République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1499-A
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Mmes et MM. Pierre-Louis Portier, Gabriel Barrillier, Florian Barro, Pascal Pétroz, Stéphanie Ruegsegger, Anne-Marie Von Arx-Vernon, Guy Mettan, Patrick Schmied, Mark Muller, Jacques Jeannerat, Jean-Marc Odier concernant le déclassement de zone agricole en zone périurbaine, afin de résoudre la crise du logement

Débat

M. Pierre-Louis Portier (PDC). Cela m'ennuie de devoir m'adresser à l'homme Laurent Moutinot - que j'apprécie et que je respecte - dans les termes que je vais employer. Mais, au conseiller d'Etat chargé de répondre des actes du département de l'aménagement de l'équipement et surtout du logement, je suis obligé de dire : «Monsieur le président, vous vous moquez de ce parlement !»

Comment osez-vous opposer à une motion déposée en novembre 2002, à ses invites extrêmement claires et précise, un rapport aussi lacunaire et à ce point à côté du sujet ? Tout cela près de deux ans plus tard, alors que la problématique du logement n'a jamais été aussi vive et de toute première urgence dans notre canton. Les demandes étaient précises : dresser, en collaboration avec les milieux agricoles, un inventaire des parcelles situées en zone agricoles insuffisantes d'un point de vue cultural et fournir rapidement un programme de déclassement desdites parcelles. A cela, vous répondez Monsieur que «la démarche proposée n'est fondamentalement pas différente que celle qui a été menée dans le cadre de l'élaboration du plan directeur.» Or, justement, elle est très différente.

Ce qui est recherché à travers une telle demande c'est, en accord avec les milieux agricoles, de trouver autour de la ville, dans les communes périurbaines, proches des équipements publics existants, les moyens de petites et moyennes opérations immobilières que les communes concernées puissent absorber facilement, et ceci au contraire des grands périmètres proposés par le plan directeur qui vous donnent - et nous donnent ! - tant de fil à retorde quand il s'agit de convaincre lesdites communes. L'actualité brûlante des Communaux d'Ambilly ou du PAC de La Chapelle-Les Sciers en dit long à ce sujet et me donne raison, vous le savez.

La preuve de ce que j'avance, vous l'évoquez vous-même en page 5 de votre rapport, Monsieur le conseiller d'Etat. C'est l'exemple de la parcelle propriété de l'Hospice général proche de la maison de Vessy qui m'a inspiré cette motion. Environ 120 logements pourront y être réalisés, perspective que la commune de Veyrier a déjà acceptée avant que le projet de loi de déclassement ne soit déposé par le Conseil d'Etat.

Or, si vous multipliez des opérations de ce genre, en moyenne 150 logements, dans la vingtaine de lieux recensés, cela donne, en quelques années, environ 3000 logements supplémentaires mis à disposition de toutes les couches de notre population. Je suis convaincu que c'est possible.

Environ 3000 logements supplémentaires, certes, ce n'est pas la panacée. Pourtant, Monsieur le président, pensez-vous sincèrement que notre canton puisse faire l'économie d'un tel effort en cette période de disette immobilière ? Je sais que votre position politique sur cette proposition est très figée. Pourtant, vous n'avez pas le droit d'adopter une position aussi dogmatique, face à la gêne considérable qu'entraîne, pour une large part de nos familles, cette crise qui n'en finit pas. Vous ne pouvez pas refusez, comme vous le faites par ce rapport, d'accéder à la demande de notre parlement - vous n'avez pas bougé le petit doigt à ce sujet. Je le sais par les fréquents contacts que j'ai avec AgriGenève qui m'a confirmé à plusieurs reprises que jamais aucun fonctionnaire de vos services n'avait pris contact avec eux, alors qu'ils sont d'accord avec cette proposition. Ce mutisme confirme de manière on ne peut plus claire votre refus d'entrer en matière. Monsieur le président, les milieux agricoles sont d'accord d'entrer en matière, ils l'ont confirmé à la commission de l'aménagement lors de l'audition sur le PL 9178.

Vous déclarez dans les médias, notamment à la radio pendant une heure de grande écoute, que votre responsabilité est de préparer le logement de nos enfants... Eh bien, j'ai peur, surtout pour elles, que mes deux filles de 23 et 19 ans soient obligées de vivre encore longtemps auprès de leurs parents ! Au rythme de 1000 logements par année, alors que le plan directeur cantonal qui vous est si cher en prévoit 30'000 à l'horizon 2015, on n'est loin du compte !

Dans l'immédiat, le groupe démocrate-chrétien, fort mécontent du mépris affiché face à la volonté de la majorité parlementaire, propose le renvoi de ce rapport à son auteur pour qu'une action immédiate soit enfin entreprise, conformément aux deux demandes précises exprimées par les invites de la motion 1499.

Monsieur le conseiller d'Etat, vous avez, si vous me permettez l'expression, traité nos demandes par-dessus la jambe, et, par là, les besoins des jeunes, des aînés et surtout des nombreuses familles. C'est votre responsabilité, ce jour, devant nous qui n'avons pour seule arme que la critique de votre politique ou de vos actions. Mais le peuple souverain aura dans quelques mois le droit de demander des comptes, notamment au sujet de la politique du logement. Nous ne voulons pas être les complices d'une politique qui manque cruellement d'effets et qui, dans le cas précis de la réponse à la motion 1499, est marquée du sceau du laxisme et du refus d'entreprendre.

C'est pourquoi, encore une fois, nous dénonçons haut et fort votre refus d'entrer en matière, Monsieur le conseiller d'Etat ! Le peuple tranchera. Il dispose d'une arme redoutable, celle du bulletin de vote. La sanction est parfois sèche et définitive.

La présidente. Nous saluons à la tribune la présence d'un groupe de l'Université ouvrière de Genève, qui participe à un cours sur le fonctionnement politique de la Suisse. Se sont joints à ce groupe des membres du groupement transfrontalier européen qui ont participé à une formation sur le fonctionnement politique suisse.

Nous remercions toutes ces personnes de manifester leur intérêt pour la vie politique de notre canton.

Mme Anne Mahrer (Ve). J'aimerais répondre à mon collègue Portier que j'ai lu et relu très attentivement cette motion en cherchant des éléments qui différeraient du contenu du plan directeur cantonal: je vous avoue, Monsieur Portier, que je n'ai rien trouvé. J'ai constaté que vous demandiez le déclassement de 1% de la zone agricole: c'est admis et cela sera fait.

Le plan directeur cantonal prévoit également la construction de plus de 8000 logements. Ai-je mal lu la motion ? Je ne sais pas. Ce que je sais en revanche, c'est qu'aménager c'est ménager et qu'à Genève la zone agricole est protégée depuis des décennies; grâce à cela, nous avons évité le mitage du territoire, ce que la majorité des cantons suisses nous envie.

