République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 29 août 2003 à 10h15
55e législature - 2e année - 10e session - 63e séance
PL 9010 et objet(s) lié(s)
Préconsultation
M. Jean-Marc Odier (R). Le groupe radical vous propose un projet de loi et une motion visant à rectifier ce que l'on pourrait appeler un deuxième couac. En effet, lorsque le Grand Conseil a voté la LIPP, nous avons fait usage de l'une des clauses permettant une exonération des rentiers du deuxième pilier. Cette possibilité offerte par le droit fédéral n'a toutefois pas été utilisée jusqu'au bout, puisqu'elle n'a été introduite que pour l'année 2001, et non pour l'année 2002. L'exonération d'environ 10% des rentes n'étant plus autorisée, les rentiers du deuxième pilier se sont trouvés en 2002 dans une situation fiscalement difficile, puisqu'ils se sont vu beaucoup plus taxés. C'est ce couac que nous vous proposons de rectifier par le biais du projet de loi 9010. Ce projet concerne l'exercice 2002, bien que celui-ci soit terminé. Nous tenons à ce qu'il puisse y avoir, d'une manière ou d'une autre, une rétroactivité, même si cette rétroactivité devait, par exemple, être prise en compte sur l'exercice fiscal 2003 des contribuables.
La motion invite pour sa part le Conseil d'Etat à imposer, dès l'année 2003, ces rentiers de manière neutre. Cette demande avait d'ailleurs été formulée par le Grand Conseil au moment du vote de la loi. Pour ce faire, nous demandons une éventuelle modification du barème d'imposition ou la réintroduction du système d'exonération qui prévalait jusqu'en 2000.
Je vous invite à appuyer le renvoi du projet de loi et de la motion à la commission fiscale de manière que cette dernière puisse, d'entente avec le Conseil d'Etat, envisager les meilleurs moyens de rectifier l'imposition exagérée des rentiers LPP.
M. Albert Rodrik (S). Je ne sais fichtrement pas si la solution préconisée par le groupe radical est la bonne, mais il est certain que celui-ci a mis le doigt sur la réalité poignante que connaissent un certain nombre de retraités qui ne sont pas millionnaires. Le renvoi en commission s'impose donc afin que nous puissions travailler. Mme Brunschwig Graf a d'ailleurs anticipé ce problème en faisant part aux membres de la commission fiscale de son désir de s'y atteler.
Faut-il opérer une rétroactivité lorsqu'on a vécu ce que l'on a vécu en 2002 à ce sujet ? Mais la problématique, chère Madame, va au-delà de la technique, et les propos de M. Odier ne doivent pas être négligés, car ils renvoient à des problèmes personnels difficiles. Cela étant, bouleverser deux ou trois années d'affilée la perception normale de l'impôt me paraît aussi être une gageure.
Il est de notre responsabilité politique de renvoyer ce projet de loi et cette motion en commission, de montrer que nous sommes sensibles au problème et que nous allons l'affronter. Les détails techniques suivront.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est maintenant à M. Ecuyer pour l'Alliance de gauche.
M. René Ecuyer (AdG). Lors de l'adoption des modifications de la loi fiscale cantonale - modifications qui avaient été rendues obligatoires en raison de l'adoption de la LHID - il nous avait été assuré que toutes les mesures avaient été prises pour que la situation fiscale des retraités ne subisse aucune aggravation. Or, que s'est-il produit ? Nous constatons maintenant des augmentations spectaculaires d'impôts pour une catégorie d'entre eux ! Il convient donc de modifier la loi en question. Nous soutenons également le caractère rétroactif de cette révision. Je vous signale en outre que l'association Avivo soutient ce projet de loi.
M. Jean Rémy Roulet (L). Le groupe libéral soutiendra le renvoi de ce projet de loi en commission fiscale. J'ajouterai cependant un commentaire analogue à celui fait par mon collègue Rodrik: interrogeons-nous d'abord sur la question de savoir si la rétroactivité est une bonne mesure ou non, sachant que la commission fiscale va être saisie d'un immense chantier du fait de certaines décisions fédérales en matière d'imposition fiscale. Il faudra de toute façon procéder à la révision des LIPP I, II, III, IV et V dans un très bref avenir.
