République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 27 août 2004 à 16h20
55e législature - 3e année - 10e session - 64e séance
I 2032
M. Jean Spielmann (AdG). J'ai effectivement déposé cette interpellation, il y a un certain temps déjà, pour exprimer mon inquiétude... C'était au début de l'année passée, au moment où nous avons appris que l'affectation du poste du Bourg-de-Four, dans le quartier de la Vieille-Ville, allait être modifiée...
Nous pensons en effet qu'il est important que le rôle de la police soit défini clairement: qu'elle joue un rôle de police de proximité en assurant une présence dans les quartiers et en étant proche de la population. Car, si la police de proximité n'est pas présente, si les gens ne peuvent pas faire appel à elle quand ils en ont besoin - le poste du Bourg-de-Four a tout de même reçu plus de trois mille appels en 2003, il faut le dire - le problème se pose alors de manière tout à fait différente... En effet, si, d'une police de nature conviviale, présente sur le terrain, jouant un rôle dissuasif et préventif, on passe à une police d'une toute autre nature, beaucoup plus répressive, c'est le rôle de la police qui est remis en cause. Si on encaserne tous nos gendarmes et qu'on les fait sortir uniquement en tenue de combat, c'est la nature même de la police qui en sera changée. La police de proximité étant, par définition, proche de la population, conviviale, dissuasive par sa présence.
Cela a son importance pour plusieurs raisons. Tout d'abord - et cela me semble fondamental - la plupart des problèmes posés en matière de sécurité sont très souvent liés à des tensions dues à la proximité de certains lieux bruyants... Je pense, par exemple, à la fermeture des restaurants, des bars, aux violences dans la rue... Le tissu social s'est beaucoup modifié avec le temps, mais je ne veux pas reprendre ici le discours que j'ai fait à plusieurs reprises sur ce sujet... Mais, tout de même ! On peut s'apercevoir que certains acteurs de la société ont disparu: il n'y a plus de concierges... Ils ont été remplacés par des sociétés de nettoyage. Les poubelles sont mises dehors le soir et traînent toute la nuit dans la rue... Si quelqu'un a besoin d'aide chez lui, il ne trouve quasiment plus personne pour lui répondre... Dans ce contexte et dans un périmètre comme celui de la Vieille-Ville, qui compte énormément d'établissements de nuit et de restaurants - où se rendent pratiquement tous les touristes qui passent à Genève - il ne semblait pas vraiment opportun de changer l'affectation du poste du Bourg-de-Four et de réduire le nombre des gendarmes de trente-six à six, comme cela a été le cas. Ils ne peuvent évidemment plus être présents sur le terrain, ni répondre au téléphone ni aux demandes de la population, qu'il s'agisse des habitants, des commerçants ou des touristes de passage.
C'est donc un problème très important, d'autant plus que le poste du Bourg-de-Four est l'un des derniers postes à fonctionner non-stop, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et que de nombreux autres postes ont successivement été fermés dans les quartiers. Il n'y a aujourd'hui plus de police de proximité... Il y a bien encore un ou deux îlotiers, mais ils travaillent pendant les heures de bureau. Et, même s'ils essayent de remplir leur tâche le mieux possible, ils ne peuvent tout simplement plus le faire, en raison du manque de personnel.
A partir du moment où il n'y a plus de police de proximité, c'est le rôle même de la police qui se trouve modifié et qu'il faut redéfinir. Cela pose très certainement un problème aussi au niveau du recrutement de nouveaux gendarmes et parmi les gens de la profession. Car la fonction est complètement différente si l'on considère que la police doit être proche de la population et participer - avec cette dernière - à la sécurité des quartiers ou intervenir à la suite d'un d'appel, ou que la police n'est qu'une force d'intervention.
Voilà les problèmes que j'entendais exposer pour demander au Conseil d'Etat s'il allait revenir sur sa décision et tenir les engagements qu'il avait pris de mettre en place une police de proximité... On voit les résultats aujourd'hui: le personnel du poste du Bourg-de-Four a été diminué: six employés au lieu de trente-six ! Bien sûr, ces derniers ne sont plus en mesure de répondre aux besoins de la population, puisqu'il n'y a plus personne pour assurer une présence dans ce poste le soir et les week-ends. C'est un gros problème pour les habitants du quartier.