Commençons par réussir les projets en cours, car, vous le savez, Monsieur Portier, ils sont nombreux ! Des déclassements supplémentaires de la zone agricole ne résoudront pas la crise du logement. Il faut aussi se souvenir que l'espace nécessaire pour loger une personne est le double de ce qu'il était dans les années 50, soit 50 mètres carrés par personne: le nombre moyen de pièce par logement a augmenté; la surface moyenne par habitant a augmenté sans pour autant que plus de personnes soient logées.

Les Verts, vous le savez, Mesdames et Messieurs les députés, sont attachés à préserver la zone agricole pour maintenir une agriculture de proximité et de qualité, et bien entendu qu'ils ne voteraient pas de déclassement supplémentaire de cette zone agricole.

M. Alain Etienne (S). Par ce rapport, le Conseil d'Etat nous confirme ce que nous savions déjà et ce que les auteurs de la motion semblent ne pas vouloir entendre, M. Portier vient de nous le démontrer à l'instant. Le recensement des déclassements admissibles en zone agricole existe et fait partie intégrante du plan directeur cantonal. Alors pourquoi autant d'insistance ?

Les auteurs de la motion affirment également qu'il suffit de trouver des terrains incultes pour déclasser. Là encore, le Conseil d'Etat nous confirme qu'il n'y a pas de friches agricoles, contrairement aux idées reçues qui circulent. Ainsi, sans tenir compte des surfaces réservées aux activités, ce sont 120 hectares qui pourraient être mis à disposition pour le logement, soit pratiquement ce que demande la motion.

Il faudrait arrêter de faire croire à la population genevoise que vous avez des idées nouvelles pour résoudre la crise du logement. Il faut plutôt rappeler tout le travail engagé par le DAEL depuis l'adoption du plan directeur cantonal. Le premier train de mesures vise à densifier douze périmètres de la zone villas répartis sur l'ensemble du canton - cela représente 60 hectares, soit 3000 logements. Le second train de mesures vise à urbaniser progressivement 100 hectares. Les études sont engagées par le DAEL, en concertation avec les communes concernées, pour quatre nouveaux périmètres dont certains sont situés en zone agricole. Il s'agit des périmètres d'aménagement coordonnés de La Chapelle-Les Sciers, de Mon Idée-les Communaux d'Ambilly et des Vergers Meyrin. Cela représente 6600 logements. Cette planification en cours correspond au programme de déclassement mentionné par la deuxième invite de la motion.

N'oublions pas non plus que ces projets de déclassement nécessitent tout un processus de concertation - concertation que vous appelez également de vos voeux, Mesdames et Messieurs des bancs d'en face !

J'aimerais encore rappeler que le plan directeur cantonal prévoit trois mesures pour assurer le développement de l'agglomération : urbaniser la couronne suburbaine, densifier des terrains en zone villas et déclasser certains terrains en zone agricole. Ces trois mesures ne sont pas alternatives, elles doivent être mises en oeuvre ensemble. Dans la couronne suburbaine, il s'agit d'utiliser le potentiel des zones de développement où, je le relève, se trouvent encore 35% de la surface constructible du canton. A ce sujet, je rappelle la position du parti démocrate-chrétien concernant Frontenex où vous avez voulu maintenir une zone villas alors qu'on aurait pu faire une zone de développement. En périphérie urbaine, il s'agit de densifier des terrains situés en zone villas. Pour les déclassements de la zone agricole, ceux-ci doivent se faire tout naturellement dans la continuité de la zone à bâtir et à certaines conditions afin d'éviter le mitage du territoire.

Voilà, c'est la règle, c'est notre plan directeur que je viens de résumer. Si nous voulons accueillir la population future du canton, ces mesures doivent permettre la construction des 32 000 logements prévus dans le plan directeur. Or que constatons-nous ? Dans les zones de développement, ce sont souvent les propriétaires qui ne veulent pas utiliser leurs droits à bâtir. Dans la zone villas, ce sont les voisins qui s'opposent à toute densification. Les communes elles-mêmes donnent trop souvent des préavis négatifs quant aux projets de développement. Dans ce contexte, la zone agricole devient une proie facile.

Ensuite, il faudra également que les auteurs de la motion nous disent quel type de logements ils veulent construire dans ces nouvelles zones. A ce sujet, vous avez, Mesdames et Messieurs de la droite, déposé un projet de loi qui donnerait la compétence aux communes de décider du type de logements qu'elles veulent sur leur territoire. Ce projet de loi est très dangereux.

Je crois qu'il faut arrêter de faire de la surenchère avec l'aménagement du territoire. Les enjeux sont beaucoup trop importants, et c'est pour cela que le parti socialiste vous demande de prendre acte de ce rapport.

M. Pierre Kunz (R). La réponse du Conseil d'Etat à la motion 1499 a, une fois de plus - une fois de trop - mis en évidence l'absence désolante au sein de ce Conseil d'Etat de toute ambition de rompre avec le système qui conduit Genève à l'asphyxie et à la paralysie. Ce rapport montre l'absence de toute volonté politique sérieuse de résoudre le problème du logement à Genève. Ce constat n'est pas nouveau, d'ailleurs, puisqu'en 1991 déjà M. Emile Dupont, père du régime HLM, nous le savons tous... (L'orateur est interpellé.)PDC, en effet, en 1991, M. Dupont relevait l'absence de volonté politique au sein du Conseil d'Etat en matière de logement.

Certes, M. Moutinot ne manque jamais de rappeler qu'il y a, dans le plan directeur, des zones clairement destinées à la densification, il rappelle que le DAEL s'emploie, désespérément, à les exploiter. Il ne s'abstient jamais d'expliquer - comme Mme Mahrer et M. Etienne d'ailleurs - que les égoïsmes, la perte de vue de l'intérêt général, les mesquineries, les intérêts particuliers bloquent les projets.

Toujours est-il que le constat est aujourd'hui accablant. En 2004, vous le savez, Genève a produit 1294 logements seulement. C'est moins que chacune des cinquante années précédentes ! L'observateur attentif, celui qui comprend les mécanismes économiques, ne peut être que frappé par l'aveuglement du Conseil d'Etat. Il faut être aveugle pour ne pas voir les raisons de la pénurie logements à Genève ! Ces raisons sont simples, elles sont au nombre de deux: la première est que la cible de la politique suivie est fausse; la deuxième est que les moyens utilisés sont faux.

Il y a une thèse - un a priori plutôt, puisque rien ne le démontre - qui veut que les besoins prépondérants de la population se situent dans la catégorie des logements sociaux. Or, une analyse même sommaire de la réalité conduit à la conclusion que ce dont les genevois ont besoin, ce sont des logements destinés à la classe moyenne. Et 25 000 membres de cette classe moyenne ont été forcés, par l'incohérence de la politique suivie, de quitter Genève pour s'établir avec leur famille en Pays de Vaud: cela constitue une perte de 500 millions de recettes fiscales par année.

