République et canton de Genève

Grand Conseil

Discours de M. Pascal Pétroz, nouveau président

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, Mesdames et Messieurs les invités, Mesdemoiselles les filles... (Brouhaha.) ...je vous remercie infiniment de la confiance que vous me témoignez, et je dois dire qu'il s'agit d'un score quasiment soviétique. Il est vrai que nous étions dans une grande tradition soviétique, puisque j'étais le seul candidat. Je n'avais donc pas grand-chose à craindre, mais je vous remercie de la confiance que vous me témoignez. J'en suis très honoré et je ferai tout pour m'en montrer digne.

C'est un grand honneur pour un jeune homme âgé de seulement 32 ans que d'avoir la chance d'être pendant une année le premier citoyen du canton. Pourtant, s'il est vrai que je deviens ce soir le plus jeune président de notre histoire, je ne souhaite pas que mon accession à ce poste se résume à mon âge.

«Un gamin» à la présidence du Grand Conseil, comme le titrait ce matin un quotidien de la place, me paraît être quelque peu réducteur. C'est oublier que je suis actif dans mon parti politique depuis plus de douze ans et que, avant de connaître les joies du mandat de député il y a deux ans, j'ai fait mes premières armes tant au sein des Jeunes démocrates-chrétiens que de l'association de la Ville de Genève, puis de Thônex.

C'est oublier aussi que je me suis installé à mon compte en tant qu'avocat à l'âge de 26 ans, soit il y a près de six ans, ce qui m'a obligé à devoir assumer peut-être plus tôt que prévu une responsabilité accrue.

Les clients d'une étude d'avocat se moquent de l'âge de leur conseil: qu'il soit jeune, âgé, grand ou petit, ils veulent que leurs intérêts soient défendus correctement et que leurs procès soient gagnés.

Dès lors, je ferai tout pour me montrer digne de la responsabilité que vous m'avez confiée, en tentant de compenser l'expérience que les années ne m'ont pas encore amenée par les enseignements apportés par mon activité professionnelle.

Cela étant, j'entends que cette présidence s'inscrive dans la continuité de celle effectuée par mon prédécesseur, M. Bernard Lescaze, lequel a veillé pendant l'année écoulée aux destinées de notre Conseil avec énergie, finesse et courage. Je tiens à l'en remercier chaleureusement ici.

Mon cher Bernard, je veux que tu saches que ma présidence s'inscrira - si je le peux, parce que je ne pourrai pas le faire tout seul - dans la continuité de celle que tu as effectuée, parce que tu as veillé, pendant l'année écoulée, aux destinées de notre Conseil avec énergie, finesse et courage. Tu as été - tu permets que je te tutoie, mon cher Bernard, c'est l'amitié qui parle, même si le discours que j'ai écrit prévoyait le vouvoiement - le garant du bon fonctionnement de notre institution. Tu as aussi été très attentif au respect de ses prérogatives. Et, tu le sais, Bernard, ces prérogatives sont souvent l'objet d'appétits voraces ! Tu as également fait extrêmement attention, et tu as contribué à rétablir une certaine sérénité et des contacts fructueux entre le Grand Conseil et le pouvoir judiciaire, ce qui n'est pas toujours allé de soi par le passé.

Monsieur le président sortant - je passe au vouvoiement - vous avez aussi lutté pour que nos débats se tiennent dans des conditions décentes, que ce soit lors de ceux-ci ou dans le cadre de modifications législatives qui ont été proposées par le précédent Bureau du Grand Conseil.

Je vous suis enfin très reconnaissant d'avoir eu à coeur de régler avant la fin de votre présidence tous les problèmes qui ont pu survenir durant celle-ci, de sorte que vous me laissez un bureau «nettoyé».

J'ai beaucoup appris de vous, Monsieur Lescaze, et je tiens à vous exprimer ici ma plus profonde reconnaissance. (Applaudissements.) (M. Pétroz offre un bouquet de fleurs à M. Lescaze, président sortant.)Je ne te fais pas la bise, mais le coeur y est !

