République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 21 octobre 2004 à 17h
55e législature - 3e année - 12e session - 70e séance
PL 9122-A
Premier débat
M. Blaise Matthey (L), rapporteur de majorité. Monsieur le président, ce sera bref. Mesdames et Messieurs les députés, le but de ce projet de loi - comme vous l'avez bien constaté - est d'encourager l'utilisation des produits du terroir genevois en les valorisant et d'assurer ainsi la pérennité de l'agriculture genevoise, que l'on veut être une agriculture de proximité et de qualité.
Le véritable enjeu de ce projet de loi est là: en sachant que la concurrence est de plus en plus rude dans le domaine agricole, il faut tenter de faire en sorte que nos produits puissent être reconnus pour leur valeur, et que le consommateur soit amené à traduire dans les faits son attachement à une agriculture de proximité.
La loi n'a pas pour objectif de régler toutes les questions sociales et environnementales liées à l'agriculture, mais elle fixe des garde-fous; la promotion ne se fera que pour les produits d'exploitations agricoles qui les respectent. D'autres cantons - comme le canton du Tessin et le canton de Vaud - ont adopté des lois similaires à celle-ci; Genève doit le faire pour éviter la disparition d'un trop grand nombre d'exploitations agricoles.
Mme Françoise Schenk-Gottret (S), rapporteuse de minorité. Comme vous l'avez lu dans ce rapport de minorité, notre «non» à ce projet de loi porte sur deux sujets bien définis: les ouvriers agricoles et le fonds de compensation.
Ce projet de loi, de par son caractère programmatique - caractère voulu - touche deux problématiques qui tiennent à coeur à la gauche de ce parlement. Tout d'abord, le statut des travailleurs agricoles: ceux-ci ne sont pas au bénéfice d'une convention collective de travail; ils sont payés 3000 F par mois, moins 300 F pour leur logement, et travaillent quarante-neuf heures par semaine dans de rudes conditions. Toute négociation pour une CCT a échoué jusqu'ici. J'ai cru comprendre qu'on parlait d'une semaine de cinquante-deux heures...
Un autre problème qui nous a alertés et qui n'est pas négligeable est celui des soi-disant stagiaires qui viennent de Pologne, de Biélorussie et d'Ukraine. Il n'y en a pas à Genève, mais la Suisse allemande utilise ces faux stagiaires, qui sont en réalité un sous-prolétariat déguisé. «Le Temps» et «Le Courrier» d'aujourd'hui se font l'écho d'une décision de Berne, qui ouvre nos frontières à ces travailleurs non qualifiés pour une durée de quatre mois. Voilà qui illustre parfaitement non pas les risques, mais le réel dumping social, sur lequel nos autorités ferment les yeux...
Je passerai rapidement sur le refus des articles 22 et 33, qui esquivent une grave problématique d'aménagement du territoire et l'alimentation d'un fonds de compensation par une taxe sur la plus-value foncière. Pour cette raison, le groupe socialiste a déposé le projet de loi 9178, actuellement en discussion à la commission de l'aménagement.
Enfin, nous présenterons en temps voulu une série d'amendements - ils sont dans le rapport de minorité - dont le refus est programmé par la majorité de ce parlement. Nous refuserons donc ce projet de loi.
M. Jean Spielmann (AdG). Ce projet de loi a plusieurs objectifs. Le premier est louable, celui du soutien à l'agriculture et de la traçabilité des produits - différents problèmes qui ont été débattus en commission et dont vous trouverez des explications dans le rapport de majorité. Nous partageons une bonne partie des soucis qui ont été ceux des milieux agricoles.
L'autre partie du problème concerne le volet social et de l'emploi, tel qu'il a été décrit par le rapport de minorité. Il a été proposé en commission une série d'amendements, pour tenter de mettre sur pied un minimum de législation sociale dans ce domaine. On pourrait discuter beaucoup plus longuement sur les conditions de travail et les conditions salariales de ce milieu. Il s'agit bien sûr de mettre en place le minimum des minimums, et c'est ce qui est proposé dans le rapport de minorité.
A moins que ne soient acceptés ces amendements et l'ensemble des propositions du rapport de minorité, qui fait de ce projet de loi un tout cohérent qui touche le problème de l'agriculture en soi, mais aussi celui de l'emploi et des relations de travail dans ce secteur-là, nous ne voterons pas le projet de loi que nous propose le rapport de majorité actuel, car il ne tient pas compte de la totalité du problème et ne touche qu'un seul aspect.
M. Christian Bavarel (Ve). Si les Verts soutiennent ce projet de loi, il y a quelques raisons. En début de législature, nous avions voté des mesures d'urgence par rapport à l'agriculture, suite à l'arrivée d'un contrat type. Les conditions des ouvriers agricoles dans notre canton sont certes difficiles, mais il existe un contrat type - qui a été imposé à l'agriculture - qui offre un salaire minimum de 3000 F par mois. Il est certain que ce n'est pas une somme importante et qu'il est difficile de vivre avec ce montant-là par mois à Genève, mais c'est le plus haut salaire agricole en Suisse, par conséquent aussi sur la planète.
Les produits agricoles genevois sont en concurrence avec ceux qui viennent de l'étranger; les conditions de travail sont certes difficiles, mais les milieux agricoles genevois ont été prêts à faire un effort: ils n'ont pas contesté ce contrat type et ont dit qu'ils allaient le respecter et payer leurs ouvriers à ce prix-là. Les milieux agricoles nous ont aussi dit qu'ils étaient d'accord qu'il y ait, un jour ou l'autre, une convention collective de travail. Pour l'instant les négociations posent problème au niveau suisse, il est donc difficile d'en imposer seulement à Genève.
Quels sont les produits faits à Genève ? Plus de 90 % de l'agriculture suisse se trouve être en culture intégrée. Tout le monde comprend bien ce qu'est la culture biologique - c'est une culture que nous, les Verts, soutenons très fortement et qui demande qu'il n'y ait aucun intrant d'origine chimique - mais qu'est-ce que la culture intégrée par rapport au reste des productions mondiales ? Je vous donne quelques exemples concernant la culture des pommes - que je connais relativement bien - qui vont vous expliquer en quelques mots la différence entre un produit genevois ou suisse et un produit qui vient d'un autre pays.