La question que l'on peut dès lors décemment se poser - et qui aurait, à mon humble avis, dû être posée du temps de Mme Calmy-Rey - est la suivante: était-il nécessaire d'avoir une loi fiscale cantonale «splittée» en cinq ? Et ne pourrions-nous pas profiter de l'occasion pour en faire une seule, édulcorée, en tenant compte de toutes les problématiques évoquées, notamment, à l'occasion du débat sur le couac fiscal ? Parmi ces problématiques, nous avons longuement débattu de l'imposition des rentiers. Le projet de loi radical met donc une pression politique supplémentaire sur notre parlement, quand bien même il s'agira pour celui-ci et pour la commission fiscale d'étudier très attentivement toutes les modifications à apporter à ce tome de LIPP dans les mois à venir.
Le président. La parole est à Mme Stéphanie Ruegsegger pour le groupe démocrate-chrétien.
Mme Stéphanie Ruegsegger (PDC). Le groupe démocrate-chrétien se rallie également au renvoi de ces deux projets en commission fiscale. Lorsque nous avions discuté des différentes LIPP, nous avions déjà soulevé le problème relatif à l'imposition des rentes, mais nous avions quelque peu buté contre une impasse liée notamment au droit fédéral. Nous sommes donc heureux de pouvoir reprendre cette problématique en commission fiscale. Nous verrons bien ce que nous pourrons en faire.
M. Roulet a parlé tout à l'heure du couac fiscal dont il a été question l'année dernière. Pour ma part, je rappellerai simplement que nous avions voté une loi introduisant un bilan obligatoire au terme du premier exercice. Nous nous réjouissons de recevoir rapidement ce bilan, en espérant qu'il inclue également la problématique des rentiers. Il ne me semble pas que cette problématique avait été intégrée au projet que nous avions voté puisque celui-ci était spécifiquement destiné à la classe moyenne et aux familles. Il serait toutefois intéressant de pouvoir également disposer d'une analyse des répercussions de la LIPP sur les rentiers. Nous nous réjouissons que le Conseil d'Etat nous rende rapidement ce premier bilan.
Le président. Merci, Madame. La parole est à Mme la députée Künzler pour le groupe des Verts.
Mme Michèle Künzler (Ve). Nous nous rallions évidemment aussi à la proposition de renvoi en commission. Concernant les questions de neutralité fiscale qui ont été soulevées, il n'est pas surprenant que les retraités aient été confrontés à une augmentation, puisqu'ils ont, la dernière fois, bénéficié d'un traitement favorable. Il s'agissait également d'une question de justice face aux jeunes. Il est vrai qu'il faut s'assurer que chacun soit imposé de manière équitable, et nous sommes tout à fait disposés à examiner la situation des retraités en cas de problème spécifique concernant les rentes LPP, car ces dernières interviennent à un moment précis. Mais pour le reste, ce n'est pas une surprise.
Par ailleurs, la mise en oeuvre d'une mesure rétroactive posera d'énormes difficultés. Nous avons déjà introduit une rétroactivité dans d'autres domaines, et nous introduirons ici un problème supplémentaire. Comme l'a relevé Mme Ruegsegger, il me semble nécessaire de tirer en premier lieu un bilan de la situation effective pour tous les contribuables et d'examiner les incidences du paquet fiscal fédéral avant de s'atteler à des corrections au niveau cantonal. Mais, il est quelque peu énervant de se trouver face à un chantier perpétuel au niveau fiscal !
Le président. La parole est à Mme la conseillère d'Etat Martine Brunschwig Graf.
Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Je vous remercie de donner la parole au contremaître du chantier, Monsieur le président... J'aimerais faire deux remarques.
