République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 27 août 2004 à 8h
55e législature - 3e année - 10e session - 61e séance
GR 383-A
Mme Marie-Paule Blanchard-Queloz (AdG), rapporteuse. Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande un peu d'attention pour ce dossier important, exemplaire non quant aux faits qui seront relatés, mais pour l'exemple de réinsertion de cette personne.
D'origine française, M. H. est né en 1977. Il a été condamné à Genève en 1998 pour brigandages aggravés en bande, tentative de brigandage aggravé en bande, extorsions et chantage aggravés en bande, utilisations frauduleuses d'un ordinateur.
M. H. vient d'une banlieue d'une ville proche, il est issu d'une famille nombreuse, comme les deux personnes avec lesquelles il a commis ses forfaits - cependant, il ne s'agit pas de pauvreté comme on pourrait l'imaginer. En effet, ces trois personnes sont intelligentes, elles font des études - pour lesquelles elles ont obtenu des bourses - et travaillent aussi pour les financer. Un jour, en 1998, ces personnes décident de venir à Genève en se disant qu'il y avait peut-être de l'argent «à se faire» plus facilement. Elles commettent alors une série de brigandages sur des personnes, cela pendant trois semaines - les victimes ont certes été traumatisées, mais elles n'ont pas été blessées. De toute manière, les faits sont graves et ces trois personnes ont été punies par quarante mois d'emprisonnement.
Il ne nous appartient pas de juger ici de la gravité de ces délits, mais il faut savoir que nous ne sommes pas en présence de brigands tels que ceux qui viennent habituellement chez nous commettre des forfaits; il s'agit plutôt d'un «brigandage d'occasion». D'ailleurs, ces trois personnes ont reconnu les faits et les ont fortement regrettés - en quarante mois, elles en ont eu le temps - même si cela n'excuse rien.
En sortant de prison en 2001, M. H. a repris ses études de sciences politiques, qu'il a réussies brillamment - nous avons ici plusieurs lettres de recommandation à l'intention de ses futurs employeurs. M. H. effectue des stages dans le domaine bancaire, ce qui peut paraître... surprenant ! Entre-temps, M. H. s'est marié et a eu une petite fille - également en 2001. Il est parti s'installer à Londres, puisqu'il a trouvé du travail dans une grande banque internationale, et il a été promu à un poste important dans un des services de cette banque. Il se trouve que cette dernière a une succursale à Genève... J'ai omis de vous dire que M. H. demande la grâce du solde de cinq ans de la peine d'expulsion judiciaire qui était de dix ans. Donc, M. H. doit effectuer des stages - obligatoires - à Genève pour rester dans le service de la banque pour laquelle il travaille - d'après les documents en notre possession, ses employeurs sont très contents de lui.
Aussi, pour pouvoir travailler ici - et non pas séjourner, car je vous rappelle que M. H. n'a jamais séjourné en Suisse et n'en a jamais émis le désir - il demande la grâce des cinq ans de peine qui restent. Dès lors, nous sommes face à un choix porteur de messages. Le premier choix: confirmer les dix ans de peine d'expulsion judiciaire - parce qu'on ne peut pas accepter que des gens viennent commettre des brigandages chez nous pour ensuite obtenir la grâce du Grand Conseil. Mais il est vrai qu'une telle décision compromettrait assez gravement l'avenir de cette personne. D'autre part, en admettant que la grâce lui soit accordée et que M. H. vienne travailler à Genève, il n'est pas à l'abri de ce que son employeur, qui semble l'ignorer, prenne connaissance de son passé... Et à cela, nous n'y pouvons rien.
Le deuxième choix - et c'est sur celui-ci que j'aimerais m'arrêter - serait de considérer que cette personne s'est fortement repentie et qu'elle s'est réinsérée dans la société: on peut dire que c'est un exemple. Aussi, la commission de grâce, dans sa majorité, vous propose d'accepter cette grâce pour ne pas enfermer encore une fois cette personne dans son passé et pour lui donner un maximum de chances de poursuivre ses activités de réinsertion. Je vous remercie.
Le président. Merci, Madame la rapporteure. Avant de passer la parole à M. le député Froidevaux, j'aimerais préciser - ce que j'ai omis de faire tout à l'heure - que nous traiterons à partir de 10h les urgences acceptées ce matin.