Quand vous avez une culture de pommes, en début de saison - donc en hiver - une simple taille est effectuée sur les pommiers. En Suisse, l'agriculteur fait dès ce moment-là un contrôle pour savoir quelle est la présence de ravageurs à l'intérieur des cultures. Suite à ce contrôle, il décide soit de traiter, soit de simplement veiller à ce que l'équilibre entre les prédateurs et les ravageurs se fasse. Ailleurs dans le monde, on procède à un traitement avec une huile d'hiver, qui est un produit fortement toxique qu'on répand sur les cultures, de manière à éliminer tous les ravageurs. Ensuite, vous allez voir apparaître dans votre culture, à un moment ou à un autre, différents ravageurs. Les personnes qui travaillent en culture intégrée vont lutter en utilisant des moyens biologiques: s'ils ont, par exemple, des acariens, ils relâcheront une autre bestiole qui s'appelle le typhlodrome et qui mangera ces acariens. Ce sont les méthodes de lutte utilisées ici. Ces cultivateurs auront donc un nombre de traitements extrêmement faible, alors qu'ailleurs sur la planète le produit est traité tous les quinze jours. En Suisse, trois semaines avant la récolte, on arrête tout traitement, de manière que les produits qui ont pu être utilisés puissent se dégrader. Ailleurs sur la planète, on traite jusqu'à la récolte, et même après la récolte: ainsi, les pommes récoltées vont être trempées dans un bain d'insecticides et de produits chimiques qui assurent une meilleure conservation et un meilleur transport. En outre, ces fruits sont souvent produits au sud de l'Afrique ou de l'Amérique et sont transportés par avion ou par bateau.
Entre une pomme cultivée ici et une pomme cultivée ailleurs, ce ne sont pas les mêmes produits. Cette différence de produits est telle qu'un véritable fossé se creuse. Pour pouvoir travailler aussi proprement, l'agriculteur suisse ne peut pas avoir des surfaces immenses, il ne peut pas gérer 300 hectares: il a des surfaces, pour les cultures de pommes, d'une vingtaine à une trentaine d'hectares. On veut que les agriculteurs suisses puissent vivre dignement et rémunérer correctement leurs employés. Pour cela, nous devons accepter de dire que les produits suisses sont différents, qu'ils sont de haute qualité, qu'ils n'ont rien à voir avec les produits importés et que, pour cela, nous sommes d'accord d'offrir une meilleure rémunération.
Ce projet de loi vise à promouvoir les produits d'ici, c'est-à-dire à expliquer au public quelle est cette qualité des produits suisses par rapport à ceux du reste du monde. Nous, les Verts, nous rendons compte que c'est un plus pour l'environnement, pour la qualité de la nourriture que nous mangeons, et dans un but d'écologie et de développement durable. C'est pourquoi nous soutiendrons ce projet de promotion de l'agriculture.
Présidence de Mme Marie-Françoise de Tassigny, première vice-présidente
M. Antoine Droin (S). Je vais être un peu moins technique que M. Bavarel qui, certes, a donné de nombreuses explications - parfois un peu ardues pour qui n'est pas dans la branche agricole.
J'aimerais revenir un peu plus sur le projet de loi lui-même. Dans un premier temps, je relèverai qu'effectivement un projet de loi sur l'agriculture - de plus un projet de loi-cadre - est un projet de loi important. Il faut cependant des limites. Un projet de loi: oui, mais pas n'importe lequel !
C'est là le reproche que nous avons exprimé en commission et que nous réexprimons ici ce soir. M. Spielmann l'a expliqué à sa manière tout à l'heure: il faut aller au bout des choses et savoir parfois comment on définit les mots employés dans la loi. A notre sens, cela n'a pas été fait suffisamment en profondeur.
Le seul amendement que nous ayons réussi à faire passer en commission concernait le développement durable - je crois que si cette loi n'entrait pas dans le cadre du développement durable, cela serait inquiétant. L'agriculture est un des éléments clés du développement durable, mais il faut y associer aussi ses autres composantes que sont les aspects sociaux et économiques. Or c'est précisément sur ces deux derniers points que portent nos amendements, puisque ce sont les aspects sociaux et économiques qui ne sont, à notre goût, pas suffisamment exploités dans la loi telle qu'elle a été votée en commission. On le verra tout à l'heure, mais c'est le cas notamment concernant les travailleurs agricoles, les termes utilisés de commerce équitable, etc. Il y a donc aussi des aspects éthiques à considérer, et d'autres encore que nous développerons au moment de traiter les amendements.
Nous vous recommandons donc, nous aussi, de voter la loi avec les amendements, ou alors de la refuser.
M. André Reymond (UDC). Ce projet de loi vise à garantir l'existence de l'agriculture à Genève. Il est dans la ligne directe du discours du Conseil d'Etat, qui favorise une agriculture de proximité et de qualité. Comme le souligne le rapport de majorité, ce projet de loi conduira à une réduction des dépenses, car il remplacera les mesures d'urgence actuellement en vigueur en faveur de l'agriculture. La rédaction du projet a été soutenue par AgriGenève, suite à la disparition progressive des petites exploitations, due à l'accroissement de la concurrence mondiale dans le domaine de l'agriculture. Ainsi peut-on espérer que ce projet de loi aidera au maintien des petites exploitations à Genève.
On constate que les personnes habitant Genève sont prêtes à acheter des produits locaux de qualité. Par contre, les consommateurs désirent aujourd'hui acheter des produits labellisés, même si les prix sont plus élevés que dans les commerces traditionnels.
Et puisque certains partis désirent parler du social dans cette promotion de l'agriculture, il ne faut pas oublier qu'à Genève les ouvriers agricoles sont les mieux payés d'Europe et que les conditions de travail à Genève sont parmi les meilleures en Suisse, sans compter les avantages dont bénéficient certains ouvriers agricoles: prêt de voiture, logement bien équipé à disposition. En ce qui concerne l'article 21 figurant dans le projet de loi, cet article stipule que le canton veillera, dans le cadre de ses compétences, à l'harmonisation des conditions de travail avec la législation fédérale.
Pour en revenir au label genevois, il permettra au consommateur de suivre la traçabilité des produits du magasin à la ferme. Par contre, il ressort du rapport de minorité une volonté d'un contrôle étatique exagéré, qui vise à réduire les efforts de promotion et de développement de l'agriculture à Genève. Il réduira à néant l'esprit d'entreprise qui anime nos agriculteurs dans notre canton. Par contre, on n'insistera jamais assez sur les charges administratives que certains partis veulent imposer aux petites entreprises, qui ont aujourd'hui de la peine à tourner - que ce soit dans le domaine agricole ou dans d'autres.
Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, pourquoi le groupe UDC vous demandera, sans amendement, d'adopter ce projet de loi en suivant le rapport de majorité.
M. Jean-Claude Egger (PDC). Je ne vais pas, comme mes préopinants, intervenir sur les bienfaits de cette loi - je crois que de nombreuses personnes en sont déjà persuadées. J'aimerais seulement rectifier quelques informations données par Mme Schenk-Gottret dans son rapport de minorité, quand elle parle des employés agricoles, justement. Elle écrit, à la page 28, que «les conditions de travail dans le secteur agricole sont très peu réglementées»... Madame Schenk-Gottret, vous avez assisté aux auditions - je ne vais pas vous citer toutes les réglementations qui figurent dans ces contrats, mais je les tiens à votre disposition - or il faudrait peut-être vous informer un peu mieux avant d'annoncer ce genre de choses dans un rapport de minorité.