Ceci dit, je souhaite que ma présidence puisse contribuer à un rapprochement entre les citoyens et leurs élus. Il ne faut pas se le cacher, nous ne sommes pas bien vus. Dans les discussions qui se tiennent dans les cafés du commerce, on nous considère souvent comme des incapables, des bavards impénitents ou des profiteurs.

Une voix. Vous parlez des avocats, pas de nous !

Le président. Je parlais de ceux qui font de la politique, pas des avocats, Monsieur le député. Les avocats sont juste bavards !

Il y a un mois et demi, j'écoutais un matin à la radio l'interview de deux de nos collègues en vue des élections fédérales. Une citoyenne est alors passée à l'antenne pour fustiger les politiciens qui, selon elle, ne pensaient qu'à leurs propres intérêts et gagnaient 50 000 F par mois sur le dos des contribuables. Nous ne pouvons pas laisser dire cela.

Nous devons expliquer que notre engagement est rétribué par des jetons de présence que nous ne percevons, comme leur nom l'indique, que lorsque nous sommes présents, et dont une partie non négligeable revient à nos partis politiques respectifs et contribue ainsi à leur financement.

Nous n'avons ni assurance-chômage ni perte de gain et nous travaillons lors des sessions jusqu'à 23h. Bref, notre mandat constitue le cauchemar personnifié de tout syndicaliste qui se respecte.

Je ne fais bien évidemment pas état de ce qui précède pour que les citoyens nous plaignent.

Nous avons décidé de nous engager pour la défense du bien commun et nous entendons en assumer les conséquences. Je souhaite uniquement que les gens comprennent que l'on ne fait pas de la politique pour de l'argent, mais parce que l'on entend défendre sa vision de la société, quelle qu'elle soit.

J'aimerais aussi que les électeurs soient mieux informés du fonctionnement concret du Grand Conseil.

On entend souvent dire que, lors de nos débats, les orateurs semblent prêcher dans le désert et que leurs opinions ne sont pas prises en considération par leurs collègues. Cela est souvent vrai, mais s'explique de façon très simple.

Nous le savons tous dans cette enceinte, mais cela est ignoré du grand public, les projets de lois que nous votons ont été préalablement discutés en commission où ce travail d'écoute, d'étude et parfois de consensus a lieu. Dès lors, en séance plénière, il est évident que les votes des différents groupes politiques seront le reflet de ceux de leurs commissaires. Par ailleurs, tous les groupes tiennent avant chaque session une réunion, que nous appelons «caucus», lors duquel ils décident de quelle manière ils voteront sur chaque projet porté à l'ordre du jour de notre Conseil.

Ainsi, tout est déjà décidé avant le début de la session. Je suis persuadé que, si les citoyens avaient connaissance de ce fonctionnement, ils appréhenderaient nos débats différemment.

Mais le rapprochement du peuple et de ses représentants passe aussi par une remise en question de notre propre fonctionnement et de notre comportement.

Sincèrement, lorsque l'on assiste à certains de nos débats, lors desquels des invectives pleuvent de part et d'autre de la salle, on ne peut qu'admettre que nous donnons de nous une image déplorable. Pourra-t-il en être un jour différemment ? J'ai la naïveté d'y croire et j'espère que vous me suivrez dans cette douce utopie.

Un jour peut-être, nous pourrons débattre dans le respect des opinions de chacun, en essayant de s'en nourrir pour évoluer et non en fustigeant les différences.

C'est le lieu de saluer ici la campagne sur le respect qui a été initiée par le maire d'Avusy, M. André Castella, et qui a été relayée en particulier dans les communes genevoises.

J'imagine que le traitement de la motion qui sera prochainement déposée devant notre Conseil sur cet objet nous permettra de nous exprimer sur ces questions.