M. Pierre Froidevaux (R). Monsieur le président, chers collègues, la majorité de la commission vous suggère d'accorder la grâce à cette personne. Or je m'exprime ici au nom de la minorité. Nous avons compris que la majorité se révolte une nouvelle fois contre la notion de la double peine.
Effectivement, la peine infligée à cette personne comprend une peine de prison - qu'elle a accomplie - et une peine d'expulsion. Cette personne - et seul fait nouveau, c'est sa repentance - a besoin de revenir à Genève pour effectuer un stage, car, ayant pu retrouver ses liens sociaux, elle pourrait obtenir ici une place de travail de manière temporaire.
A ce point, Mesdames et Messieurs les députés, il s'agit de connaître l'efficacité de notre système judiciaire. Globalement, nous savons que le taux de récidive est nettement plus faible chez les personnes qui ont subi un acte judiciaire ou une peine lorsqu'elles étaient jeunes ou adolescentes. Cela signifie que les mesures préventives effectuées dans la société sont efficaces.
Ce cas de repentance illustre mon propos, mais il est tout de même particulier: Mme la rapporteuse a omis de dire que cette personne avait déjà été condamnée pour un fait bénin quelques années auparavant. A l'époque, la punition qui en avait découlé avait «sauté» et M. H. a donc subi, par la révocation de son sursis, la punition pour ces faits antérieurs.
Il faut se montrer ferme: c'est ainsi que nous arriverons à créer de meilleurs liens sociaux. C'est la raison pour laquelle je vous recommande de refuser la grâce.
M. Gilbert Catelain (UDC). Madame la rapporteuse, je n'ai pas une idée objective du dossier, dans la mesure où je n'ai pas participé aux travaux de la commission, mais votre exposé des faits me semble léger.
Lorsqu'un tribunal inflige une peine de quarante mois de réclusion, c'est qu'il y a eu des faits antérieurs. Il n'y a pas de réclusion si on est blanc comme neige ! Si c'est le cas, il y a un sursis pour que les peines ne dépassent pas dix-huit mois. Ces derniers temps, on a pu lire dans les journaux des articles au sujet d'affaires pour lesquelles le tribunal a essayé d'infliger une peine inférieure à dix-huit mois afin que l'accusé bénéficie du sursis, même pour des cas graves. Dans celui de M. H., la réclusion est de quarante mois, plus une peine d'expulsion de dix ans. Je vous rappelle que le code pénal prévoit que la durée de l'expulsion va de trois à quinze ans. Il me semble donc qu'il doit y avoir davantage que du simple cambriolage occasionnel - ou «d'occasion», pour employer vos mots, Madame.
Je demande un complément d'information sur les faits pris en compte par le tribunal et qui ont conduit ce dernier à infliger à M. H. une peine de réclusion ferme de quarante mois - sans sursis, c'est clair - assortie d'une peine d'expulsion de dix ans.
Mme Marie-Paule Blanchard-Queloz (AdG), rapporteuse. Pour répondre à M. Froidevaux, si je n'ai pas mentionné ce sursis, ce n'était pas délibéré pour cacher un fait, mais parce que ces arrêts de cinq jours se rapportaient à une affaire sans importance de circulation routière. Ces cinq jours d'arrêt n'entrent pas en ligne de compte, car ces actes de brigandages ne constituent pas une récidive.
Monsieur Froidevaux dit qu'il n'y a pas d'éléments nouveaux; je ne suis pas d'accord. Voici les éléments nouveaux: M. H. a repris ses études, qu'il réussissait d'ailleurs brillamment, et il les a achevées. Il est parti à Londres pour y travailler. Il s'est réinséré. Dire qu'il n'y a pas d'éléments nouveaux me semble donc un peu léger.
Quant aux propos de M. Catelain, je n'ai pas dit que M. H. était blanc comme neige, j'ai simplement rappelé les circonstances de ce brigandage. Je ne veux pas prétendre que ce n'est rien, mais nous n'avons pas à juger ici. Ces actes sont graves - très graves - et M. H. a été condamné pour cela à quarante mois de prison - ses deux collègues ont également été condamnés - et je vous rappelle qu'il les a purgés et qu'il a payé sa dette à la société.