Le Conseil d'Etat poursuit, en matière de logement, des objectifs contradictoires et incohérents. Si l'on en croit sa réponse à la motion 1499, il n'entend pas en dévier. D'une part, il prétend répondre aux besoins en matière de logement par une politique de densification des zones de développement, d'autre part, il s'obstine à s'interdire de créer de nouvelles zones constructibles en dehors du cadre rigide imposé par un plan directeur cantonal manifestement et clairement dépassé par les besoins réels et actuels de la population ! Enfin, last but not least, la contradiction essentielle vient de ce que le Conseil d'Etat est persuadé que le secteur de l'immobilier ne répond pas aux règles de l'économie de marché. Il poursuit donc une politique interventionniste et de contrôle serré des loyers, donc de blocage des prix des terrains à un niveau artificiellement bas. Après, le Conseil d'Etat et la gauche s'étonnent que personne ne veuille vendre !

Pas étonnant que dans un contexte aussi irrationnel et aussi rigide le marché du logement ne fonctionne plus, que les investisseurs n'investissent plus, que la pénurie s'accroisse, que Genève exporte ses contribuables à un rythme qu'il faut qualifier d'effrayant. Mesdames et Messieurs les députés, 25% des travailleurs genevois habitent en Pays de Vaud ou en France !

Enfin, le résultat de cette politique incohérente est que les injustices et les inégalités entre citoyens se révèlent de plus en plus scandaleuses, particulièrement pour les jeunes. Pas étonnant donc que les Genevois soient devenus les victimes du corset législatif le plus dense et le plus serré de Suisse en matière de logement et d'aménagement du territoire ! Ce corset qui était, au départ, censé les protéger... Nous en reparlerons tout à l'heure à propos de l'initiative 120.

Face à l'échec de sa politique, le Conseil d'Etat aurait dû, depuis longtemps, se rendre compte qu'il ne dispose désormais plus que de deux voies pour sortir le canton du marasme. La première consiste à aller au bout de sa logique interventionniste en utilisant l'arme de l'expropriation et de l'étatisation des terrains constructibles. Comme cela, il y en aura assez ! L'autre possibilité consiste à accroître massivement et rapidement - comme le recommandait la motion 1499 et comme le recommande et l'exige l'initiative qui vient d'être lancée - le nombre de terrains mis à la disposition des constructeurs. (Commentaires.)Il faut un accroissement massif des terrains disponibles pour les constructeurs si vous voulez résoudre la question du logement autrement qu'en étatisant le sol !

Je termine en indiquant que les radicaux ne sont pas satisfaits de ce rapport. Ils demandent au Conseil d'Etat de revoir sa politique fondamentalement, et c'est pourquoi ils lui renvoient ce rapport.

M. Gabriel Barrillier (R). Je serai plus bref que mon collègue puisqu'il vient d'effectuer un développement très complet.

J'ai sous les yeux des graphiques qui sont malheureusement de plus en plus connus. Ils montrent la progression démographique dans notre canton, d'une part, et le nombre de logements d'autre part. On compte 5328 habitants supplémentaires en 1999; 5235 en 2000; 6065 en 2001; 6700 en 2003; 4000 en 2004. On voit que le nombre d'habitants supplémentaires avoisine 40 000 personnes depuis le début de ce millénaire.

En parallèle, La courbe de production de logement est plate depuis 1997 - date de votre arrivée à la tête du département, Monsieur le président du département ! On a construit 1201 logements en 2004. Les taux de vacance suivent évidemment l'écart entre les deux courbes: on avait 0,58% en 1998 et on en est aujourd'hui à 0,14%.

Nous sommes dans ce canton à la croisée des chemins ! Tout le monde le sait ! Tout le monde est d'accord avec ce diagnostic ! Nous n'arrivons plus à fixer sur notre territoire les gens qui viennent travailler à Genève et l'on voit que se développe, autour de Genève, une couronne qui accueille 40% de la population contre 60% à Genève même. Dans dix ans, ce rapport va s'inverser ! La majorité des gens qui habiteront cette région seront situés de l'autre côté de la frontière et dans le canton de Vaud. Il y a donc un risque de paupérisation de notre République.

Alors, comme dirait le syndic de Lausanne: «Ca commence à péter de tous côtés», et il faut prendre des mesures. Que vous demandait cette motion, Mesdames et Messieurs du Conseil d'Etat ? Elle demandait de faire l'inventaire des terrains agricoles non propices à l'agriculture situés au pourtour des zones constructibles. Ce n'est pas la mer à boire ! Vous deviez le faire, Monsieur le président, avec AgriGenève ! Il se trouve que l'assemblée générale de cette association se tenait ce matin; je me suis rendu à cette assemblée avec d'autres députés agricoles - qui ne sont pas ici en ce moment, peut-être sont-ils à la buvette. Il serait souhaitable, Monsieur le président du département, que vous vous fassiez inviter par les agriculteurs ! C'était votre collègue Cramer qui était là - évidemment puisqu'il est en charge de l'agriculture - il eût pourtant été souhaitable que vous fussiez présent, Monsieur, parce qu'il y a eu un bref débat sur cette problématique. Ce que j'en ai retenu - ainsi que des discussions à table - c'est que les agriculteurs sont tout à fait prêts à se mettre autour de la table avec vous pour dresser cet inventaire et, le cas échéant, soutenir les déclassements nécessaires. Et c'est cela qu'on vous reproche ! Vous n'avez pas pris votre bâton de pèlerin pour aller voir les principaux intéressés, qui sont prêts à discuter avec vous, ensuite de quoi vous auriez pu, d'entente avec les agriculteurs, nous faire des propositions de déclassement. Je ne parlerai pas d'un manque de concertation, je ne veux pas être injuste, mais c'est votre apparente hésitation à rencontrer les principaux intéressés que nous vous reprochons.

Au final, le débat que nous avons ce soir a une année, voire deux ans, de retard ! Pendant ce temps, nous connaissons la crise la plus épouvantable de tous les temps et surtout - surtout ! - nous prenons un chemin qui est faux en rejetant la population de l'autre côté de la frontière. Nous risquons un jour d'être en position de faiblesse vis-à-vis de nos voisins, faute d'avoir fait l'effort nécessaire pour loger les gens qui travaillent chez nous.

J'ai entendu dire que Procter & Gamble a l'intention - et c'est peut-être déjà décidé - d'accroître sa présence de 500 postes de travail supplémentaires. Ce sont des postes de travail, on l'a dit souvent, qui sont intéressants parce que ces gens-là gagnent tous plus de 100 000 F par année. Donc, du point de vue économique, c'est très intéressant ! D'après ce qu'on a entendu - vous pourrez peut-être le confirmer, Monsieur le conseiller d'Etat - des facilités d'installation de ces gens-là en France voisine ont d'ores et déjà été accordées... Alors quel est le bénéfice pour Genève ? A quoi cela sert-il d'attirer des entreprises de cette importance si c'est pour reporter sur nos voisins les avantages de cette installation ?!