D'une manière plus générale, je dois vous avouer que je suis très préoccupé par l'absence de cohésion de notre société. A force de vouloir défendre des intérêts particuliers, il me semble que nous avons perdu le sens de l'intérêt général. Ceci a pu être vérifié de manière particulièrement évidente lors de nos débats relatifs au G8.

Sans vouloir polémiquer et sans vouloir fustiger qui que ce soit, force est cependant d'admettre que nous avons été incapables de créer une union sacrée qui nous aurait permis d'aborder avec plus de sérénité cet événement, qui a été vécu par la population comme un véritable traumatisme. Chacun a voulu défendre son point de vue, ce qui est en soi légitime.

Ce qui ne l'est en revanche pas, c'est que nous n'ayons pas pu trouver tous ensemble un dénominateur commun acceptable pour chacun des partis. Cet événement doit nous inviter au questionnement en vue de la redéfinition d'un contrat social. Une telle démarche me paraît indispensable si nous voulons retrouver une certaine sérénité dans cette République.

Cette sérénité retrouvée nous permettra notamment de donner une meilleure image de nos travaux et d'en accélérer la cadence, tant il est vrai que certains projets, portés à notre ordre du jour depuis près d'une année, n'ont encore pas été traités de quelque façon que ce soit.

Enfin, et pour être un petit peu plus personnel, et parce qu'il y a beaucoup de gens que j'aime à la tribune du Grand Conseil, j'aimerais remercier tous ceux qui m'ont soutenu et me soutiennent encore depuis des années dans le cadre de mes activités. D'abord, vous remercier vous, puisque c'est vous qui m'avez élu. Je vous remercie encore du grand honneur que vous me faites. Mais j'ai une pensée très émue pour mes parents, qui ont divorcé quand j'avais onze ans, et, depuis de très nombreuses années, je n'ai eu que deux fois l'occasion de les voir côte à côte en face de moi. C'était l'année passée pour mon élection comme premier vice-président du Grand Conseil et cette année. Je dois dire que c'est avec beaucoup d'émotion, papa, maman, que je vous vois maintenant à la tribune. Je vous remercie d'être là. (Applaudissements.)

Mes pensées vont également à mes associés, Jean-Pierre Carera et Christine Sayegh, bien sûr, ancienne présidente du Grand Conseil. A tous les collaborateurs de l'étude qui me soutiennent et me supportent tous les jours - ce qui n'est pas toujours facile ! A Mario Cavaleri, président de mon parti, ainsi qu'à tous les membres de mon parti politique, présents à la tribune. J'ai une pensée toute particulière pour Philippe Joye, ancien conseiller d'Etat, qui me fait l'amitié d'être présent. Et puis, bien évidemment, à mes amis qui sont là et que j'ai beaucoup de plaisir à voir.

Je me réjouis de travailler - last but not least- avec le service du Grand Conseil, en particulier Mmes Maria Anna Hutter, sautier, et Milena Guglielmetti, directrice adjointe. Ce service nous assiste avec engagement et dévouement dans le cadre du travail parlementaire et je tiens à exprimer ma reconnaissance à tous ses collaborateurs.

J'aimerais rassurer aussi mes clients... (Brouhaha.)...et oui, il faut bien le faire - que je ne pourrai bien évidemment pas nommer pour des questions relatives au secret professionnel - en leur disant que le poste de président du Grand Conseil ne représente pas un travail à plein temps et qu'ils n'ont pas besoin, dès demain, de changer d'avocat. (Brouhaha.)Je serai bien évidemment plus chargé, mais je continuerai à défendre leurs intérêts, comme par le passé.

Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de l'attention que vous m'avez accordée. J'ai l'espoir de passer, en votre compagnie, une année extraordinaire, riche en expériences et dans le respect de l'intérêt public. Vive la République ! Vive Genève ! (Applaudissements.)