République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1496
Proposition de motion de MM. Jacques Jeannerat, Thomas Büchi, Bernard Lescaze, André Reymond, Jean-Marc Odier en vue d'un changement du règlement genevois sur la protection contre le rayonnement non ionisant des installations stationnaires (K 1 70.07) du 16 octobre 1999

Débat

M. André Reymond (UDC). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, lors de grandes manifestations à Genève, un surcroît de communications que l'on ne peut ignorer rend difficiles les appels via la téléphonie mobile et baisse leur qualité. De plus, ce phénomène se ressent toujours davantage, à cause des utilisateurs particuliers dans la vie de tous les jours. Il y a en effet plus de six millions de téléphones portables en Suisse en plus des lignes fixes, dont une grande partie se trouvent probablement sur notre canton.

La motion qui est présentée ce soir va permettre le passage aux nouvelles normes UMTS, qui représente une adaptation nécessaire du réseau de téléphonie mobile. Il ne modifie en aucun cas le nombre de sites actuels à Genève, qui est de 450. En plus d'offrir un meilleur confort aux utilisateurs genevois, l'économie de notre canton se doit de jouir d'un réseau de téléphonie mobile performant. Je rappellerai en effet que le marché de la téléphonie mobile représente 3% du PIB suisse et emploie 2,5% de la population active.

Selon EcomieSuisse, ce marché est crucial pour l'économie helvétique: une récente étude a démontré que 40% de l'économie nationale profitaient de la téléphonie mobile et que 40% des entreprises helvétiques considéraient que l'utilisation de cette technologie améliorait de manière tangible leur productivité. Genève se doit en outre de conforter sa place de leader dans le monde des télécommunications, place qu'elle a acquise, entre autres, grâce à la venue de la manifestation Telecom.

Cette motion permettra de modifier le règlement genevois, trop restrictif par rapport à l'ordonnance fédérale. Selon les dernières études scientifiques, les normes fédérales sont suffisantes et la puissance des antennes ne représenterait pas un danger dit «probable» pour l'homme. Il est prouvé accessoirement que certains émetteurs de radio sont bien plus dangereux que ces ondes non ionisantes.

Pour que cette motion 1496 déposée il y a plus de dix-huit mois soit acceptée, je vous propose de la soutenir.

Présidence de Mme Marie-Françoise de Tassigny, première vice-présidente

Mme Ariane Wisard-Blum (Ve). Actuellement, à Genève, les terrasses, les balcons ainsi que les places de jeux sont considérés comme des lieux sensibles et les émissions de rayonnements non ionisants y sont strictement limités. Cette mesure satisfait entièrement les Verts. Il nous paraît bien normal qu'en ces lieux, la population soit correctement protégée contre ces effets encore inconnus à ce jour. En effet, nous sommes toujours dans une grande incertitude à ce sujet. Peut-être que dans vingt ou trente ans, nous sourirons de l'affaire des rayonnements non ionisants, ou alors nous nagerons en plein scandale scientifico-politico-financier avec un problème de santé publique comparable à celui du sang contaminé. A l'heure actuelle, aucune étude ne peut affirmer ou démentir les dangers encourus par la population vivant près des stations ou utilisant des téléphones mobiles. En attendant, la technologie évolue vite et le marché de la téléphonie mobile est en pleine expansion. Aujourd'hui, il ne s'agit plus seulement de transmettre des sons, mais également des images, des services interactifs et autres gadgets souvent aussi futiles qu'inutiles. Actuellement, il y a surenchère dès l'enfance: ce sera à celui qui aura le natel le plus sophistiqué. La demande ainsi suscitée n'est d'ailleurs pas sans nous rappeler par certains aspects un phénomène de dépendance.

On l'a compris: cette technologie rapporte gros, très gros. Et elle ne peut se faire qu'en augmentant la puissance des émissions des antennes, entraînant une augmentation du champ électro-magnétique.

La population genevoise doit pouvoir utiliser les balcons, les terrasses et les places de jeux en toute quiétude, sachant que ces lieux sont protégés au mieux des effets de ces rayonnements. Les Verts ne veulent en aucun cas prendre le risque d'exposer la population à ces risques potentiels. Nous considérons comme juste et responsable le principe de précaution tel qu'appliqué à Genève. Le règlement actuellement en vigueur est soucieux de la sécurité publique et doit être maintenu ainsi. Notre groupe juge cette motion dangereuse et a de la peine à discerner les motivations profondes de ses auteurs. En conclusion, les Verts vous demandent énergiquement de rejeter cette motion irresponsable.