Vous dites aussi que «AgriGenève s'oppose malheureusement à toute convention»... Je vous rappelle que l'agriculture genevoise est pionnière en cette matière ! Notre ancien collègue, M. John Dupraz, avait déposé une motion au Conseil national, une demande pour réaliser une convention collective de travail au niveau suisse. De plus, en 2002, AgriGenève a convoqué tous les cantons romands pour réaliser une convention collective. Et si on n'arrive pas à la faire, ce n'est en tout cas pas à cause de Genève, mais bien à cause d'autres cantons qui, eux, sont nettement en dessous des tarifs de Genève.
Voilà, je voulais déjà préciser cela quant à ce rapport et je pense que nous interviendrons encore concernant les amendements.
M. Rémy Pagani (AdG). Je reviens sur une question assez préoccupante, je dois le dire, à propos de la situation que vit l'ensemble de la population genevoise en ce moment, avec la libéralisation du marché du travail et les prises de positions de M. Reymond.
M. Reymond nous a dit, en substance, que les ouvriers agricoles de notre région gagnent un salaire de 3000 F. Mais il oublie de dire, Mesdames et Messieurs les députés, que c'est de haute lutte que les ouvriers agricoles de ce canton ont réussi, non pas à obtenir une convention collective, mais à faire en sorte qu'un juge, nommé par notre Grand Conseil, et qui est président de la Chambre des relations collectives de travail, se penche sur leur statut ! Je vous rappelle que, dans cette Chambre, le juge est flanqué de deux assesseurs représentants des syndicats ouvriers et de deux assesseurs représentants des syndicats patronaux. Or ils ont unanimement reconnu que ce salaire était le minimum décent - décent, Monsieur Reymond ! - pour exercer la profession d'agriculteur dans ce canton. Donc, ne venez pas nous dire aujourd'hui: «Oui, mais on pourrait faire ceci ou cela...». A la limite, vous sous-entendez - et vous l'avez même dit ! - qu'on pourrait très bien baisser ces salaires, importer de la main-d'oeuvre, d'ailleurs en faisant de la sous-enchère salariale, étant donné - et je vous invite à relire vos notes - que nos ouvriers agricoles sont les mieux payés d'Europe ! On pourrait donc se permettre de les payer moins... Non, Monsieur Reymond ! La Chambre des relations collectives de travail - le tribunal - a imposé que, pour vivre décemment dans ce canton, ces gens devaient être payés 3000 F ! Je n'imagine pas que vous puissiez vire avec 3000 F par mois, et en élevant des enfants, Monsieur Reymond...
Cela étant dit, une fois de plus, Monsieur Reymond, comme votre collègue M. Fattebert, vous prétendez défendre les travailleurs de ce pays alors qu'en fait vous êtes les premiers à vouloir importer de la main-d'oeuvre bon marché ! Je le regrette ! D'ailleurs, votre groupe a voté aux Chambres fédérales la libre circulation des personnes, et c'est votre groupe, ce sont vos représentants patronaux qui abuseront les premiers de cette libéralisation du marché du travail pour exploiter un peu plus vos concitoyens ! Je le dénonce et continuerai à le dénoncer, parce que je trouve cela parfaitement scandaleux !
M. André Reymond (UDC). Merci, Madame la vice-présidente. Je constate, chers collègues, le propos alarmiste de M. Pagani qui se fait de souci, tout à coup... Effectivement, beaucoup de monde vient aux alentours de notre frontière, parce que nous représentons à Genève un marché intéressant. Cela me fait plaisir de constater que vous avez très peur de voir soudainement une certaine main-d'oeuvre venir de très loin, et chez nous... Et, effectivement, vous reconnaissez que nous défendons les places de travail à Genève.
Je demanderai encore ceci: les petites entreprises et les agriculteurs qui vous entendent et ont de la peine à tourner, comment les soutenez-vous ? Vous voyez bien que ce n'est pas facile, au prix auquel ils payent leurs ouvriers ! Et je ne vois pas d'ouvriers agricoles en train de se plaindre actuellement... Et je n'ai pas connaissance qu'il y ait des ouvriers agricoles qui soient là, avec famille et enfants...
Par ailleurs, je n'ai à aucun moment, ce soir, parlé de baisse de salaire dans le domaine de l'agriculture. J'ai simplement constaté qu'à Genève les salaires dans le domaine de l'agriculture sont bons par rapport à l'Europe et à la Suisse, et, connaissant certaines entreprises agricoles à Genève, je peux dire que oui, les conditions de travail sont bonnes.
Je tiens aussi à souligner que ce n'est pas seulement dans ce domaine que les salariés, les ouvriers, les petites gens ont de la peine à Genève. C'est vrai, nous le reconnaissons et, justement, le but de l'UDC est de protéger ces gens-là !
M. Rémy Pagani (AdG). J'attends M. Reymond au tournant, tout à l'heure, concernant la loi sur le chômage... Vous allez casser un des systèmes sociaux qui protège notre population, puisque vous allez voter d'une seule voix la suppression des occupations temporaires. Et je trouve un peu facile que M. Reymond dise qu'il veut protéger le marché local, alors qu'il se donne tous les moyens, et qu'il les donne aussi à certaines entreprises - pour l'instant une minorité - de faire du dumping salarial.
Je relève sur le fond, Monsieur Reymond, que vous n'avez pas très bien compris dans quel système nous sommes: le peuple suisse a voté une aide importante, massive, à l'agriculture, parce que nous estimons légitime, normal et humain - c'est d'ailleurs l'objectif de ce projet de loi et, notamment, de l'introduction des labels de qualité - de protéger le marché local. La sécurité alimentaire réclame cette protection du marché local, c'est une évidence, mais l'Etat doit aussi faire en sorte que les agriculteurs puissent vivre décemment - et dignement ! - comme leurs ouvriers agricoles, de leur profession et de leur production. De ce point de vue-là, il est tout à fait légitime que l'agriculture bénéficie de subventions importantes. Vous, Monsieur Reymond, vous réclamez des subventions importantes pour l'agriculture et, en plus, vous osez critiquer un salaire de 3000 F... (Commentaires.)Alors que cela nous paraît être le minimum pour vivre décemment dans ce canton !
Nous estimons que les salaires du personnel agricole tels qu'ils sont pratiqués à Genève permettent tout à fait à une entreprise agricole de subsister, notamment par l'apport de subventions importantes de la Confédération et de notre canton y compris.
Présidence de M. Pascal Pétroz, président
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le président du Conseil d'Etat, Robert Cramer.
M. Robert Cramer, président du Conseil d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, peut-être qu'avant d'entrer dans le débat qui s'est engagé sur l'un des aspects de cette loi, je crois qu'il convient de rappeler l'un ou l'autre de ses grands traits.
