République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1500
Proposition de motion de Mmes et MM. Sylvia Leuenberger, Morgane Gauthier, Michèle Künzler, Ueli Leuenberger, Antonio Hodgers, Anne Mahrer, Esther Alder, Christian Bavarel, Stéphanie Nussbaumer sur le suivi du démantèlement de Superphénix à Creys-Malville

Débat

Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Cette motion est également un peu ancienne puisqu'elle date de novembre 2002. Je voulais dire en préambule que, même si nous demandons des informations à ce sujet, nous sommes tout à fait soulagés et contents que le surgénérateur de Creys-Malville ne fonctionne plus. Juste pour rappel, cette centrale était l'une des plus importantes en termes de puissance radioactive parmi les centrales industrielles du monde.

La situation actuelle est la suivante. Il y a sept ans, le gouvernement Jospin a décidé de fermer Creys-Malville avec un plan de démantèlement qui devait s'étendre sur vingt ans. Aujourd'hui, il reste sur le site 14 tonnes de plutonium stockées sur place; il n'y a pas de solution pour les éliminer, La Hague ne retraitant plus le plutonium. Le réacteur ne peut pas être démonté avant, justement, que les 5'500 tonnes de sodium liquide soient extraites. Le sodium, je le rappelle, s'enflamme spontanément au contact de l'eau et explose au contact de l'air. C'est donc un matériau extrêmement difficile à maîtriser et les techniques à employer sont compliquées. Il faudra environ dix ans afin de retirer ce sodium pour que l'on puisse enfin supprimer le réacteur de Creys-Malville. A la fin de cette opération, le plutonium restera sur place, parce que personne ne sait qu'en faire. J'ajoute encore qu'un milligramme de plutonium inhalé peut entraîner un cancer.

Au vu de tous ces dangers potentiels localisés sur un site distant de moins de 70 kilomètres de Genève, nous nous préoccupons de savoir où en est le gouvernement français quant à ce démantèlement. Nous voudrions que le Conseil d'Etat demande si les mesures prises pour démanteler tous ces produits hautement toxiques, radioactifs et dangereux sont les bonnes. Nous voudrions que le gouvernement intervienne dans ce sens. S'il ne le peut pas directement en tant que gouvernement cantonal, rien ne l'empêche de s'adresser aussi aux autorités fédérales pour obtenir ces explications. Nous voudrions être rassurés sur la sécurité de toute une région dans le cadre du démantèlement de cette centrale si proche de nous. (Applaudissements).

M. Rémy Pagani (AdG). Le sujet que nous abordons aujourd'hui a ceci de caractéristique que nous serons tous morts qu'il en sera encore question - on en parle certes beaucoup moins aujourd'hui qu'à une époque.

Comme Mme Leuenberger l'a dit, des milliers de tonnes de plutonium sont stockées sur ce site. Et ce plutonium, il faudra le réduire et le gérer ! Des générations et des générations, et encore des générations après la nôtre seront confrontées à ce problème ! Je parle ici pour le Mémorial, au cas où certains, dans plusieurs générations, auraient la chance eux aussi de pouvoir le consulter. Eh bien, nos descendants devront gérer ce que nous avons cru bon de mettre sur pied, c'est à dire un surgénérateur, Superphénix, complètement foireux.

En l'occurrence, c'est d'une «usine à gaz» qu'il s'agit, puisque Superphénix n'a fonctionné que très peu de temps en produisant une masse de déchets hautement toxiques et radioactifs qui devront être gérés par plusieurs générations après nous.

Bien qu'elle date un peu - par rapport aux effets du plutonium, évidemment que deux ans ne sont rien - cette motion doit être renvoyée en commission de l'énergie et SI pour que nous ayons les moyens de vérifier la situation... (L'orateur est interpellé.)Je trouve beaucoup plus utile de la renvoyer en commission, mais si vous voulez la renvoyer directement au Conseil d'Etat, il serait intéressant que les députés aient aussi des informations et puissent également convoquer un certain nombre de personnes. Bien, je propose le renvoi au Conseil d'Etat pour qu'il n'y ait pas de problème.

Cela étant, il y a une autre question vient s'ajouter à celle de Superphénix, c'est cette nouvelle «usine à gaz» que les Français ont découverte: je pense à la centrale de Tricastin. Cette centrale posera encore plus de problèmes que Superphénix. Je proposerais donc de rajouter une invite à cette motion pour que le Conseil d'Etat se penche également sur cette «nouvelle usine» - et c'est un bien beau terme pour ces exercices de haute voltige scientifique... - que le gouvernement français vient de décider de réaliser.

Alors, si nous renvoyons directement cette motion au Conseil d'Etat, je propose d'ajouter une invite lui demandant de se préoccuper aussi de ce qui est entrepris à Tricastin.

M. Alberto Velasco (S). Beaucoup de choses ont déjà été dites, mais il y en a une chose à ajouter. Ces installations présentent une particularité bien à elles : effectivement, le risque d'accident est infiniment petit, mais, quand l'accident se produit, le risque de catastrophe est infiniment grand. C'est l'un des paradoxes de l'industrie nucléaire.

On peut lire plusieurs articles qui mentionnent que ces installations nucléaires polluent très peu; c'est exact, mais quand une catastrophe se produit la pollution est majeure.