Je voudrais dire également que quatre associations du quartier de la Vieille-Ville n'étaient pratiquement jamais d'accord sur aucun sujet. Le changement d'affectation de ce poste de police les a réunies, car elles sont conscientes du problème posé aujourd'hui. Nous avons plusieurs fois eu l'occasion d'intervenir ici pour des questions de bruit, de voisinage... Ce qui arrive, c'est que la sécurité est de plus en plus assurée par les gens eux-mêmes: ils balancent des objets par la fenêtre, se disputent, se bagarrent, et il y a, le soir, des problèmes dans la Vieille-Ville qu'il n'y avait pas avant, quand la police de proximité pouvait assurer la sécurité.
On participe ainsi à ce que j'appelle l'«américanisation de la société», c'est-à-dire que la discussion, la convivialité et les échanges sont remplacées par la violence. Plus personne ne connaît plus personne... Et il n'y a plus de sécurité, je le répète. C'est un problème important qu'il ne faut pas sous-estimer.
Cette interpellation représentait pour moi un espoir de revenir à la situation antérieure, comme cela avait été le cas pour d'autres postes de gendarmerie - nous avions réussi, avec la pression des gendarmes, à faire en sorte que la hiérarchie de la police se ravise et maintienne ces postes. Maintenant, c'est malheureusement trop tard. Ce problème ne sera même pas résolu dans la nouvelle loi sur la police, mais on verra de quoi il retourne à la fin du débat...
Mesdames et Messieurs les députés, je suis d'avis qu'il faudra donner la parole au peuple au sujet de la police de proximité. C'est par l'initiative populaire que nous résoudrons ce problème, en posant comme principe le maintien de postes de police de quartier sur la rive gauche et sur la rive droite, avec une présence minimale de trois gendarmes par poste, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pour qu'ils soient présents sur le terrain et proches de la population. Nous ne devons pas suivre l'orientation prise par le Conseil d'Etat et la hiérarchie de la police d'encaserner les gendarmes et de les transformer en groupes d'intervention souvent hostiles à la population et provoquant des bagarres.
Je donne un simple exemple de l'efficacité de la police de proximité... Quand, à la place du Bourg-du-Four, il y avait beaucoup de monde sur les terrasses, soit beaucoup de bruit, il suffisait que l'îlotier sorte et parle aux restaurateurs et à certaines personnes pour résoudre le problème. Aujourd'hui, il n'y a plus d'îlotiers... Et si vous faites appel aux groupes d'intervention pour mettre de l'ordre au Bourg-de-Four, eh bien, il y aura une bagarre générale et les gens sortiront de tous les autres bistrots alentour pour y participer ! Nous ne voulons pas de telles violences ou tensions ! Je suis persuadé que les gendarmes n'en veulent pas non plus ! Il faut leur donner la possibilité de faire leur travail en harmonie avec la population et non pas contre la population !
C'est là, à mon avis, une grave erreur de la hiérarchie, une grave erreur du Conseil d'Etat, qu'on n'arrivera probablement corriger - si on ne le peut malheureusement avec la loi, tout à l'heure - qu'avec une initiative populaire ! Et cette dernière sera certainement soutenue par la population, qui souhaite bénéficier d'une police de proximité dotée de moyens suffisants pour effectuer son travail correctement !
Le président. Merci, Monsieur le député ! Mesdames et Messieurs, si vous le permettez, je vous signale quelle procédure sera appliquée. En effet, nous n'avons pas souvent affaire à ce type d'objet. L'article 161 de notre règlement stipule ceci: «1) Le député développe son interpellation - c'est ce qui vient d'être fait... 2) Le Conseil d'Etat doit répondre: a) autant que possible sur-le-champ; b) à une séance ultérieure, oralement ou exceptionnellement par écrit, mais au plus tard à la première séance qui suit l'expiration d'un délai d'un mois.»
Madame la conseillère d'Etat, souhaitez-vous répondre maintenant ? (Mme Micheline Spoerri acquiesce.)Je vous donne la parole.
Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Merci, Monsieur le président. Monsieur Spielmann, j'ai bien entendu vos propos, mais je tiens à rectifier un point important... Dire que les postes de police sont fermés, c'est induire en erreur la population, Monsieur le député ! Si c'est clair dans votre esprit, cela ne l'est pas forcément pour tout un chacun, car un poste qu'on ferme est un poste qui n'existe plus !