C'est une loi sur l'agriculture, qui a un certain nombre d'originalités. La première est que le but de cette loi n'est pas de soutenir l'agriculture en donnant des subventions aux agriculteurs et en orientant la production agricole. Cela, la législation fédérale le fait - je dirais avec plus ou moins de bonheur. (Brouhaha.)En effet, on s'aperçoit régulièrement que des orientations sont données, sur lesquelles on revient au fur et à mesure des fluctuations du marché. (Le président agite la cloche.)Ici, il s'agit d'autre chose: de considérer que les agriculteurs sont des entrepreneurs et que, là où on peut les aider, c'est dans la commercialisation de leurs produits. Mais pour que cette aide soit légitime, pour que l'Etat intervienne, il faut un certain nombre de cautèles: or ce sont précisément - et là, je reprends les termes de l'intervention du député Droin - celles du développement durable. En d'autres termes, il faut que ces produits, du point de vue environnemental, soient de qualité, réalisés dans le respect de l'environnement, et, en même temps, il faut que, du point de vue social, ils soient créés dans des conditions méritant d'être soutenues. Et cela, on le trouve immédiatement dans la loi, dans les buts de la loi qui nous parlent d'une «production diversifiée» et, dès l'article 1, alinéa 2, lettre c), «d'améliorer les conditions d'existence de la population paysanne, ainsi que les conditions de travail des ouvriers agricoles». De même que, dans la section 2 de la loi, on nous indique, aux articles 20 et 21, qu'il s'agit de se préoccuper des conditions de travail des travailleurs agricoles. Cela n'est pas fréquent dans une loi qui traite de l'agriculture ! Au fond, dans une telle législation, on attend surtout que l'on dise comment produire.
Mais ce n'est pas le fait du hasard que cette loi soit ainsi, puisqu'elle est le produit d'une large consultation. Et il faut savoir que cette loi a été élaborée dans le cadre d'une commission constituée sous l'égide la souveraineté alimentaire, c'est-à-dire avec la volonté de promouvoir les produits de proximité. Dans cette commission, on trouvait bien sûr les différentes familles agricoles, les différentes branches de l'agriculture, les différentes grandes tendances de cette profession - représentées notamment par AgriGenève et par Uniterre - mais l'on trouvait également les représentants des consommateurs à travers leurs associations et ceux du monde du travail à travers les syndicats. Finalement, le texte de loi qui vous est soumis avait trouvé un consensus dans cette commission où il y a tous ces représentants. Il est certain que, lors des auditions, chacun a voulu ensuite affirmer sa singularité, mais il faut tout de même savoir que le texte qui vous est soumis avait été ratifié par chacun.
Au-delà de cela et au-delà des lois, ce qui importe, c'est la façon dont elles sont appliquées ! Or cette loi-ci a déjà trouvé un début d'application par le label Terre Avenir, label que vous trouvez depuis le printemps sur un certain nombre de produits agricoles. Que certifie ce label ? Ce label certifie d'abord la proximité - ce sont des produits de Genève ou de la région genevoise. Il certifie également la traçabilité - en d'autres termes, une étiquette vous indique qui a produit et comment, s'il s'agit d'un produit bio ou hors-sol, avec quel genre de traitements il a été produit, etc. Ce label certifie la qualité du produit du fait de cette proximité et de différentes autres attestations; il vous garantit également que le produit est sans OGM, et il vous garantit ce qu'on a appelé «l'équité». De quoi s'agit-il ? «L'équité», cela signifie que chaque produit vendu sous ce label a été produit par des ouvriers pour lesquels on a respecté les conventions collectives lorsqu'il s'agit d'industrie de transformation agricole, ou par des ouvriers pour lesquels le contrat type de travail a été respecté. Et vous devez savoir qu'un certain nombre d'exploitations agricoles n'ont pas pu obtenir le label, précisément parce qu'elles ne remplissaient pas ces conditions, et qu'elles se sont dès lors astreintes à revoir leur façon de travailler, pour pouvoir être soutenues par l'Etat.
Je prétends donc qu'au point de vue social - puisque c'est sur ce point que le débat s'est engagé - cette loi signifie un progrès considérable, et je dirais même qu'en adoptant cette loi Genève va se montrer totalement novateur et pionnier dans le domaine du développement durable, c'est-à-dire en assurant tout à la fois la qualité, le respect de l'environnement et des conditions de travail équitables pour ceux qui travaillent cette terre !
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Nous allons nous prononcer sur la prise en considération de ce projet de loi. Nous procédons par vote électronique.
Mis aux voix, ce projet est adopté en premier débat par 54 oui contre 8 non et 1 abstention.
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que les articles 1 à 5.
Le président. A l'article 6, nous sommes saisis d'un amendement proposé par Mme la rapporteure de minorité. Madame la rapporteure, si vous voulez que je vous donne la parole, il faut que vous appuyiez sur le bouton... Voilà, vous avez la parole.
Mme Françoise Schenk-Gottret (S), rapporteuse de minorité. En effet, à l'article 6, alinéa 1, nous proposons un amendement qui consiste à ajouter «végétales». L'alinéa deviendrait: «La production agricole doit se réaliser dans le respect de la santé, de l'environnement, et des espèces animales et végétales.» C'est un amendement proposé en commission, qui a été refusé.
Le président. Merci, Madame la rapporteure de minorité. Je précise que le texte de cet amendement figure en page 27 du rapport de la commission.
M. René Desbaillets (L). Cet amendement proposé par notre collègue Mme Schenk-Gottret, veut protéger aussi «les espèces végétales»...
M. Jean-Michel Gros. La carotte !
M. René Desbaillets. Oui, entre guillemets M. Gros a répondu pour moi. Je crois que, de par leur fonction, à un moment donné de l'année, il faut récolter les espèces végétales ou les cueillir. Donc, dans un champ de blé, au moment des moissons, il faut couper les tiges de blé; dans une vigne, lorsqu'on cueille le raisin, il faut couper la rave du raisin... Est-ce vraiment là qu'il faut protéger les végétaux ?
Je pense que le débat sur la protection des végétaux et sur leur diversité s'effectuera autour de la loi et de la motion qui traitent des OGM - et qui se trouvent à l'heure actuelle sur la table de la commission de l'agriculture. Mais ce n'est pas dans ce projet de loi-ci qu'on va protéger les cultures végétales ! Chacun a des fleurs, des rosiers, des géraniums, et sait qu'à un moment donné de l'année il faut tailler ! Pour l'instant, je n'ai jamais entendu hurler de douleur un sarment de vigne lorsque je le taille...
Je vous propose donc de renvoyer cet amendement à ses auteurs et de le refuser.
Le président. Merci, Monsieur le député. Vous dites que chacun a des roses ? Si seulement... Je donne la parole à M. le député Alain Etienne.
