République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 12 juin 2003 à 20h30
55e législature - 2e année - 9e session - 51e séance -autres séances de la session
La séance est ouverte à 20h30, sous la présidence de M. Bernard Lescaze, président.
Assistent à la séance: Mmes et MM. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat, Robert Cramer, Martine Brunschwig Graf, Carlo Lamprecht, Micheline Spoerri, Pierre-François Unger et Charles Beer, conseillers d'Etat.
Exhortation
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Personnes excusées
Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mme et MM. Hubert Dethurens, Jacqueline Pla et Louis Serex, députés.
Correspondance
Le président. Vous avez reçu le courrier suivant:
Courrier du Rassemblement pour une politique sociale du logement concernant le projet de modification des limites de zones à Chêne-Bougeries (PL 8667-A - pt 33) ( C-1654)
Ce courrier est transmis à la commission d'aménagement du canton et sera lu lorsque nous aborderons le point 33 de notre ordre du jour.
Annonces et dépôts
Le président. La commission des pétitions nous informe qu'elle désire renvoyer la pétition suivante à la commission d'aménagement du canton:
Pétition concernant le stand de tir de Veyrier ( P-1439)
Débat
Le président. Nous poursuivons notre ordre du jour avec les objets spéciaux relatifs au sommet d'Evian. Je vous rappelle que, conformément à notre discussion préalable, nous traiterons les motions et les résolutions dans l'ordre de la liste qui se trouve sous vos yeux. Nous commencerons cependant par un débat général d'entrée en matière. Ce débat est limité à deux intervenants par groupe. Si trois députés d'un même groupe souhaitent s'exprimer, la totalité de leurs interventions ne pourra pas dépasser quatorze minutes. Cette durée porte déjà le débat général à près de deux heures. Après ce débat, nous procéderons au vote des motions. La liste des personnes inscrites est importante. Je constate que trois députés libéraux sont inscrits; je leur rappelle que la totalité de leurs interventions est limitée à quatorze minutes en tout.
M. Gilles Desplanches (L). J'aimerais tout d'abord dire mon écoeurement en tant que député sur les événements qui ont eu lieu: mon écoeurement en tant que député, mais également en tant que commerçant et en tant que citoyen. Quelle était ma surprise de voir la ville mise à sac alors que l'on vous avait avertis des risques possibles quelques semaines au préalable ! Quelle était ma surprise, alors que la plupart des commerçants vous ont fait confiance en laissant leurs vitrines sans protection, que celles-ci soient pillées ! Quelle était ma surprise de voir le peu d'observateurs présents, le travail réalisé ainsi que le peu de service d'ordre instauré lors des manifestations ! Quelle était ma surprise, en tant que citoyen, de constater l'insécurité qui régnait sur Genève ! Je pense également au cas de la PME du marchand de vélos qui a été complètement dévastée: est-ce les cibles que vous visez ?! (Vives protestations.)Je pense que la population a besoin de sécurité et qu'il est aujourd'hui largement temps de mener une politique beaucoup plus sécuritaire.
Je profite d'avoir la parole pour remercier la police et pour nous excuser tant vis-à-vis des citoyens que des commerçants pour les dégâts causés et pour le peu de mesures qui ont pu être prises en leur faveur. (Applaudissements.)
Le président. Comme de nombreux intervenants se sont inscrits en même temps, je ne me suis pas aperçu que Mme la conseillère d'Etat figurait au dixième rang. Je vous propose de l'écouter maintenant. Madame Spoerri, vous avez la parole !
Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Le Conseil d'Etat tire un premier bilan de l'ensemble des événements qui se sont produits à Genève à l'occasion du G8. Il tient à réitérer sa solidarité avec ceux qui en ont souffert, dans leur intégrité corporelle ou sur un plan matériel, et exprime ses regrets.
En premier lieu, l'accueil de plus de trente délégations étrangères à l'aéroport de Genève ainsi que leur départ ont été effectués à la satisfaction de nos hôtes.
En deuxième lieu, la protection de sites diplomatiques et internationaux - entre quarante et quarante-cinq - a été assurée. L'OMC, désignée comme l'une des cibles principales des opposants violents au G8, a été sécurisée avec succès malgré les débordements du 30 mai.
En troisième lieu, le trafic aéroportuaire a été maintenu sans interruption ni perturbation et la sécurité de l'aéroport a été entièrement garantie.
