République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 4 décembre 2003 à 20h45
55e législature - 3e année - 2e session - 6e séance
IN 122 et objet(s) lié(s)
Préconsultation
Le président. Comme pour l'initiative précédente, nous sommes en débat de préconsultation. Un seul député par groupe peut donc s'exprimer durant cinq minutes. La parole est à M. le député Antonio Hodgers pour les Verts. (Brouhaha. Le président agite la cloche.)
M. Antonio Hodgers (Ve). Comme vous le savez, ces initiatives et ce débat sur les droits politiques communaux des étrangers partent de la base. En 1996 déjà, les parlements des jeunes de certaines communes avaient adopté des résolutions demandant que les étrangers habitant depuis un certain nombre d'années en Suisse puissent disposer de droits politiques au niveau communal. Ils ont été suivis par les conseils municipaux de neuf communes genevoises. Aujourd'hui, ce sont les citoyens qui, par le biais de deux initiatives populaires, reviennent sur cette problématique.
Ces initiatives touchent à une réalité concrète: la politique communale. En politique communale - comme en politique cantonale et nationale, mais particulièrement au niveau municipal - tout se fait avec les étrangers: le sport, la culture, les arts, les loisirs, le voisinage, les amitiés. Quel citoyen suisse ne compte pas d'étrangers parmi son entourage ? Dès lors, la question qui se pose est la suivante: pourquoi pas la politique ?
La campagne de «J'y vis, J'y vote» est axée sur une idée simple représentée par une tresse tricolore. Cette tresse tricolore, symbole d'unité composée de la diversité de notre canton, représente les trois tiers qui font la diversité de Genève: un tiers de Genevois d'origine, un tiers de Confédérés, un tiers d'étrangers. Trois fils correspondent à ces tiers: le jaune pour les Genevois, le rouge pour les Suisses et le blanc pour les étrangers. Ces fils entremêlés forment un tout fort et cohérent, mais ils ne représentent pas que cela: ils représentent également les couleurs de notre drapeau national ainsi que celles de notre drapeau cantonal. Ils symbolisent le fait que la diversité qui constitue la richesse de notre canton doit pouvoir s'inscrire dans les institutions et dans le cadre de notre démocratie. Y opposer l'argument de la naturalisation est un faux débat, car il s'agit de dispositions complémentaires. La naturalisation relève d'un acte individuel de l'étranger, alors que les propositions des initiatives «J'y vis, J'y vote» relèvent d'une démarche collective: on invite une population relativement importante de notre canton à partager les responsabilités de notre avenir commun.
Deux initiatives sont proposées: une aînée et une cadette. L'aînée octroie des droits politiques communaux complets, tandis que la cadette se limite au droit de voter et de signer des initiatives et des référendums. S'agissant des Verts, notre préférence va très largement à l'aînée. L'avantage de cette démarche d'initiatives en cascade est toutefois de tenir compte de la volonté populaire exprimée il y a deux ans. On avait en effet découvert une population partagée sur cette question. Bien que le «non» l'ait très faiblement emporté, plusieurs communes se sont prononcées en faveur de l'octroi de droits politiques complets au niveau communal. Les deux initiatives, l'aînée et la cadette, permettent de poursuivre ce débat en offrant à chaque citoyen la liberté de se prononcer sur l'une ou l'autre de ces options.
En ce qui concerne la recevabilité des deux initiatives, nous sommes parvenus à la même conclusion que le Conseil d'Etat: ces textes ne posent à notre sens aucun problème sur le plan formel. (Applaudissements.)
M. François Thion (S). Que les ressortissants étrangers, ayant leur domicile légal en Suisse depuis huit ans au moins, exercent des droits politiques complets en matière communale à leur lieu de domicile: voilà ce que demande l'aînée des deux initiatives de «J'y vis, J'y vote».