M. Alain Etienne (S). En matière de préservation des espèces végétales, nous entendons la préservation de la biodiversité dans sa globalité, car il est vrai que la manière de cultiver pose parfois certains problèmes pour la préservation de la biodiversité. C'est dans ce sens que nous vous proposons cet amendement.
M. Christian Bavarel (Ve). Nous en sommes au chapitre II intitulé «Production» et à l'article 6: «Qualité de la production». Lorsqu'on dit: «respect des espèces animales», il faut comprendre les animaux de rentes. Qu'à un moment ou à un autre on évite de donner des coups de bâtons à des vaches, qu'on laisse un espace suffisant aux porcs, qu'il y ait un respect de l'animal dans ce sens-là, cela me semble être extrêmement important. Que l'on inscrive aussi dans la loi le respect de l'environnement, dont participe toute la biodiversité, me semble aussi être important. Je rejoindrai donc M. Desbaillets: si quelqu'un donne des coups de bâtons dans ses tomates, c'est fâcheux pour sa santé mentale, mais ce n'est pas très grave pour la tomate.
Le président. Merci, Monsieur le député. Nous allons voter sur l'amendement présenté à l'article 6, alinéa 1, par Mme Schenk-Gottret, rapporteure de minorité.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 55 non contre 19 oui et 1 abstention.
Mis aux voix, l'article 6 est adopté, de même que l'article 7.
Le président. Nous sommes saisis d'un amendement à l'article 8, alinéa 1, qui figure en page 28 de votre rapport. Madame la rapporteure de minorité, vous avez la parole.
Mme Françoise Schenk-Gottret (S), rapporteuse de minorité. La problématique est la même, puisqu'on parle des modes de production et que, ici aussi, nous demandons qu'ils soient respectueux de l'environnement et des espèces animales et végétales.
Des voix. On n'entend rien !
Mme Françoise Schenk-Gottret. C'est la même démarche, dans le même état d'esprit.
Le président. Merci, Madame la rapporteure. Pour ceux qui n'auraient pas entendu, il s'agit de rajouter «et végétales» à la fin de l'alinéa 1. C'est bien cela, Madame la rapporteure ? Bien. Je mets aux voix cet amendement par vote électronique.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 50 non contre 24 oui et 1 abstention.
Mis aux voix, l'article 8 est adopté, de même que l'article 9.
Le président. A l'article 10, il vous est proposé d'ajouter un nouvel alinéa, soit: «Les mesures promotionnelles et d'information se font dans un esprit de transparence, notamment sur la répartition des coûts». Cet amendement figure en page 28 de votre rapport. La parole est à M. le député Antoine Droin.
M. Antoine Droin (S). Nous avons pensé introduire ici la notion de transparence, parce que donner une information ne veut pas forcément dire que celle-ci est transparente, ni qu'on va jusqu'au bout de cette dernière. La transparence permet d'avoir une vision d'ensemble, notamment sur une décomposition des prix, puisque c'est une chose importante d'examiner, par exemple, combien gagne un producteur, combien gagnent les intermédiaires et, finalement, quel est le prix payé par le consommateur.
Il nous semblait donc important d'introduire la notion de transparence, d'où l'alinéa 3.
M. André Reymond (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, nous ne sommes pas d'accord. Pourquoi commencer à donner des informations sur qui gagne quoi ? Je crois qu'il y a quand même un esprit de liberté dans le cadre de notre pays et de notre canton. Nous sommes absolument opposés à ce genre de pratique, dite «de transparence». Dans ce cas, pourquoi ne pas demander aussi les attestations de revenu de toutes ces personnes ?
Tout à l'heure, il a été dit dans les rangs d'un parti de gauche qu'il fallait encourager la vente... Je crois que si l'on veut encourager la vente et aider l'agriculture à Genève, il est normal que la profession de vendeur ou d'intermédiaire existe encore.
M. René Desbaillets (L). Ecoutez, j'aimerais bien, en tant que producteur, que le consommateur ait la transparence totale ! Pas plus tard que ces jours-ci, en pleines vendanges, le décilitre de moût se vend à 3 F au bistrot - c'est-à-dire 30 F le litre dans la plupart des caves. Le restaurateur a été livré à environ 4 F le livre par le producteur - il y a donc une marge de 6, voire 7...
On aimerait bien de la transparence, mais il y a malheureusement la liberté de commerce. Le jour où l'on réussira à voir quelles sont les marges à la Migros, à la Coop, etc., je crois qu'on sera nous-mêmes au cimetière... Ce sera peut-être nos enfants qui verront cela. Pour l'instant, en l'état, on ne peut malheureusement que rejeter cet amendement.
Le président. La parole n'étant plus demandée, nous procédons au vote. Celles et ceux qui acceptent l'ajout de l'alinéa 3 à l'article 10 tel que proposé dans le rapport de minorité voteront oui, les autres voteront non ou s'abstiendront.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 47 non contre 30 oui et 2 abstentions.
Mis aux voix, l'article 10 est adopté, de même que les articles 11 et 12.
Le président. A l'article 13, alinéa 1, un amendement vous est proposé, visant à ajouter à la fin de l'alinéa: «Un prix équitable contient une juste rémunération des employés, le respect des normes sociales et une diminution, autant que possible, des intermédiaires.» Cet amendement figure à la page 28 de votre rapport. Monsieur Droin, vous avez la parole.
M. Antoine Droin (S). En commission, nous avons longuement débattu sur ce point et, malgré tout, une certaine unanimité s'est formée autour de cet amendement, même si la majorité a pensé qu'il était préférable de faire figurer ceci dans un règlement d'application plutôt que dans la loi elle-même. Mais nous, nous pensons que ce texte est plus propre à se trouver dans la loi, pour que les choses soient claires et précises quant au terme «équitable» - ce terme en soi, sans explication complémentaire, n'a pas beaucoup de sens. C'est justement le but de cet amendement que de donner du sens au mot «équitable».
Le président. Merci, Monsieur le député. Cet amendement est mis aux voix par vote électronique.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 41 non contre 35 oui.
Mis aux voix, l'article 13 est adopté, de même que les articles 14 à 20.
Le président. A l'article 21, nous sommes saisis de deux amendements. Le premier concerne le titre: il s'agit de remplacer «Ouvriers» par «Travailleurs». Madame la rapporteure de minorité, vous allez nous expliquer cela...
Mme Françoise Schenk-Gottret (S), rapporteuse de minorité. Monsieur le président, je comprends très bien qu'il y ait un attachement affectif à l'expression «Ouvriers agricoles». Toutefois, par respect et pour rejoindre la terminologie usuelle en droit du travail, je propose que l'on modifie le titre de l'article en parlant de «Travailleurs agricoles». (Brouhaha. Le président agite la cloche.)
Enfin, je propose qu'on ajoute un alinéa 3 qui stipule: «Les prestations cantonales découlant de la présente loi ne peuvent être allouées qu'à des employeurs agricoles qui respectent les conventions collectives de travail ou les contrats types en vigueur dans le canton.»