Alors, Monsieur le conseiller d'Etat, allez voir les agriculteurs, ils vous attendent ! Faites-nous cet inventaire ! C'est pour cela que nous vous renvoyons cette motion.

La présidente. Le Bureau vous propose de clore la liste des intervenants. La voici: MM. Pagani, Pétroz, Broenniman, Vaucher, Brunier, Etienne, Egger.

M. Rémy Pagani (AdG). Je partirai de l'intervention de M. Kunz, parce qu'on voit clairement que c'est quelqu'un qui fait d'abord de l'idéologie - c'est peut-être le rôle de ce parlement - et qui ferait mieux de venir à la commission de l'aménagement ou à celle des travaux pour se rendre compte à quel point les efforts de ce parlement et du Conseil d'Etat sont importants. Il s'agit de remédier à des problèmes qui ne sont pas nouveaux, ils existent depuis des années dans notre République. Le problème, Monsieur Kunz, n'est pas la législation, c'est le prix des terrains ! On le voit par exemple à Onex. La cité d'Onex a été construite à une certaine une période; des immeubles HLM ont été construits par des privés et, aujourd'hui, ces derniers, qui ont spéculé, sont incapables de rénover ces immeubles parce qu'ils n'ont pas mis l'argent nécessaire de côté. Et cela crée un problème écrasant pour la gestion de la commune. Ces immeubles ne sont pas rénovés, parce qu'il n'y a pas d'argent et parce que la rentabilité de ces immeubles ne suffit pas à récupérer les sommes investies dans la spéculation des années 80. C'est alors une population paupérisée qui s'installe dans ces immeubles.

C'est la même chose lorsqu'il s'agit de construire des immeubles à La Tulette ou à Frontenex: on a vu que ce Grand Conseil - en particulier vous, Monsieur Kunz et Monsieur Portier - a refusé de déclasser un terrain situé à côté de la Gradelle, alors que nous avions la possibilité de construire 1000 logements. Or le déclassement accepté ne permet d'en construire que 250 - et encore ! Contrairement à ce que pensait la commission, votre vote a permis de racheter un terrain et, évidemment, d'enclencher une spirale spéculative ! L'Etat ne pourra donc pas user de son droit de préemption, alors que le plan directeur prévoyait de le déclasser. A cause de vous, Messieurs, ces terrains n'ont pas été déclassés suffisamment tôt ! Je mets ma tête à couper... (Remarques.)... que, dans dix ans, eh bien, ce ne seront pas des logements à bon marché ! Ce ne seront pas des logements pour la classe moyenne que vous semblez défendre, mais des logements pour des gens qui ont des revenus de l'ordre de 200 000 à 250 000 francs. Ce sera de la propriété par étage ! (Commentaires.)

Ensuite, vous nous dites que tous les beaux terrains qui font l'objet de spéculation doivent être réservés à la classe supérieure - pas à la classe moyenne que vous prétendez défendre ! Parce que la classe moyenne, vous n'en avez que faire, même si vos discours laissent supposer que vous la défendez ! Ce n'est pas vrai, vous défendez des gens qui ont des revenus de 250 000 francs, voire de 300 000 francs. Et quand ces gens-là auront été logés, eh bien, ceux que vous appelez «les pauvres» iront de l'autre côté de la frontière... C'est d'ailleurs ce qui se passe en ce moment !

Le véritable problème, Mesdames et Messieurs les députés, c'est le contrôle du prix des terrains et des loyers ! Mais nous avons une loi, la LDTR, qui permet de fixer les loyers à 3250 par pièce et par année. C'est le prix que chacun d'entre nous - du moins la majorité, et je m'y inclus - peut payer. Ce n'est peut-être pas le cas de M. Kunz ou de M. Portier, mais moi je suis dans cette catégorie-là. Et la majorité de nos concitoyens ne peut pas se permettre de louer un appartement de 200 mètres carrés à des prix exorbitants. A plus forte raison, ces concitoyens ne peuvent pas acheter des appartements de 200 mètres carrés à 2,5 millions ! C'est ce type de logements que vous nous promettez - notamment M. Prokesch à Frontenex... Cela vous fait rire, Monsieur Portier ? Ne riez pas ! Vous avez autorisé, ici même, il y a six mois, le déclassement du terrain de la Frontenex pour autoriser ce type d'appartements, ce type de PPE ! Et vous en étiez satisfait à ce moment-là !

Maintenant, vous venez nous faire une leçon de morale en affirmant que nous n'aurions créé que 1200 logements alors qu'il y 7000 personnes en plus qui arrivent chaque année dans notre canton. Oui, Monsieur Portier, c'est cela la réalité ! Tant que nous ne contrôlerons pas le prix des terrains, tant que l'Etat ne fera pas valoir son droit de préemption pour donner un accès au logement à la majorité de la population de ce canton sur le territoire cantonal, nous ne résoudrons pas la crise du logement. Vous le savez très bien, le reste n'est que de l'esbroufe pour faire croire aux gens que vous les défendez, alors que ce n'est pas le cas ! Vous défendez la classe supérieure qui, comme le dit M. Barrillier, travaille dans des multinationales. Or ces gens sont ici un jour et ailleurs le lendemain ! Cela ne contribue pas à tisser une structure économique et industrielle dans ce canton, ce qui permettrait à chacun d'entre nous de pouvoir vivre dignement sur le territoire où il est - malheureusement ou heureusement - né et sur lequel il réside.

M. Pascal Pétroz (PDC). J'ai écouté très attentivement les propos qui ont été tenus tout à l'heure. Permettez à un représentant des «milieux de l'esbroufe» de répondre à l'adjudant en chef de cet exercice !

Mesdames et Messieurs les députés, je crois que ça ne va plus dans ce parlement... Il faut vraiment arrêter avec ce type de discours. Qu'est-ce qu'on nous dit pour s'opposer aux mesures proposées par le parti démocrate-chrétien et par l'Entente ? On nous parle de la LDTR, qui s'applique, comme son nom l'indique, aux démolitions et aux rénovations. Ce n'est pas avec ça qu'on crée des logements !

On nous dit aussi que les gens - les pauvres, comme vous les avez qualifiés tout à l'heure - devront s'exiler à la frontière... Sachez que je suis tout à fait à l'aise: j'habite à Thônex - j'adore ma commune, j'en suis très fier - j'habite à cinquante mètres de la frontière française, donc je suis très à l'aise pour en parler. (Commentaires.)Monsieur Pagani, je vous ai écouté, faites de même !

Vous avez parlé tout à l'heure de la Tulette, mais vous auriez pu évoquer d'autres projets. Comme je l'ai dit, je suis habitant de Thônex, et, il faut le reconnaître, des projets d'une certaine envergure font peur aux gens... On peut être d'accord ou pas avec ces réactions, n'empêche que c'est une réalité ! Quand vous voulez créer un nombre important de logements, notamment à Thônex, dans une zone, bordée par un hôpital psychiatrique et, surtout, par des villas, ce n'est pas toujours très cohérent... Il faut donc comprendre et respecter les inquiétudes des gens. Ce n'est pas en disant que ces gens sont méchants qu'on y arrivera ! C'est en essayant de négocier, de les emmener avec nous vers des projets consensuels et raisonnables, que nous arriverons à quelque chose. Franchement, je préfère 3000 logements sur un grand périmètre dans cinq ans, que 10 000 logements jamais !