En premier lieu, je tiens à vous faire savoir qu'avant même le dépôt d'un projet de loi ou d'une motion à ce sujet, j'avais informé la commission fiscale de la problématique consécutive à la suppression de la déduction de 10% sur les rentes de prévoyance professionnelle. Il convient d'être clair à ce sujet: ce phénomène n'intervient pas pour des raisons d'harmonisation fiscale, mais il résulte d'une loi votée en 1986 qui annonçait un délai à fin 2001. Cette loi avait en son temps été introduite en raison de la possibilité limitée de déduire les cotisations de la rente de prévoyance professionnelle.
Cela m'amène à faire une seconde remarque sur le discours politique que nous tiendrons à l'avenir. Il faut être très prudent quant au discours sur la neutralité d'une décision prise. Je prends en effet tous les jours connaissance de courriers de contribuables ayant entendu le discours qui leur a été tenu l'année dernière sur la neutralité des effets de la LIPP, voire sur la réduction pour familles de cinquante millions votée dans l'urgence en octobre 2002. Or, dans la réalité, les décisions prises dans le cadre d'une loi produisent sur les cas individuels des effets parfois positifs, parfois négatifs. Au cours du travail qu'il nous reste à accomplir, il s'agit donc de préciser clairement dans notre discours, quitte à ce que celui-ci ait un coût sur le plan politique, quels sont les effets pour quelles catégories de la population. Il me semble impossible qu'un Etat crédible défende une théorie sur la neutralité générale des coûts tout en faisant face à des contribuables qui, à titre individuel, ne se retrouvent pas dans ce discours. La problématique abordée dans ce projet de loi et dans cette motion n'a pas été évoquée dans le discours tenu l'année dernière. Toutes les mesures étant intervenues au même moment, cela peut prêter à confusion pour le contribuable. Or, cela n'a aucune importance pour ce dernier de connaître l'origine de l'augmentation de sa charge fiscale, même si cette dernière n'est nullement liée à la LIPP ! Il se trouve, à un moment donné, confronté à des lois faisant subir à sa situation personnelle des effets auxquels il n'a pas été clairement préparé.
J'ai rencontré les représentants de l'Avivo au printemps. Lors de notre discussion, nous nous sommes mis d'accord sur un point: nous avons convenu de traiter avec attention ce qui se trouve dans notre latitude s'agissant des cas de rigueur. Il s'agit de la même problématique que pour une autre disposition qui touchait, cette fois, les indépendants liquidant leur commerce. C'est la raison pour laquelle je vous demande de ne pas voter de loi avec effet rétroactif. C'est une autre injustice que vous introduiriez par cette mesure, et c'est lancer un processus sans fin par rapport à la sécurité du droit que de chaque fois donner un effet rétroactif aux lois ! Vous créeriez par cette disposition d'autres éléments de distorsion ! Je répète cependant que, dans la mesure où l'administration fiscale le permet, je m'engage à prendre les dispositions nécessaires pour que les cas soient traités, lorsque nous disposons d'une certaine marge de manoeuvre, avec un maximum d'attention. Ceci est et sera fait ainsi. Pour le reste, nous en traiterons en commission.
Je conclus mon intervention en assurant les députés que, depuis le début de l'année, au fur et à mesure qu'apparaissent des éléments pouvant paraître contradictoires ou entraînant des effets particulièrement négatifs, nous les transmettons aux experts chargés d'évaluer l'application de la LIPP. Ces éléments touchent tant les indépendants que les rentiers. Nous souhaitons vivement intégrer ces éléments dans la discussion politique générale. Je rappelle que le rapport intermédiaire des experts devrait arriver sur mon bureau le 29 août, soit aujourd'hui, et que leur rapport final devrait arriver d'ici la fin du mois de septembre. Il nous faudra donc discuter de ces éléments et, comme je m'y suis engagée, présenter à la commission fiscale comme au Conseil d'Etat - puis au Grand Conseil - les éléments nécessaires et les mesures éventuelles à prendre.
Le projet de loi 9010 est renvoyé à la commission fiscale.
Mise aux voix, la proposition de motion 1546 est renvoyée à la commission fiscale.