Il reste maintenant cette peine d'expulsion judiciaire de dix ans pour laquelle il demande la grâce des cinq ans restants. M. H. ne cherche pas à s'établir ici ni à y venir travailler. Il s'agit d'un concours de circonstances - c'est aussi un fait nouveau, Monsieur Froidevaux - que je qualifierai de malheureux pour lui parce que cela peut compromettre sa carrière qui, semble-t-il, est sur la bonne voie.
Lui donnera-t-on une chance ou le condamnera-t-on une deuxième fois, alors que ce n'est pas notre rôle ?
M. Jean-Michel Gros (L). Bonjour, Monsieur le président ! (Rires.)
Le président. Bonjour, Monsieur le député !
M. Jean-Michel Gros. Mesdames et Messieurs les députés, je voterai comme la minorité de la commission: je refuserai la grâce à M. H.
Il faut tout de même soulever la gravité des faits qui lui sont reprochés ! Mme Blanchard-Queloz a bien insisté sur le fait que c'était grave. Il faut rappeler que la bande de M. H. avait l'habitude d'interpeller des jeunes sortant de boîtes de nuit, les retenait, les séquestrait, les menaçait d'un couteau sous la gorge pour leur faire révéler leur numéro de carte de crédit ou les obliger à retirer de l'argent dans les bancomats.
Ces mises en danger de la vie d'autrui sont donc très graves. Alors, les faits nouveaux évoqués par Mme le rapporteur...
C'est vrai que M. H. semble s'être bien réinséré, mais il l'a fait à Londres, où il vit apparemment fort heureux avec son épouse et sa fille.
Et voici le véritable fait nouveau: son employeur veut, tout à coup, l'envoyer faire un stage - obligatoire - à Genève. Or M. H. n'a jamais osé avouer son passé à son employeur ! Et ce problème nous concerne très secondairement.
Alors, vu la gravité des faits et étant donné, par notre décision, que nous ne désunissons pas une famille, puisqu'elle habite Londres - et y vit, semble-t-il fort heureuse - je vous propose de ne pas accorder la grâce à M. H.
M. Antoine Droin (S). Mes arguments ressemblent à ceux de M. Gros, mais j'accepte, par contre, la grâce pour M. H. pour les raisons inverses. C'est justement parce qu'il travaille à Londres et qu'il doit effectuer un stage à Genève, dans le cadre son travail, qu'il a besoin d'obtenir la grâce du solde de la peine d'expulsion, soit cinq ans. Il a entièrement purgé sa peine de quarante mois d'emprisonnement, ainsi que la première partie de la seconde peine; il demande donc la grâce pour les cinq dernières années.
M. H. s'est réinséré après avoir accompli la quasi-totalité de sa peine. Il est établi à l'étranger et ne demande pas la grâce pour s'établir en Suisse, mais pour pouvoir exercer sa profession.
Il a commis des délits graves, c'est vrai. Il les a commis alors qu'il était encore très jeune et il a payé. Chacun a droit à une deuxième chance. M. H. a démontré qu'il s'est réinséré dans la vie, il s'est marié et a un enfant. A mon avis, tous les éléments sont réunis pour montrer qu'il s'est stabilisé, et il n'y a pas de raison qu'il retombe dans la délinquance. On peut donc lui accorder la grâce.
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons procéder par vote électronique. Celles et ceux qui acceptent le préavis de la commission de grâce, soit l'octroi de la grâce du solde de la mesure d'expulsion, voteront oui; les autres voteront non ou s'abstiendront.
Mis aux voix, le préavis de la commission recueille le même nombre de oui et de non.
Le président. Il y a égalité des voix... J'estime que mon rôle, en tant que président, est de garantir le respect des institutions. Par conséquent, il m'appartient de suivre le préavis d'une commission de notre Conseil. Je vote donc oui.
Le préavis de la commission est donc adopté par 29 oui contre 28 non et 4 abstentions.
Le président. La grâce du solde de la mesure d'expulsion est ainsi acceptée.
Nous passons maintenant aux interpellations urgentes écrites. Vous avez trouvé sur vos places les textes des réponses du Conseil d'Etat aux interpellations urgentes écrites suivantes.