République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 4 décembre 2003 à 17h
55e législature - 3e année - 2e session - 5e séance
PL 8627-A
Premier débat
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de majorité, de vous asseoir d'un côté inhabituel... Avez-vous quelque chose à ajouter à votre rapport ?
M. Christian Brunier (S), rapporteur de majorité. J'aimerais tout de même revenir sur le contenu de ce projet de loi, car je crois que c'est important...
En fait, ce projet de loi comporte deux volets. Le premier concerne la limitation du nombre des travailleurs en provenance du canton de Vaud, de la France voisine, et, de ce point de vue, ce projet est discriminant, puisque les travailleurs sont traités de manière différente. De plus, il sera prochainement illégal, étant donné qu'il est totalement contraire aux accords bilatéraux qui ont été massivement votés par la population genevoise. Du reste, le rapporteur de minorité le reconnaît dans son rapport. Ce projet de loi est de toute façon partiellement illégal, et il n'est pas possible d'entrer en matière - sur cette partie du moins.
Le deuxième volet de ce projet de loi porte sur une mesure qui part d'un bon sentiment, puisqu'elle propose d'aider les chômeuses et les chômeurs de notre canton, mais elle est une contrainte inacceptable pour les entreprises. En effet, ce projet de loi propose qu'à chaque fois qu'un emploi se libère, quelle qu'en soit la raison, il soit signalé à l'office cantonal de l'emploi pour être enregistré dans un système informatique. En termes de masse de travail, cela signifie qu'environ cinq mille emplois par mois devraient être signalés, alors que la plupart sont renouvelés automatiquement par la promotion interne, par des personnes déjà susceptibles d'occuper le poste libéré. Cette mesure engendrerait donc des lourdeurs administratives inacceptables pour un résultat moindre en faveur des personnes à la recherche d'un emploi dans notre canton.
Ensuite, l'office cantonal de l'emploi nous a dit, par le biais de ses représentants, qu'il était en train de travailler pour mieux collaborer avec les entreprises, ce qui est un bon moyen pour trouver des emplois aux chômeurs... (Brouhaha.)
Le président. Poursuivez, Monsieur le rapporteur ! Ne vous laissez pas distraire !
M. Christian Brunier. Je reprends. L'office cantonal nous a dit qu'il travaillait en partenariat avec les entreprises pour dégager un maximum d'emplois pour les chômeurs. C'est donc bien dans cette direction qu'il faut agir.
Par ailleurs, la commission qui a examiné ce projet de loi a auditionné toute une série de personnes. Et aussi bien la Communauté genevoise d'action syndicale, soit tous les syndicats de Genève, que l'Union patronale genevoise - c'est-à-dire les milieux de la gauche comme ceux de la droite - sont opposées à ce projet de loi; leurs représentants nous l'ont clairement dit en commission. Je rappelle également que tous les partis présents ont voté non, à l'exception, bien sûr, de l'Alliance de gauche qui soutenait son projet et de l'Union démocratique du centre qui était absente lors du vote.
A mon avis, ce projet de loi porte préjudice à la politique régionale, car aujourd'hui, heureusement - et c'est le cas depuis d'ailleurs fort longtemps - la population de ce canton vit bien au-delà des frontières, que ce soit au niveau des loisirs ou au niveau - et cela, de plus en plus - de l'emploi et du logement. Ce projet de loi veut quasiment élever un mur autour de notre canton, ce qui risquerait à nouveau de le cloisonner. Ce projet de loi va à l'encontre même de l'avenir de notre canton, avenir qui ne peut être que régional, et en sens contraire de la vie que mènent nos concitoyennes et concitoyens.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, ce projet de loi part d'un bon sentiment, puisque son but est d'aider les chômeurs, mais, au fond, il oppose les travailleurs entre eux et discrimine les étrangers et les personnes venant d'autres cantons. Cela nous semble très grave et contraire à la réalité économique, car - et M. Pagani le sait mieux que personne - si le marché du travail devait se passer aujourd'hui de tous les frontaliers et de tous les Vaudois, ce serait une catastrophe pour l'économie genevoise. De plus, cela ne diminuerait le chômage que dans une moindre mesure !