Le problème de ces installations, c'est que lorsque le risque infiniment petit se produit, il n'y a aucun moyen de contrôler cette pollution. Je tiens à dire que nous subissons toujours les retombées de ce qui est arrivé à Tchernobyl.

L'exposé des motifs de cette motion nous indique que ces installations ont toujours connu des accidents, car il s'en produit toujours dans ces centrales. Paradoxalement, il n'y a aucun contrôle civil dans ces installations. Ayant eu l'occasion de visiter Mühleberg quand je faisais des études dans le domaine énergétique, j'ai eu la surprise assez terrible de constater que les habitants des environs de la centrale ainsi que leurs autorités politiques n'étaient pas associés et ne recevaient aucune information sur ce qui se passait dans ces installations, qui présentent un danger certain pour l'humanité.

Par conséquent, Mesdames et Messieurs les députés, je trouve que cette motion est bienvenue et je ne pense pas qu'elle relève de positions idéologiques de droite ou de gauche. Les risques ici sont encourus par des gens de gauche comme de droite, par des écologistes et de non écologistes. Je crois donc que nous pouvons tous adhérer à cette motion et la renvoyer au Conseil d'Etat.

M. Renaud Gautier (L). Je constate avec bonheur que Creys-Malville est un sujet qui continue à intéresser ce parlement. J'ai souvenir que, dans quelque vie antérieure, le président du Conseil d'Etat et moi-même signions et faisions signer ce qui s'appelait à l'époque, aussi, «l'Appel de Genève» - c'était le premier - sur cette problématique de Creys-Malville. J'ai cru aussi comprendre que quelques députés de ce parlement s'étaient essayés au «lance-Nissim» contre cette centrale...

Je souhaiterais quand même que l'on sache raison garder. J'entends bien et je reconnais ce qu'ont dit les différents interlocuteurs sur le danger de cette expérience qu'a été la présence d'un surgénérateur à proximité de Genève. C'est, en effet, suite à l'opposition à Creys-Malville qu'a été inscrite dans la Constitution genevoise l'interdiction de construire une centrale nucléaire à Genève. Il faut, encore une fois, raison garder: renvoyer cette motion au Conseil d'Etat, soit ! Mais l'interlocuteur privilégié est la Confédération plutôt que nos collègues d'outre frontière. Renvoyer cette motion au Conseil d'Etat: évidemment; attendre de celui-ci qu'il se renseigne auprès des autorités fédérales: probablement; développer cette motion en y intégrant quelques nouveaux développements français comme la centrale de Tricastin - qui concerne, mon cher collègue qui discutez, le retraitement du plutonium - me semble dépasser un peu le sens et l'esprit de cette motion.

M. Patrick Schmied (PDC). Dans la série «Le Grand Conseil demande des choses au Conseil d'Etat», nous sommes favorables au renvoi de cette motion au Conseil d'Etat, dans la mesure où, effectivement, il est d'un intérêt certain pour la population genevoise d'être informée par les voies officielles de ce qui se passe du côté de Creys-Malville.

Nous sommes donc en faveur du renvoi au Conseil d'Etat. A titre personnel, je me permettrai de recommander à nos amis Verts de faire profiter le Conseil d'Etat de leurs lumières, de leurs contacts et de toutes leurs connaissances; ils sont en prise directe, et je suis sûr qu'ils sauront guider la recherche de notre gouvernement.

M. Robert Cramer, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, c'est bien sûr avec plaisir que je prends connaissance de cette motion...

Elle a été déposée le 25 novembre 2002, c'est-à-dire il y a bientôt deux ans. La première fois qu'elle est parue à l'ordre du jour du Grand Conseil était le 13 décembre 2002 - j'ai ici le texte de la motion sur lequel mon secrétariat met un coup de tampon pour indiquer la présence à l'ordre du jour du Grand Conseil d'un objet... Vous voyez que celui-ci attend depuis longtemps.

Cela dit, cette motion est toujours d'actualité. Elle l'est d'autant plus que le programme de déconstruction de Creys-Malville s'étendra sur vingt à vingt-cinq ans. C'est dire que, si nous avions traité cette motion un peu plus tard encore, nous aurions tout de même été tout à fait dans l'actualité...

Plus sérieusement, sur la question, soulevée par les uns et les autres, de l'information de la population, il faut savoir qu'il existe une commission locale d'information qui a été mise en place autour de la centrale de Creys-Malville, commission à laquelle sont associés les habitants, bien sûr, une série de mouvements associatifs, et également le canton de Genève qui y est observateur. Alors, les informations, nous les avons. Il nous sera donc assez aisé de répondre à cette motion. Du reste, si l'on prolongeait ce débat d'un grand nombre de minutes, je pourrais vous lire les notes que j'ai à ce sujet. Le Conseil d'Etat répondra donc très volontiers aux questions que se posent les motionnaires.

Le président. Nous allons voter tout d'abord sur l'amendement de M. Pagani. Compte tenu de son dépôt récent, l'amendement n'a pu être distribué qu'aux chefs de groupes. Je vous le lis, il s'agit d'ajouter l'invite suivante : «que le Conseil d'Etat se préoccupe aussi d'informer le Grand Conseil de l'avancement du dossier de Tricastin.»

Mis aux voix, cet amendement est adopté 43 oui, 31 non et 1 abstention.

Mise aux voix, la motion 1500 ainsi amendée est adoptée par 48 oui contre 21 non et 6 abstentions.