai lu «Le grand cahier» il y a bien longtemps... Ce n'est pas un ouvrage facile, et je peux comprendre les interrogations de M. Iselin et, même, les partager. Seulement, à cette même question, je n'apporterai pas la même réponse.
Cette réponse figure notamment dans le rapport de M. Aubert. Je la trouve particulièrement pertinente, et je me permets de vous la lire. Il écrit en bas de la page 2: «Les jeunes sont confrontés quotidiennement à de la barbarie dans les différents médias. Vaut-il mieux les laisser découvrir cela par eux-mêmes ou profiter d'un encadrement pédagogique pour aborder ces réalités de notre monde ?» Nous sommes là au coeur du problème. Nous sommes placés dans la problématique de l'enseignement, et c'est bien de cela qu'il s'agit, puisqu'il s'agit de la lecture d'un ouvrage à l'école !
Monsieur Barrillier, j'aimerais quand même vous dire que, contrairement à ce que vous affirmez, ce n'est pas au parlement de déterminer les contenus pédagogiques ni de décider de ce qui doit être lu ou non en classe ! Que ce soit enfin entendu !
Là encore, si vous me le permettez, je vous citerai un passage du rapport de M. Aubert, qui est fidèle à ce que la majorité de la commission de la pétition a exprimé. Je cite: «...la majorité de la commission indique que la thématique soulevée par les pétitionnaires est de première importance - nous en sommes tous conscients: nous ne la banalisons pas ! - mais qu'il appartient aux écoles, cycles et collèges, dans une concertation adéquate, de trouver des solutions à ces questions délicates, favorisant une juste utilisation de la liberté d'enseigner, sans qu'il soit nécessaire de remplacer le bon sens par des directives frôlant la censure.» Et permettez-moi de dire que M. Aubert a été relativement modéré en parlant de «directives frôlant la censure» parce que, ce que nous avons entendu, c'est véritablement de la censure et pas quelque chose d'approchant !
Il est question ici de la liberté d'enseigner, mais aussi de la compétence des professionnels, de la réflexion menée par le département autour des contenus pédagogiques et des instruments utilisés pour véhiculer un certain nombre de préoccupations et de savoirs. Il me semble que la moindre des choses serait de lui faire confiance. Il ne faut y voir aucun mépris pour tous les signataires de cette pétition, Monsieur Barrillier ! (Applaudissements.)
M. Pierre Weiss (L). Emma Bovary a eu de la chance de ne pas croiser M. Barrillier sur son chemin... Parce que, l'eût-elle croisé, je crois que son destin en aurait été changé !
Monsieur Barrillier, avec toute l'amitié que je vous porte, vous savez fort bien qu'il y a eu dans le passé, notamment au XIXème siècle - et la littérature française le montre à l'envi - des ouvrages qui ont été condamnés. Pensez, par exemple, aux «Fleurs du mal» !
Mais, de même que j'ai indiqué ce soir qu'il n'appartenait pas à notre Grand Conseil de se prononcer pour dire quelle était la vérité en matière d'histoire, ni à l'administration ni au gouvernement, de même dis-je maintenant qu'il n'appartient pas à notre Grand Conseil de décider de ce qui doit être lu ou non à l'école ! Selon la conception responsable que j'ai de la liberté, il appartient aux commissions instituées par le département de l'instruction publique de décider des listes d'ouvrages qui peuvent être lus dans les classes - même si certains, extrêmement délicats, exigent des explications.
D'ailleurs, le rapport le dit: «Pour la commission, il est indéniable qu'une scène de zoophilie, considérée comme telle, à l'état brut, ne peut que choquer lecteurs et lectrices.» Précisément, une telle scène ne doit pas être considérée à l'état brut; elle doit placée dans son contexte ! Elle doit faire l'objet d'une explication ! Il convient de penser à ce que signifie l'oeuvre de Mme Kristof - que, comme beaucoup d'entre nous, j'ai d'ailleurs lue avant le dépôt de la pétition dont il est question ce soir et, à plus forte raison, après.
En résumé, Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, c'est avec courage - et non pas sans courage - avec une conception de la liberté «responsabilisatrice» que je soutiens la position de la majorité de la commission et que je me range derrière le rapport de notre commissaire. (Applaudissements.)
M. Gabriel Barrillier. J'ai rien compris ! (Rires.)
M. Gilbert Catelain (UDC). Je suis un peu déçu de la tournure des débats de ce soir... (Rires. L'orateur est interpellé.)Hier soir, à la salle de l'Alabama, l'Abbé Pierre nous a donné une magnifique leçon de morale. Il nous a fait partager sa conception de la vie, de ce qu'elle devrait être... Et je suis persuadé que, s'il était présent, vous n'auriez jamais dit ce que vous avez dit ce soir !