Etendre les droits politiques au niveau communal au plus grand nombre des habitants de notre cité est, à nos yeux, tout à fait normal: il s'agit tout simplement de renforcer notre démocratie. Les étrangères et étrangers sont nombreux dans notre canton. Représentant près de 50 % de la population active, ils travaillent dans nos hôpitaux jour et nuit, construisent nos logements et nos édifices, entretiennent notre réseau routier et nos places publiques, gèrent des programmes informatiques, participent à la recherche universitaire ou encore sont actifs dans les nombreuses entreprises internationales implantées à Genève. Ces travailleuses et ces travailleurs qui, à longueur d'année, participent à la prospérité de notre cité, nous côtoient, eux et leur famille, dans notre vie quotidienne. Comme nous, ils peuvent être parents d'élèves, usagers des transports publics, locataires, supporters du Servette, membres d'une association culturelle communale ou clients de la banque cantonale. Après huit ans de vie dans nos communes, ainsi que le propose le texte de l'initiative, ils ne doivent plus être considérés comme des demi-citoyens n'ayant que le droit de travailler et de payer des impôts sans pouvoir prendre part à la gestion et à l'organisation de la vie politique communale.
Il s'en est fallu de peu que ces droits politiques ne soient accordés aux étrangers lors d'une précédente votation, le 4 mars 2001: 48 % de oui. Le projet de loi de l'époque avait pour origine le voeu d'un certain nombre de conseillers municipaux qui, relayant des parlements des jeunes, proposaient d'octroyer le droit de vote et d'éligibilité aux étrangers habitant dans leurs communes. Les conseillers municipaux socialistes des communes de Carouge, de Chancy, de Bardonnex, de la Ville de Genève, de Meyrin, d'Onex, de Plan-les-Ouates ou encore de Vernier ont, durant cette période, joué un rôle de premier ordre pour faire avancer cette grande cause politique. Aujourd'hui, grâce au travail admirable et acharné d'une association, «J'y vis, J'y vote» - présidée par notre non moins admirable collègue Antonio Hodgers - une nouvelle initiative va être soumise aux électrices et aux électeurs du canton.
Pourquoi reposer la question alors que le peuple a dit «non» il y a un peu plus de deux ans ? L'Histoire nous montre qu'en matière de progrès démocratique il faut parfois plusieurs votations avant d'obtenir une avancée. C'est ainsi que le droit de vote au niveau cantonal n'a été accordé aux femmes genevoises qu'en 1960, après avoir été rejetée en 1921, en 1940, en 1946 et en 1953... Nous sommes persuadés qu'en octroyant des droits politiques communaux aux étrangers nous favoriserons encore davantage leur intégration dans nos villes et nos villages. La société civile bénéficiera en outre de cette participation active au débat citoyen. A l'heure où notre pays se rapproche de l'Europe grâce aux accords bilatéraux - et en particulier grâce à celui concernant la libre circulation des personnes - Genève, ville qui a vu naître Jean-Jacques Rousseau, ne peut rester en retard en matière de démocratie.
Comme le Conseil d'Etat le précise dans son rapport - dont je tiens ici à souligner la qualité - les socialistes pensent qu'il convient de ne pas faire de distinction entre le droit de vote et le droit d'éligibilité en matière communale. Après le vote par correspondance - qui semble permettre d'élever le taux de participation électorale - après deux essais de vote par Internet, la démocratie genevoise doit maintenant se moderniser en profondeur. C'est pourquoi les socialistes appellent d'ores et déjà le peuple genevois à accepter cette initiative.
Pour conclure, précisons que nous partageons entièrement l'avis exprimé par le Conseil d'Etat: cette initiative est formellement et matériellement recevable. La commission législative confirmera ce fait. (Applaudissements.)
M. Pierre Schifferli (UDC). Au cours des dix dernières années, le peuple genevois a déjà rejeté par deux fois des propositions visant à accorder des droits politiques communaux aux étrangers. La naturalisation constitue, à nos yeux, la porte d'entrée de la nationalité et de la citoyenneté.
Des voix. Comme à Emmen ! Comme à Zurich !
Une voix. Taisez-vous !
M. Pierre Schifferli. Eh bien, oui ! Un vote démocratique est intervenu à Zurich et je crois savoir que la plupart des candidats ont été naturalisés.