C'est vrai, nous avons récemment modifié les horaires du poste de police du Bourg-de-Four, comme nous l'avions fait pour d'autres postes. En particulier, nous avons décidé que le poste ne serait pas ouvert le samedi après-midi - c'est la modification essentielle - pour la simple raison - et ce n'est pas un mystère ici - que nous avons ouvert un poste de police à Cornavin, comme nous le réclamait la population genevoise depuis fort longtemps. Vous le savez, Monsieur le député, ce poste de police est ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et - je peux vous le dire - il était plus que nécessaire, à voir les résultats obtenus quant à sa fréquentation par les citoyens de notre ville.
Les effectifs de la police dont nous disposons - vous le savez - et dont nous allons discuter tout à l'heure dans le cadre de la loi de la police ne permettent malheureusement pas de répondre à la demande d'une plus large ouverture des postes de police, soit vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Je tiens également à vous dire que si le poste de Bourg-de-Four a finalement été choisi parmi d'autres pour tester une ouverture restreinte, c'est parce que nous avons pu constater que l'évolution de la petite et de la moyenne criminalité, en particulier, y était beaucoup moins inquiétante qu'ailleurs. Et, parallèlement, en changeant les horaires d'ouverture, nous avons pu déléguer certaines tâches: des patrouilles régulières depuis Rive, Carouge et Plainpalais... Je ne suis pas en train de dire que ce que nous avons fait est parfait... Je dis simplement que votre déclaration est extrêmement alarmiste, et je ne suis pas en mesure de la confirmer.
Pour ce qui est de la police de proximité - nous avons eu l'occasion de parler de ce sujet avant les vacances; je vous le rappelle, car, apparemment, soit vous n'étiez pas présent, soit vous n'aviez pas écouté - il s'est tenu le 3 juin à l'Hôtel de police, sous la direction de M. Rechsteiner, un premier séminaire sur la police de proximité, assorti d'un certain nombre d'ateliers de travail pratique portant sir presque tous les thèmes de la police de proximité. Quand je dis «tous les thèmes», j'évoque ceux qui se rapportent aux jeunes, aux écoles, aux quartiers, à la sphère privée, à la sécurité des communes, à la circulation, et nous avons actuellement un programme de travail en cours, avec pratiquement tous les acteurs sociaux de ce canton qui ont participé à ce séminaire.
Alors, une fois encore, je ne peux pas laisser dire qu'il n'y a pratiquement plus d'îlotiers à Genève... Il y en a très insuffisamment, certes - je l'ai exprimé à plusieurs reprises, cela ne me satisfait pas - mais je relèverai la chose suivante - du reste, cela a très bien été démontré au cours du séminaire - la police de proximité à Genève, comme ailleurs, Monsieur, nous ne pouvons pas la réussir seuls ! Et aujourd'hui, dans notre société, même avec des effectifs plus importants, la police de proximité ne réussit qu'avec le concours des divers acteurs.
C'est la raison pour laquelle nous les avons consultés. C'est la raison pour laquelle nous allons continuer à collaborer avec eux. C'est la raison pour laquelle, une fois encore, vous devez être rassurés, Mesdames et Messieurs, sur la volonté du Conseil d'Etat et de la hiérarchie.
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Je vous donne lecture de l'article 161, alinéa 3, de notre règlement: «L'interpellateur peut répliquer sur-le-champ ou annoncer qu'il le fera lors d'une session ultérieure.» Ainsi, Monsieur Spielmann, vous avez la parole.
M. Jean Spielmann (AdG). Le problème posé ici - je l'avais d'ailleurs déjà évoqué lors du débat budgétaire - est que des séminaires se sont tenus, que des discussions ont eu lieu - avec beaucoup de chefs de départements et d'autres personnes - sur les questions théoriques, mais, en pratique, Mesdames et Messieurs les députés, ce Grand Conseil et le Conseil d'Etat ferment les postes de police de quartier ! L'îlotier reste, certes, mais pendant les heures d'ouverture des bureaux, et il est souvent toute la journée à l'extérieur pour répondre aux appels, c'est pourquoi il n'y a plus personne dans les postes ! Je vous défie de trouver quelqu'un qui puisse se rendre rapidement sur place si vous téléphonez dans un poste de police de quartier ! De plus, les gens ne connaissent plus les gendarmes et les contacts sociaux - le tissu social - n'existent plus. C'est bien dommage !