M. Christian Brunier. Il est pour le droit d'asile !
M. Gilbert Catelain. Je suis pour le droit d'asile tel qu'il existait avant la loi sur l'asile: il était discrétionnaire, et ça fonctionnait excellemment bien !
Pour en revenir à cet ouvrage, je l'ai lu, mais je l'ai personnellement trouvé ennuyeux et je n'en ai en tout cas pas gardé un souvenir impérissable. Il a certes un intérêt historique par rapport à ce qu'ont vécu certaines personnes pendant une période bien déterminée de l'Histoire - à savoir, l'occupation allemande jusqu'à la Libération - mais il est étonnamment silencieux sur le régime qui a suivi... (L'orateur est interpellé.)On nous a fait la leçon, j'en fais une ! (La présidente agite la cloche.)
Dans le rapport, il est dit, je cite: «Mme I. Hirschi reconnaît que la scène de la jeune fille handicapée avec le chien est très dure...»
M. Renaud Gautier. Pour le chien ! (Eclats de rire.)
M. Gilbert Catelain. Tout à l'heure, nous avons eu droit à une présentation du mouvement «Ni putes ni soumises», qui se bat pour la position de la femme dans la société et le respect de ses droits... Et l'on fait lire à une partie de notre jeunesse un livre dans lequel, pour l'éduquer, on lui explique qu'il existe des cas de zoophilie dans notre société. En ce qui me concerne, je vous le dis franchement, je préfère que mes filles ne lisent pas ce bouquin - et surtout pas à l'école !
On nous a fait tout un discours sur la censure... Alors, je suggère aux députés de droite de lire le livre intitulé «La désinformation». Il vous expliquera comment, à l'Education nationale française, les choix sont tendancieux... Même dans les dictionnaires, les portraits représentent toujours des hommes de gauche, si possible, sur fond rouge... (Rires et exclamations.)Les livres étudiés en littérature se rattachent toujours à une certaine tendance politique... Mais personne ne dit rien, car cela fait partie du mondialisme socialiste ! D'ailleurs - tout le monde le sait - vous ne risquez pas de trouver beaucoup de libéraux et de radicaux à l'Education nationale française ! (Rires et commentaires.)
«Vaut-il mieux - trouve-t-on encore dans ce rapport - les laisser découvrir cela par eux-mêmes ou profiter d'un encadrement pédagogique pour aborder ces réalités de notre monde ?» Je ne sais pas s'il faut forcément traiter les exceptions... Ce serait déjà pas mal d'inculquer aux jeunes les bases générales, de leur expliquer le comportement à adopter en société, les règles sociales et ce qui va avec !
Pour le reste, je crois que les parents ont aussi un rôle à jouer en matière d'éducation et leur mot à dire en matière d'instruction publique. J'entends régulièrement dire dans ce parlement qu'il faut associer les parents à l'éducation, qu'il faut les impliquer dans le système éducatif et, lorsque ces mêmes parents dont on a voulu qu'ils s'impliquent manifestent leur désapprobation, on veut refermer le couvercle, leur signifiant ainsi qu'ils n'ont pas leur mot à dire, qu'ils doivent rester à leur place et laisser les professionnels s'occuper de l'éducation sexuelle de leurs enfants !
Quoi qu'il en soit, l'image de la femme dans ce livre n'en sort pas grandie, ce qui ne va pas aider les jeunes hommes dans notre société à modifier leur comportement - comportement qu'un certain nombre d'associations et d'organes de l'Etat tentent d'ailleurs de combattre comme ils le peuvent.
En tant que représentant d'une partie de cette population, en tant que chef de famille, en tant que père d'enfants mineurs, je m'oppose à la lecture de ce type d'ouvrages à l'école. J'estime que l'on ne devrait même pas avoir besoin de déposer une pétition sur le bureau du Grand Conseil ou de la renvoyer au Conseil d'Etat pour que les enseignants choisissent d'eux-mêmes des livres qui n'engendrent pas une telle polémique pour atteindre les mêmes objectifs !
M. Jacques Follonier (R). Nous étions deux: nous étions deux dans cette commission à vouloir renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Je suis fort aise de constater ce soir que nous avons fait des émules: c'est une excellente chose !
Il faut donner un signe clair au département, car il lui appartient tout de même de veiller à ce que le choix des livres proposés à nos élèves soit adéquat.
Nous n'allons pas parler du livre ce soir... M. Thion s'est livré à un vibrant plaidoyer sur la qualité de ces trois ouvrages. Il a raison, mais la seule chose dont nous devons parler aujourd'hui, c'est de la manière d'aborder ce livre: c'est ce qui est important.