Cette proposition constitue donc, à notre sens, une négation à la fois de la notion de nationalité et de celle de citoyenneté. Le citoyen est un national suisse et le national suisse est un citoyen. Nous considérons qu'il n'est pas possible de découper la citoyenneté en tranches: une tranche inférieure, une tranche moyenne, une tranche supérieure... Les problèmes communaux sont souvent intimement liés à des problèmes cantonaux et les questions cantonales à des questions fédérales. La Suisse est une nation de volonté constituée par l'adhésion de territoires, de communautés et de citoyens dans le cadre d'un acte volontaire. C'est la raison pour laquelle nous estimons que l'octroi de droits politiques doit résulter d'un acte de volonté positif de la part de la personne qui souhaite obtenir ces droits - qui veut, en d'autres termes, «faire partie du club». Or cette procédure porte un nom: il s'agit de la naturalisation.
Nous estimons évidemment que ces deux initiatives sont recevables du point de vue formel et matériel. Au-delà des questions de principe que j'ai évoquées, un élément contenu dans le texte nous interpelle néanmoins de façon directe. A suivre le raisonnement qui est celui des initiants - et, semble-t-il, du Conseil d'Etat - le but de ces initiatives réside dans l'intégration des étrangers. On estime que le citoyen qui habite depuis huit ans dans une commune...
Une voix. Non, en Suisse !
M. Pierre Schifferli. Je me trompe effectivement ! Vous avez bien fait de me corriger, car c'est exactement le point auquel je voulais en venir. Là réside précisément le problème de ces initiatives: vous voulez intégrer une personne originaire d'un pays étranger à la culture suisse et lui accorder le droit de vote en matière communale, par exemple à Chancy ou à Soral, alors qu'elle a passé les sept dernières années de sa vie à Flawil ou à Bumplitz ! (Brouhaha.)Le problème est le suivant: si vous souhaitez que cette personne fasse véritablement partie d'une commune et puisse être normalement intégrée à la vie communale, ces initiatives auraient dû prendre en compte le critère de résidence dans la commune - et non uniquement la résidence en Suisse. Je vois là un défaut majeur de cette initiative, puisque l'on passe de la résidence en Suisse au niveau communal sans respecter les droits de la commune et du canton en la matière. Quant au délai de huit ans, même si l'on acceptait la notion d'octroi des droits politiques au niveau communal aux étrangers, je le trouve extrêmement court.
Pour résumer, même si l'on acceptait la notion d'octroi des droits politiques au niveau communal aux étrangers, le défaut principal de ces initiatives réside dans l'ignorance de la question du domicile communal. Cette question est complètement évincée, alors même qu'il s'agit d'intégrer la personne étrangère dans la vie de la commune ! Notre groupe s'oppose donc au principe même de ce projet - tout comme la population genevoise s'y est massivement opposée lors des deux votations précédentes. (Protestations.)Je ne sais pas ce qu'il vous faut: 73 % de non, cela constitue un refus relativement massif ! Et je vous garantis que cela sera également le cas la prochaine fois: nous nous opposerons à ce projet et la population genevoise nous suivra ! (Applaudissements.)
M. Pierre Kunz (R). Les pays qui se préparent le plus bel avenir sont ceux qui savent que les immigrants rejettent l'assimilation - ce processus dévastateur né avec l'Etat-Nation et renforcé par le jacobinisme qui nie la différence et prétend vider l'immigrant de sa culture originelle.
Les pays qui se préparent le plus bel avenir sont ceux dont les citoyens savent intégrer... (L'orateur insiste sur ce terme.) ... les immigrants établis sur leur sol grâce à un processus d'échanges croissants et respectueux du vécu de l'étranger.
Les pays qui se préparent le plus bel avenir sont ceux dont les citoyens ne doutent pas de la valeur de leurs institutions ni de la force des liens qui les unissent les uns les autres et qui ne considèrent pas l'étranger installé chez eux comme une simple force de travail.