Mme Loly Bolay (S). Mesdames et Messieurs les députés, je partage entièrement l'avis exprimé par ma collègue Ariane Wisard. J'aimerais faire un petit rappel des faits: nous avons voté ici la motion 1390, initialement signée par presque tous les partis représentés dans ce plénum, sauf les libéraux. La commission de la santé avait fait un travail remarquable sur cette motion 1390, qui a abouti à la résolution 458, votée à l'unanimité des membres de la commission de la santé et de ce plénum. Cette résolution invitait le Conseil d'Etat à «veiller régulièrement au contrôle des installations et de leurs émissions, s'assurer que l'information pour de nouvelles installations soit faite correctement, tant pour le voisinage que pour les communes concernées».

Or, la proposition de motion qui nous est présentée ici fait totalement fi des travaux qui ont été effectués par la commission de la santé. Cette proposition de motion fait fi également de la brochure éditée par le Département de l'intérieur, qui met en garde sur les problématiques de dépassement des valeurs limites. Cette proposition de motion fait fi également de tous les moratoires qui ont été votés dans plusieurs communes: je pense à la Ville de Genève, à la commune de Versoix ou à la commune du Grand-Saconnex, pour ne donner que quelques exemples. Cette proposition de motion fait fi des combats qui ont été menés, souvent jusqu'au Tribunal fédéral, et qui ont été gagnés par des associations, notamment l'Association des locataires des immeubles du quartier «La Tour», l'ALIQT, au Grand-Saconnex, dont la victoire à entraîné le démontage complet d'antennes. Mesdames et Messieurs les députés, il faut le savoir.

Enfin, cette proposition de motion érige en dogme les besoins économiques des opérateurs, au détriment de ceux de la santé publique, qui sont bien plus importants. C'est la raison pour laquelle le parti socialiste vous invite à réserver le sort qu'elle mérite à cette motion, c'est-à-dire un classement vertical.

M. Rémy Pagani (AdG). Madame la vice-présidente, Mesdames et Messieurs les députés, j'aurais aimé clarifier la question du statut de cette motion. Est-ce bien un débat de préconsultation concernant le renvoi en commission ? Nous sommes bien dans cette logique-là, n'est-ce pas ?

La présidente. Il y a eu une demande de renvoi immédiat au Conseil d'Etat.

M. Rémy Pagani. Je vous remercie. L'AdG considère qu'il faut renvoyer cette motion en commission, dans la mesure où la commission de la santé a déjà traité des nouvelles technologies, et que n'importe quelle nouvelle technologie doit être maîtrisée.

Chacun d'entre vous possède un four à micro-ondes à la maison et en voit les effets immédiats: il sait qu'il est interdit d'y mettre la main, contrairement aux fours habituels. Ainsi, quoi qu'on puisse en penser, toute nouvelle technologie comporte des risques. Celle dont traite cette motion doit donc aussi être évaluée ! Or, vous nous demandez de faire fi d'une expérience statistique, qui donnera pourtant un jour ou l'autre des résultats. Comme l'ont dit les précédentes intervenantes, il s'agit de mettre en place un principe de précaution nécessaire à cette nouvelle technologie.

De plus, l'argument de l'UDC selon lequel une saturation des réseaux rend nécessaire l'implantation d'antennes est fallacieux. J'aimerais donner un petit contre-exemple, qui prouve qu'on est loin de la saturation, bien que la transmission de photos par UMT nécessitera une augmentation de la puissance. Par exemple, autour de l'aéroport, il n'y a pas de réels besoins technologiques ! Le fait est que toute personne qui descend de l'avion rebranche son téléphone portable à son arrivée à l'aéroport et, automatiquement, ce dernier sera capté par l'antenne la plus puissante. On se trouve devant une pléthore d'antennes à l'aéroport, pour «choper» le client, si l'on peut dire, pour l'attraper - au vol ! - juste après son débarquement et gagner de l'argent ainsi. Qu'on ne vienne pas nous dire qu'il y a un besoin évident de nouvelles technologies parce que le réseau est aujourd'hui saturé, alors que c'est une concurrence effrénée qui mène à la volonté d'augmenter le nombre d'antennes !

