République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 18 mars 2005 à 17h
55e législature - 4e année - 6e session - 32e séance
P 1441-A
Débat
M. Claude Aubert (L), rapporteur de majorité. J'ai l'honneur d'être le premier rapporteur d'égalité car, comme vous l'avez vu, il y a eu égalité de vote dans la commission. L'égalité dont je suis le porte-parole indique que nous avons pris connaissance de cette pétition contre la privatisation des prestations de l'Hospice général sur le point spécifique des veilles et le point - moins spécifique - des rapports entre employeur et employés.
Nous avons entendu MM. Galetto et Pierre-François Unger. L'égalité que je représente estime que les explications ont été données. C'est pourquoi nous avons proposé le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.
L'objet de la discussion - outre le contenu de la pétition - consistera à déterminer s'il faut renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat ou la déposer sur le bureau du Grand Conseil.
Permettez-moi quelques commentaires. En premier lieu, nous avons été un peu déçus par les expressions de cette pétition. Vous savez que nous vivons dans une ère où «l'axe du Mal» est connu, et c'est une manière très pratique de penser: on a les bons et les mauvais. C'est ainsi que, dans le texte, on s'aperçoit que le secteur privé doit faire des profits et ne dispose pas forcément de compétences sociales, alors que le secteur public est social et veille à la santé et à l'accompagnement des gens. Opposer les travailleurs du service public à ceux du secteur privé nous semble caricatural, étant donné que chaque travailleur a sa dignité et ses compétences.
Ensuite, nous notons une certaine naïveté dans les propos. Quand il s'agit de mettre en place un service de sécurité privé, on parle immédiatement de dérive sécuritaire. Mais, après le dépôt de cette pétition, des incidents graves sont survenus dans l'un des foyers. On ne peut pas rester dans l'idée que, dès l'instant où il y a un uniforme, les gens ont peur. En général, quand ils ont affaire à des personnes qualifiées, les gens sont sécurisés. Le rapport de Team Consult montre que les familles plébiscitent la présence de ce groupe de sécurité privé dans les foyers. Pour conclure, nous proposons le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.
J'ajoute un dernier point. Nous sommes frappés par le caractère de huis clos de certains foyers. Quand des gens provenant d'autres horizons travaillent dans des endroits pas forcément habituels, il y a possibilité d'échanger des idées et de voir le travail un peu différemment. Nous regrettons cette envie de travailler en vase clos. Ce n'est, en général, pas du tout bon pour de telles situations - lesquelles nécessitent de l'ouverture.
M. François Thion (S), rapporteur de minorité. Au-delà du problème idéologique de la privatisation, il faut rappeler le rôle des veilleurs de nuit travaillant dans des foyers pour requérants d'asile. Comme indiqué dans la deuxième demande des syndicats de l'Hospice général qui ont déposé cette pétition, les pétitionnaires insistent sur la nécessité de préserver une prise en charge à caractère social des requérants. Ils estiment que la sécurité appelle aussi des réponses en termes de prévention et d'amélioration des conditions de vies, et pas uniquement en termes de surveillance accrue.
Peut-être faut-il expliquer la tâche des veilleurs de nuit. Dans un centre de requérants d'asile, la sécurité fait évidemment partie du cahier des charges des veilleurs de nuit, mais ils s'occupent également de gérer des problèmes tels que des incendies, des accidents ou la présence de non-résidents dans le foyer. Nous tenons aussi à souligner que le veilleur doit être à l'écoute des usagers. Par exemple, des problèmes de santé sont courants dans la phase du premier accueil. Le veilleur de nuit reçoit les demandes, évalue, trie, fait appel à un médecin - ou à une ambulance - ou décide d'attendre le lendemain. Souvent, de légers maux expriment simplement le besoin d'être écouté. En outre, le veilleur de nuit peut jouer le rôle de médiateur dans les petits conflits pouvant surgir entre résidents. Ce sont de petites choses, comme de la musique trop forte ou trop de bruit dans une chambre, et le veilleur amène la tranquillité nécessaire à ces personnes. Il faut ajouter que - cela m'avait frappé lors des auditions - les enfants présents dans ces foyers font très souvent appel au veilleur de nuit pour avoir simplement un contact avec lui.