Ouverts au monde et aux changements, ces citoyens ont compris la richesse de l'apport de cet étranger culturellement différent et, précisément pour cela, désireux de s'exprimer et de participer à la vie de la communauté. Ils ont compris, dans une société sûre d'elle et ambitieuse pour son avenir, combien cet apport est stimulant - et, donc, nécessaire.
Les radicaux croient en Genève et en son avenir. Ils sont convaincus que l'avenir de ce canton est largement fondé sur notre capacité à faire participer les résidents étrangers à la vie de notre société. Ils sont convaincus que ceux-ci ne constituent pas simplement un apport économique, mais aussi, par le fait même de leur différence, une grande richesse culturelle et sociale.
Pour que Genève puisse mieux bénéficier de cette richesse, les radicaux sont convaincus qu'il faut donner aux résidents étrangers les droits de vote et d'initiative au plan communal. Le groupe radical est donc heureux de constater que rien ne semble s'opposer, ni sur le fond, ni sur la forme, à la recevabilité de ces initiatives. En juin prochain, nous les soutiendrons ! (Applaudissements.)
M. Pierre Vanek (AdG). Mon intervention sera brève, car nous avons déjà abondamment débattu de cette question et l'essentiel a déjà été dit à l'occasion du précédent projet de loi constitutionnel discuté sur cette question dans cette enceinte et soumis au suffrage de nos concitoyens.
J'avais l'intention d'être plus bref... (Manifestation dans la salle.)... et plus «gouvernemental» qu'à l'accoutumée en déclarant simplement que je me ralliais pleinement à la conclusion du rapport du Conseil d'Etat. Je rappelle que ce dernier estime qu'il ne convient pas d'établir une distinction entre le droit de vote et le droit d'éligibilité en matière communale. Il est donc favorable à l'initiative dite «aînée», laquelle propose que les étrangères et étrangers résidant dans le canton de Genève puissent parfaire leur intégration dans notre collectivité en bénéficiant de droits politiques complets en matière communale.
A ce stade de mon intervention, j'avais initialement prévu de m'asseoir. Je dois cependant répondre à l'intervention M. Schifferli. La première réponse qu'appelle son intervention concerne la thèse saugrenue qu'il a développée. Selon cette thèse, si l'on vient de Bumplitz ou d'autres localités d'outre-Sarine...
M. John Dupraz. Qu'est-ce que tu as contre Bumplitz ?!
M. Pierre Vanek. Moi, je n'ai rien ! C'est M. Schifferli qui a des choses contre Bumplitz ! Je reprends: selon M. Schifferli, si l'on vient de Bumplitz ou d'autres lieux d'outre-Sarine, on ne saurait bénéficier de droits politiques dans les communes de notre canton. On serait en effet un élément allogène, non intégré - huit ans n'ayant pas suffi à parfaire cette intégration... Une telle idée n'est pas sérieuse ! Vous savez bien, Messieurs de l'UDC, que l'on accorde à nos concitoyens alémaniques, après trois mois seulement, le droit de se prononcer sur les affaires communales ! Si vous vous montriez cohérents avec cet argument, vous devriez préparer le retour à une situation où nos concitoyens de Suisse allemande - voire du canton de Vaud, car les personnes originaires du canton de Vaud ne sont pas tout à fait comme nous... - seraient privés des droits politiques sur le plan communal. Rien de plus normal pour la force politique réactionnaire que vous êtes ! Nous disposons d'une expérience à l'échelle nationale: nous avons accepté d'octroyer les droits de citoyenneté communale à nos Confédérés et de tolérer ainsi que des personnes originaires de Bumplitz ou de localités situées encore plus à l'est puissent voter et être élues dans les conseils de nos municipalités. Il s'agit d'une conquête progressiste qui n'a posé aucun problème dramatique. Je tenais donc à écarter l'argument absurde invoqué par M. Schifferli.