En quatrième lieu, la doctrine d'engagement de la police, fondée sur les principes de légalité, de proportionnalité et d'opportunité, a pour but essentiel d'éviter que les membres des forces de l'ordre, les manifestants, les badauds ne subissent d'atteinte grave à leur intégrité corporelle ou à leur santé. Or, ce but a été atteint.
En cinquième lieu, la grande manifestation du 1er juin, qui a fait l'objet d'un accord avec les organisateurs et qui a réuni plusieurs dizaines de milliers de personnes, s'est déroulée sans incidents majeurs à l'exception des dégâts importants à deux stations-service. En revanche, des manifestations non autorisées ont été organisées, en particulier le vendredi 30 mai sur la rive droite et le mardi 3 juin sur la rive gauche. Dans les deux cas, des dégâts inadmissibles ont été commis et un très regrettable mélange de manifestants pacifiques, de casseurs et de badauds s'est produit, compliquant notablement l'action de la police. C'est le lieu de souligner que, dans un Etat démocratique, les manifestations sont soumises à autorisation, précisément afin d'en fixer les modalités qui évitent de tels débordements et limitent au maximum les désagréments subis par la population. C'est l'occasion pour le Conseil d'Etat de dénoncer la duplicité de certaines composantes du Forum social lémanique.
En sixième lieu, la manifestation, également non autorisée, du lundi 2 juin n'a quant à elle entraîné aucun dégât ni blessé. Elle a en revanche révélé une confusion institutionnelle et des problèmes de communication dans le cadre d'une opération policière. Cette opération obéissait à une stratégie bien définie et engageant, sous la direction du chef de la police genevoise et de la présidente du département de justice, police et sécurité, des forces confédérées et allemandes.
En septième lieu, une explication franche et animée a eu lieu au Conseil d'Etat sur les rôles respectifs des uns et des autres, et une analyse plus complète devra encore être menée afin d'exclure, à l'avenir, la répétition d'une confusion.
Enfin, la police a dû faire face à de graves opérations de casse systématique, principalement le samedi 31 mai vers 23h et le dimanche 1er juin à différents moments de la journée ayant fait suite à la grande manifestation. Les actes délictueux, unanimement condamnés, conduiront notre autorité à revoir les méthodes de prévention, d'information préalable et d'intervention de la police. Il faut relever que l'intervention de cette dernière, même si son absence sur les lieux de casses a été durement ressentie, s'est effectuée dans les délais usuels - soit environ quinze minutes. Le DJPS devra tirer les conclusions qui s'imposent pour parer à une nouvelle forme de violence urbaine encore inconnue à Genève jusqu'alors.
A ce jour, le Conseil d'Etat tire les premières conclusions suivantes: tout d'abord, le droit de manifester doit impérativement être garanti dans le cadre légal existant, c'est-à-dire soumis à autorisation préalable, preuve étant faite que la grande manifestation autorisée s'est déroulée sans problème majeur alors que les manifestations non autorisées ont entraîné des perturbations et des dégâts.
Deuxièmement, le Conseil d'Etat entend se montrer particulièrement strict à l'avenir, de sorte qu'aucune manifestation ne puisse avoir lieu si elle n'a pas été préalablement autorisée.
Troisièmement, les rôles respectifs du Conseil d'Etat, des députés, de la police et des organisateurs de manifestations méritent d'être clarifiés. Le Conseil d'Etat veillera à ce que les procédures institutionnelles soient respectées.
Quatrièmement, le Conseil d'Etat demande qu'à l'avenir les cantons soient très étroitement associés pour toute décision fédérale impliquant des charges de maintien de l'ordre public.
Cinquièmement, le processus d'indemnisation a débuté afin de permettre aux victimes un dédommagement de façon rapide et raisonnable.
Sixièmement, le gouvernement entend, avec les citoyennes et les citoyens de ce canton, que les auteurs identifiés d'infractions soient sanctionnés, comme il se doit, conformément à la loi.
Enfin, le Conseil d'Etat examinera les questions liées au respect du devoir de réserve tel qu'attendu de la part de ses fonctionnaires.
Pour terminer, le Conseil d'Etat tient à exprimer sa gratitude à toutes celles et ceux qui, dans une situation difficile et exceptionnelle, ont accompli leur mission, en particulier les policiers genevois, confédérés et allemands, toutes les forces engagées dans cette opération ainsi que les fonctionnaires et employés de l'Etat et des communes autant que tout autre membre des différentes structures engagées. (Applaudissements.)