Bien entendu, on peut imaginer que les veilleurs soient appuyés par des gardes privés de sécurité dans certaines situations. On ne nie pas qu'il peut y avoir de graves tensions, voire des problèmes importants nécessitant l'appel à une police privée de sécurité.
Lors des auditions, les membres du personnel de l'Hospice ont souligné que le personnel du service privé de sécurité était tournant - c'est-à-dire que ce ne sont pas toujours les mêmes employés qui effectuent les gardes. Ils ont donc beaucoup plus de difficultés à établir un contact avec les requérants. Sur ce point, on peut craindre une péjoration des prestations sociales.
Dans la troisième invite - mais je ne voudrais pas trop insister sur ce point - il y a un problème quant aux accords négociés avec le Conseil d'Etat: l'engagement de gardes de sécurité remet en cause ces accords. Le rapporteur de majorité laisse entendre que la gauche et les syndicats mènent un combat idéologique. C'est faux. L'idéologie se trouve plutôt du côté de ceux qui pensent que les services rendus à la population genevoise par la fonction publique devraient être le plus souvent privatisés. Le discours idéologique est celui qui tente de faire croire que les entreprises privées sont plus performantes, car ce n'est pas vrai.
En conclusion, j'aimerais attirer l'attention sur le fait que la remise en cause de la qualité de l'accueil des requérants d'asile à Genève - cette remise en cause tellement souhaitée par l'extrême droite au niveau fédéral - n'est certainement pas une politique que nous pouvons cautionner dans ce canton.
Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, nous vous demandons de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.
M. Alain Etienne (S). Les pétitionnaires ont raison de nous rendre attentifs à leur combat contre la privatisation des prestations de l'Hospice général. En effet, il n'est pas admissible de confier la mission d'assurer les veilles de nuit et du week-end dans certains foyers pour requérants d'asile à des sociétés privées de sécurité uniquement dans le but de faire des économies.
Les personnes qui se trouvent dans ces centres sont en droit de vivre dans des conditions convenables. Comme M. Thion l'a rappelé, le veilleur de nuit effectue un travail social tout en assurant la sécurité. M. Aubert l'a écrit dans son rapport, le personnel de l'Hospice général souhaite que - dans certaines situations - les veilleurs puissent être momentanément appuyés par des gardes privés de sécurité et travailler en collaboration, car cette disposition correspond bien aux besoins. Je pense donc qu'il est possible de trouver une solution mixte. En revanche, je doute que les agents de sociétés privées de sécurité aient la formation nécessaire pour jouer un rôle de médiateur.
En 2001, un accord avait été trouvé entre le personnel et l'Hospice général. Cet accord est aujourd'hui remis en question par l'engagement de gardes de sécurité. Pour ces raisons, le parti socialiste vous demande de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.
La présidente. Nous allons clore la liste des intervenants. Sont encore inscrits Mmes et MM. Lavanchy, Guichard, Aubert et Froidevaux.
Mme Nicole Lavanchy (AdG). L'Alliance de gauche est très préoccupée, non par l'objet particulier de l'Hospice général, mais par l'action sociale en général. L'Hospice général n'est pas la seule institution d'action sociale qui doit faire appel à des forces de sécurité. On a déjà parlé dans cet hémicycle de La Clairière, on voit ce qui se produit dans les cycles d'orientation et on parle maintenant de ce qui se passe dans le domaine des requérants d'asile. Il y a effectivement de plus en plus de violence de la part de populations exclues, et il faudrait pouvoir analyser la provenance de cette violence.
Concernant les requérants d'asile, il ne faut pas nier que la politique mise en vigueur au niveau fédéral est totalement odieuse. Ces personnes sont traitées comme des criminels en puissance.
Notre souci est que, étant donné cette précarité financière, cette précarité de leur statut et de leurs logements, on n'arrive pas à trouver des logements décents. Comme vous le dites, il n'y en a déjà pas pour la population genevoise.