J'aborde maintenant le fond de votre intervention, Monsieur Schifferli. Vous avez martelé que «citoyenneté» égalait «nationalité» et que «nationalité» égalait «citoyenneté». Voilà le fond de votre discours. Voilà également le fond de notre divergence. Lors des interventions précédentes - notamment celles relatives à l'école -, il a été question d'idéal républicain et d'école républicaine. Nous sommes ici en république. Toutes les personnes qui oeuvrent au bien de notre collectivité et qui prennent part à notre vie commune participent à cette république. Ils doivent donc être considérés comme des citoyens de celle-ci, quelle que soit la couleur de leur passeport ou leur origine. Voilà un aspect du le républicanisme au sens révolutionnaire et démocratique ! Consultez les premières constitutions de la République française: vous verrez les critères de résidence simple qui étaient imposés pour participer au processus démocratique ! Cet idéal démocratique de citoyenneté pour tous a également fait l'objet de luttes révolutionnaires dans notre canton, où une petite élite de patriciens et de bourgeois genevois ont voulu refuser des droits politiques à des natifs de notre canton originaires d'un autre lieu. C'était là l'un des thèmes des luttes révolutionnaires et républicaines qui se sont déroulées dans notre République genevoise. L'équation entre citoyenneté et nationalité que vous avez tenté de nous vendre n'est ni exacte, ni démocratique ! C'est également pour cela, Madame et Messieurs de l'UDC, que nous soutiendrons la conclusion du Conseil d'Etat sur cette initiative !
Une dernière évidence mérite d'être signalée...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député !
M. Pierre Vanek. ...c'est que, notamment à Genève, ces mêmes raisonnements devraient s'appliquer non seulement à l'échelon communal, mais également à l'échelon cantonal.
M. Guy Mettan (PDC). Ce n'est pas en tant que représentant du parti démocrate-chrétien que je m'exprimerai, ni même en tant que membre du comité des deux initiatives «J'y vis, J'y vote»: c'est en tant que simple patriote. Quel que soit l'avis de M. Schifferli, j'estime en effet que cette salle compte cent patriotes: nous sommes tous des patriotes. J'ai moi-même écrit un opéra rock intitulé «Guillaume Tell», que je me fais un plaisir de vous offrir. Or, je connais peu de membres de l'Union démocratique du centre qui aient écrit des livres et des opéras sur Guillaume Tell... Le patriotisme est donc une valeur largement partagée dans cette salle et, comme l'a déclaré M. Kunz, lorsqu'on est fier de ses institutions, on cherche à les faire partager aux autres. Pas plus tard qu'il y a une heure, nous avons pu entendre, à La Pastorale, huit cents étrangers entonner le «Cé qu'è Lainô» en présence de notre président M. Cramer. Quoi de plus beau ? Pourquoi empêcher ces personnes de participer à notre vie communale ?! (Brouhaha.)
Je tiens à faire savoir que je suis extrêmement satisfait du succès de ces deux initiatives. Lors de la dernière votation, notre parti s'était engagé en faveur de l'octroi du droit de vote communal aux étrangers. Ce projet a malheureusement échoué de peu. Nous avons remis l'ouvrage sur le métier en inscrivant, il y a deux ans, ce projet dans notre programme de législation. Nous sommes contents de constater que ce projet a abouti. En effet, dans une ville comme Genève - laquelle compte 38 % de ressortissants étrangers qui travaillent en Suisse, qui paient des impôts, qui font tourner notre économie et qui concourent à notre bien-être - la moindre des choses consiste à leur accorder le droit de participer à notre vie communale !
Ce geste est également essentiel dans la mesure où il contribue à l'apaisement des tensions entre la communauté suisse et les communautés étrangères. Je rappelle à ceux qui craignent les étrangers que tout se déroule bien dans les cantons qui, comme celui de Neuchâtel, ont accordé le droit de vote communal aux étrangers... (Manifestation dans la salle.)Et les citoyens neuchâtelois ne se sont pas sentis diminués du fait que les étrangers puissent participer à la vie communale !
C'est pourquoi nous soutenons la position du Conseil d'Etat en vous recommandant de soutenir ces deux initiatives.
