République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 18 février 2005 à 17h
55e législature - 4e année - 5e session - 27e séance
P 1480-A et objet(s) lié(s)
Débat
La présidente. Nous passons au dernier objet du département, soit les pétitions 1480-A et 1492-A. Le rapporteur est M. Weiss. Monsieur le rapporteur, avez-vous quelque chose à ajouter à votre rapport ?
M. Pierre Weiss (L), rapporteur de majorité. A ce stade du débat - qui n'a pas commencé - rien du tout !
La présidente. M. le rapporteur de minorité Thion n'est pas encore arrivé à la table des rapporteurs... (Arrivée de M. Thion à la table des rapporteurs.)Ah, le voilà ! Monsieur le rapporteur de majorité, nous vous écoutons !
M. Pierre Weiss. Madame la présidente, je ne pourrai pas développer un argumentaire auquel je viens de dire que je n'avais rien à ajouter...
La présidente. La parole est donc à M. le rapporteur de minorité Thion !
M. François Thion (S), rapporteur de minorité. Madame la présidente, j'aimerais d'abord savoir de quelle pétition on parle, car il y en a deux.
La présidente. Monsieur le rapporteur de minorité, nous traitons des deux pétitions. Vous pouvez d'abord vous exprimer sur la première pétition, soit la P 1480-A, puis, selon l'ordre chronologique inscrit sur votre rapport, vous vous exprimerez sur la P 1492-A !
M. François Thion. Merci pour ces précisions, Madame la présidente. La première pétition concerne l'interdiction de travailler pour certains demandeurs d'asile déboutés. Cette pétition a été signée et appuyée par la Coordination asile.ge, que je tiens ici à remercier pour son travail d'information. Grâce à ses deux pétitions, on dispose en effet d'un certain nombre de données importantes qui manquent parfois de clarté.
Dans la première pétition, la Coordination asile.ge dénonce la législation fédérale, qui ne prévoit pas d'autorisation de travail pour les demandeurs d'asile déboutés. Elle dénonce également, comme de nombreux cas à Genève nous le démontrent, l'absurdité de cette loi: nombre de requérants déboutés, qui n'ont obtenu ni autorisation de travailler, ni permis de réfugié, doivent parfois attendre des mois avant de pouvoir retourner chez eux parce qu'ils n'obtiennent pas les papiers, les autorisations nécessaires pour cela. Jusqu'à présent, ces personnes avaient la possibilité de travailler chez nous. Or, un changement de politique de l'office cantonal de la population a contraint un certain nombre de ces requérants à ne plus pouvoir travailler et, partant, à être dépendants de l'assistance - ce qui a évidemment engendré des coûts pour l'Etat. Nous ne pouvons qu'appuyer les signataires de cette pétition. C'est, à mon sens, une question de dignité humaine. C'est pourquoi nous demandons le renvoi au Conseil d'Etat de la pétition 1480.
Quant à la pétition 1492, elle concerne les non-entrées en matière, soit des requérants d'asile auxquels on a immédiatement refusé d'entrer en matière parce que leurs dossiers ne tenaient pas la route. Avec la nouvelle politique du Conseil fédéral, ces gens n'ont évidemment plus le droit de travailler, mais ils ne bénéficient en outre que d'une aide d'urgence minimum en attendant leur renvoi chez eux. Cette aide d'urgence est vraiment minimum, puisqu'ils peuvent passer la nuit dans des baraquements militaires à côté de l'aéroport, mais ils sont obligés de quitter ces baraquements le matin à 9h; ils ont droit à un petit repas pendant la journée, mais ils ne reçoivent bien entendu pas d'argent de poche. Le problème que soulève cette pétition, c'est que ces requérants disparaissent sans même demander l'aide d'urgence. Il semblerait que plusieurs centaines de personnes aient ainsi disparu. On ne sait pas où ils sont passés: sont-ils devenus clandestins, ont-ils quitté la Suisse ou non, on l'ignore ! Il y a là un réel problème ! La pétition demande que le Conseil d'Etat agisse et que le parlement appuie ce dernier pour assouplir quelque peu la politique du Conseil fédéral.