Ce projet de loi joue avec la peur et dramatise certaines situations, notamment liées aux bilatérales. Cela n'est pas acceptable !
Je conclurai en lisant l'article d'un journal syndical - du SIT - et je pense que M. Pagani devrait méditer ceci: «Le SIT est d'avis qu'il ne faut pas jouer avec les sentiments de fermeture, voire de xénophobie, pour l'élargissement de la libre circulation, mais, au contraire, avoir une position positive et offensive dans le domaine. Certaines positions venant de la gauche frisent la xénophobie et ne sont pas acceptables. On constate que la peur de la surpopulation reste profonde dans l'esprit helvétique, y compris dans les milieux syndicaux. Il est temps que cette peur soit effacée dans les milieux qui nous sont proches. Se protéger au détriment des autres est la pire politique syndicale, puisque c'est admettre de factola discrimination et la précarité des autres.» (Applaudissements.)
M. Rémy Pagani (AdG), rapporteur de minorité. Il était d'usage, quand une manifestation se tenait à nos portes, de suspendre la séance... (Rires.)... pour que le Conseil d'Etat puisse accueillir ses représentants... (Exclamations.)Ils ont été accueillis, mais la séance n'a pas été suspendue ! Or des centaines de fonctionnaires manifestent dans la rue, ce soir, et j'aurais trouvé poli que nous suspendions notre séance, le temps de réceptionner cette résolution, d'autant plus que les députés de droite ne sont plus nombreux à siéger en raison du bruit qui persiste dans cette salle...
Cela étant - puisqu'il faut bien continuer à travailler dans ce bruit - je trouve facile, Monsieur Brunier, de qualifier ce projet de loi de «discriminant» - c'est ce que vous nous reprochez - alors qu'il ne fait qu'évoquer des problèmes qui ne peuvent qu'arriver et que nous devons anticiper - c'est notre rôle de responsables politiques - pour gérer l'avenir au mieux. Vous n'êtes pas très honnête, intellectuellement parlant, car les termes de ce projet de loi sont très clairs !
Son but est de permettre aux chômeurs, qui vivent et tenteront de continuer à vivre dans le canton Genève, de pouvoir trouver un emploi à des conditions, si ce n'est égales, en tous les cas moins désavantageuses que celles dans lesquelles vont les précipiter les bilatérales. Parce que, Monsieur Brunier, que vous le vouliez ou non, les bilatérales et l'ouverture du marché, c'est l'ouverture à la concurrence du marché du travail ! Et c'est bien de cela dont il est question aujourd'hui ! Les bilatérales ouvriront la concurrence, y compris sur le marché du travail local ! Et, jusqu'à maintenant, cette concurrence était contrôlée, maîtrisée. A notre avis, et l'histoire le montrera - si nous avons tort, nous le verrons bien - le système dans lequel nous vivons met fondamentalement et intrinsèquement en concurrence les travailleurs. Et nous voulons simplement, par le biais de ce projet de loi, donner une chance de plus ou, plutôt, ne pas prétériter les travailleurs qui se trouvent sur le marché local, qui sont désavantagés par rapport à une main-d'oeuvre immigrée - laquelle a aussi des droits, et des droits tout à fait respectables.
Cela étant, comme vous l'avez relevé, ce projet de loi contenait deux volets: le premier est malheureusement devenu caduc, parce que la commission de l'économie a voulu le traiter «au pas de sénateur», si j'ose dire - puisque ce projet de loi a été déposé il y a deux ans - et que l'entrée en vigueur totale des bilatérales aura lieu dans six mois.
Quant au deuxième volet, il reste, à notre avis, tout à fait pertinent. Je ne comprends pas pourquoi les chômeurs en France, notamment dans les ANPE, ont accès à une banque de données des emplois vacants dans leur région, voire dans l'ensemble de la France, et pourquoi, nous, nous ne serions pas capables de proposer de manière systématique les emplois offerts sur le marché ! Nous estimons que c'est la moindre des chose de mettre cette banque de données à disposition des chômeurs et d'obliger les employeurs à participer à cette oeuvre commune: la lutte contre le chômage.