M. Christian Bavarel (Ve). Dans cette salle, je pense être un des seuls à mettre un bleu de travail le matin avant d'aller au boulot, à mettre de grosses chaussures et... (Protestations.)Laissez-moi terminer ! Et à ne pas être patron ! Je sais qu'il y a dans cette salle des patrons qui mettent aussi un bleu de travail, qui mettent aussi des grosses chaussures et qui se lavent aussi les mains avec du savon pour mains sales. Mais je tiens simplement à dire à Mme la députée que je suis fier d'être ouvrier et que, si cela peut lui faire plaisir de changer ce terme, soit ! Mais moi, je ne me sens pas humilié quand on m'appelle «ouvrier», j'en suis fier, et je tiens à ma dénomination d'ouvrier ! (Applaudissements.)
M. Rémy Pagani (AdG). Ouvriers agricoles ou travailleurs agricoles ? A notre avis, au niveau de la terminologie, la distinction avait un sens il y a cinquante ans. Aujourd'hui, les mots ont évolué, mais le problème n'est pas là. Le problème est dans l'amendement que nous a présenté Mme Schenk-Gottret.
Nous sommes au pied du mur, Mesdames et Messieurs les députés ! Vous nous avez fait miroiter la libre circulation des personnes; vous nous avez dit: «Nous allons respecter les conventions collectives, nous allons respecter les contrats types, parce que nous lutterons avec vous contre les sous-enchères abusives et répétées.» Or maintenant, Mme Schenk-Gottret propose d'inscrire dans la loi une des conditions minimales: celle de faire en sorte que l'Etat n'alloue pas ses prestations indifféremment. Il y a, entre l'Etat et les agriculteurs, un contrat délégué par le corps électoral suisse indiquant que l'Etat doit soutenir de manière très importante l'agriculture. De ce contrat social découle que nous devons inscrire dans la loi le respect des conventions collectives et des contrats types. D'ailleurs au moment de la campagne sur les bilatérales, vous vous êtes, tous les partis de droites confondus, engagés la main sur le coeur à respecter les contrats types et les conventions collectives. Or aujourd'hui, j'ai la désagréable surprise de constater que, malheureusement, alors que Mme Schenk-Gottret ne fait qu'appliquer ce qui a été promis, vous refusez cet amendement ! C'est dire à quel point vous respectez cet engagement...
Cela étant, c'est l'avenir qui m'inquiète fortement: on est devant l'extension de ces bilatérales à dix pays dits «de l'Est» et, vous le savez comme moi, une procédure référendaire peut être ouverte - elle le sera certainement si vous persistez dans ce type de pratique, puisque vous ne respectez pas les accords premiers que vous avez passés. Il y a donc peu de chance que vous respectiez les accords futurs qui - et le Conseil fédéral s'y est engagé - accepteraient l'élargissement aux dix pays dits «de l'Est», et à la condition que chacun s'astreigne à respecter les conventions collectives et les contrats types de travail.
Mesdames et Messieurs, si vous ne votez pas cet engagement, vous donnerez le message très clair qu'on ne peut pas vous faire confiance par rapport à vos engagements dans les campagnes politiques !
M. Blaise Matthey (L), rapporteur de majorité. Le député qui s'est exprimé avant moi a sans doute mal lu mon rapport, puisqu'il est indiqué très clairement, à la page 9, que nous n'avons pas mis de côté cette problématique du respect des conventions collectives de travail et des contrats types de travail. Au contraire, nous avons acquis la conviction - et cela a été dit par mon collègue Reymond tout à l'heure - que le respect des conditions de travail était plein et entier sur le territoire genevois. C'est pourquoi les reproches adressés actuellement partent en réalité dans le vide ! Ils sont d'autant plus vides que nous avons précisé que la question devait être reprise au niveau du règlement. Cela n'est pas une spécificité de la loi sur la promotion de l'agriculture, puisque c'est ce qui se pratique dans d'autres domaines. Et c'est de cette manière-là qu'on peut évidemment arriver à «coller» au plus près et faire en sorte que les risques énoncés à l'instant - et tout à fait exagérés - ne se réalisent pas.
Je précise encore qu'il faut tenir compte de la réalité de l'agriculture genevoise: elle reste l'agriculture qui consacre en Suisse le plus de ressources à ses employés. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de majorité. Je donne la parole à M. André Reymond.
M. André Reymond (UDC). Monsieur le président, je vous remercie, mais je que M. le rapporteur de majorité a anticipé mes propos.
Le président. Merci, Monsieur le député. Alors, je donne la parole à M. Jean-Claude Egger.
M. Jean-Claude Egger (PDC). En 2002, AgriGenève convoque les cantons romands pour établir une convention collective; une interpellation a été faite au Conseil National. Il faut donc arrêter de prendre les agriculteurs genevois en otage ou de mettre la pression sur eux ! Vous avez un syndicat, vous êtes tous unis, vous vous appelez «Uniterre» et vous êtes au niveau suisse. Mettez la pression sur la Suisse pour que ces conventions collectives se fassent au niveau fédéral, et l'on vous suivra !
M. Rémy Pagani (AdG). Soyons clair sur le fond, puisque j'ai été interpellé par M. Egger ! Nous avons au niveau national une organisation qui, effectivement, se démène depuis des années pour faire en sorte que la situation se débloque - et nous avons réussi, à grands efforts d'organisation et de syndicalisation de ces travailleurs de l'agriculture, à imposer qu'elle se passe au niveau suisse. Nous sommes, de ce point de vue-là, tout à fait en accord avec la demande des agriculteurs.
Il y a quelque chose de plus dérangeant et de plus désagréable - et cela m'étonne que M. Matthey, à son niveau intellectuel, ne le comprenne pas - qui est à l'origine de l'amendement de Mme Schenk-Gottret. Ce dernier comporte deux volets: le premier concerne le respect des conventions collectives et des contrats types - cela va de soi et me paraît évident. Le deuxième volet consiste à indiquer que les subventions de l'Etat et le label doivent dépendre du respect des conventions collectives et des contrats types. Or dans notre système juridique genevois, que ce soit pour la Fondation des services d'aide et de soins à domicile (FSASD) et pour n'importe quelle autre organisme parapublic ou organisation sans but lucratif extérieure à l'Etat, nous exigeons dans les conventions collectives ou dans la loi que nous mettons sur pied que les personnes qui bénéficient de la manne de l'Etat se conforment aux exigences légales, c'est-à-dire aux contrats types et aux conventions collectives.
C'est de cela qu'il est question, Monsieur Matthey ! Et nous demandons que cette condition-là soit inscrite dans la loi - comme d'ailleurs pour toutes les autres subventions - parce que cela nous semble être le minimum de l'équité par rapport à d'autres secteurs, et le minimum du respect des engagements que vous avez pris dans des campagnes de votations précédentes.