Ce qui est très frustrant dans ce débat, Mesdames et Messieurs les députés, c'est qu'à chaque fois que nous proposons quelque chose on nous répond que ça ne va pas ! Et cela, c'est terrible. Il n'y a pas 36 000 possibilités pour construire ! On peut surélever les immeubles, on en a parlé lors de notre dernière session... Nous avions déposé une motion en vue de la surélévation des immeubles; eh bien, on nous a répondu que les privés n'avaient qu'à se débrouiller ! Et cette réponse a conduit notre Grand Conseil à renvoyer le rapport du Conseil d'Etat à son auteur.

On peut également déclasser la zone agricole, il y a deux formules possibles: soit on déclasse massivement des périmètres, ce qui peut être dans certains cas une bonne formule - mais cela suscite l'angoisse et les opposition des gens, donc cela prend beaucoup de temps. Il y a aussi une formule plus simple sur le plan pratique, c'est celle que le groupe PDC préconise: il s'agit de choisir des périmètres à visage humain, à taille humaine, pour y construire non pas des milliers de logements, mais quelques dizaines, 100 ou 150 logements au plus. Cela permet aux communes d'absorber les nouveaux habitants sans aucune difficulté !

Les parcelles que nous souhaitons pouvoir déclasser ont perdu leur vocation agricole; nous n'enlevons donc rien à l'agriculture - et n'avons pas l'intention de lui enlever quoi que ce soit, d'ailleurs - il s'agit de parcelles situées à proximité de transports publics et d'écoles. Ce sont des parcelles idéales ! Pourtant, quand nous proposons d'aller dans ce sens-là avec AgriGenève, qui est disposée à jouer le jeu, eh bien, cela ne va pas non plus ! Alors, il faut nous dire ce qu'il faut faire ! Le résultat est là: on ne construit rien dans ce canton. J'aimerais bien voir à l'oeuvre ceux qui nous donnent des leçons et nous disent que ce que nous proposons est complètement idiot... J'aimerais qu'ils viennent vers nous avec de véritables propositions nous permettant de sortir de la crise.

Mesdames et Messieurs les députés, les chiffres sont éloquents ! Et notre proposition permet de construire rapidement des milliers de logements ces trois ou quatre prochaines années. Alors, qui peut faire mieux ?

Présidence de M. Michel Halpérin, premier vice-président.

M. Martin-Paul Broennimann (S). Je reconnais les intentions tout à fait méritoires des motionnaires: en tant que président d'une fondation de logements sociaux, je ne peux pas être insensible à leur volonté de créer du logement. Je peux constater que, depuis des années, les demandes de logements vont croissant et, bien que nous en satisfassions régulièrement, les listes d'attente s'allongent toujours - nous en sommes aujourd'hui à plus de 3000 demandes. Je reconnais donc le besoin de créer du logement. En tant qu'urbaniste je reconnais également la nécessité de déclasser - je pense qu'il faut déclasser en suffisance.

Cela dit, en lisant la motion, j'ai peur qu'on se lance dans une opération que je qualifierais de «ramasse-miettes», soit une opération longue, compliquée, et à faible rendement. J'ai peur aussi qu'on ne se lance dans une opération consistant à créer cette zone périurbaine. La zone périurbaine, Mesdames et Messieurs les députés, n'existe pas dans la terminologie des urbanistes. Cela ne veut simplement rien dire. On a des zones primaires, des zones urbaines, mais, des zones périurbaines, cela n'existe pas !

Alors, vers quoi nous dirigeons-nous ? Nous aurons une agglomération qui s'étend en tache d'huile, comme un cancer qui s'insinue un peu partout. Je pense donc que les mesures proposées ne suffisent pas. Il faut que les parcelles que nous déclassons soient réfléchies, c'est-à-dire utilisées dans le sens de l'aménagement du territoire: il faut qu'elles soient structurantes par leurs emplacements et qu'elle se situent sur de grands axes de transports.

A la limite, ce n'est pas important de savoir si ces terrains sont utilisés par les agriculteurs en ce moment où non; le critère agricole n'est qu'un des critères. Le critère de finalité est la qualité de la ville qu'on va construire dans sa complexité.

Nous avons une base légale qui est le concept d'aménagement cantonal, le plan directeur cantonal que ce parlement a voté. Je pense qu'il faut s'y tenir. Je pense également que, si nous voulons modifier les cibles quantitatives de ce plan directeur cantonal, il faut les modifier de manière légale, après réflexion, après débat, et avec des propositions portant sur d'autres périmètres. Mais il faut rester dans le cadre du processus conduit actuellement.

Pour avoir assisté aux débats de la commission d'aménagement du canton, je dois dire que les efforts déployés par le département sont importants. Et combien de fois nous heurtons-nous à des réactions des communes et des quartiers visés par des déclassements? Combien de fois nous heurtons-nous à des oppositions? Je sais que des députés interviennent déjà auprès de leurs milieux, mais je fais appel aux députés de tous les partis pour qu'ils interviennent davantage et avec encore plus de persuasion, pour que ces déclassements puissent se réaliser.

Je demande donc à ce parlement de prendre acte du rapport du Conseil d'Etat et à chacun de contribuer à cette politique. (Applaudissements.)

M. Olivier Vaucher (L). Le plan directeur cantonal prévoit un déclassement des zones agricoles. Malheureusement, ce qui avait été prévu dans le plan directeur cantonal n'a pas été exploité jusqu'à aujourd'hui. Nous avons de la chance, les agriculteurs ont beaucoup évolué ces dernières années, et je crois qu'il est temps de profiter de leur volonté de céder une partie de leurs terres - il s'agit de la partie des terres qui est impropre à l'agriculture - et cela fera avancer les choses extrêmement rapidement.

On peut reprocher au département et au Conseil d'Etat d'avoir tardé à faire avancer les dossiers, ce n'est malheureusement que depuis quelque temps que celui-ci examine l'essentiel. Cela aurait déjà dû être entrepris il y a quatre ans, dès le début de cette législature, avec force et vigueur. Malheureusement, nous constatons que les forces du département ne sont pas toujours attribuées aux fins auxquelles elles devraient l'être: le personnel du département est «bombardé» de missions spéciales extraordinaires, qui ne vont pas souvent dans le sens de la réalisation la plus rapide. J'en veux pour preuve les motions que nous avons déposées il y a trois ans - qui permettraient d'exécuter des constructions de plusieurs centaines de logements dans des délais très rapides. Et trois ans après, on n'en est qu'aux parutions pour faire avancer ces projets. Cela aurait dû être fait auparavant, et parallèlement aux grands projets.