Mme Esther Alder (Ve). M. Thion a parfaitement expliqué la situation, et les Verts soutiendront bien évidemment le rapport de minorité. Nous nous trouvons effectivement devant une situation tout à fait absurde, puisque l'on entend souvent la population accuser les demandeurs d'asile de tous les maux - notamment celui d'être oisifs, de ne vouloir rien faire. Or, là, on a affaire à des personnes qui travaillent, qui sont financièrement indépendantes et, à ces personnes, on va interdire toute activité pour les faire basculer dans l'assistance. Cette situation absurde, nous la dénonçons, et nous souhaitons vivement une intervention auprès du Conseil fédéral - lequel est à l'origine de cette loi.
Quant à la seconde pétition, certains pensent que, plus l'on créera des conditions d'accueil défavorables, plus l'on dissuadera les gens de venir sur notre territoire. De notre point de vue, non seulement cette façon de procéder est totalement inhumaine, mais elle conduit en outre souvent les personnes à devenir clandestines. Pour ces raisons, nous vous proposons également de soutenir le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat.
Mme Françoise Schenk-Gottret (S). Comme l'a dit M. Thion, il est regrettable que la majorité de la commission des pétitions ait refusé de renvoyer ces pétitions au Conseil d'Etat. Ç'aurait été un signal qui l'aurait encouragé dans sa politique qui, si elle n'est pas admirable, se démarque du moins des autres cantons - de Suisse alémanique notamment.
Interdire de travailler aux demandeurs d'asile déboutés et fabriquer des clandestins sont des problématiques très graves. Le Conseil d'Etat doit sentir que notre Grand Conseil est sensible à cette question et suit attentivement ces dossiers. Ce qui se passe au niveau fédéral est inquiétant et devrait vous faire réfléchir plus profondément. Les demandeurs d'asile sont toujours plus nombreux à être évacués par le couloir administratif de la non-entrée en matière. A l'heure actuelle, un tiers des demandeurs sont rejetés sans examen parce que les requérants ne possèdent pas de papier d'identité, que leurs récits de torture ne sont pas vraisemblables ou qu'ils proviennent de pays dits «sûrs». Parallèlement, la proportion de décisions positives ne cesse de baisser - environ 3% actuellement. Le fait que la plupart des recours déposés contre les décisions de non-entrées en matière aboutissent montre que l'Office fédéral des réfugiés est souvent négligent. Il y a, dans certains cantons, une volonté claire de dissuader les requérants de réclamer leurs droits. Ceux-ci sont mis à la porte de leur foyer sans qu'on les a informés de l'existence d'une aide d'urgence.
Au moment de la décision fédérale d'exclure de l'aide sociale les NEM - mesure entrée en vigueur le 1er avril 2004 - plusieurs cantons, dont Genève, ont tiré la sonnette d'alarme, craignant un report des charges de la Confédération aux cantons. Ces derniers se retrouvent en première ligne pour assurer une prise en charge minimale. La suppression de l'aide sociale risque sous peu de ne plus concerner les seules NEM. Selon M. Galetto, directeur de l'aide aux requérants d'asile à l'Hospice général, il existe bel et bien un transfert de charges. Si tous les requérants déboutés - ils seraient 350 à Genève - devaient être privés de l'aide sociale, la situation deviendrait ingérable. Et le chef du service asile à l'office cantonal de la population ose encore croire en la sagesse des politiciens... Si une telle mesure devait être prise, non seulement les coûts seraient importants, mais, surtout, l'ordre public serait fortement perturbé, selon ce monsieur.
Le Tribunal administratif du canton de Berne s'est appuyé sur l'article 12 de la Constitution fédérale pour rappeler que «quiconque est dans une situation de détresse et n'est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d'être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine». Cette décision, qui est une première, va au-delà du canton de Berne, et l'OSAR - l'Organisation suisse de l'aide aux réfugiés - souligne: «Le Tribunal a rappelé que le droit constitutionnel ne peut être soumis à condition. L'aide minimale ne peut donc être subordonnée à rien».