Monsieur Brunier, vous ne proposez rien ! Vous ne faites que mettre en concurrence les personnes qui sont sur le marché du travail. Je trouve déplorable que vous vous limitiez à cela, d'autant plus que nous sommes aux portes de la dérégulation du marché du travail à Genève ! Je vous signale, si vous ne le savez pas, que depuis maintenant quarante ans, le marché du travail a été, si ce n'est contrôlé, en tout cas régulé. Nous arrivons dans une nouvelle phase, et j'espère qu'il n'y aura pas de gros dégâts, comme vous nous le promettez... Enfin, l'espoir fait vivre, Monsieur Brunier !
Toujours est-il qu'aujourd'hui nous faisons une proposition concrète. Nous reviendrons - car cela ne saurait tarder, cette concurrence va s'exacerber - avec cette proposition de projet de loi et nous espérons que, ce jour-là, vous aurez enfin compris dans quelle situation vous allez placer l'ensemble des travailleurs de ce canton ! Nous déplorons votre cécité !
Le président. Le Bureau vous propose de clore la liste des intervenants. Sont encore inscrits: M. Bavarel, M. Barrillier, M. Desplanches, Mme Bolay, M. Kunz. Nous donnerons ensuite la parole aux deux rapporteurs, puis nous voterons sur la prise en considération de ce projet de loi.
M. Christian Bavarel (Ve). Pour les Verts, ce projet de loi n'est pas acceptable !
A propos du premier volet de ce projet de loi, la défense des travailleurs doit se faire au niveau régional. Il faut sortir du schéma purement genevois, car nous vivons dans une région qui s'étend d'Annecy au Valais, dont certains des habitants viennent travailler à Genève. Il s'agit donc d'un bassin de population beaucoup plus large, et il n'y a aucune raison d'instaurer des lois discriminantes pour certaines catégories de travailleurs. Ce raisonnement ne tient pas la route !
Nous souhaiterions vraiment arriver à réguler ce marché, mais nous devons mener une réflexion sur le plan régional, autrement «on marche sur la tête».
De toute façon, ce premier volet est caduc en raison de la prochaine entrée en vigueur des bilatérales, mais je ne pouvais pas ne pas répondre aux propos tenus par M. Pagani !
A propos du deuxième volet qui voudrait obliger les entreprises à annoncer les postes vacants, vous savez déjà que c'est obligatoire pour les entreprises publiques et les collectivités publiques - les communes, l'Etat, etc. - ce qui fait que les postes vacants sont annoncés lorsqu'ils sont déjà repourvus... Ce sont des mécanismes pervers ! L'employeur, qui, lui, n'est pas obligé de signer un contrat avec qui que ce soit, doit remplir beaucoup de paperasse, et je ne suis pas sûr de la bonne efficacité de la méthode.
A mon avis, il serait préférable d'avoir un bon système d'information pour les chômeurs en signalant les postes qui sont ouverts; mais on se rend compte que cela ne concerne que 20% du marché de l'emploi, car le reste - soit les 80% du marché de l'emploi - est fermé. En effet, quand nous cherchons un secrétaire pour un syndicat ou pour un parti politique - pour prendre des exemples que nous connaissons bien - il ne nous vient pas à l'idée de passer une annonce. Le premier réflexe est de regarder autour de nous, pour voir si, parmi les gens qui nous sont proches, quelqu'un correspondrait à ce poste. Tout chef d'entreprise fonctionne comme cela, sauf, peut-être, s'il dirige une multinationale.
L'obligation de déclarer tous les postes vacants me semble découler d'une volonté de contrôler je ne sais quoi... Et je crains, d'une part, que ce ne soit pas facile à mettre en place et, d'autre part, que cela ne représente pas vraiment la réalité - car, à partir de quel moment décide-t-on qu'un poste est vacant ? Ce sont des questions complexes, et je préfère nettement que nous ayons un système d'information performant pour les chômeurs et que nous donnions aux entreprises la possibilité de mettre à disposition de ces derniers les offres d'emploi pour lesquelles ces entreprises ont de la peine à recruter.
Pour toutes ces raisons, les Verts vous proposent de refuser l'entrée en matière de ce projet de loi.
M. Gabriel Barrillier (R). Je serai très bref dans la mesure où M. Brunier a parfaitement résumé les travaux de la majorité de la commission.