M. Michel Halpérin (L). Ce débat est en principe limité à la validité formelle de cette initiative - et encore, puisqu'il se limite à la première appréciation du Conseil d'Etat. Pour le groupe libéral, il va de soi que ces deux initiatives sont formellement recevables. Nous y reviendrons après les travaux de la commission législative, où ces textes seront renvoyés.
Bien que nous l'ayons souvent rappelé dans cette enceinte, ce débat nous permet de répéter à quel point le rôle des étrangers est - et a toujours été - important à Genève. L'importance de ce rôle a été rappelée sur le plan numérique, mais il ne s'agit pas du seul aspect. Le Conseil d'Etat a bien fait de rappeler dans son rapport que les plus grands hommes de Genève - soit ceux qui figurent sur le Mur des Réformateurs - étaient tous étrangers. Le fait qu'ils n'aient pas été des citoyens n'en a pas moins rendu essentiel leur apport à la vie de cette communauté. L'apport des étrangers à la vie genevoise est si ancien et si marqué que chacun s'est plu à le souligner dans cette enceinte - y compris les initiants dans leur rapport. C'est toutefois une vérité d'évidence que la participation à la communauté s'entend sur les plans associatif, culturel ou encore sportif, et qu'il n'est, pour cela, pas nécessaire d'exercer une fonction élective.
Nous sommes conscients que de nombreuses personnes oeuvrent au bien de la République en dehors de cette enceinte. L'intégration n'est pas non plus un sujet qui nous divise. Le groupe libéral a été parmi les promoteurs du projet qui a débouché, il y a deux ans de cela, sur la loi favorisant l'intégration. A notre sens - et, je pense, aux yeux de toutes les personnes siégeant dans cette enceinte - l'intégration constitue un phénomène double. D'une part, il s'agit pour les personnes habitant à Genève d'accueillir les immigrants; d'autre part, il s'agit pour les immigrés d'apprendre à vivre avec leurs nouveaux voisins.
Par conséquent, l'élément qui nous sépare des initiants est à caractère culturel ou philosophique. Il s'agit, au fond, du sens qu'il convient de donner à l'idée même des droits d'éligibilité - ou des droits politiques au sens large. Il s'agit de déterminer le sens que nous donnons au terme de «citoyen». Je tiens ici à relever que la définition commune n'est pas celle proposée par les initiants. Etre citoyen, ce n'est pas vivre dans une cité; ce n'est pas y voter; ce n'est pas y payer d'impôts. Etre citoyen, c'est, littéralement, appartenir à une cité: c'est en reconnaître la juridiction, être habilité à jouir de ses droits et se soumettre aux contraintes ainsi qu'aux devoirs corollaires à ces droits. Il s'agit, en d'autres termes, d'un acte d'adhésion - et d'un acte d'adhésion qui suppose à la fois la volonté d'en être et la volonté de servir. Cela est si vrai que le sens donné au terme de «citoyen» par les initiants et repris par quelques-uns d'entre vous n'a pas la même portée pour tout le monde. Je sais que le mot possède des synonymes. On peut, par exemple, être citoyen du monde - ce qui va dans le sens des initiants. Toutefois, même le champion de ces initiatives, notre collègue Hodgers, ne s'y est pas trompé - ou, plutôt, s'y est trompé tout à l'heure. Il nous a en effet expliqué que ces deux initiatives étaient le fruit de la volonté des citoyens qui les avaient signées - c'est-à-dire des personnes qui possèdent la qualité nécessaire pour agir dans cette fonction particulière qu'est celle de citoyen. Même l'Europe - et je parle ici de l'Europe unie - ne reconnaît pas le droit de vote universel de tous les Européens dans tous les pays d'Europe et à tous les niveaux: seuls certains droits communaux sont réunis.
J'en déduis - et il s'agit, en tous les cas, de la conviction du groupe libéral - que la citoyenneté suppose un acte d'adhésion bilatéral. Elle suppose à la fois un acte d'accueil de la communauté qui se trouve sur place et un acte de manifestation de la volonté d'adhérer du nouveau venu ou de celui qui vit ici depuis quelque temps et qui veut transformer son statut d'immigré en la qualité de citoyen. En d'autres termes, la citoyenneté ne représente pas un moyen d'intégration, mais le couronnement de l'intégration.