Ainsi, Genève, ville internationale qui héberge le Haut Commissariat aux réfugiés qui a dénoncé la politique de l'asile voulue par le conseiller fédéral UDC Blocher, Genève où se trouve le CICR d'où émane tout le droit humanitaire dont nous sommes fiers, Genève doit continuer de se démarquer de la politique honteuse de la Confédération. Le Conseil d'Etat doit se sentir soutenu dans sa politique, et lui renvoyer ces deux pétitions est un signe de notre parlement. Sans illusion sur le comportement de l'actuelle majorité, le groupe socialiste vous invite toutefois à renvoyer ces deux pétitions au Conseil d'Etat ! (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Madame la députée. La liste des intervenants est close. Sont encore inscrits Mme la députée Haller, M. le rapporteur Weiss ainsi que MM. les députés Iselin et Charbonnier.
Mme Jocelyne Haller (AdG). Le rapport de majorité relatif à ces deux pétitions me remplit d'amertume. J'étais absente pour cause de commission de grâce au moment du vote; je m'en tiens donc aux procès-verbaux et aux rapports de la commission pour comprendre le sort qui a été fait à ces deux pétitions. Il y apparaît qu'une grande majorité de commissaires s'accordait sur le fait qu'il vaut mieux travailler plutôt que d'émarger à l'assistance. Il eût donc été logique de voir tout au moins la P 1480 trouver un accueil favorable. Eh bien non... Car, rapidement, il a été question des requérants déboutés ou n'ayant pas revu leur demande prise en considération, qui présentent des antécédents judiciaires ou qui ont été en lien avec les milieux de la drogue. A ceux-là, la commission a voulu donner un message clair. C'est pourquoi elle s'est prononcée en faveur d'un dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil.
Arrêtons-nous deux secondes sur ce message - un message qui consiste à dire: «Débrouillez-vous pour survivre ! Prenez ce que nous vous donnons à contre-coeur, mais, surtout, ne travaillez pas ! Ne vous assumez pas !». A vrai dire, la portée pédagogique d'un tel message m'échappe. L'amalgame auquel les députés de la majorité de la commission ont procédé est particulièrement discutable. Il alimente et cautionne tous les lieux communs sur les candidats à l'asile... (Brouhaha. La présidente agite la cloche.) ...profiteurs et malhonnêtes. C'est une généralisation qui constitue une injure à l'encontre de toutes les victimes de la violence de certains Etats, une injure à toutes les victimes de l'oppression.
La problématique de l'asile est complexe; personne n'en disconvient. Mais elle ne se réglera pas en déniant leurs droits aux requérants d'asile. L'abus ne réside pas dans le fait de requérir l'asile, mais bien d'être contraint à l'exil. Alors, tant que notre gouvernement et d'autres instances ne pourront agir sur les causes qui conduisent des populations à l'asile, nous serons tenus, au nom de la plus élémentaire dignité qui est due à chaque être humain et en vertu de la Constitution fédérale, de garantir des moyens conformes à la dignité pour subvenir aux besoins vitaux de tous ceux qui viendront chez nous demander l'asile. Par besoins vitaux, il faut le rappeler, on entend en principe le gîte, le couvert, les soins. Or, il est un autre besoin, également vital, qui n'est généralement pas évoqué: c'est le besoin d'espoir. L'espoir d'échapper à la précarité; l'espoir d'un avenir. Mais comment le construire ici ou ailleurs si le sol se dérobe sous leurs pieds ? Ils sont déboutés. Après des mois, des années d'attente, on leur refuse le droit d'asile. Dès lors, ils perdent le droit de travailler. Ils doivent partir; ils sont censés partir. Mais, pour beaucoup, leur gouvernement leur refuse des papiers nationaux. Ils se trouvent donc obligés de sortir de notre pays et empêchés de rentrer dans le leur. Alors, que faire ? Rester ? Mais rester sans être autorisé à travailler ? Sans droit, sans possibilité de s'inscrire au chômage alors qu'ils y ont dûment cotisé mais qu'ils ne peuvent en bénéficier parce qu'ils ne sont pas plaçables, parce qu'ils ne sont pas autorisés à travailler ? Tout ce qui a été construit, tout ce qui a été reconstruit s'effondre. Il ne reste plus qu'à partir - encore une fois, partir. Dans cette attente, que reste-t-il ? Eh bien, il reste l'assistance - l'assistance dont beaucoup ici se plaignent de la charge qu'elle représente; dont d'autres encore n'hésitent pas à leur reprocher d'en user, voire d'en abuser.