On nous a expliqué qu'il fallait absolument ouvrir un poste de police à Cornavin parce qu'on s'est rendu compte que beaucoup de monde circulait à cet endroit... A l'époque, j'avais déjà demandé pourquoi le poste de police de Cornavin - le Polshop - avait été fermé... Ne s'était-on pas rendu compte, là-bas et à ce moment-là, qu'il y avait du monde ? Si ce poste a été fermé, c'est pour des raisons budgétaires, c'est une volonté politique ! Evidemment que le poste de Cornavin a été rouvert, mais, pour cela, on a limité les horaires de quasiment tous les autres postes qui fonctionnaient vingt-quatre heures sur vingt-quatre !
Concrètement, sur trente-six gendarmes du poste de police du Bourg-de-Four, il n'en reste que six ! Et je ne suis même pas sûr qu'il y en ait encore six aujourd'hui... Concrètement, les habitants des quartiers ne peuvent plus avoir de contact avec les gendarmes !
Concrètement, les îlotiers ne peuvent plus remplir leur tâche de proximité ! Concrètement, la police est confinée à un autre rôle !
Concrètement, les décisions budgétaires et politiques qui ont été prises vont à l'encontre d'une politique de police de proximité ! Et vous pouvez organiser tous les séminaires que vous voulez à ce sujet, cela ne remplacera - pour répondre aux besoins de la population - ni la police de proximité, ni les postes de gendarmerie ouverts, ni la présence des gendarmes dans les quartiers.
A mon avis, vous n'avez pas répondu sur ce point. Je le répète: il s'agit d'un problème budgétaire et d'une volonté politique. Et l'on va à l'encontre d'une politique de police de proximité.
Pour le surplus, je rappellerai aussi à ce Grand Conseil que quatre postes de police de campagne ont été vendus ces dernières années... Regardez le Mémorial ! L'Etat a considéré qu'il n'avait plus besoin de ces bâtiments, et il les a vendus: celui de Versoix, celui de Chancy, de Chêne et du Grand-Saconnex... Mais la population n'est-elle pas en droit d'attendre que des postes de police soient ouverts pour pouvoir répondre aux appels ? Nous ne voulons pas de cette société où la répression remplace la prévention, où la présence humaine et les relations entre les personnes sont remplacées par des groupes d'intervention et par la violence ! Nous ne voulons pas d'une telle société ! Nous souhaitons que la police assume un autre rôle, un rôle de police de proximité. Et le métier de gendarme serait peut-être plus attractif, car il serait plus valorisant et plus humain. Cela permettrait d'avoir les effectifs requis et de trouver des personnes qui aient envie de faire ce travail. Tout cela est lié ! Il faut changer la société et, pour cela, il faut que la police de proximité soit réorientée.
Je regrette d'avoir à le redire, mais la réponse du Conseil d'Etat ne me satisfait pas du tout ! Elle va totalement à l'encontre des promesses faites. Vous pouvez raconter tout ce que vous voulez, mais la réalité, c'est que les postes de police de quartier sont fermés les uns après les autres et que les gendarmes et les îlotiers sur le terrain sont de moins en moins nombreux. C'est un fait, et il faut que cela change ! Et pour que cela change, il faudra probablement donner la parole au peuple, si le Conseil d'Etat n'est pas en mesure de changer l'orientation politique actuelle.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je vous donne lecture de l'article 161, alinéa 4, de notre règlement: «Le Conseil d'Etat a la faculté de dupliquer, mais immédiatement après la réplique de l'interpellateur.» Madame la conseillère d'Etat, vous avez la parole.
Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Merci, Monsieur le président. Je vais être brève...
J'assure à ce parlement - et j'anticipe, pardonnez-moi, sur la suite du débat, puisque la motion issue de la commission judiciaire le demande - que je m'engagerai par écrit concernant ce que j'ai avancé brièvement tout à l'heure au sujet de la police de proximité.
Cette interpellation est close.