Le président. Nous poursuivons notre débat. Le Bureau tient un compte très précis des minutes et des deux ou trois interventions, toujours à l'intérieur des quatorze minutes dont dispose chaque groupe. La parole est à M. le député Christian Luscher.
M. Christian Luscher (L). «Genève, ville ouverte» voulaient certains, tout en laissant avec un sourire cynique la peur se distiller dans notre cité à coups de discours ambigus et de non-dits savamment entretenus. «Genève, ville ouverte» ? Non, Mesdames et Messieurs: Genève, ville souillée, ville salie, ville outragée ! Le constat est là, cru, et nombreux sont ceux qui voudront en rendre responsable un Etat prétendument défaillant. Ceux-là sont sûrement les mêmes qui, par leur omission coupable, ont créé cette ignominie. Genève la souillée doit panser ses plaies et l'Etat, conscient de son rôle, doit maintenant indemniser les nombreux citoyens frappés par cette tornade crapuleuse. C'est l'appel des libéraux.
Ceux qui ont souffert doivent recevoir une réparation. Mais, lorsque l'Etat indemnise, il le fait avec notre argent, car le patrimoine de l'Etat n'est finalement rien d'autre que la somme des contributions de chaque citoyen de cette République. Indemniser, c'est un geste noble, mais ce n'est pas suffisant: il faut ensuite, pour réduire le dommage de l'Etat, se retourner contre ceux qui sont responsables. Les responsables, ce sont ceux qui ont appelé à la ville ouverte tout en ayant admis en leur sein les individus qui ont cassé notre cité et en n'ayant pris aucune mesure digne de ce nom pour prévenir le dommage. Lorsqu'on organise un événement public, l'on crée un état de fait dangereux, et ensuite l'on assume. Celui qui organise un concours hippique doit par exemple vérifier qu'aucun cheval fou ne risque de surgir dans le public. (Protestations.)J'en appelle à l'Etat, à qui il appartient de diminuer son dommage après avoir indemnisé les victimes. Nous lui demandons de se retourner contre les responsables - qu'ils s'appellent Jean, Paul, Jacques ou encore Eric ou Olivier... - et de les poursuivre devant les tribunaux en réparation de cet immense préjudice pour que leur incurie soit reconnue au grand jour et pour qu'enfin ceux qui ont permis, en fermant les yeux - voire en protégeant les casseurs, voire encore en manifestant pour leur libération, voire enfin en appelant publiquement à violer la loi en participant à des manifestations non autorisées - soient condamnés à payer jusqu'au dernier centime la réparation d'un dommage dont ils ont sciemment permis la survenance ! (Applaudissements.)
Le président. La parole est à M. le député Halpérin. Les trois orateurs libéraux se seront ainsi exprimés dans le cadre des quatorze minutes qui leur sont imparties.
Une voix. Combien de minutes reste-t-il ?
M. Michel Halpérin (L). A l'heure du bilan, l'impression qui domine chez probablement la plupart d'entre nous est celle de l'amertume, du gâchis, de la déconvenue et de la désillusion. J'affirme ici que l'institution par excellence, l'Etat, a failli à sa tâche. Il existe certes des excuses à cet échec: il est des visions qui sont compréhensibles, voire sympathiques, et il est des erreurs d'appréciation que l'on a le droit de faire. Après tout, ces événements sont, sinon les premiers, du moins relativement récents dans l'environnement qui nous est familier. L'on peut donc probablement se montrer, par moments, - mais, et c'est du moins mon impression, n'avons-nous pas dépassé ce moment ? - relativement indulgent à l'égard de ceux qui se sont imaginés qu'il était effectivement possible d'accueillir à Genève des manifestations qui n'avaient rien à y faire simplement pour montrer que nous étions capables d'organiser une grande fête.
Nous avons manqué de vision, les uns et les autres. Le Grand Conseil d'abord, Mesdames et Messieurs les députés, à qui le groupe libéral avait offert, il y a un mois, l'occasion de prendre une position résolument hostile à la tenue de ces manifestations. Mais la gauche et le parti démocrate-chrétien ont pensé que ce choix n'était pas opportun, et il s'agit là d'une première erreur d'appréciation.
Une voix. Cela n'aurait rien changé !