Alors, il faut savoir ce que nous voulons. La minorité de la commission le sait, elle qui voulait donner une suite favorable à ces pétitions. La majorité de la commission, en revanche, ne sait pas ou, du moins, développe un discours contradictoire: Genève, terre d'asile, mais si possible inhospitalière... moins d'assistance, mais on interdit de travailler à ceux qui pourraient y échapper... Mesdames et Messieurs les députés, le ridicule ne tue peut-être plus, mais il peut encore faire de gros dégâts !
Permettez-moi de vous rappeler encore que l'assistance au tarif des requérants d'asile est constituée de montants... (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)...que ce même parlement a jugé impropre pour subvenir aux besoins vitaux du reste de la population. Rappelez-vous: c'était nous-mêmes, ici, en février 2004, lors du vote sur la modification de la loi sur l'assistance. Mais là, on ne parle pas des mêmes - les mêmes que nous évoquons. Parce qu'à ceux-là, c'est encore avec moins d'argent qu'on leur demande de survivre et de préserver leur dignité. Il y aurait donc, à Genève, autant de seuils de dignité qu'il y a de seuils de minimum vital... Voilà une bien étrange conception de la dignité ! La dignité, comme la morale, ne peut être élastique. Apparemment, tout le monde n'est pas de cet avis-là... Aux mêmes, on signifie: «Débrouillez-vous pour retourner dans votre pays; pour partir n'importe où, mais partir». Voilà, très grossièrement, le message qui leur est adressé. Dans cette attente, ils ont la possibilité de dormir dans un abri. La journée, ils doivent le quitter, et ils ont l'équivalent en nature de quinze francs par jour pour subvenir à leurs autres besoins. Pour le reste - leur détresse, le risque de basculer dans la clandestinité avec tous les aspects que cela peut revêtir - on ne veut pas en entendre parler. Pas plus que l'on ne veut entendre le personnel et les organismes d'entraide lorsque ces derniers dénoncent les conditions d'hébergement des requérants d'asile dans d'anciens baraquements militaires - ceux de la voie des Traz.
La présidente. Il vous faudra bientôt conclure, Madame la députée !
Mme Jocelyne Haller. Je vais conclure, Madame la présidente ! Il aura donc fallu que des canalisations sautent, que des sanitaires ne fonctionnent pas pour que l'on s'offusque des conditions de logement des NEM et qu'on les loge décemment. Cela veut-il dire qu'il faut que la misère soit visible pour qu'elle nous fasse honte et que, dans le cas contraire, on s'arrange avec sa conscience ? On conjugue amnésie et insalubrité pour dissuader les NEM de faire appel à l'aide d'urgence. Cette surdité n'est pas digne de la Genève humanitaire ! Cet autisme, cette politique-là n'est pas digne de notre Etat ! C'est pourquoi, au nom de l'AdG, je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à ne pas suivre le rapport de majorité, mais à adresser ces deux pétitions au Conseil d'Etat ! (Applaudissements.)
M. Robert Iselin (UDC). J'admire et j'apprécie à sa juste valeur l'humanité dont fait preuve Mme Haller. Néanmoins, j'aimerais tout de même lui rappeler que Genève, du moins en principe, se trouve en Suisse. Or, une loi fédérale a été votée ! La Suisse, c'est 7 millions d'habitants. A vous entendre, parce qu'elle est riche, parce qu'elle a travaillé très dur, elle devrait accueillir tous les réfugiés de la Terre. Ceux qui sont poursuivis parce qu'ils risquent d'être assassinés seront toujours accueillis. Mais tous les réfugiés dits... (M. Iselin cherche un terme.)il existe un terme spécial pour cela...