Dans de telles conditions, nous ne sommes pas favorables à la proposition qui nous est soumise. En effet, nous ne pensons pas qu'il nous appartienne de naturaliser à bon compte ceux qui n'ont pas demandé à l'être. Comme vous le savez, nous sommes évidemment favorables à des procédures de naturalisation facilitée. Nous estimons en revanche que le beau titre de citoyen doit être l'objet d'un désir mutuel et réciproque. L'abandonner, c'est réduire cette citoyenneté à quelque chose qu'elle n'est pas et qu'elle ne devrait pas devenir ! (Applaudissements.)
M. Robert Cramer, président du Conseil d'Etat. Comme vous l'avez lu dans notre rapport, le Conseil d'Etat vous invite en premier lieu à considérer que ces deux initiatives sont recevables. Le Grand Conseil se montre également unanime sur ce point. Les travaux de la commission législative seront donc vraisemblablement brefs. Le Conseil d'Etat vous recommande en outre de considérer qu'il convient de recommander l'approbation de ces deux initiatives aux électeurs.
Puisque l'on doit tout d'abord s'exprimer devant ce Grand Conseil sur la recevabilité de ces initiatives, j'évoquerai en premier lieu la façon dont ces initiatives sont formulées afin de ne plus devoir y revenir. Il convient premièrement de relever que ces initiatives ont pour elles l'extrême netteté du propos et l'avantage d'employer des termes connus par chacun - ou, du moins, largement connus en droit. On y évoque, par exemple, le domicile légal: on sait de quoi il s'agit. On y évoque le domicile légal en Suisse - et non dans une commune. On sait également de quoi il s'agit: par ailleurs, à Genève comme dans les autres cantons suisses, lorsqu'une personne se déplace d'un point à un autre du pays, voire d'une commune à une autre - car il peut arriver que l'on déménage, dans un même canton, d'une commune à une autre - on acquiert, après trois mois, le droit de vote dans la commune où l'on s'est établi. C'est donc dire que ces deux initiatives ne demandent pas l'instauration d'une exception, mais l'application du droit tel qu'il existe. Ces initiatives prévoient, dans leur deuxième alinéa, une référence explicite aux législations fédérale et cantonale. Chacun de leurs termes a donc déjà fait ailleurs l'objet d'une interprétation - et, de surcroît, d'une interprétation précise. En dernier lieu, ces initiatives jugent qu'après un délai de huit ans, l'on est suffisamment au fait des affaires communales pour pouvoir s'exprimer sur le plan communal. Or, il s'agit précisément du délai que se propose de retenir le législateur fédéral s'agissant de l'octroi de la nationalité. C'est donc dire si nous nous trouvons en terrain connu sur tous ces points !
Qu'en est-il du fond de ces initiatives ? M. le député Halpérin nous a, à très juste titre, indiqué que les appréciations quant à la définition des personnes à même de bénéficier de droits politiques pouvaient être variées. Il y a moins de deux cents ans, dans cette salle même où siégeait le Grand Conseil, on refusait les individus qui n'étaient pas suffisamment fortunés pour s'exprimer. Genève fonctionnait selon le système du suffrage censitaire: il fallait bénéficier d'un certain revenu pour bénéficier de droits politiques. Aujourd'hui, un tel système semble bien évidemment incongru. (Brouhaha.)Revenons à des périodes plus récentes: il y a une quarantaine d'années - très précisément, jusqu'en 1960 - Genève ne connaissait pas le suffrage féminin. Ce dernier n'a en effet été introduit qu'en 1960 dans notre canton et en 1971 sur le plan fédéral. Penchons-nous maintenant sur l'âge auquel on peut voter: ce n'est qu'en 1980 que l'on a fixé à Genève le droit de vote à l'âge de 18 ans. Auparavant, il fallait être âgé de 20 ans pour être autorisé à voter. Ces trois exemples expriment, à chaque fois, des choix qui tracent des limites entre les personnes qui disposent du droit de s'exprimer par le vote et celles qui ne bénéficient pas de ce droit. Les deux initiatives proposent d'élargir ces limites en laissant s'exprimer par le vote, sur le plan communal, les personnes résidant en Suisse depuis plus de huit ans et habitant la commune.