On lie donc ce problème à celui de la migration; les requérants viennent de pays où ils ont été en danger de mort, ils arrivent avec des traumatismes de guerre et on les place dans des situations de stress. De plus, on les confine dans des situations de huis clos qui ne peuvent aboutir qu'à de la violence.
On a une part de responsabilité. Apporter une réponse uniquement sur le plan sécuritaire nous préoccupe beaucoup. On entend bien la préoccupation des assistants sociaux de l'Hospice général qui sont en lien avec les requérants d'asile, on les soutient dans leur crainte de voir remplacer le peu d'action sociale qu'il reste dans ces lieux par de la sécurité. On ira vers le pire de la violence et de l'agressivité. Il est possible de travailler en tandem, mais il ne faut surtout pas parvenir à une externalisation complète de la veille par un service de sécurité. L'Alliance de gauche ne veut pas de cela.
Autre chose: il ne faut pas se voiler la face. L'Hospice général fait appel à une structure de sécurité où les gens sont formés, mais, si vous allez questionner l'OCIRT, il vous dira que, dans le domaine de l'emploi, il y a profusion de petites structures de sécurité qui diront : «Faites appel à nous pour défendre votre propriété !» Il n'existe pas de convention collective, on ne sait pas comment ces gens sont formés et il y a un énorme risque de dérapage à accepter de faire monter en puissance le domaine privé de la sécurité. L'Hospice général a pris la garantie d'engager des gens relativement bien formés. Mais, à terme, la politique d'exclusion d'une population en désaffiliation nous amènera à engager des gens pour s'assurer que cette population ne vienne pas envahir l'univers des nantis... On va dans ce sens, car le travail social est malmené.
Quand on entend, dans la République, des propos tels que «finalement, des Securitas font aussi bien le travail que les assistants sociaux car ils maîtrisent la violence», c'est monstrueux ! Il faut se rendre compte que, si un travail social de qualité était fourni, si on arrivait à créer du lien social, si on ne poussait pas ces gens dans les retranchements de la violence, on n'en arriverait pas à dire que les Securitas sont meilleurs que les assistants sociaux. C'est un discours que l'on entend de plus en plus et qui, à mes yeux, montre que l'on en vient à une politique d'action sociale sécuritaire. C'est grave !
Mme Nelly Guichard (PDC). Je n'entrerai pas sur le terrain polémique de Mme Lavanchy. Comme l'a expliqué M. Aubert dans son rapport, M. Galetto - directeur de l'ARA - trouve opportun de recourir, dans certains centres, à des entreprises de sécurité pour assurer des veilles, particulièrement durant les week-ends. Je vous fais remarquer que ce n'est pas une généralisation. Les requérants eux-mêmes - et cet élément est primordial, je vous prie d'y porter attention - se sentent plus en sécurité avec la présence de ces agents. Ceci est clairement consigné dans le rapport d'évaluation de Team Consult.
Intituler cette pétition «Contre la privatisation des prestations de l'Hospice général» est une manière de tromper et de faire peur au personnel comme au public en général. Sans compter que c'est également une manière de dévaloriser le travail de toutes les personnes du secteur privé qui travaillent - jusqu'à preuve du contraire - à satisfaction, et qui, elles aussi, ont une éthique. Puisque leur travail est reconnu par le directeur et par les personnes concernées - ce qui est confirmé par le rapport accepté par l'Hospice général - je ne vois pas vraiment l'utilité d'envoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Je vous propose donc le dépôt de cette pétition. (Applaudissements.)
M. Pierre Froidevaux (R). Je m'associe aux applaudissements du discours de Mme Guichard, car cette dernière a repris les arguments que j'avais notés au cours du débat. Je suis extraordinairement surpris par le titre de cette pétition, qui évoque la privatisation des prestations de l'Hospice général. Quand j'ai vu cela à l'ordre du jour, je me suis demandé de quoi nous allions débattre. Il s'agit, en fait, d'une mesure extrêmement protectrice pour les personnes se trouvant dans ces centres. J'aimerais bien, Monsieur Thion, que vous compreniez à quel point ces personnes viennent d'endroits où la souffrance fut grande. Sur ce point, je vous rejoins, Madame Lavanchy: la violence est très grande là d'où ils viennent. Mais il ne faut pas vous croire à ce point efficace pour imaginer que vous arriverez à les soulager en quelques jours ou en quelques mois. Les blessures de ces personnes sont extrêmement profondes. Ne pensez pas être toute-puissante, ne pensez pas que vous arriverez à soulager leur peine ! Ce sont des mesures à très long terme, et il s'agit dans un premier temps d'assurer la sécurité de ces centres.