Une voix. Pour des raisons économiques !
M. Robert Iselin. Les... les demandeurs d'asile pour des raisons économiques, eh bien non, ce n'est pas possible de les accueillir ! Ce n'est tout simplement pas possible !
M. Alain Charbonnier (S). Peut-être M. Iselin n'a-t-il plus beaucoup de mémoire... Il y a quelques minutes, Mme Schenk-Gottret nous a lu un bref passage d'une loi suisse - la Constitution - dont l'article 12 précise: «Quiconque est dans une situation de détresse et n'est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d'être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine». Alors, Monsieur Iselin, avant de nous donner des leçons sur la loi - et sur la loi suisse en particulier - vous feriez mieux de la lire complètement !
A ce sujet, Michèle Künzler, Christian Bavarel et moi-même avons eu l'occasion de nous rendre le mois passé - le 27 janvier - à la voie des Traz où sont «logés» ceux que l'on appelle malheureusement les NEM - les non-entrées en matière. Comme c'était un jour de bise, lorsque nous sommes arrivés, on nous a dit: «Oui, c'est parce qu'il fait un grand froid». On avait effectivement bien froid dans la cuisine, car il n'y avait pas de chauffage du tout et qu'il n'y avait pas d'eau non plus parce que les canalisations avaient sauté... Nous nous sommes ensuite rendus aux toilettes - même si ce n'était pas vraiment des toilettes, mais des sanitaires, pour être précis, pour moi, ça ressemblait plus à des toilettes qu'à des sanitaires. A nouveau, il n'y avait pas d'eau du tout et, sur les huit WC présents, six étaient gelés, donc inutilisables - et cela, à moyen terme, et pas uniquement le jour même de notre visite. On a ensuite pu visiter les dortoirs... (Commentaires de M. Catelain.)Monsieur Catelain, écoutez un peu, car cela pourrait vous intéresser ! Vous apprendriez certaines choses ! Nous avons donc pu visiter les dortoirs. A l'origine, ces dortoirs étaient divisés en plus petites chambres. Malheureusement, je ne sais pas qui, mais l'on s'est amusé à saccager l'endroit avant l'arrivée de ces personnes, qui logent maintenant à quinze ou seize dans des locaux qui, ce jour-là, empestaient le mazout et où je ne serais franchement pas resté deux heures de plus. Ces dortoirs sont fermés la journée - même en ces temps de grand froid. On leur avait généreusement ouvert la cuisine - non chauffée, je vous rappelle, et avec des trous béants dans les planches en bois... Alors, quand j'entends que, lorsqu'il fera un peu moins froid, on compte prochainement remettre ces gens dans ces locaux, je suis prêt - et je pense que des journalistes le seront également - à retourner voir sur place voir de quelle manière on traite les requérants d'asile dans notre pays avec toutes les belles lois qui sont les nôtres, Messieurs Iselin et Catelain !
Nous ferons tout pour que la dignité humaine - soit le minimum qui est demandé dans la Constitution - soit respectée dans notre pays. On ne demande pas non plus des mille et des cents pour ces personnes, car on comprend bien que la loi fédérale oblige le Conseil d'Etat à suivre certains principes. Nous soutenons totalement ce dernier dans sa démarche, mais nous serons également très attentifs à ce que la dignité humaine soit respectée - et c'est le minimum dans ce pays ! (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le député Iselin. (Protestations.)
M. Robert Iselin (UDC). Mais j'ai le droit de répondre !
Des voix. Mais non, arrête !
M. Robert Iselin. Je pense que mon collègue Charbonnier ferait bien d'aller prendre des cours de droit... En effet, l'article 12 de la Constitution helvétique parle de détresse. Or, les demandeurs d'asile pour des raisons économiques ne se trouvent pas en état de détresse ! Un point c'est tout !
La présidente. La parole est à M. le député Charbonnier, après quoi je passerai la parole à M. le rapporteur de majorité Weiss.
M. Alain Charbonnier (S). Monsieur Iselin, je vous ai lu l'article 12 de la Constitution et je parlais bien de détresse. Vous irez voir à la voie des Traz ce qui se passe: moi, j'appelle cela de la détresse, Monsieur Iselin !