Je ferai tout de même remarquer que l'Alliance de gauche, notamment M. Pagani, a une vision très pessimiste de l'avenir en ce qui concerne la libre circulation des personnes... Lui qui est féru d'internationalisme, il se méfie terriblement de l'étranger et de ce qui se passe de l'autre côté de la frontière...
Monsieur Pagani - vous le savez, mais vous ne voulez pas le comprendre - je vous rappelle que des mesures d'accompagnement très précises ont été mises au point, qui entreront en vigueur le 1er juin 2004. J'ajouterai qu'à Genève en particulier - chez nous qui avons 105 kilomètres de frontière avec la France, donc avec l'Union européenne - ces mesures d'accompagnement ont été préparées par les partenaires sociaux, Monsieur Pagani! Soit avec les syndicats ouvriers, avec le patronat et avec l'Etat, donc dans un esprit de tripartisme. Je puis vous garantir que le dispositif de ces mesures d'accompagnement qui a été mis au point - nous en avons encore discuté vendredi dernier au Conseil de surveillance du marché de l'emploi - est très pointu. Et nous mettrons tout en oeuvre pour qu'il n'y ait pas de distorsion de concurrence, de situation de dumping ou d'inégalité de traitement entre les travailleurs.
J'aimerais que, pour une fois, vous ayez confiance et que vous travailliez avec les partenaires sociaux, avec les syndicats - vos collègues au sein de la CGAS - qui collaborent avec le patronat et l'Etat.
Maintenant, en ce qui concerne l'obligation d'annonce, il me semble que tout a été dit... En fait, ce que voulez, Monsieur Pagani, c'est mettre l'Etat dans les entreprises, y compris dans les petites entreprises, pour lui permettre de «fouiner» dans la gestion des entreprises et des ressources humaines !
Une voix. C'est un fouineur !
M. Gabriel Barrillier. Les Etats voisins, notamment la France, voire l'Allemagne, ont voulu introduire un système d'obligation d'annonce des postes vacants... Eh bien, qu'est-il arrivé ? Cela a engendré une augmentation du travail au noir, des licenciements, des délocalisations, une augmentation du chômage et autres difficultés !
Le parti radical est tout à fait satisfait des conclusions de la majorité et vous prie de refuser ce projet de loi.
M. Gilles Desplanches (L). Ce projet «muraille de Chine» doit être rejeté, car il est incompatible avec les accords bilatéraux et, de toute façon, inapte à atteindre le but qu'il tente de s'assigner. Même le rapporteur de majorité l'admet, pour tout ce qui est des accords bilatéraux ! Il pouvait d'ailleurs l'imaginer à l'époque du dépôt de ce projet, qui date de septembre 2001...
Mais c'est le présupposé qui est choquant: les employeurs ne feraient pas leur part de travail en matière de placement... C'est bien le contraire ! Il part aussi du principe que c'est le frontalier, le Français, le Vaudois, qui prend la place du Genevois... C'est faux !
Combien y a-t-il de chefs de PME, de PMI, qui jouent le jeu tous les jours, alors que ceux qui viennent les trouver ne sont pas toujours très motivés ? Croyez-vous un seul instant que les employeurs vont chercher du personnel hors du canton de Genève pour le payer moins cher ? Ce n'est pas sérieux... Ils ne peuvent d'ailleurs pas le faire à l'heure actuelle, car il y a des mécanismes de protection, et il y en aura également avec les accords bilatéraux. C'est aussi cela la réalité du marché du travail, et il faut aussi avoir le courage de le dire plutôt que de mettre le fardeau du placement sur les entreprises, comme le veut ce projet de loi !
A cela s'ajoute l'illusion de croire que la création d'une base de données va résoudre, à elle seule, les problèmes du chômage ! Il faut être réaliste, Monsieur Pagani, et, il faut bien le dire, ce n'est pas votre cas !
Nous l'avons vu, c'est avec une meilleure utilisation des outils existants que l'on peut atteindre des résultats, pas avec la multiplication de dossiers anonymes. Et l'Etat et les partenaires sociaux y ont travaillé.
Ce qui est sûr, en revanche, c'est que vous voulez imposer un fardeau administratif de plus aux entreprises, en les obligeant à annoncer leurs postes vacants, alors qu'elles doivent pouvoir se concentrer sur leur activité essentielle. C'est comme cela qu'elles créent de l'emploi, et pas en étant surchargées de tâches annexes !