M. Michel Halpérin. Vous pouvez dire, Madame, que cela n'aurait rien changé, parce que l'on ne peut pas interdire ce que l'on ne peut pas empêcher. Mais preuve a été faite du contraire !
Des voix. Cela n'est pas vrai !
M. Michel Halpérin. A cette erreur d'appréciation se sont ajoutées d'autres erreurs. Le Conseil d'Etat a sans doute fait de son mieux, mais au prix d'un certain nombre de difficultés dont nous venons d'avoir l'écho: la collégialité en a souffert. Les décisions qui ont été prises ont-elles été justes ou fausses ? Elles n'ont en tout cas pas toujours été comprises - ce qui ne représente pas non plus, de ce point de vue, un succès. Mais il y a davantage: l'institution judiciaire n'a, elle non plus, pas complètement satisfait nos attentes. Quoi ? Quelques dizaines de personnages interpellés en tout et pour tout sur trois cents casseurs, et plus personne aujourd'hui à disposition de la justice ?! Et que dire des autres institutions ? Que dire des autres éléments de notre cité ? Que dire de la presse, avec son discours mielleux sur les altermondialistes, sur leur bienvenue et sur le soin qu'il faut réserver aux casseurs ?! Que dire de nos propres concitoyens, transformés en pillards ou en receleurs ?! Spectacle honteux, affligeant que ces bourgeois, que ces jeunes - ou moins jeunes - gens empruntant sans jamais les rendre des vêtements dans les vitrines ou des accessoires de mode ! Mais où sommes-nous ?! Et que dire des organisateurs de la manifestation - masse indistincte au discours flou - qui ont certainement, pour leur plus grande partie, été trompés dans leur bonne foi ? Mais depuis le temps que des avertissements leur sont donnés, reste-t-il encore de la place pour la bonne foi ?! Et encore, s'ils étaient réellement de bonne foi, comment n'ont-ils pas, en leur sein, bloqué les manifestants cagoulards, les lâches anonymes qui s'en prennent aux biens et aux personnes ? Comment ne s'en sont-ils pas distanciés ? Complicité volontaire ou lâcheté ? Que dire encore de ceux qui exploitent les événements ?! Le groupe libéral comptait parmi ceux qui voulaient la mise en place d'observateurs parlementaires. Mais il s'en est distancié, car il a bien perçu ce qui n'a pas manqué de se produire, à savoir l'utilisation de cette fonction d'observateur pour violer la séparation des pouvoirs et créer le trouble et la confusion. Que dire des propos d'un machisme d'un autre âge de deux au moins des députés qui me font face - MM. Vanek et Brunier - pour tenter de faire porter sur les responsables de la police, et plus encore sur le chef du département de justice, police et sécurité, la responsabilité de leurs propres insuffisances ?! Discours machiste, conservateur et ringard ! (Vives protestations.)
Mesdames et Messieurs les députés, les ricanements ne sont pas de mise ici ! Si j'ai affirmé que les institutions avaient failli, c'est parce que l'institution par excellence qu'est l'Etat possède un premier devoir évident, la sécurité. Or, nous n'avons pas été capables d'assurer la sécurité. Et quand je dis «nous», je m'inclus dans ce «nous» car, bien qu'ayant demandé de voter l'interdiction de ces manifestations je n'ai pas su vous en convaincre. C'est pourquoi j'adresse à mon tour des excuses personnelles à ceux dont, comme M. Zanetta, la vie quotidienne a souffert de ces excès que nous avions prévus et que nous n'avons pas pu prévenir.
J'ajoute que si les fondements de l'Etat sont menacés, alors c'est la démocratie qui l'est ! Or, ceux qui manipulent la démocratie au motif de lui donner un sens formel au lieu de lui donner son sens matériel la mettent en danger. Ils la mettent en danger comme d'autres l'ont fait il y a soixante ou quatre-vingt ans sous des prétextes aussi vasouillards que ceux entendus aujourd'hui et qui ont emmené tant dans nos rues que dans celles de pays voisins des cohortes au départ bien inoffensives avant de devenir ce que nous savons qu'elles ont été... Si nous voulons tirer les enseignements des événements qui se sont produits autour du G8, il nous faut sortir du médiocre égoïsme interprétatif que nous donnons aux démocraties: ces dernières ne consistent pas en un ensemble de règles formelles, mais en des règles fondamentales de respect des citoyens et de notre dignité. Nous avons, depuis des années, manqué la possibilité de l'enseigner par notre propre comportement. Il y a trop longtemps que la loi n'est plus respectée à Genève. Je prends personnellement pour argent comptant la promesse qui vient de nous être faite par le Conseil d'Etat, et le groupe libéral veillera à ce qu'elle soit respectée ! Il ne doit désormais plus y avoir de place dans cette République pour des approximations: il faut que la loi retrouve sa place au centre de la ville; il faut que la loi soit entièrement respectée; il faut que les députés, qui sont les premiers responsables du respect de la loi, donnent l'exemple ou qu'ils se démettent ! (Vifs applaudissements.)