La présidente. Merci, Monsieur le député. Monsieur le rapporteur de majorité Weiss ?
M. Pierre Weiss (L), rapporteur de majorité. Sur ces deux pétitions qui posent un problème sérieux, il me paraît inutile de faire monter de façon peu agréable et peu digne la voix. Je tiens simplement à ajouter deux points plaidant en faveur du dépôt de ces pétitions sur le bureau de notre Grand Conseil.
D'abord, en ce qui concerne la pétition 1480, comme vient de le rappeler l'un de nos collègues socialistes et comme l'avait déjà signalé un commissaire socialiste, il existe une législation fédérale qu'il s'agit de respecter, et la secrétaire adjointe du DJPS en charge du dossier qui avait été auditionnée lors des travaux de la commission nous a assuré que la dignité humaine était respectée. Alors, il est tout à fait possible qu'un jour sur trois cent soixante-cinq, les conditions de vie soient plus particulièrement difficiles pour les personnes concernées, mais il ne s'agit pas là de tirer d'une exception une règle.
S'agissant ensuite de la pétition 1492, pardon, contrairement au reproche d'amalgame fait tout à l'heure par l'une de nos collègues, je crois qu'il s'agit au contraire de faire preuve d'esprit de distinction: de distinguer, au fond, parmi les personnes visées par la pétition, le bon grain de l'ivraie, si vous me permettez l'expression. (Brouhaha.)L'audition de l'Hospice général nous a ainsi permis d'apprendre que, sur les 241 cas de non-entrée en matière antérieurs au 1er avril 2004, 124 sont des célibataires avec antécédents judiciaires - souvent pour des affaires de drogue.
Il aurait été préférable que les personnes ayant déposé ces pétitions fassent preuve d'une plus grande prudence s'agissant des populations dont elles entendaient assurer la défense. Cela aurait certainement amené la majorité de la commission à agir, à réagir ou à analyser le sort de ces populations avec une plus grande sympathie. Mais, en l'occurrence, compte tenu, d'une part de la législation fédérale, d'autre part des amalgames involontaires mais tout de même existants auxquels ont procédé les pétitionnaires, le dépôt sur le bureau de ce Grand Conseil s'impose. C'est ce que je propose à la majorité de ce Grand Conseil !
La présidente. Merci, Monsieur le rapporteur de majorité. La parole est à M. le rapporteur de minorité Thion.
M. François Thion (S), rapporteur de minorité. Notre demande de renvoi au Conseil d'Etat ne constitue pas un soutien aux trafiquants de drogue. Nous sommes tout à fait conscients que, parmi les gens qui font l'objet d'une non-entrée en matière, certains font du trafic de drogue. Je suis cependant convaincu que ce n'est pas le cas de tous et, s'il ne devait y avoir qu'une, deux ou trois familles qui ne sont pas mêlées à des histoires de drogue et qui doivent subir ce traitement inhumain, rien que pour cela, cela vaut la peine de renvoyer ces deux pétitions au Conseil d'Etat !
Par ailleurs, le renvoi de ces pétitions au Conseil d'Etat ne doit pas être compris comme une critique de la politique menée par ce dernier. Le Conseil d'Etat fait tout ce qu'il peut, dans le cadre de ses discussions avec le Conseil fédéral, pour tenter de mener la politique la plus humaine possible en la matière. Ce renvoi au Conseil d'Etat, c'est à la fois une manière de soutenir notre Conseil d'Etat et une manière de critiquer fermement la politique inhumaine du conseiller fédéral Blocher en matière d'asile. Voilà pourquoi je vous appelle à voter le renvoi des deux pétitions au Conseil d'Etat !
La présidente. Merci, Monsieur le rapporteur de minorité. Je passe la parole à M. le conseiller d'Etat Unger.