Dernière chose, Monsieur Pagani, si vous voulez réduire l'emploi d'une façon durable, devenez des entrepreneurs ! (Rires.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Je donne la parole à Mme Loly Bolay. (Silence.)... Qui visiblement à l'air très surprise... Renoncez-vous, Madame la députée ?
Mme Loly Bolay (S). Non, non, pas du tout, Monsieur le président !
Nous étions nombreux, lorsque nous avons dû voter sur les bilatérales, à le faire du bout des lèvres... Parce que nous savions très bien qu'un des éléments importants de ces bilatérales était la libre circulation des personnes...
L'Alliance de gauche est préoccupée par la situation des chômeurs à Genève... Mais sa préoccupation est aussi la nôtre ! Nous sommes toujours inquiets, et nous discutons souvent en commission de l'économie du nombre de chômeurs à Genève. Toutefois, mettre en concurrence les chômeurs et les frontaliers, que ce soient les Français, les Vaudois, les Fribourgeois et les Valaisans qui viennent travailler à Genève - on dénombre environ quarante à cinquante mille personnes - n'est pas sain...
Même s'il faut peut-être le renforcer ou l'améliorer, il existe déjà un partenariat entre l'office cantonal de l'emploi et les entreprises en matière de main-d'oeuvre étrangère, et il est indispensable que les entreprises puissent disposer de ce pont entre l'offre et la demande à Genève. Cependant, des garde-fous sont nécessaires, nous avons évoqué cela en commission de l'économie à propos du chômage et des occupations temporaires.
Il est clair qu'il faut valoriser la formation de la main-d'oeuvre étrangère qui est aujourd'hui à la recherche d'un emploi. C'est une des clés de la réussite pour que ces personnes puissent trouver un emploi à Genève.
Autre élément: lorsque les entreprises font appel à la promotion économique pour obtenir des aides au niveau de l'emploi, il faut présenter en priorité les personnes qui sont à la recherche d'un emploi.
Voilà à notre avis, les mesures qu'il faut mettre en place. Mais le projet de loi de l'Alliance de gauche - M. Brunier l'a dit tout à l'heure - est tout à fait contraire aux bilatérales. Par conséquent, il ne peut être accepté.
M. Pierre Kunz (R). Les auteurs du projet de loi 8627 font dans le protectionnisme... Cela a déjà été dit: c'est désuet et inutile, puisque les bilatérales l'interdiront !
Mais ils agissent surtout d'une manière éthiquement condamnable, car - il faut le dire clairement - ils visent, moyennant un discours alarmiste répété presque quotidiennement dans d'autres lieux - à la commission de l'économie, par exemple - à opposer les travailleurs locaux aux travailleurs transfrontaliers...
Ce discours, il faut le stigmatiser, parce qu'il est salement démagogique et vilainement électoraliste !
Enfin, plus grave encore: les auteurs du projet de loi 8627 manifestent dans leur texte leur incompréhension totale de la manière dont fonctionne le marché du travail et la problématique du chômage. Une incompréhension qui leur fait penser, et qui les incite à nous faire croire, que l'Etat est capable, grâce à la loi, grâce à des règlements, de trouver un emploi pour chaque chômeur et que c'est son rôle... Eh bien, c'est faux !
Le rôle de l'Etat, Mesdames et Messieurs, n'est pas, contrairement à ce qu'affirme M. Pagani dans son rapport, je cite: «de se doter d'un instrument informatique performant et de faire obligation aux employeurs de passer systématiquement leurs offres d'emploi par cette base de données»...
Une voix. Amen !