Aujourd'hui, je constate aussi que le lien avec les communes a enfin été établi - comme je l'ai relevé à maintes reprises, car un des préopinants des bancs d'en face prétendait que celles-ci faisaient opposition à certains projets. Et pourquoi, Monsieur, les communes ont-elles fait opposition ? Parce qu'elles n'ont pas été concertées. Ce n'est que depuis un ou deux ans que cette concertation a commencé, à force de répéter et de faire inscrire au procès-verbal de la commission d'aménagement du canton - lors d'auditions des personnes et magistrats concernés - qu'elles n'avaient pas été concertées.

Si nous avions commencé ce travail il y a quatre ans, aujourd'hui nous construirions - toutes catégories de logements confondues ! Car, certains préopinants l'ont relevé, ce ne sont pas seulement des HBM, mais aussi des logements pour la classe moyenne ou de la PPE dont il s'agit. Et Genève a besoin de toutes les catégories de logements.

Comme l'a dit tout à l'heure le député Kunz, la politique suivie est fausse - je ne répéterai pas tout ce qu'il a dit et m'y rallie totalement. Il a décrit les choses telles qu'elles sont actuellement, et auxquelles nous devons faire face. On peut aussi construire, avec l'aval des agriculteurs, dans la zone située à l'intérieur et autour des hameaux. C'est dans ces sites-là que nous devons concentrer, avec la plus grande vigueur, nos forces !

C'est pourquoi notre groupe estime que la réponse du Conseil d'Etat à la motion 1499 est totalement insuffisante. Il s'agit, selon nous, de la retourner à son expéditeur, en espérant que celui-ci prendra très rapidement le taureau par les cornes afin de faire avancer les choses, car Genève en a besoin, Mesdames et Messieurs les députés !

M. Christian Brunier (S). Nous sommes toutes et tous d'accord sur un point: aujourd'hui, on ne construit pas assez de logements à Genève. Quel que soit le niveau social de la population, cette dernière souffre de cet état de fait. Des milliers de gens cherchent des logements de différentes catégories, et nous avons toutes et tous une responsabilité à ce niveau.

Nous devrions quand même avoir l'honnêteté de dire que construire du logement sur un territoire déjà très aménagé et excessivement exigu est compliqué. Simplifier le débat, donner des leçons... Eh bien, ce n'est vraiment pas ainsi que nous allons sortir de cette crise du logement ! Si nous sommes vraiment tous convaincus qu'il y a urgence, nous devrions plutôt nous asseoir autour de la table, arrêter cette guerre du logement qui est stérile et essayer de trouver des solutions. Parce que, les constats, nous sommes toutes et tous assez forts pour les faire, mais peu de solutions ont été proposées dans ce parlement durant ces dernières années !

Vous avez choisi de donner des leçons... Je peux donc vous donner du travail en la matière. La première leçon que vous pouvez donner, c'est aux communes qui résistent. Certains ont dit que toutes les commune résistaient: ce n'est pas vrai, certaines communes ont déjà fait un effort, mais ce sont les villes essentiellement - des villes où la gauche est présente. A ce propos, je crois que la gauche a été active pour construire du logement: en ville de Genève, dans la commune de Vernier, mais aussi dans d'autres communes, comme à Onex ou à Meyrin. (Manifestation dans la salle. L'orateur est interpellé.)Monsieur Vaucher, regardez l'urbanisation en ville de Genève: la densification est bien plus élevée que dans la plupart des communes dirigées par les gens de votre camp ! Néanmoins il y a des communes qui n'ont pas fait cet effort, et elles sont toutes à majorité de droite ! Il y a des gens parmi les rangs de la droite qui «se bougent» pour qu'il y ait du logement et qui font des propositions; je demande alors à ces personnes d'aller trouver leurs magistrats communaux et de les convaincre pour pouvoir construire.

La deuxième chose que nous avons abordée dans ce débat concerne la politique économique de ce canton. La priorité de votre majorité - puisque vous êtes en majorité depuis presque toujours au sein du législatif et de l'exécutif - est d'attirer des entreprises. Nous ne sommes pas contre cela. A condition qu'en matière de développement durable et qu'en politique d'emploi on y gagne quelque chose ! Vous savez très bien, Monsieur Kunz, que des entreprises sont venues à Genève, qu'elles ont coûté de l'argent à la collectivité et qu'elles n'ont apporté aucun emploi ! Ce sont des entreprises qui se sont installées ici avec leurs équipes, prétendument pour faire de l'emploi «de haut niveau», comme vous l'appelez - ce sont les nouvelles technologies, les télécom et les biotechnologies. Qu'ont créé ces entreprises au cours de ces dernières années ? Beaucoup de chômeurs ! On a dû construire beaucoup d'infrastructures pour rien. Vous le savez très bien: lorsqu'on parle de promotion économique aujourd'hui, on ne pense qu'en termes économiques, qu'en termes d'argent, mais on ne pense absolument pas à l'aménagement du territoire ou à la fiscalité. Nous devons encourager notre canton à soutenir le développement durable. Quand on vote des motions sur les principes du développement durable, on est unanime ! Mais quand il faut passer aux actes, il n'y a plus qu'une moitié de ce parlement qui continue à défendre le développement durable... (L'orateur est interpellé.)

Troisième cause, c'est le développement des zones villas. Aujourd'hui, développer les zones villas à Genève, c'est une hérésie. Nous n'en avons pas les moyens ! Bien sûr qu'il y a des gens qui veulent des villas, mais notre territoire est trop exigu, par rapport au nombre des personnes qui habitent ce canton, pour continuer à développer du logement de ce style.

M. Vaucher nous a dit que la politique menée était fausse... Monsieur Vaucher, je vous rappelle qu'aussi bien au niveau gouvernemental qu'au niveau de ce parlement la droite est majoritaire. Est-ce une critique de votre propre politique - une autocritique ? Votre politique est donc fausse !

M. Portier nous a dit: «Nous avons fait beaucoup de propositions...»; un autre député du parti démocrate-chrétien, M. Pétroz, a dit: «Nous sommes pour un développement de logements "à visage humain"»... La proposition du PDC, c'est de construire des gratte-ciel à la pointe de la Jonction ! C'est votre proposition, Monsieur Portier ! (Exclamations. L'orateur est interpellé.)Le logement «à visage humain»...

Une voix. On le propose à Veyrier, t'as pas compris !

M. Christian Brunier. Le logement «à visage humain» du PDC, c'est construire des gratte-ciel pour les catégories populaires de la population et développer des zones villas pour les privilégiés de la population ! (Exclamations.)

Le président. Messieurs les députés, laissez s'exprimer l'orateur !

M. Christian Brunier. Cela n'est pas le fait d'une politique équilibrée...

Le président. Monsieur Portier, je vous prie de laisser s'exprimer l'orateur.