A cela nous nous opposons ! D'autant plus fortement que la sécurité n'est pas garantie, notamment en ce qui concerne l'implantation des antennes. Comme l'a rappelé Mme Wisard, le Tribunal fédéral a sanctionné, lors d'une affaire récente, l'implantation d'une antenne qui n'était pas conforme.

C'est pourquoi nous proposons le renvoi de cette motion à la commission de la santé, pour que celle-ci lui réserve le sort qu'elle mérite, à savoir qu'elle n'entre pas en matière.

M. Jacques Jeannerat (R). On entend tout et son contraire sur les éventuels effets sur l'homme des antennes de téléphonie mobile. Je suis d'accord avec Mme Wisard, il y a toujours certaines incertitudes, mais la technologie évolue et, même si la commission de la santé a étudié la question il y a quelque temps de façon sérieuse, je pense que cela vaut la peine de se reposer la question. En complément des travaux réalisés par la commission de la santé, je pense que la commission des travaux pourrait analyser à son tour le contenu de cette motion. Je propose donc que celle-ci soit renvoyée à la commission des travaux.

M. Gilbert Catelain (UDC). Le débat sur la ionisation a en effet eu lieu à la commission de la santé, il a fait l'objet d'un rapport devant ce Grand Conseil, et chacun a pu s'exprimer sur les dangers ou l'absence de danger de la ionisation. Un dossier relativement épais, que chacun peut consulter, est à disposition au service du Grand Conseil.

La doctrine dans ce domaine - au niveau scientifique en tout cas - n'est pas claire, les preuves manquent. Par contre, ce que je peux vous dire, c'est qu'en matière de téléphonie mobile il s'agit de puissances relativement faibles ! Je vous donne un exemple concret: mon père a été irradié dans le SPS du CERN, un collisionneur en fonctionnement il y a trente ans, avec une puissance de rayonnement en gigawatts. Ce n'est pas une puissance d'antenne pour téléphones portables, non, ce sont des gigawatts ! Mon père a été retrouvé inanimé plusieurs minutes plus tard. Traité à l'Hôpital cantonal pendant plusieurs mois, il a ensuite travaillé jusqu'à sa retraite sans que ce rayonnement d'une puissance phénoménale n'ait aucune conséquence. Cela pour vous dire qu'il faut tout remettre en rapport. C'est clair que le principe de précaution existe, mais il y a aussi d'autres expériences, qu'on ne veut peut-être pas voir, mais en fonction desquelles on n'a pas pris de mesures particulières. Il s'agissait aussi d'un rayonnement, dont les effets ont pu être mesurés après coup, puisqu'avec le temps on s'est rendu compte que les conséquences n'ont pas été celles qu'on présumait, dans la mesure où mon père n'a pas eu de cancer, qu'il est âgé de plus de septante ans et se porte très bien !

Il ne faut pas tout mélanger. On veut faire porter le chapeau de la santé publique à la téléphonie mobile, sous prétexte de dénoncer un marché économique. Je ne sais pas s'il est très sain de le faire sous cet angle-là... Sachant que, de toute manière, la Confédération a obligé les opérateurs à couvrir une certaine partie du territoire pour accueillir les normes UMTS et fournir leurs prestations, je crois que nous n'avons pas tellement le choix. Il faut plutôt agir en aval, au niveau du Conseil national, voire du Conseil des Etats, pour modifier la loi à ce niveau-là, et on pourra dès lors résoudre le problème. Mais le résoudre à notre niveau en renvoyant cette motion en commission de la santé, alors que le débat a déjà eu lieu, n'apportera rien de nouveau. Je vous propose sincèrement de renvoyer la motion directement au Conseil d'Etat, ou de ne pas la renvoyer du tout.

M. Claude Aubert (L). Je propose que ne participent au vote uniquement celles et ceux qui ne portent pas de portable actuellement. Je souligne que j'ai foi en l'homme, foi en la femme, et je suppose que vous êtes tous des altruistes. Par conséquent, si vous avez vraiment l'impression que ces portables sont nocifs, il faudrait que celles et ceux qui en portent actuellement aillent immédiatement les déposer au vestiaire. Nous autres, qui ne portons pas de portable, allons être soumis à une ionisation passive à cause de vous, de même que d'autres sont soumis à du tabagisme passif. Donc, si vous gardez sur vous ces portables et que vous n'allez pas immédiatement les remettre au vestiaire, cela veut dire que vous ne croyez absolument pas à ce que vous dites ! (Applaudissements.)

