République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 26 juin 2003 à 17h
55e législature - 2e année - 10e session - 56e séance
PL 8955
Préconsultation
M. Christian Grobet (AdG). Comme je l'ai dit tout à l'heure et comme M. Portier l'a admis avec la belle franchise qu'on lui connaît, tant le projet de loi que nous venons de traiter que celui dont nous débattons maintenant s'inscrivent dans une volonté précise. Cela est du reste également le cas s'agissant d'autres domaines dans lesquels les partis de l'Entente cherchent à remettre en cause des dispositions législatives par des grappes de projets de lois. En premier lieu, par le biais de ces deux projets, l'on veut faire en sorte que les commissions ne soient pas trop représentatives; on élimine donc de ces commissions les personnes dont les positions pourraient ne pas coïncider avec celles des milieux de la construction. En deuxième lieu, on cherche surtout à ce que ces commissions ne donnent pas trop de préavis et limitent leur champ d'action. C'est donc bien l'institution de ces commissions que vous voulez remettre en cause ou, du moins, vider partiellement de leurs compétences dans le but de réduire leur influence. Je trouve cette volonté éminemment regrettable.
Je parle ici en tant qu'ancien chef du département des travaux publics: pendant douze ans, j'ai en effet été content de disposer de préavis variés et précis, y compris de la part des communes. Il est vrai qu'il n'est pas toujours aisé de concilier les préavis des communes avec celles des commissions consultatives, les intérêts des promoteurs d'un projet à ceux de ses opposants. Les préavis possèdent toutefois le grand avantage de mettre en évidence des éléments essentiels pour celles et ceux qui prendront finalement la décision - les directeurs et, en fin de course, le conseiller d'Etat chargé du département. Ces préavis leur permettront de prendre connaissance d'un certain nombre d'aspects qui sont loin d'être évidents. Evidemment, lorsqu'on débute, on tend à voir ces préavis comme des «encoubles» nous cassant les pieds et nous retardant. Mais l'on s'aperçoit finalement que, neuf fois sur dix, ces préavis ont soulevé des problèmes réels qui ne sont, il est vrai, peut-être pas toujours faciles à trancher, mais qui doivent être connus. Je répète en outre une nouvelle fois que, comme le disait M. Jaques Vernet en son temps, «un préavis n'est qu'un préavis»: le département n'est donc nullement lié par un préavis. Il est vrai que, depuis l'époque de M. Vernet, les différents conseillers d'Etat ont été plutôt attentifs aux préavis. Mais cela ne signifie pas qu'ils les acceptent à chaque fois dans leur intégralité. Je crois pour ma part que les préavis constituent un bonne chose. Maintenant, on peut aussi supprimer les commissions consultatives, et ce sont les fonctionnaires qui décideront... Vous négligez trop souvent cet élément. Le grand avantage des commissions consultatives me semble précisément résider dans le fait qu'elles permettent au chef du département de prendre connaissance d'avis exprimés par des personnes extérieures au département, qui sont souvent des professionnels ou des spécialistes dans un domaine, qui savent de quoi ils parlent, et dont les connaissances sont souvent supérieures à celles des fonctionnaires, quand bien même on sait que les fonctionnaires accomplissent leur tâche du mieux qu'ils le peuvent.
Prenez garde: le jour où vous aurez totalement dénaturé les commissions et où vous aurez formé des «Béni-oui-oui», vous constaterez que ce sont les fonctionnaires qui prendront finalement les décisions. Malgré tout le respect que j'éprouve à l'égard de la fonction publique, je me permets de vous dire, Monsieur Portier, qu'il s'agit là de la pire des solutions !
M. Mark Muller (L). Depuis le début de la législature, les partis de l'Entente, appuyés par l'UDC, s'emploient effectivement à simplifier et à alléger les procédures d'autorisation de construire. Nous ne nous en sommes jamais cachés, et nous poursuivrons cette tâche. Le projet de loi qui vous est présenté aujourd'hui vise à faire le ménage dans l'embrouillamini des préavis rendus par diverses commissions sur des projets de demande d'autorisation de construire. Il peut arriver que, pour un seul projet, pas moins de quinze préavis doivent être récoltés auprès de divers services de l'Etat. Cela se justifie pour la plus grande partie d'entre eux dans la mesure où un certain nombre d'enjeux sont liés à des projets d'autorisation de construire. Toutefois, on se rend compte que, dans certains cas, une, deux, voire trois commissions sont chargées de préaviser sur une problématique presque identique. Je pense notamment à la problématique architecturale et urbanistique. C'est pourquoi nous proposons, par le biais de ce projet de loi, de faire en sorte qu'une seule commission - et non pas deux, encore moins trois - préavise sur ce type d'enjeux. Pourquoi cela ? Tout simplement parce que l'on assiste aujourd'hui à un phénomène extrêmement désagréable: c'est que, bien souvent, ces commissions ne sont pas d'accord entre elles et délivrent des préavis contradictoires. Cette situation laisse effectivement une certaine marge de manoeuvre au conseiller en charge du département, qui peut trancher parmi ces différents préavis. Le problème, Mesdames et Messieurs, et je suis navré d'avoir à vous le dire, c'est qu'aujourd'hui, le département ne tranche pas, mais demande tout simplement au requérant de revenir avec de nouvelles propositions qui satisfassent tout le monde ! Comme vous en conviendrez, ceci n'est pas la meilleure façon d'accélérer le traitement des dossiers.