M. Christian Brunier. ... en matière de développement du territoire. Alors, la solution - certains la préconisent - c'est d'aller négocier avec les agriculteurs, avec AgriGenève... Elle est juge et partie dans ce contexte !

Une voix. Et alors ?

M. Christian Brunier. Vous savez très bien qu'une partie des agriculteurs peuvent bénéficier d'une opération très lucrative d'un déclassement de terrain... (Exclamations.)... et devenir millionnaires en peu de temps, sans rien faire. (Exclamations.)A nouveau, si vous voulez favoriser une politique conforme au développement durable dans laquelle on arrive à faire du logement, à soutenir l'économie et le social, ainsi qu'à respecter l'environnement, eh bien, vous ne pouvez pas travailler de la sorte !

J'invite tous les élus d'ici à aller voir les élus - de droite ou de gauche - de France voisine. Les élus de France voisine envient notre législation et disent: «Vous êtes arrivés à protéger des zones agricoles et des espaces de verdure». Que font-ils ? Vous le savez très bien, ils sont en train de faire des communautés de communes pour acquérir des terrains, afin de protéger leurs zones agricoles et leurs espaces de verdure... Nous devons tenir compte de cela. Nous avons été les bons élèves de la région, et les Français le reconnaissent, qu'ils soient de droite ou de gauche.

Si nous voulons sortir de cette crise du logement, il faut chasser les «y-a-qu'à du logement» et arriver avec des propositions - et pas des slogans, Monsieur Portier !

J'invite donc tous les députés, de droite et de gauche, à s'asseoir autour d'une table pour trouver des solutions et je leur demande d'arrêter de faire des promesses qui tiennent plus de «Ma sorcière bien-aimée» que du programme politique ! (Applaudissements.)

M. Jacques Baud (UDC). Cette motion me paraissait raisonnable, réalisable, et j'avoue que je ne comprends pas la réponse du Conseil d'Etat. Dois-je en conclure que, chaque fois que la droite propose quelque chose, la gauche, aidée par le Conseil d'Etat, la refuse ? Où va-t-on ? Je suis extrêmement inquiet. Cela fait trois ans que je dénonce le manque de logements. Je rappelle que, pour moi, un logement est un logement; qu'il soit celui d'un propriétaire ou celui d'un locataire, c'est un logement !. On veut nous faire croire que plus des 60% de la population ont besoin d'un logement social; cela revient à faire fi complètement des personnes qui, véritablement, ont besoin d'un logement social ! Il y a exagération, ce qui bloque complètement toutes les réalisations possibles.

Les communes ne se montrent pas suffisamment concernées - elles commencent à l'être, j'en suis très heureux. D'un autre côté, il est vrai que dans les milieux immobiliers les efforts ne correspondent pas à ce qu'on serait en droit d'attendre d'eux. On se sert parfois de la non-volonté de la gauche de vouloir construire des logements pour maintenir des loyers élevés. Il ne faut pas oublier cela non plus !

La responsabilité est donc partagée par tous, y compris par moi. Je suis responsable. Je n'ai pas agi, pendant trois ans, comme j'aurais dû le faire, à savoir en dénonçant dès le départ ce que je voyais qui n'allait pas. J'aimerais donc que l'on renvoie cette motion au Conseil d'Etat et que l'on en tienne compte. Ce n'est pas une solution définitive, c'est un petit pas. Mais c'est avec des petits pas dans une direction que nous finirons par trouver une bonne solution pour la construction de logements à Genève. (Applaudissements.)

M. Jean-Claude Egger (PDC). Je ne fais pas partie de la commission de l'aménagement, mais je suis agriculteur et je fais partie du comité directeur d'AgriGenève. Lorsque M. Brunier affirme que AgriGenève est juge et partie, cela me fait un peu rire... AgriGenève est une fédération qui représente la défense professionnelle, et en tout cas pas une usine à faire des agriculteurs millionnaires. Il faudrait peut-être que M. Brunier se renseigne un peu mieux et qu'il vienne parler avec AgriGenève: il entendrait d'autres points de vue.

Je me trouvais ce matin à l'assemblée générale d'AgriGenève, avec mon ami Barrillier qui s'étonnait qu'il y ait si peu d'agriculteurs - il doit être à la buvette, et j'aurais bien aimé qu'il soit ici pour entendre mes propos... Tant pis ! Donc, AgriGenève s'est prononcée avec une certaine moue sur la motion concernant le 1%, mais elle n'est pas forcément contre ce 1%. L'idée d'AGriGenève est d'utiliser les terrains - dont certains députés ont dit qu'ils étaient incultes. A ce propos, ces terrains ne sont pas incultes, ils sont difficilement cultivables et difficiles d'accès, parce qu'ils coincés au milieu de villas.

Une voix. Ce sont les députés qui sont incultes !

M. Jean-Claude Egger. Peut-être bien qu'il y a des députés incultes ! Mais il faudrait éventuellement vous renseigner sur les terrains incultes. Ce sont souvent des jachères florales ou encore des prairies extensives.

L'idée d'AgriGenève consiste donc à utiliser des dizaines d'hectares qui sont déjà prêts à être construits et qui sont bloqués par des oppositions des communes. On peut comprendre les communes, parce qu'elles ont tellement peu de poids dans les préavis qu'elles donnent au département qu'il ne leur reste plus que les oppositions.

AgriGenève est en tout cas favorable à la discussion avec le DAEL - M. Moutinot le sait bien - il y a déjà eu pas mal de discussions quant à ces terrains...

Une voix. Ah !

M. Jean-Claude Egger. Oui, je tenais à le dire parce que j'ai sous les yeux une prise de position d'AgriGenève qui le montre clairement. Des contacts ont donc été pris et tous ces terrains seront évalués... (L'orateur est interpellé.)C'est vrai que peu d'agriculteurs ont pris part à ce débat. On a quand même un peu l'impression qu'en période électorale on ouvre la boîte de Pandore lorsque l'on parle des déclassements - excusez-moi, Messieurs ! En effet, quand il y a une proposition d'un côté, elle est systématiquement refusée de l'autre. C'est un peu dommage !

Sachez que AgriGenève et les agriculteurs sont en tout cas prêts à écouter le département du DAEL pour trouver des solutions à cette crise du logement. Cependant, ne les rendez pas responsables de cette crise. La politique menée a peut-être manqué un peu de prévoyance, il y a cinq ou dix ans, et c'est en effet à ce moment-là que l'on aurait dû se rendre compte que le nombre d'habitants augmentait. On n'a rien fait... Voilà, on est un peu au pied du mur actuellement.

M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Ce débat me donne l'occasion de faire le point sur la politique d'aménagement que je mène et sur les actions entreprises pour résoudre la pénurie de logements.