Mme Irschi, qui a proposé la lecture de ce livre, nous a expliqué en commission la manière dont elle a traité cette lecture et la vision qu'elle a proposée de ce livre. Et cette vision est exactement celle décrite M. Thion: c'est une vision large, sur toile de fond de la guerre, dans un milieu très particulier.
En ce qui me concerne, ce qui m'a choqué - et qui continuera à me choquer longtemps - c'est qu'un enseignant donne à lire un ouvrage qui expose des problèmes de pédophilie et de zoophilie sans aborder le fond du problème. Ce pourrait être une bonne chose si l'on attaquait véritablement le fond du problème, si l'on utilisait ce livre pour expliquer aux élèves - et je vous rappelle qu'il s'agit de jeunes du cycle qui ont entre 15 et 16 ans... (Exclamations.)- de quoi il retourne réellement.
M. François Thion. Ils sont à l'ECG ! Ils ont 16 ou 17 ans, ce n'est pas la même chose!
M. Jacques Follonier. Monsieur Thion, il y avait en tout cas un élève de 15 ans: je peux vous l'affirmer ! Si vous voulez que je donne son nom, je peux le faire ! Quoi qu'il en soit, le choix de ce livre n'a pas d'importance. Ce qui est important, c'est la manière d'aborder le problème ! Pour ma part, je trouve dommage que Mme Hirschi nous dise carrément qu'elle n'a abordé ni le problème de la pédophilie ni celui de la zoophilie et qu'elle a laissé les élèves avec leurs doutes, sans les aider à comprendre la réelle difficulté de ce livre - peut-être aussi son intérêt. Ce sont des sujets d'actualité qui pourraient peut-être être évoqués dans le cadre de l'enseignement genevois. Je regrette, mais ce n'est pas de cette manière qu'il fallait aborder le problème. On ne peut pas laisser de telles questions ouvertes sans proposer de réponses à des jeunes qui, peut-être, le souhaiteraient.
C'est pour cette raison que je reste persuadé qu'il est logique et utile de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat, parce qu'il en est de sa responsabilité, Mesdames et Messieurs les députés ! Le conseiller d'Etat chargé de ce dicastère ne peut pas se décharger en disant que tout cela n'est pas grave: il a un rôle à jouer, celui de contrôler ce qui est enseigné dans son dicastère. On ne peut pas laisser les choses aller ainsi sans réagir quelque peu. Il me semble que, ce soir, nous avons un choix à faire: il est simple. Renvoyons cette pétition au conseiller d'Etat ! Il saura probablement prendre les bonnes décisions.
Mme Janine Hagmann (L). Je me suis déjà exprimée deux fois sur ce livre. Je serai donc très brève ce soir.
Je voudrais en premier lieu adresser toutes mes félicitations à M. Aubert pour son rapport d'une extraordinaire finesse sur un sujet aussi difficile. Il n'a pas mis un mot de trop ni l'inverse. Bravo, Monsieur Aubert, vous avez fait un très bon travail !
Vous savez fort bien, Mesdames et Messieurs les députés - je me suis assez souvent exprimée à ce sujet dans cette enceinte - que je n'ai pas des idées conservatrices sur l'école. Je diverge un peu de mes collègues à propos de la lecture de ce livre, et je vais vous expliquer pourquoi. En effet - et Dieu sait si je pense que ce n'est pas à nous de choisir les livres à étudier à l'école - cela m'est complètement égal que ce livre parle de zoophilie ou de pédophilie, car les adolescents sont hélas habitués à certaines images.
Par contre, je suis tout à fait choquée par le manque total de moralité de ce livre. Dans une civilisation judéo-chrétienne comme celle dans laquelle nous voulons élever nos enfants, mettre en scène deux adolescents tuant sans aucun état d'âme une personne qui vient d'être violée par une «tournante» n'est pas admissible. C'est donner une image très négative, très malsaine - et c'est cela, Mesdames et Messieurs les députés, qui m'a personnellement gênée. Je ne vous cache pas que j'ai eu de la peine à dormir après avoir lu ce livre.
Par ailleurs, pour avoir eu l'occasion de rencontrer des parents d'élèves de cette classe, je peux vous dire qu'ils se sont sentis quelque peu frustrés, car ils estiment que c'est à eux d'aborder certains domaines de la vie avec leurs enfants. Pour autant, je ne critique pas du tout la professeure qui a fait un travail considérable - je ne fais pas partie de la commission qui l'a auditionnée, mais mes collègues de groupe m'ont dit tout le travail qu'elle avait entrepris et combien cet encadrement avait été nécessaire. Je vous remercie, Monsieur Thion, de nous avoir appris que ce livre était reconnu. C'est vrai, mais, entre la reconnaissance générale dont fait l'objet un livre et la décision d'imposer sa lecture à un groupe d'enfants alors que certains parents ne sont pas d'accord, il y a un monde. Comme je vous l'ai dit, j'émets des réserves sur ce mode de faire, surtout parce que j'estime que nous devons vivre selon une morale que nous ne pouvons pas ignorer et que nous avons l'obligation de transmettre. (Applaudissements.)