M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. J'interviendrai plutôt sur la seconde pétition - ma collègue Micheline Spoerri vous donnant, le cas échéant, un ou deux détails supplémentaires s'agissant de la première. Ces deux pétitions touchent des sujets notablement différents et, même si le temps est avancé, la première chose qu'il convient peut-être de rappeler, c'est que le pire des services que l'on puisse rendre à une cause - quelle qu'elle soit - c'est de la mélanger avec d'autres causes de nature différente. S'agissant par exemple de l'initiative prise par le Conseil d'Etat pour octroyer des conditions générales de régularisation au cas par cas de personnes travaillant clandestinement dans l'économie domestique, cela n'a rien à voir avec le sujet d'aucune des deux pétitions. Quant à la première pétition, relative aux interdictions de travail par l'OCP, elle n'a rien à voir avec la pétition suivante qui concerne les NEM. Il est très important de ne pas mélanger ni les termes, ni les problèmes sous peine de générer des amalgames allant à effet exactement contraire de ceux que la majorité de ce parlement entend atteindre - soit le respect à la fois des lois et de la dignité humaine.
Il est vrai qu'en matière de cette situation nouvelle pour nous que sont les non-entrées en matière - cet horrible terme de NEM - nous découvrons ce qu'est la perplexité d'un gouvernement qui doit dans le même temps appliquer les règles d'un Etat de droit - à savoir, le droit supérieur décrété par une loi fédérale votée de manière complètement démocratique - et en gérer les effets pervers - effets pervers si prévisibles que notre gouvernement s'était de manière unanime et répétée opposé aux propositions faites lors de la consultation. Vous ne pouvez pas demander à l'Exécutif de ce canton de se soustraire à une législation fédérale car, si nous voulons respecter l'Etat de droit pour les autres, il conviendrait d'abord de montrer l'exemple et, par conséquent, de respecter les lois quand bien même ces dernières ne nous conviennent pas et qu'elles entraînent des effets pervers.
Alors, ces effets pervers, il n'y avait pas besoin d'avoir fait Saint-Cyr ni même l'une de nos écoles polytechniques pour imaginer que ce serait vraisemblablement la fuite dans la nature d'un certain nombre de personnes qui ont «maléficié» - parce que l'on ne peut tout de même pas parler de «bénéficier» - d'une situation de NEM. Et ceci se vérifie - ceci se vérifie par des chiffres. Depuis l'entrée en vigueur de cette nouvelle loi, ce sont un peu plus de 400 situations de non-entrée en matière - je n'ai pas le chiffre exact en tête - qui ont été attribuées à Genève. Ce sont un peu plus de 50 personnes qui restent dans des baraquements dont je concède qu'ils sont inconfortables - mais je reviendrai à l'épisode récent tout à l'heure - et ce sont 8 personnes qui ont quitté la Suisse. Une cinquantaine de personnes à quoi s'ajoutent 8 départs, cela fait 60 sur un total d'un peu plus de 400. Cela signifie qu'il y a entre 350 et 400 personnes qui ont le statut de NEM dont on n'a plus la trace. Mais le fait de ne plus en avoir la trace participe de deux responsabilités: il participe de ce que je considère personnellement comme une absurdité ayant prévalu à la décision de créer la voie législative de cette situation de NEM, mais il participe également de la responsabilité des milieux de l'aide sociale auxquels nous disons depuis huit mois, lors de nos rencontres répétées avec la délégation du Conseil d'Etat aux réfugiés, d'appliquer le monitoring car seul ce dernier montrera les effets pervers de cette loi. Mais l'absence de monitoring, probablement pensé avec une certaine bonne volonté au vu des qualités résolument angéliques des services sociaux, fait que nous ne savons rien de ces gens dont plus de la moitié se trouvent vraisemblablement encore à Genève, dont plus de la moitié touchent vraisemblablement, non une aide sociale classique, mais des aides par le biais d'oeuvres d'entraide caritative et qui consacreront peut-être du temps et de l'énergie pour se soigner - car un certain nombre d'entre eux sont malades. L'UMSCO - l'Unité mobile de soins communautaires - devrait donc pouvoir les repérer. Bref, nous avons répété l'importance que le Conseil d'Etat entend porter au monitoring si l'on veut tirer des conclusions - et l'angélisme qui a prévalu à la non-mise en oeuvre de ce monitoring est évidemment complètement contre-productif.