Nous avons dû adopter, il y a deux ou trois sessions, un projet de loi qui paraissait curieux à la plupart d'entre nous, y compris moi-même. Selon ce projet de loi, dès que les conditions légales d'un projet sont réunies, le département doit immédiatement délivrer l'autorisation de construire. Le projet dont nous discutons maintenant s'inscrit dans la même problématique: il faut que les dossiers avancent; il ne faut pas que les préavis contradictoires soient l'occasion pour le département de retarder un dossier en le mettant sous une pile. Nous devons malheureusement nous attaquer au fonctionnement même des commissions dans la mesure où nous estimons que le département ne fait pas son travail. M. Grobet craint que l'on se retrouve dans une «république des fonctionnaires». Mais c'est le travail des fonctionnaires que d'appliquer la loi ! Lorsqu'un projet est déposé devant le département, soit il répond aux conditions légales soit il n'y répond pas. Il n'appartient pas à des politiciens d'en juger ! Des fonctionnaires spécialisés dans les matières en question sont tout à fait à même de définir si un projet est conforme à la loi sur les constructions, à la loi sur l'aménagement du territoire ou encore à la loi sur la protection de l'environnement - je ne vous ferai pas toute la liste, car nous en aurions jusqu'à la pause... Il n'y a donc aucune raison que nous nous retrouvions face à un diktat des commissions, dont on se sert malheureusement aujourd'hui trop souvent pour bloquer les projets.
M. Alain Etienne (S). A lire ce projet de loi, j'ai vraiment l'impression que ses auteurs comprennent mal le fonctionnement des commissions incriminées et font de fréquents amalgames. De quels dysfonctionnements parlez-vous ? Et où voyez-vous un poids trop grand ? Tout d'abord, la police des constructions vérifie que les projets soient conformes à la loi et aux normes techniques. C'est seulement après ce premier filtre de la police des constructions que les dossiers sont envoyés auprès des commissions. Ces dernières garantissent que l'on ne fasse pas tout et n'importe quoi sur notre canton. Si le canton est aussi bien préservé aujourd'hui, c'est aussi parce que des mauvais projets ont été refusés.
J'aimerais par ailleurs rappeler que, comme M. Grobet l'a relevé tout à l'heure, les préavis restent des préavis: le chef du département peut, comme nous l'avons vu dans certains dossiers, passer outre. Certaines demandes de projets modifiés permettent par ailleurs de faire évoluer les projets de manière satisfaisante. Et puis, c'est vraiment faire un mauvais procès aux personnes qui s'engagent au sein de ces commissions, car il faudrait nous dire, avant de modifier la loi, combien de projets sont préavisés défavorablement par rapport au nombre considérable de préavis favorables qui sont rendus jour après jour !
Le parti socialiste n'est donc pas favorable à votre projet de loi, car nous pensons que l'acte de construire mérite une plus grande attention que celle que vous nous proposez.
M. Gabriel Barrillier (R). Là non plus, il n'y a aucun esprit revanchard dans ce projet de loi: il n'est pas question de supprimer les commissions d'urbanisme et d'architecture. L'objectif de ce projet est simplement d'opérer une meilleure répartition du travail et de garantir une meilleure rationalité. J'illustre, non pas la méfiance, mais le souci que nous avons de mettre un peu d'ordre dans ces préavis: la commission de l'aménagement a récemment mis la dernière main à une loi de protection des rives de la Versoix. Rappelez-vous, Monsieur Etienne: à chaque paragraphe, à chaque article, l'on déclare, s'agissant des préavis, que l'on va demander le préavis de telle ou telle commission. Le terme «notamment» qui est utilisé - l'on va par exemple demander le préavis «notamment» de la commission de l'urbanisme - ouvre la possibilité de demander des préavis à de multiples autres commissions. Ce n'est pas un travail rationnel qui est accompli dans ce cas !