M. Jean-Claude Egger (PDC). J'aimerais apporter une petite précision à l'intention de M. Pagani. Des demandes de permis sont faites, un service minimum qui est appliqué; toutes ces demandes de permis sont d'ailleurs examinées par le SIT, par le SIB, par les syndicats... Si ces minimums ne sont pas appliqués, la demande de permis est refusée. Je ne vois donc pas comment les gens pourraient avoir des employés et les sous-payer.
M. René Desbaillets (L). Pour en revenir à la proposition de modification du titre «Ouvriers agricoles» en «Travailleurs agricoles», je pense qu'il est inutile de se battre sur les mots. Pour ma part, j'avais proposé «Employés», parce que dans les fiches de paie officielles éditées par AgriGenève ce sont les termes «Employeur» et «Employé» qui figurent dans le titre. Donc, peu importe le nom, pourvu que le salaire soit versé.
Quant à faire figurer dans la loi ce que propose le deuxième amendement, je crois que cela apparaît toujours dans les règlements concernant les autres professions. Notamment dans les devis relatifs aux marchés publics, les entreprises doivent, pour pouvoir soumissionner, fournir des attestations prouvant qu'elles sont en règle concernant les charges sociales et autres - cela se fait d'office. Il faudra donc en discuter pour les règlements, puisque celui qui ne paie pas ses employés selon les conventions collectives est en fraude. Là, c'est justement le rôle des syndicats d'aller aux Prud'hommes pour défendre l'employé qui n'aurait pas été payé par un agriculteur.
Concernant le salaire, puisqu'on a beaucoup discuté ce soir de la somme de 3000 F, il faut savoir qu'en agriculture on est des hommes de terrain. Alors, si le montant de 3000 F bruts par mois est articulé, il faut connaître quelle somme nette reste en définitive à l'employé. Je vais vous citer un exemple: prenez un employé dans la viticulture genevoise qui, après quelques années de défeuillage ou de vendanges en tant que journalier, réussit à obtenir une place à l'année chez un patron, soit avec le permis L; il reçoit donc un salaire brut de 3040 F. Sur ce salaire, l'employeur retient 300 F de logement; il reste à l'employé environ 2200 F nets... Je dois quand même vous expliquer ce que représentent ces prestations en nature de 300 F, selon la norme fédérale de l'AVS. Dans ma commune de Satigny, où l'on est essentiellement viticulteur, je peux vous dire que, pour la majorité des employés, la «prestation en nature» est un appartement meublé de deux à trois pièces, voire plus - en général, l'épouse est logée également, voire les enfants. Pour ma part, mes employés disposent encore d'une buanderie avec une machine à laver le linge, à disposition vingt-quatre heures sur vingt-quatre et gratuitement. En général, dans toutes les exploitations, l'employé a un jardin potager de 100 ou 200 mètres carrés pour cultiver ses légumes - je crois que beaucoup de citoyens genevois aimeraient avoir ce petit coin de terre... Les employés ont en général à disposition un verger ou un parc pour faire des grillades le samedi ou le dimanche; ils ont à disposition un lieu couvert pour leur voiture; ils ont le chauffage central gratuit, l'électricité gratuite. Ce sont toutes des prestations en nature ! (Brouhaha.)Si l'on additionne cela, considérant le marché actuel du logement, on peut facilement compter 1500 F à 2000 F supplémentaires de prestations en nature. Et les 300 F sont une norme fédérale à appliquer vis-à-vis de l'AVS et de la loi. Mais je peux vous dire que dans la pratique un employé viticole à Genève dispose de 2200 F nets - toutes charges et assurances déduites - uniquement pour ses loisirs, puisqu'il a un jardin pour se nourrir. Alors, j'aimerais bien voir, à la Migros - qui met une pression terrible sur les prix de l'agriculture genevoise - ou à la Coop - le plus gros importateur en Suisse de vins du Chili, qui parcourent des milliers de kilomètres et polluent la planète - si les vendeuses bénéficient de conditions de travail et d'un salaire net pour les loisirs égaux à ceux des ouvriers agricoles genevois !
Je vous propose donc de refuser cet amendement.
Mme Salika Wenger (AdG). La teneur de l'amendement est de garantir que les subventions qui vont être versées le seront dans des conditions «normales», dirais-je, d'emploi. Ces subventions, c'est l'argent des contribuables; donc aussi des travailleurs genevois. Leur donner l'assurance qu'il n'y aura pas de dumping et que les personnes employées le seront dans des conditions normales me semble être le minimum - le minimum de garanties que l'on puisse donner à toute la population genevoise !
Si, comme M. Matthey le prétend, toutes ces garanties sont remplies et que nous n'avons pas de problèmes à Genève, dans ce cas quel est le problème pour voter cet amendement ? Puisque tout va bien, puisque nous n'avons pas de problèmes, puisque, de toute manière, nous savons que les personnes qui seront au bénéfice de ces subventions remplissent toutes les conditions, pourquoi ne votez-vous pas cet amendement ?
Le président. Merci, Madame la députée. Nous allons nous prononcer sur les deux amendements discutés à l'instant. Nous commençons par le premier, présenté à l'article 21, proposant de remplacer le terme «Ouvriers» par celui de «Travailleurs» agricoles. Le vote électronique est lancé.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 47 non contre 21 oui et 5 abstentions.
Le président. Nous passons maintenant au vote de l'amendement proposé à l'article 21 et consistant à ajouter un alinéa 3, stipulant: «Les prestations cantonales découlant de la présente loi ne peuvent être allouées qu'à des employeurs agricoles qui respectent les conventions collectives de travail ou les contrats types en vigueur dans le canton». Le vote électronique est lancé.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 44 non contre 32 oui.
Mis aux voix, l'article 21 est adopté.
Le président. Concernant l'article 22, je donne la parole à M. Alain Etienne.
M. Alain Etienne (S). L'article 22 pose un problème au parti socialiste, parce qu'il est notamment lié à l'article 33 intitulé: «Fonds de compensation agricole». A l'article 22, sous «Préservation de l'espace rural», il est fait mention des mesures d'aménagement du territoire concernant la zone agricole et donnant lieu à des compensations quantitatives, qualitatives ou financières.
On peut inscrire dans la loi «Préservation de l'espace rural», mais il nous semble que cela ressemble plutôt à voeu pieux. On dit qu'il faut trouver des compensations quantitatives, mais on sait que le territoire cantonal est petit et que, lorsqu'il y a des déclassements, il est très difficile de trouver des terres nouvelles. En effet, on déclasse très rarement des zones à bâtir pour en faire des zones agricoles.
En ce qui concerne les «compensations qualitatives», il faut aussi nous dire ce que l'on entend: là aussi, il est très difficile d'en trouver. Quant aux «compensations financières», il faut qu'on nous explique aussi ce qu'on entend par là, avec la loi qu'on va voter.
