République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 14 novembre 2003 à 17h
55e législature - 3e année - 1re session - 3e séance
IU 1508
Mme Anita Cuénod (AdG). Cette interpellation concerne l'engagement de deux mille militaires à l'occasion du Sommet mondial sur la société de l'information qui se tiendra à Genève au mois de décembre de cette année. Elle est destinée au Conseil d'Etat et, plus particulièrement, à Mme Micheline Spoerri, présidente du département de justice, police et sécurité.
Le 5 novembre, la presse a rendu compte de la décision du Conseil fédéral d'engager deux mille militaires de milice et professionnels pour appuyer les autorités et la police genevoises à l'occasion du Sommet mondial sur la société de l'information, le SMSI, qui se tiendra à Genève du 7 au 17 décembre de cette année.
Cette mesure contribue au climat sécuritaire qui prévaut de plus en plus en Suisse et, plus particulièrement, à Genève.
A Genève, la décision de faire appel à l'armée semble découler d'une volonté d'imposer la présence de l'armée de manière permanente. L'image et le rôle de Genève, ville de paix, risquent d'être fortement atteints par ces mesures. La multiplication des interventions de l'armée à l'intérieur du pays va à l'encontre des principes de base qui régissent notre société démocratique. En effet, la loi autorise l'appel à la troupe - et je cite l'article 67, alinéa 2, de la loi sur l'armée: «...uniquement dans la mesure où les autorités civiles ne sont plus en mesure de s'acquitter de leurs tâches par manque de personnel, matériel ou de temps».
La prise de décisions et les conditions d'engagement de la troupe pour ce sommet mondial soulèvent plusieurs questions, d'autant plus que, contrairement à l'engagement de l'armée pour le WEF, le Forum économique de Davos, il n'y aura ni arrêté fédéral ni discussion au parlement sur cet engagement.
Deux questions: les autorités genevoises ont-elles vérifié l'impossibilité d'avoir recours à des moyens civils, y compris d'autres cantons, pour accomplir les tâches requises pour l'organisation de ce sommet ?
Pourquoi le Conseil fédéral a-t-il décidé d'engager deux mille militaires de milice et professionnels, au plus, en choisissant la limite maximale au-delà de laquelle une décision du parlement fédéral serait requise ?
Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Je vous remercie, Madame la députée, de me fournir l'occasion de donner une information à l'ensemble des députés.
En préambule, j'aimerais rappeler le contexte général de la sécurité, à Genève et en Suisse, et en clarifier les principes. Si je suis prête à le faire de manière aussi exhaustive aujourd'hui, c'est que je viens de passer trois jours, et avec le Conseil fédéral, et avec la Conférence suisse des directeurs de police.
J'aimerais rappeler que le maintien de l'ordre reste de la compétence cantonale et que chaque canton est souverain en la matière. Par contre, l'évaluation des risques et la nature des forces engagées pour la sécurité dans les événements internationaux dépendent à la fois de la Confédération - plus particulièrement de la délégation à la sécurité - des cantons, à travers la Conférence suisse dont je parlais tout à l'heure, cantons représentés, comme pour chaque domaine, par les conseillers d'Etat chargés de la justice et de la police, et, enfin, les concordats de police. Voilà pour les compétences.
J'aimerais aussi vous dire... (Brouhaha.)Et il me paraît important que l'ensemble des députés prêtent un peu d'attention à ma réponse, y compris sur les bancs... de droite !
En ce qui concerne les ressources policières, il manque aujourd'hui, en Suisse, mille policiers formés au maintien de l'ordre. C'est ce que l'on appelle «la lacune». Ces mille policiers font défaut pour le maintien de la sécurité lors des événements internationaux, mais aussi lors d'événements cantonaux à hauts risques pour lesquels la solidarité intercantonale est absolument nécessaire.
Des villes comme Bâle, Berne, Zurich, Genève, sont de plus en plus exposées à de tels événements, où les nouvelles formes de violence qu'on appelle la «guérilla urbaine» commencent à s'installer, comme dans les autres pays européens. J'ajoute que le climat politique international a fondamentalement changé au cours des trois dernières années. Je pense au 11 septembre et à l'ouverture du conflit irakien. J'ajoute encore que l'adhésion de la Suisse à l'ONU et les démarches que notre pays conduit aujourd'hui en tant que membre de l'ONU font que nous ne sommes plus uniquement un Etat hôte mais aussi un acteur, et cette nouvelle situation entraîne, sans aucun doute, une nouvelle appréciation des risques, de nouveaux moyens et de nouvelles stratégies pour assurer la sécurité de notre pays et de notre canton.
La Conférence suisse des directeurs cantonaux, des départements de justice et police, réunie hier et aujourd'hui, a examiné cette situation avec beaucoup d'inquiétude, mais aussi beaucoup de réalisme.
Le principe d'un engagement accru de l'armée lors d'événements exceptionnels a été confirmé par la Conférence, dès lors que, comme vous le citez dans votre interpellation, Madame, les autorités civiles ne sont plus en mesure de s'acquitter de leurs tâches par manque de personnel.
S'agissant de votre première question, les autorités genevoises, en partenariat - je le répète - avec le Conseil fédéral, les concordats intercantonaux et la Conférence suisse peuvent vous assurer que les dispositions prises pour le Sommet mondial sur la société de l'information ne relèvent pas d'une volonté de militariser l'opération, ou les opérations, mais simplement d'assurer la sécurité du canton avec les moyens à disposition.
Quant à votre deuxième question, c'est-à-dire les modalités de décision du Conseil fédéral concernant l'engagement de l'armée, il ne m'appartient, bien sûr, ni de les juger ni de les commenter.
Toutefois, je voudrais préciser les éléments suivants: une partie des formations engagées par l'armée seront chargées de renforcer la police pour sécuriser l'Aéroport international de Genève de manière adéquate. On nous annonce aujourd'hui l'arrivée de soixante chefs d'Etat transitant par Cointrin dans le contexte du sommet. Pour le reste des formations engagées, ce sera essentiellement des contrôles d'accès à Palexpo et la sécurité intérieure de Palexpo, et cela à la demande et au profit de l'ONU, les gardes onusiens n'ayant pas non plus les effectifs nécessaires pour assumer une telle tâche.
Ces formations sont engagées sous la direction de la police de Genève: c'est la souveraineté cantonale. De plus, le chef du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports nous a annoncé, selon une demande expresse de l'ONU, que ces missions seraient accomplies par l'armée en civil.
Cette interpellation urgente est close.