M. Pierre Kunz. D'ailleurs, l'expérience française nous montre - puisque vous l'évoquez - que cette stratégie est un échec total ! M. Barrillier l'a rappelé. Le rôle de l'Etat est de créer une économie qui engendre des emplois. Et il faut bien reconnaître que vous et vos amis, Monsieur Pagani, au cours des dernières décennies, avez fait tout ce que vous pouviez pour l'empêcher d'agir dans ce sens, en contribuant - et ça, c'est bien vrai ! - largement à la détérioration des conditions-cadres de l'économie ! Quant à la concurrence des travailleurs transfrontaliers, que vous agitez comme votre drapeau rouge ou votre porte-voix, il faut en dire ceci: il est temps que nous reconnaissions, Monsieur Pagani, que ce qui est vraiment déterminant dans la recherche d'un emploi, c'est le demandeur d'emploi ! Laisser croire à ce dernier qu'il revient à l'Etat de le placer n'est qu'une tromperie à son égard ! L'Etat ne peut que l'aider, ne peut que l'inciter à être plus déterminé et plus efficace dans sa recherche. Il ne peut pas le mettre hors concurrence, comme vous aimeriez ! Il ne le peut pas ! Pas plus qu'il ne peut trouver un emploi à sa place !
Ce projet de loi, Mesdames et Messieurs les députés - vous l'avez compris - est inutile, illusoire: une tromperie ! Il faut le rejeter !
M. Alain Charbonnier (S). Je reviendrai juste sur la question de la base de données qui est demandée dans ce projet de loi. En effet, la dépense d'énergie et les moyens financiers nécessaires pour réaliser une telle base de données dépasse complètement l'entendement...
Par contre, ces moyens devraient être utilisés dans d'autres domaines concernant le chômage. Je prendrai comme exemple la plate-forme qui existe déjà pour les cadres bancaires. Nous sommes un peu étonnés qu'une telle plate-forme existe pour les cadres et pas pour les chômeurs en général. Nous souhaiterions que ces plates-formes soient développées pour tous les chômeurs, en particulier pour les chômeurs de longue durée. Entre autres, l'information, le bilan de compétences, la formation, etc., sont des points importants, et je pense que les moyens demandés par l'Alliance de gauche pour créer une telle base de données seraient davantage utiles pour les chômeurs.
M. Rémy Pagani (AdG), rapporteur de minorité. Je suis étonné que M. Kunz se pare de son habit d'honnête citoyen pour lancer les mots les plus durs à la tête de ceux qui cherchent à protéger un minimum l'ensemble des travailleurs de ce canton, en prétendant que nous sommes favorables à la discrimination...
Je rappellerai juste quelques faits, car les faits sont têtus... Quoi qu'en disent les uns et les autres, il reste qu'aujourd'hui, alors que ces trente dernières années, il y avait à peu près 20'000 ou 30'000 frontaliers sur un marché du travail d'un peu plus de 200'000 emplois, en deux ans, 10'000 frontaliers de plus se sont trouvés en concurrence sur ce marché local qui est déjà restreint... Et on nous annonce - ce sont les statistiques qui ont été avancées par des personnes bien plus compétentes que moi - que, lorsque les bilatérales entreront en force, c'est-à-dire en juin de l'année prochaine, ce nombre augmentera encore de 10'000 personnes en raison d'un effet de seuil. Nous n'avons rien - je le répète, mon texte est explicite à cet égard - contre le fait que les travailleurs viennent travailler à Genève. Nous sommes, et nous n'avons pas de leçon à recevoir à ce sujet, des internationalistes conséquents. Nous disons simplement qu'il faut contrôler la concurrence des travailleurs sur marché local, parce que nous estimons que la majorité des habitants de notre canton qui payent leur loyer et leurs charges sociales, doivent pouvoir continuer à y vivre et à travailler !
Nous avons combattu, je vous le rappellem le fait que certains aient cru bon de faire venir par charters des travailleurs de Hong Kong pour les payer 1,50 F de l'heure - ce qui est une concurrence déloyale - et nous continuerons à le faire, parce que nous estimons... (Exclamations.)1,50 F de l'heure, oui, je le maintiens !
Nous estimons que cette concurrence ne profite qu'aux employeurs, et non à l'ensemble de notre communauté, et que chacun doit pouvoir vivre et travailler à Genève de manière décente et digne !
Cela étant, je m'étonne encore une fois que l'on nous fasse le procès de la base de données sur informatique, alors que nous sommes bien placés pour savoir que les hauts cadres de cette République disposent, déjà aujourd'hui, d'un outil informatique performant qui leur permet d'accéder à un marché du travail qui leur est réservé ! Alors, pourquoi ne pas étendre cet outil à d'autres catégories de personnes et se donner les moyens, au sein de l'Etat, de mettre à disposition un réel outil performant à la disposition des demandeurs d'emploi ? Je trouve incongrue la position de ceux qui s'opposent aujourd'hui à ce projet de loi !