Deux mots encore pour ceux qui ont évoqué les familles. Il est vrai, Monsieur Thion, que, s'il y avait des familles, la situation serait particulière. Vous connaissez la sensibilité du DIP en particulier, mais également de tout le Conseil d'Etat à cet égard. Or, ce n'est pas le cas ! Les personnes au «maléfice» d'une situation de non-entrée en matière sont en général des hommes; ils sont jeunes et proviennent, soit d'Afrique de l'Ouest, soit, pour une partie d'entre eux, de telle ou telle contrée de l'ancienne Union soviétique. Ils ne peuvent pas être confondus avec les travailleurs du secteur domestique qui, pour 85% d'entre eux, sont sud-américains et, pour quelques autres pourcents, philippins. Il s'agit par ailleurs soit de familles, soit, le plus souvent, de jeunes femmes seules. Il ne faut pas croire que l'on ne peut pas séparer ces différents problèmes. Si des familles étaient concernées, vous savez fort bien que le Conseil d'Etat y serait particulièrement attentif.
Un dernier mot sur les conditions d'hébergement. La limite de la dignité est difficile à poser, mais vous avez raison, Monsieur Charbonnier: dans la situation du Bois-Brûlé que vous décrivez, il est clair que l'on se trouve plus près de la limite que du sommet. Quand j'ai été prévenu, un matin vers 7h50, par le député Bavarel de la situation qui prévalait au Bois-Brûlé, j'ai immédiatement et personnellement pris les mesures nécessaires pour que l'Hospice général - qui est responsable de ce secteur - envisage des solutions. Devant une certaine lenteur - probablement due au zèle des fonctionnaires pour trouver la meilleure solution - j'ai pris moi-même et de manière quelque peu abrupte une décision qui a permis de reloger ces 50 personnes dans des conditions qui sont loin d'être extraordinaires, mais qui sont en tout cas beaucoup plus compatibles avec le respect de la dignité que la situation qu'ils devaient impérativement quitter dans la journée.
Alors, Mesdames et Messieurs les députés, ne nous faisons pas, autour de cette affaire, de faux procès ! Notre ligne sera constante. Le droit fédéral devra être respecté, mais nous ferons ce qui est nécessaire pour que les mesures de l'article 12 de la Constitution le soient également. Mais, de grâce, vous qui avez des liens avec les milieux associatifs, aidez-nous à obtenir les éléments du monitoring qui, seuls, seraient, à terme, capables d'infléchir la législation actuellement en cours ! (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous allons procéder au vote sur ces deux pétitions. Je mets en premier lieu aux voix les conclusions de la commission des pétitions s'agissant de la pétition 1480-A.
Une voix. Madame la présidente, je demande l'appel nominal ! (Appuyé.)
La présidente. L'appel nominal a été demandé, nous allons y procéder. Celles et ceux qui acceptent les conclusions de la commission des pétitions répondront oui, celles et ceux qui les refusent répondront non.
Mises aux voix à l'appel nominal, les conclusions de la commission des pétitions (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont rejetées par 34 non contre 32 oui.
(Une panne du système informatique a empêché l'impression de la liste des votants.)
La présidente. Je mets maintenant aux voix, toujours à l'appel nominal, le renvoi de la pétition 1480-A au Conseil d'Etat.
Mis aux voix à l'appel nominal, le renvoi de la pétition 1480-A au Conseil d'Etat est adopté par 36 oui contre 33 non.
La présidente. Nous passons maintenant à la pétition 1492-A. Je mets aux voix les conclusions de la commission des pétitions s'agissant de cette pétition. Nous procéderons à nouveau par appel nominal.
Mises aux voix à l'appel nominal, les conclusions de la commission des pétitions (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont rejetées par 35 non contre 34 oui.
La présidente. Je mets maintenant aux voix le renvoi de la pétition 1492-A au Conseil d'Etat.
Mis aux voix à l'appel nominal, le renvoi de la pétition au Conseil d'Etat est adopté par 35 oui contre 34 non.