Je suis un peu surpris, Monsieur Kunz, Monsieur Portier, que vous ayez la vision suivante: tout le monde veut avancer, sauf Laurent Moutinot qui bloque tout ! La pratique montre que c'est le département de l'aménagement, de l'équipement et du logement qui fait des propositions, qui fait avancer des projets et qui se retrouve face à un certain nombre d'oppositions - qu'elles émanent de droite, de gauche, du centre ou d'ailleurs. Vous êtes sur une autre planète, Monsieur Kunz ! Nos concitoyens ne tiennent pas à ce qu'on construise à tout prix, n'importe où, n'importe quoi, n'importe comment. Ils sont extraordinairement attachés à la campagne genevoise, à la beauté des lieux, et ils n'ont pas tort. Et on ne peut pas faire de l'aménagement du territoire contre la population ! Nous devons faire un effort de persuasion, nous devons expliquer, faire de la pédagogie politique et, il est vrai, de temps en temps, décider, le cas échéant, contre l'avis d'un endroit qui ne souhaite pas se voir développé. Parce que personne ne souhaite voir de constructions dans son jardin ou juste en face. Voilà la réalité à laquelle nous sommes confrontés ! Dans mon courrier, aujourd'hui, pour une lettre de quelqu'un qui demande un appartement, il y a cent autres lettres de gens qui demandent qu'on arrête de construire et de développer... Vous devez vous persuader de la réalité de ces faits pour arriver à faire passer les projets de logements dont nous avons effectivement besoin.

C'est vous qui dites que tout le monde veut construire du logement ! La commune de Puplinge, dans son opposition au développement de Mon Idée, écrit: «Il n'y a pas besoin de logements à Genève.» C'est une commune qui l'écrit ! On ne peut donc avancer dans le développement de ces projets qu'en étant conscient de la nécessité de convaincre qu'il faut construire.

En ce qui concerne AgriGenève, puisqu'il en a été beaucoup question - je suis navré, Monsieur Portier, mais j'ai personnellement rencontré AgriGenève il y a quelques semaines - nous avons effectivement eu la discussion que M. Egger a rappelée. AgriGenève se trouve dans une situation un peu difficile, entre les intérêts contradictoires des propriétaires des terrains agricoles - qui sont assez disposés à les développer - et les exploitants fermiers qui ne sont pas très disposés à perdre leur gagne-pain. Et si l'on veut maintenir une agriculture genevoise performante, c'est un problème qu'il faudra bien résoudre.

J'ai pris note de la proposition de M. Pétroz, qui consiste à dire - certains autres l'ont aussi dit: «On va, par des petits projets, arriver à résoudre ce problème.» Je ne méprise pas les petits projets, parce qu'ils ont plus de chances de passer que les grands projets. Mais on ne peut pas, d'un côté, dire que la gravité de la situation est considérable et, d'un autre, dire que la solution consiste à faire des petits projets. Cela n'est pas raisonnable ! Il y a une disproportion entre le problème posé et la solution apportée. J'ajoute que les communes ont, depuis un certain nombre d'années, un droit d'initiative, si elles estiment qu'il y a sur leur territoire des possibilités de développement. Malheureusement, vous le savez, peu d'entre elles en ont fait usage. Et si nous avons «traîné», comme vous le dites, Monsieur Vaucher, dans le cadre de la commune à laquelle vous faites allusion, sachez que c'est à sa propre demande ! Si je n'avais pas suivi la demande de la commune, on aurait dit que c'était un ukase; quand je la suis, c'est de la mollesse ! Les deux reproches sont légèrement contradictoires...

Dans l'exposé des motifs de la motion, il est écrit assez curieusement que 1200 logements par année suffiraient. Ce nombre est atteint, et nous sommes tous d'accord pour dire que ça n'est pas suffisant. Cette motion nous demandait de dresser la liste des terrains constructibles en zone agricole; il vous a été répondu que cela avait été fait dans le cadre du plan directeur cantonal. Si je comprends bien vous voulez aller au-delà du plan directeur cantonal, ce qui pose un certain nombre de difficultés, dès lors que ce dernier lie les autorités, qu'il a été approuvé par le Conseil fédéral et que nous ne sommes pas fondés - sauf à nous exposer à aller droit dans le mur - à prendre des initiatives qui s'y avéreraient contraires. En revanche, il est prévu dans le plan directeur cantonal deux périmètres à moyen terme. On peut donc s'y lancer, ces deux périmètres sont dans la fiche 2/12 du plan directeur. Il s'agit d'une part de la Plaine de l'Aire, dans la commune de Confignon, et, d'autre part, du Plateau de Vessy, dans la commune de Veyrier. Je vous laisse le soin de répercuter, aux magistrats de ces deux communes, votre intérêt pour le développement de ces deux périmètres.

A un moment donné, il a été dit lors du débat qu'on ne pouvait avancer que par le biais de la concertation: oui et non. Oui, parce qu'il faut expliquer et convaincre. Non, parce que la concertation n'est pas possible si l'antagonisme est total. La concertation est possible pour améliorer un projet dont le principe est acquis, la concertation sur une opposition de principe aboutit forcément à un affrontement.

J'ai ressorti - et je le communiquerai à la commission d'aménagement du canton - les tableaux de bord qu'établit mon département pour suivre les processus de déclassements: aménagement du territoire, donc modification des limites de zones et plan localisé de quartier. Il y a, aujourd'hui, dans le pipeline du département, à tous les stades, depuis l'étude préalable jusqu'aux projets qui sont déposés devant vous, 14 900 logements. Et vous disposez des périmètres de tous ces logements. Nous verrons - mais cette fois-ci au pied du mur, pas avec des gesticulations politiques - quels sont les projets que vous allez soutenir, et à quel endroit ! Le problème est bien celui-ci: il est en effet assez facile, au demeurant normal, en période électorale, que vous m'attaquiez; mais, lorsqu'il s'agit, périmètre par périmètre, de faire avancer les projets, je vous demande, si vous êtes cohérents avec votre proposition de renvoi de cette motion au Conseil d'Etat, de me soutenir dans tous ces projets-là ! L'important aujourd'hui, c'est en effet de soutenir les projets qui s'inscrivent dans le cadre du plan directeur cantonal parce que ce sont ceux qui peuvent aboutir; c'est de soutenir les efforts du Conseil d'Etat, et de ne pas inventer de solutions totalement illusoires ! (Applaudissements.)

Présidence de Mme Marie-Françoise de Tassigny, présidente

La présidente. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. (La présidente est interpellée.) Monsieur Portier... non ! Non. (Exclamations. Brouhaha.)Nous sommes saisis d'une demande de renvoi au Conseil d'Etat. (Exclamations. Brouhaha. Vives protestations de M. Portier.)Monsieur le député, vous n'avez pas été personnellement mis en cause ! Monsieur le député, je vous rappelle à l'ordre: asseyez-vous !

Mesdames et Messieurs, nous allons nous prononcer sur la demande de renvoi de la proposition du rapport M 1499-A au Conseil d'Etat.

Mis aux voix, le renvoi du rapport M 1499-A au Conseil d'Etat est adopté par 48 oui contre 36 non.