Enfin, et ce sera ma conclusion: nous vivons dans un système de concurrence, qui exacerbe les différences entre les travailleurs, qui conduit effectivement à la xénophobie. Je le regrette, et nous n'avons pas de leçon à recevoir en la matière parce que nous avons combattu - avec beaucoup d'autres - notamment, le statut de saisonnier. Nous disons simplement que cette logique de mise en concurrence des travailleurs conduit à réduire la poche de résistance - si j'ose dire - que sont les chômeurs... Nous l'avons encore vu lundi dernier, puisque la majorité de ce parlement a présenté un projet de loi visant à réduire les droits des chômeurs dans notre canton: une diminution de presque la moitié de leurs indemnités ! C'est parfaitement déplorable, mais cela va dans le sens de la logique inexorable du moment: une logique de concurrence exacerbée, qui n'est pas digne d'une société qui devrait permettre à chacun de vivre et de travailler là où il réside !
M. Christian Brunier (S). Je vais rapidement réagir à deux ou trois de vos propos qui m'ont gêné, Monsieur Pagani...
Première chose: lorsque le Conseil fédéral remet en cause un vote récent du peuple - le vote contre la libéralisation du marché de l'électricité - vous vous offusquez et dites qu'il est anormal de remettre en cause le vote récent de la population... Et aujourd'hui, vous êtes en train de faire la même chose que le Conseil fédéral ! Vous remettez en cause un vote clair de la population suisse et de la population genevoise en faveur des bilatérales, alors que celles-ci ne sont même pas encore entrées en vigueur ! Ce n'est vraiment pas une façon de faire ! En cela, vous suivez la même stratégie que le Conseil fédéral par rapport à la LME.
Deuxième chose: vous avez affirmé à plusieurs reprises que les bilatérales étaient synonymes de dérégulation et qu'il n'y aurait plus aucun contrôle... Vous savez très bien que c'est faux ! (Exclamations.)Et ce faisant, vous sous-ententez que tous vos collègues syndicalistes ont mal fait leur boulot, puisque vous êtes un des seuls syndicalistes à Genève à vous y être opposé ! Vous savez parfaitement que l'ensemble des partis de gauche, à l'exception de quelques groupes à l'intérieur de l'Alliance de gauche, l'ensemble des syndicats, ont approuvé les bilatérales. Je trouve insultant pour vos collègues de sous-entendre qu'ils ont mal fait leur boulot en ne prévoyant aucun organe de régulation. Je le répète: vous savez très bien que c'est faux ! Les organes de régulation devront certainement être perfectionnés au contact de la réalité; c'est évident et tout le monde le reconnaît, mais nier l'existence de ces organes de régulation est un mensonge !
Troisième chose: nous sommes tous d'accord, me semble-t-il, pour dire qu'il faut lutter contre le chômage, et le parti socialiste n'est pas en reste en la matière. Mais lutter contre le chômage, ce n'est pas faire de fausses promesses aux chômeurs et proposer des solutions totalement inefficaces ! Nous vous l'avons prouvé en commission, et les professionnels de la lutte contre le chômage, les syndicats et les patrons, vous l'ont tous dit: les mesures que vous proposez ne tiennent pas la route ! Je crois qu'il ne faut pas bercer d'illusions les chômeurs.
Quatrième chose: vous dites qu'aucun système informatique n'est en place pour aider les chômeurs à trouver un emploi... Ce n'est pas vrai ! Allez à l'entrée de la Caisse de chômage, et vous verrez qu'il y a un ordinateur où n'importe qui peut aller regarder quels sont les postes de travail vacants ! Le système est certainement perfectible, mais ce n'est pas une raison pour nier son existence !
Vous avez également mis en cause la commission tripartite, en disant que toute une quantité de permis ont été attribués un peu trop facilement ces derniers mois... Je rappelle que ces permis sont attribués de façon tripartite: Etat, patron et syndicats - c'est-à-dire vos collègues - et que le marché est très contrôlé.