Concernant l'article 33 relatif au fonds de compensation agricole, il faut rappeler qu'il n'existe actuellement aucune base légale ! Ce fonds de compensation agricole n'existe pas, et cette loi ne nous indique pas comment il sera créé. Il y a donc une certaine hypocrisie.
Nous regrettons que le Conseil d'Etat ne soit pas allé jusqu'au bout des choses avec cette base légale, avec cette proposition de loi. Nous aurions voulu que le Conseil d'Etat nous dise tout de suite de quelle manière il entendait compenser financièrement les mesures d'aménagement du territoire - l'exposé des motifs qui accompagnait le projet de loi mentionnait que cela se réaliserait ultérieurement. Nous pensons que le Conseil d'Etat a manqué de courage en nous faisant cette proposition. C'est pour cela que nous vous proposons de rejeter l'article 22 et l'article 33, puisque ces derniers ne remplissent pas leur rôle.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je mettrai par conséquent aux voix les articles 22 et 33. Mais je passe d'abord la parole à Mme Salika Wenger.
Mme Salika Wenger (AdG). Je vous remercie, Monsieur le président. Je ne connais pas très bien les problèmes ruraux, je le reconnais, mais j'ai quand même un petit problème avec cet article 22: je n'ai pas l'impression qu'il s'agisse d'une perte de propriété. Quand on connaît le prix du terrain agricole et celui d'un terrain à bâtir, j'imagine qu'il doit y avoir des compensations financières intéressantes sur ces terrains qui ont été déclassés. Je me demande donc quel autre type de compensation financière on pourrait donner.
M. René Desbaillets (L). Une petite précision pour notre collègue Salika Wenger: je comprends tout à fait qu'elle ne soit pas au fait des problèmes agricoles, mais il faut savoir que 60 % des terres agricoles sont affermées. Si ces terres disparaissent à cause d'un déclassement ou d'une autre affectation, dans 60 % des cas, le fermier qui est locataire perd son outil de travail. Il y a donc rupture de bail, et ce n'est pas lui qui va encaisser la plus-value sur le terrain. C'est pour cela qu'on veut créer ce fonds de compensation, pour que celui qui perd son outil de travail puisse avoir une compensation financière. En effet, sur Genève, si l'Etat donne ses terrains à un autre agriculteur, il y en a un qui sera perdant, puisque le canton de Genève n'est pas extensif. Il faut donc nous mettre dans la situation genevoise, où 60 % des paysans sont des fermiers qui ne sont pas propriétaires. Il ne faut pas croire que tous les paysans son assis sur des tas de millions ! Leur terrain, c'est de la zone agricole, avec une valeur de rendement à 5 F le mètre carré. C'est là-dessus qu'éventuellement les banques accordent des prêts aux paysans pour des investissements. Tous les paysans ne sont pas des millionnaires, sachez-le, en tout cas dans 60 % des cas !
Mme Salika Wenger (AdG). J'ai bien entendu ce que vous nous avez expliqué, Monsieur Desbaillets, néanmoins je ne crois pas que Genève soit propriétaire de ces 60 % de terrains agricoles. Or si, comme vous le dites, ils sont gérés par des fermiers, je leur conseillerais de faire ce que font tous les ouvriers ou travailleurs - peu importe le mot: demander au propriétaire de compenser la perte financière qu'ils auront subie. J'imagine que les propriétaires de ces terrains, eux, auront beaucoup d'avantages...
M. Alain Etienne (S). J'aimerais expliquer à M. Desbaillets qu'actuellement, et je le répète, le fonds de compensation n'existe pas. Certes, lorsqu'il y a expropriation pour un bien d'utilité publique, pour construire une école en zone à bâtir, par exemple, l'Etat reverse au propriétaire exproprié une indemnisation. Nous reconnaissons qu'il faut défendre la zone agricole, puisque la terre est l'outil de travail des agriculteurs, mais actuellement, lorsqu'il y a déclassement, le principe de la taxe n'existe pas. C'est pour cela que nous aurions voulu que le Conseil d'Etat fasse cette proposition de lui-même dans le projet de loi, mais il ne l'a pas fait, et nous le regrettons.
Il est vrai qu'au sein de la commission de l'aménagement nous sommes en train de traiter ce sujet et espérons pouvoir aller de l'avant avec ce projet de loi et trouver une majorité au sein de ce parlement. Mais actuellement, Monsieur Desbaillets, lorsqu'il y a déclassement, la plus-value foncière reste dans les mains du propriétaire et ne va pas dans les caisses de l'Etat. Cela, nous le regrettons.
Le président. Nous allons passer au vote au sujet de l'article 22. Celles et ceux qui l'acceptent voteront oui, les autres voteront non ou s'abstiendront. Le vote est lancé. (Brouhaha. Manifestation dans la salle.)Mesdames et Messieurs, on se calme, on se calme... (Le président est interpellé.)Monsieur le député, lisez votre règlement avant de me faire la leçon !
Je me réfère à l'article 133, «Deuxième débat», alinéa 2, de notre règlement du Grand Conseil: «Chaque article est mis aux voix. Le président peut le déclarer adopté si aucune opposition n'a été formulée.»
En l'occurrence, M. Etienne a manifestement formulé son opposition au sujet des articles 22 et 33. Je mets par conséquent aux voix l'article 22 ! Et ferai de même pour l'article 33 ! C'est normal, c'est une saine application de notre règlement du Grand Conseil. (Brouhaha.)
Dans la mesure où j'ai dû interrompre le vote parce que personne n'avait rien compris, nous allons recommencer le vote. Et là, je vous demande d'être attentifs ! Je le redis: celles et ceux qui acceptent l'article 22 tel qu'il figure dans votre rapport voteront oui, les autres voteront non ou s'abstiendront. Le vote est lancé.
Mis aux voix, l'article 22 est adopté par 50 oui contre 21 non et 4 abstentions, de même que les articles 23 à 32.
Le président. A l'article 33, le groupe socialiste a manifesté son opposition. Monsieur Etienne, je vous donne la parole, mais brièvement.
M. Alain Etienne (S). Effectivement, je vais être très bref, puisque j'ai déjà fait mes commentaires sous l'article 22. Je tenais cependant à répéter que le parti socialiste refusait l'article 33. Je vous remercie.
Le président. Merci pour cette précision importante, Monsieur le député. Nous allons mettre aux voix l'article 33 par vote électronique. Comme pour l'article 22, celles et ceux qui acceptent l'article 33 tel que figurant dans votre rapport voteront oui, les autres voteront non ou s'abstiendront. Le vote est lancé
Mis aux voix, l'article 33 est adopté par 52 oui contre 22 non et 3 abstentions, de même que les articles 34 à 43.
Mis aux voix, l'article 44 (souligné) est adopté.
Troisième débat
La loi 9122 est adoptée article par article en troisième débat.
Mise aux voix, la loi 9122 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 50 oui contre 22 non et 4 abstentions.