Quant à vous, Monsieur Thion, c'est bien gentil de nous dire qu'il faudrait garder le personnel actuel, mais ce n'est pas vous qui devez aller à 5 heures du matin dans ces endroits, souvent accompagné de la police, pour assister à des drames terribles et vous retrouver face à des situations que vous ne pouvez dominer. Pour arriver à secourir ces personnes, nous avons besoin de représentants de l'autorité. On peut, comme l'a fait Mme Lavanchy, faire le parallèle avec La Clairière et se rappeler que là-bas, on a essayé de se contenter d'un encadrement social en se disant qu'il s'agissait d'enfants. Mais les enfants ou les adolescents ont aussi besoin de règles, et le fait que ces personnes présentant des problèmes «ethnologiques» se trouvent en face d'un agent portant un uniforme est rassurant. Depuis que l'Hospice général a mis en place ces mesures, il est infiniment plus facile et plus sûr de venir en aide à ces réfugiés dans leur souffrance et dans leur peine.
Je suis vraiment désolé du débat gauche / droite entre des gens qui n'aimeraient pas ou qui aimeraient les réfugiés. Je vous en prie, soutenez les mesures de l'Hospice général ! C'est de cette manière que vous protégerez au mieux l'ensemble de ces centres et les gens qui viennent se réfugier chez nous.
M. Claude Aubert (L), rapporteur de majorité. Vous connaissez tous la définition du meilleur endroit pour faire un pique-nique: selon Daninos, c'est toujours un peu plus loin... Lorsqu'on parle de violence, on est toujours en train de dire que c'est ailleurs qu'elle doit se régler. Mais, quand il y a un conflit dans un foyer, c'est ici et maintenant que le problème se pose.
Nous souhaiterions entendre une autocritique et nous aimerions savoir comment le système sécrète lui-même la violence, ici et maintenant. Lorsqu'il nous sera possible d'avoir cette discussion, nous aurons fait un grand pas; et, dans les solutions envisageables, celle de l'autorité n'est pas du tout à négliger.
Concernant le problème de la qualification professionnelle, je vous rappelle que, pour l'engagement des veilleurs, il est explicitement mentionné qu'aucune qualification n'est requise. Quant au problème de l'écoute, je ne vois pas comment un travailleur venant du privé serait doté d'une moins bonne qualité d'écoute qu'un travailleur du secteur public.
Pour conclure et afin de donner la parole aux requérants, prenons en compte l'évaluation réalisée par Team Consult, où nous lisons très clairement: «La satisfaction avec la prestation des veilleurs est plus élevée dans les centres placés sous la responsabilité du GPA sur les deux volets de la mission: écoute et sécurité». Les familles plébiscitent le GPA, dont l'attitude aimable mais dissuasive ainsi que la visibilité rassurante de la tenue sont saluées.
M. François Thion (S), rapporteur de minorité. Les drames terribles évoqués par M. Froidevaux surviennent, mais c'est exceptionnel. Ce n'est pas tous les soirs dans tous les foyers. Il faut arrêter de raconter des histoires ! La majorité des requérants d'asile à Genève sont des gens extrêmement tranquilles qui ont besoin d'une aide sociale, qui ont besoin que l'on s'occupe d'eux - et, je crois l'avoir démontré précédemment ce ne sont pas des gens en uniforme qui apporteront cette aide sociale.
Je suis navré, mais, derrière cela, il y a le commencement de la privatisation de l'Hospice général. On commence par embaucher quelques personnes du secteur privé, puis on continue dans d'autres services. C'est votre idéologie, et nous la refusons !
Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 44 oui contre 29 non.