M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Beaucoup de temps et d'énergie pour une question qui, visiblement, préoccupe nombre de nos concitoyennes et concitoyens ayant signé cette pétition. Les travaux ont été très animés et ont principalement porté sur le fait de savoir s'il était opportun ou non de lire «Le grand cahier» à l'école.
Mesdames et Messieurs les députés, je vous prierai tout d'abord de m'excuser d'être arrivé en retard, mais j'étais retenu à une cérémonie protocolaire qui avait lieu à 19h pour remettre le prix Reinhart - qui est la plus haute distinction du théâtre suisse - à Dominique Catton, du théâtre Am Stram Gram, en présence de Pascal Couchepin, conseiller fédéral, et de Patrice Mugny, conseiller administratif de la Ville de Genève. Pratiquement au moment où nous devions reprendre la séance, M. Catton était en train de prononcer son discours, et j'ai jugé indispensable d'observer une attitude de politesse élémentaire.
Si je vous évoque ce fait, ce n'est pas seulement pour m'excuser, mais pour vous dire que je me trouvais tout à coup dans la fosse d'un théâtre, un lieu où se produisent mille choses, où l'on vit des instants extrêmement forts, où l'on produit des pièces, des oeuvres d'art.
Récemment - vous le savez - «Le grand cahier» a été produit dans un théâtre à Genève, et ce spectacle a rencontré un grand succès. Il a été reconnu par la critique, par des enseignantes et des enseignants ainsi que par des professionnels de tous les horizons.
La manière dont on parle de cette oeuvre - permettez-moi de vous le dire - est profondément insultante pour Agota Kristof, écrivaine hors du commun qui a demandé l'asile politique à la Suisse et qui a choisi de vivre à Neuchâtel. Depuis cette terre neuchâteloise, elle a produit un certain nombre d'oeuvres qui n'ont pas seulement été reconnues par quelques intellectuels du milieu des lettres, mais aussi par les auditeurs de France-Inter qui lui ont consacré, à travers la distinction du Livre Inter, une reconnaissance méritée.
Peut-on dès lors se permettre de faire le procès d'une oeuvre dans un parlement ? J'aimerais à cet égard rendre hommage au rapport de qualité de M. Aubert qui a su, tout en soulignant la responsabilité des différents acteurs de l'instruction publique, éviter un tel procès qui ne grandit pas notre parlement - je le dis pour celles et ceux qui prononcent des sentences...
Deuxième élément important, Mesdames et Messieurs les députés: le corps enseignant. Ce dernier n'est pas dénué de responsabilités, de sens des responsabilités, de professionnalisme. Quand un professeur recourt à une oeuvre - je dis bien une «oeuvre» - il faut un sens pédagogique. Et l'on peut, à cet égard, rendre hommage à l'enseignante en question - comme aux autres enseignants - qui a eu le courage d'aborder une oeuvre n'étant pas facile et ne racontant pas qu'une jolie histoire. Une oeuvre qui raconte tout simplement la vie avec ses perspectives, mais aussi ses pièges - pour ne pas dire ses saletés, ses immondices.
Mesdames et Messieurs les députés, à travers un travail parlementaire de cet ordre, nous devons à tout prix éviter de laisser entrer la censure non seulement dans ce parlement, mais également dans le rôle et le positionnement du magistrat politique.
Monsieur Iselin, il n'est pas de la responsabilité politique du chef de département de lire toutes les oeuvres et tous les manuels utilisés à l'école. Il est de la responsabilité d'un chef de département d'encadrer en faisant confiance aux professionnels dotés de l'expérience et des compétences pour entourer l'étude d'une telle oeuvre. (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)
Mesdames et Messieurs les députés, je terminerai par cette anecdote - vous ne m'en voudrez pas - que je dédie plus particulièrement aux censeurs... Cette anecdote est tirée d'un livre d'un écrivain portugais, António Lobo Antunes, qui, dans un livre particulièrement intéressant, relevait le sens de la police politique portugaise du très célèbre Salazar. Il racontait que la police politique entrant dans une librairie avait décidé de confisquer les oeuvres qui pouvaient pervertir la population. (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)Ladite police politique a alors saisi les oeuvres de Lénine, de Staline et de Racine ! (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vais vous soumettre les conclusions de la commission, soit le dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil, au moyen du vote électronique. Le vote est lancé.
Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 54 oui contre 26 non et 3 abstentions.