Contrevenons-nous par là à quelque grand principe ? Je le crois d'autant moins que, contrairement au système français, le système suisse ne prévoit pas le passage d'un contrat pour devenir électeur. On acquiert la qualité de citoyen par la naissance ou par la naturalisation mais, dès l'instant où elle est acquise, on bénéficie de tous les droits politiques. Ce procédé diffère de celui en vigueur dans d'autres pays: en France, aux Etats-Unis ou encore ailleurs, si vous voulez voter, vous devez vous procurer une carte de vote et manifester, par là même, votre intention d'exercer des droits politiques. Ce n'est pas ce qu'il vous est demandé en Suisse: il vous suffit de remplir un certain nombre de conditions pour pouvoir automatiquement voter. La notion de quasi-contrat qui unirait l'électeur à l'Etat n'existe pas dans la conception suisse des droits politiques.
Que reste-t-il à faire ? Une appréciation. Or, le Conseil d'Etat a estimé que l'appréciation qu'il avait faite il y a trois ou quatre ans, lorsqu'il s'était exprimé une première fois sur les propositions portées par le mouvement «J'y vis, J'y vote», n'avait pas à être modifiée. Nous jugeons important d'offrir aux nombreuses personnes qui vivent dans notre collectivité et qui, comme l'a très clairement exprimé M. Thion, participent à nos activités la possibilité de s'exprimer sur le plan communal par le droit de vote. Il s'agit là d'une manière d'exprimer le fait que les membres d'une collectivité participent à des débats communs, sans aucune exclusion ni sur le lieu de travail, ni sur le lieu de loisirs.
Pourquoi ces initiatives ont-elles choisi de traiter de ces questions sur le plan communal, et non sur le plan cantonal ? Parce que c'est au niveau de la commune que s'exercent les relations de plus grande proximité entre les personnes qui y résident et les autorités. Comme cela est mentionné dans l'exposé des motifs, c'est, du reste, le système qui a été retenu dans bon nombre de pays qui nous entourent - et notamment dans tous les pays de l'Union européenne.
Le Conseil d'Etat estime, en dernier lieu, que les avantages résultant de l'octroi des droits politiques en matière communale l'emportent largement sur les inconvénients évoqués lors de ce débat. En tant que chef du département en charge de l'intérieur et, partant, des naturalisations, je juge dans le même temps nécessaire d'établir une distinction entre la démarche d'une personne qui souhaite être naturalisée et celle d'une personne qui choisit de s'installer et de vivre dans une collectivité. Dans le premier cas, la personne entend, par la démarche même qu'elle entreprend, indiquer son adhésion pleine et entière à un système de valeurs et à une histoire; elle entend également acquérir des droits civiques complets s'exerçant également sur les plans fédéral et cantonal. Dans le second cas, nous estimons que c'est un enrichissement pour cette collectivité que de donner à cette personne la possibilité de s'exprimer.
Voilà les raisons pour lesquelles le Conseil d'Etat juge ces initiatives recevables quant à la forme et estime qu'elles doivent être soutenues sur le fond. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Lors de notre traditionnelle réunion du Bureau et des chefs de groupe, il a été demandé que deux débats distincts soient consacrés à chacune des deux initiatives. Toutefois, dans la mesure où chacun a pu s'exprimer sur le fond du problème, et si personne ne s'y oppose, je vous propose de renvoyer maintenant ces deux initiatives en commission législative.
Le Grand Conseil prend acte des rapports IN 122-A et IN 123-A du Conseil d'Etat.
Les initiatives 122 et 123 sont renvoyées à la commission législative.