Je cite une déclaration sur la commission tripartite: «Si des permis furent délivrés, c'est faute de trouver sur le marché local des profils équivalents répondant aux besoins des employeurs.» Sur ce point, il n'y a pas non plus de dumping social ou de mauvais travail effectué par cette commission !
Enfin, je termine en vous lisant une phrase que j'ai trouvée dans la presse syndicale - et qu'il me semble important de noter, Monsieur Pagani: «La lutte contre le dumping, ce n'est pas de se protéger des autres, c'est protéger les autres de leur exploitation.» (Applaudissements.)
M. Carlo Lamprecht, conseiller d'Etat. Je crois que tout, plus ou moins, a été dit par rapport à ce projet de loi...
Les accords bilatéraux ont été acceptés. Si nous acceptons les avantages de ces derniers; nous devons aussi être capables de gérer et de maîtriser les dangers qui y sont liés. C'est ce que nous avons fait, puisque nous nous y sommes préparés... Comme le disait M. Barrillier, cela fait déjà deux ou trois ans que nous travaillons à ce sujet, en partenariat avec les syndicats, avec le patronat, avec le département, et nous sommes bien résolus à faire en sorte que ces mesures d'accompagnement soient appliquées, malgré les difficultés qu'elles impliquent.
Pour en revenir au chômage, problème qui me préoccupe tout autant que vous, nous devons avoir une politique plus active. Dans les jours qui viennent, après une année et demie de travail et de réflexion, de rapports que nous avons examinés, d'analyses et de consultations, nous allons proposer un certain nombre de mesures, précisément pour éviter les effets pervers dont M. Pagani s'inquiète - et il n'est pas le seul... Nous allons donc travailler davantage sur la formation - Mme Loly Bolay a raison.
Comme vous le disiez tout à l'heure, Monsieur le rapporteur de majorité, on ne trouve parfois pas ce qu'on cherche à Genève, malheureusement. Il faut donc avoir une cellule d'étude pour savoir véritablement quelles sont les formations à suivre. Ce n'est pas si simple, il faut donner des formations à des personnes capables de les assumer et qui, finalement, pourront trouver un emploi. Par conséquent, il faut conjuguer ces différents paramètres. Nous allons essayer de le faire. Je dis bien «essayer», ce qui est déjà quelque chose... Réussir est plus difficile !
Vous avez fait allusion au secteur bancaire... D'autres secteurs seront aussi touchés par les mesures que nous allons prendre, notamment le secteur industriel. Ce dernier a aussi besoin d'être renforcé au niveau des compétences, certes ! Mais, je le répète, pour pouvoir diminuer le nombre des chômeurs, il faut créer des emplois et, pour cela, il faut aussi soutenir la promotion des industries, etc. (Brouhaha. Le président agite la cloche.)D'ailleurs, le patronat est tout aussi conscient de la problématique des travailleurs extérieurs à Genève et du nombre élevé de Genevois sans emploi.
Actuellement, nous travaillons ensemble sur cette question et, ces jours prochains, nous allons définir, ensemble également, la politique à mener en la matière, en prenant un engagement non seulement avec les employeurs du secteur privé, mais aussi avec ceux du secteur public - parce que nous avons aussi des responsabilités dans ce domaine - pour essayer de faire en sorte que les gens qui sont au chômage aujourd'hui puissent, à travers une formation, à travers une meilleure efficacité de l'office cantonal de l'emploi, retrouver un emploi. Nous allons aussi mettre en place une vraie équipe qui ira chercher des emplois dans les entreprises. Nous allons tous, la main dans la main, travailler ensemble afin que l'entrée en vigueur des bilatérales ne provoque pas de conséquences catastrophiques, c'est à dire que nous puissions en maîtriser les effets négatifs et bénéficier aussi de ses effets positifs.
Par rapport à ce projet de loi, chacun a pu s'exprimer, toutes les réponses ont été données, et je ne vais pas recommencer le même plaidoyer... Je vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, de rejeter le projet de loi 8627. (Applaudissements.)
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes au terme du premier débat. Nous nous prononçons sur la prise en considération du projet au moyen du vote électronique. Le vote est lancé.
Mis aux voix, ce projet est rejeté en premier débat par 59 non contre 9 oui et 3 abstentions.