Par ailleurs, mes préopinants ont bien mis en évidence les écueils qui guettent le politique qui doit trancher, politique qui se trouve pris entre un risque de dictature des commissions et le danger de la technocratie. Je vous rappelle, d'après mes réminiscences de mes cours de science politique, que la technocratie renvoie au fait que les techniciens prennent des décisions à la place des politiques. Or, nous sommes guettés par la technocratie. Je ne pense pas que le président actuel du département soit guetté par cette maladie... mais enfin, ces écueils dangereux existent bel et bien !
Outre ce souci de rationalisation et un danger de technocratisation, je crains que ces préavis n'aient force de loi. J'illustrerai cette situation par un exemple: le projet concernant la tranchée de Vésenaz a fait l'objet d'un recours auprès du Tribunal administratif. Ce dernier a, sauf erreur, tranché négativement. Cependant, en examinant les faits qui se sont produits, vous constaterez que le Tribunal administratif a demandé un deuxième préavis à la commission d'urbanisme. Le premier préavis de cette commission était positif, et le département s'y était rallié. Or, lors du deuxième préavis demandé par le Tribunal administratif, la commission a changé d'avis sur une partie du projet, et le Tribunal administratif a suivi le préavis désormais négatif de cette commission. Il s'agit d'un exemple de dictature de ces commissions, dictature contre laquelle nous devons nous élever. Le parti radical se prononce donc pour le renvoi en commission de l'aménagement afin de clarifier la situation.
M. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat. Il est vrai que les préavis ne sont que des préavis. Il faut cependant rappeler que la jurisprudence du Tribunal administratif et celle du Tribunal fédéral oblige l'administration à suivre les préavis ou, plus exactement, ne lui permet de s'en écarter que dans la mesure... (Brouhaha. L'orateur est interpellé par M. Dupraz.)Laissez-moi finir, Monsieur Dupraz ! Je reprends: la jurisprudence du Tribunal administratif et celle du Tribunal fédéral ne permet à l'administration de s'écarter des préavis que dans la mesure où elle a des arguments à leur opposer. Or, s'agissant de commissions spécialisées, il est évident que, si le préavis est solidement étayé, il devient très fort. Il est vrai qu'il peut arriver que certains préavis soient mal étayés et qu'ils n'aient, dès lors, plus de valeur en soi.
Je dois avouer que vos critiques à l'encontre de ces commissions m'étonnent. Lorsqu'on observe leur composition, on constate que la plupart d'entre elles ne sont pas formées d'une bande de gauchistes ou d'anarchistes qui chercheraient à bloquer le travail. C'est exactement l'inverse: les commissions d'urbanisme et d'architecture sont composées de manière extrêmement équilibrée. Il faut dès lors croire que lorsque ces honorables spécialistes, dont les compétences sont reconnues, se penchent sur des dossiers, ils expriment des remarques fondées. Ce qui est en revanche correct, je vous l'accorde, c'est que les commissions ont une fâcheuse tendance à étendre leur champ d'activité et qu'au lieu de se limiter au domaine strict dans lequel elles doivent rendre leur préavis elles tendent quelque peu à vouloir refaire le monde. Nous faisons d'ailleurs un effort constant pour les recentrer en leur rappelant qu'on ne refait pas l'ensemble du canton à l'occasion d'un projet portant sur une rue. De tels efforts sont nécessaires.
Monsieur Muller, vous affirmez que le département ne tranche pas entre divers préavis. Mais ce n'est ni par peur de trancher, vous le savez, ni pour gagner du temps inutilement: c'est simplement parce que, dès lors que les tribunaux attachent de l'importance aux préavis, si nous prenons une décision alors que les préavis donnés sont trop contradictoires, on ouvre la voie à des recours. Or, cette situation est évidemment bien pire qu'une décision obtenue en ayant réussi à harmoniser, par le biais des compléments demandés, les points de vue des différentes commissions.
Enfin, vous soutenez que la situation n'est pas compliquée et qu'il suffit que le projet soit conforme à la loi pour l'autoriser. S'agissant de la distance ou de la hauteur, il est vrai que la décision à prendre n'est pas bien compliquée. Mais, dès que la loi évoque des questions telles que l'esthétisme, les inconvénients majeurs pour le voisinage ou le développement durable, il n'est ni simple ni rapide de déterminer si un projet répond ou non à des notions de ce genre. Il est dès lors bon que ces notions ne soient pas, malgré toute la qualité de la fonction publique, examinées au seul sein de l'administration, mais que les commissions fassent leur apport. Cependant, et je suis sur ce point d'accord avec tous les propos qui ont été tenus, chacun doit jouer son rôle respectif: c'est le département qui prend les décisions et les commissions qui donnent les préavis, et non l'inverse !
Ce projet est renvoyé à la commission d'aménagement du canton.