Mme Loly Bolay (S). Monsieur Aubert, ce n'est pas parce que nous avons tous un portable qu'il faut accepter que ces antennes soient placées n'importe où ! Je rappelle quand même qu'elles sont souvent installées sur les toits des maisons, et que les personnes qui y habitent ont eu des problèmes de santé. Je pense qu'en tant que médecin vous devriez être sensible à cet élément-là.

Quant à la proposition faite tout à l'heure par mon collègue Rémy Pagani, je pense également qu'il est plus pertinent de renvoyer cette motion en commission plutôt qu'au Conseil d'Etat, étant précisé que la résolution 458 avait déjà été renvoyée au Conseil d'Etat. Le groupe socialiste soutient donc le renvoi de cette motion en commission.

M. André Reymond (UDC). J'aimerais rappeler encore un fait que j'ai mentionné tout à l'heure: il ne s'agit pas de changer le nombre de sites actuels qui est de 450. J'aimerais rappeler également que l'Université de Bâle a fait plus de 200 études scientifiques concernant ces rayons; actuellement, aucune preuve ne peut être apportée concernant les problèmes de santé. Il y a cinquante ans environ, lorsque sont apparus les transistors, tout le monde a crié au scandale, parlant de possibles problèmes de santé... Or je vois qu'aujourd'hui, il n'y a rien de nouveau.

J'aimerais terminer en disant, par rapport aux fours à micro-ondes, qu'on ne va pas attendre cinquante ans pour voir si c'est dangereux pour la santé ! Je crois que, dans cette salle, toutes les familles - à quelques exceptions près - disposent d'un four à micro-ondes.

Si vous désirez que les communications soient «chopées» - comme nous a dit un cher collègue - par des réseaux montés à notre frontière, vous pouvez en effet continuer dans ce sens-là, rester rétrogrades, et ne pas marcher avec le progrès. Quant à moi je vous invite, chers collègues, à renvoyer cette motion directement au Conseil d'Etat.

M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs, la question des rayons non ionisants soulève assez fortement les passions dans notre canton, et il appartient dès lors au Conseil d'Etat d'être le plus prudent et le plus rationnel possible.

Nous savons que les opérateurs souhaitent étendre leur capacité de réseau, et nous sommes parfaitement au clair et d'accord avec les motionnaires sur le fait que la qualité du réseau de téléphonie mobile genevois est un élément important de la vie économique. Parallèlement à cela, nous savons que, même si tout n'est pas déterminé aujourd'hui, les rayons non ionisants ont une certaine influence sur la santé. A partir de là, en application du principe de précaution, nous devons, à la suite de l'OMS tout d'abord et des normes fédérales ensuite, prendre sur le territoire cantonal les mesures nécessaires pour protéger la population. Lorsqu'il y a un doute en matière de santé, on ne peut pas décider de ne rien faire sous prétexte que le preuves ne sont pas là - cette attitude ne serait pas raisonnable. Il faut appliquer le principe de précaution.

Nous avons souvent des oppositions à des constructions d'antennes. Nous tentons de faire en sorte de les placer dans les endroits les moins risqués, mais nous devons souvent dire à la population qu'effectivement, dès lors que les normes sont respectées, il est normal et légitime que des antennes soient construites. Par contre, affaiblir les normes de précaution face aux rayons non ionisants - car c'est cela que demande cette motion ! - est un risque que nous n'entendons pas prendre. Nous garderons la balance telle qu'elle doit être, en favorisant tant que faire se peut l'extension du réseau de téléphonie mobile pour le bien de notre économie, mais sans faiblir sur les mesures de précaution qui doivent être prises pour protéger la population.

Présidence de M. Pascal Pétroz, président

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous avons été saisis de deux demandes de renvoi en commissions - l'une à la commission de la santé, l'autre à la commission des travaux - et d'une demande de renvoi au Conseil d'Etat. Nous procéderons au vote dans cet ordre et commençons donc par la proposition de renvoi de cette motion à la commission de la santé. Le vote électronique est lancé.

Mis aux voix, le renvoi de la motion à la commission de la santé est rejeté par 47 non contre 23 oui et 2 abstentions.

Le président. Nous votons maintenant sur le renvoi de cette motion à la commission des travaux.

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission des travaux par 45 oui contre 24 non.

Le président. Mesdames et Messieurs, il nous reste un petit quart d'heure... Peut-être réussirons-nous à traiter le point suivant.