M. Alain Charbonnier (S). Ce soir, nous abordons le débat sur les effets du G8 d'Evian dans notre République. Je précise bien le G8 «d'Evian», car n'oublions pas que notre canton n'a pas eu son mot à dire quant au choix du lieu d'organisation de ce sommet. Depuis quelques années, tout sommet du G8 génère automatiquement des mouvements contestataires à l'instigation des milieux altermondialistes internationaux. Le Forum social lémanique, dont font partie le parti socialiste ainsi que les autres partis de gauche, a décidé d'assurer le relais afin d'organiser à Genève la manifestation du 1er juin ainsi que de nombreux débats sur le thème de l'altermondialisme. Face à cette échéance, différentes réactions ont été exprimées à Genève. La gauche parlementaire et associative a surtout eu le souci d'assurer des conditions aussi optimales que possible afin de permettre le déroulement harmonieux des activités organisées par ce mouvement contestataire. Je parle bien ici des événements organisés par le Forum social lémanique. Une partie de la droite et le Conseil d'Etat ont, dans un premier temps, joué la politique de l'autruche jusqu'à la demande par la gauche de la séance extraordinaire sur le G8; cette dernière a eu lieu tardivement, soit le 10 mai. Dans un deuxième temps, cette partie de la droite - les libéraux accompagnés des radicaux et de l'UDC - a émis des propositions aussi bien inadmissibles qu'inapplicables, comme celle d'interdire les manifestations. Un accord a finalement été trouvé in extremis entre les autorités et le Forum social lémanique le 23 mai afin d'assurer le bon déroulement de toutes les activités altermondialistes... (L'orateur est interpellé.)J'ai bien dit: «les activités altermondialistes» ! Cet accord, publié sous forme de mémorandum, stipulait entre autres que la police avait pour mission d'intervenir pour protéger l'intégrité des personnes et des biens en cas de menace. Il n'interdisait donc nullement à la police d'intervenir face à d'éventuels casseurs.
Au bilan, nous soulevons des points positifs et des points négatifs. En ce qui concerne les points positifs, la manifestation officielle du 1er juin a, malgré la psychose préalable, attiré près de cent mille personnes - je dis bien cent mille personnes - et s'est globalement déroulée de manière très positive. Plusieurs autres manifestations non officielles ont pu avoir lieu de manière pacifique et sans problème majeur: la manifestation du vendredi en fin de matinée vers les organisations internationales, la manifestation du lundi après-midi vers l'OMC ainsi que celle du lundi soir entre la Place-Neuve et la zone piétonne du Mont-Blanc. Toutes les autres activités - colloques, fêtes, villages d'accueil, etc. - se sont déroulées sans problème particulier, bien au contraire. Par rapport aux différentes activités susmentionnées, la police sur le terrain a respecté les accords et a fait preuve d'une attitude constructive. Aucune bavure majeure n'est à relever quant à ces événements. La présence d'observateurs parlementaires et de Legal Team a en outre constitué une contribution utile au bon déroulement de ces événements. Par ailleurs, la partie officielle - accueil des délégations et des chefs d'Etat, protection des missions diplomatiques et des organisations internationales - s'est parfaitement déroulée, sans engendrer de perturbation particulière pour la population. Le maintien du fonctionnement normal de l'aéroport a notamment pu être garanti.
Quant aux points négatifs, le raid infernal mené samedi soir par un groupe de casseurs très organisés a constitué le début d'un engrenage catastrophique. La question de l'absence de réaction de la police reste à cet égard entièrement ouverte. Un incident regrettable a par ailleurs eu lieu pendant la manifestation du 1er juin: il s'agit du saccage de la station-service de Thônex-Vallard qui, il faut le reconnaître, était très mal sécurisée, puisqu'elle n'était protégée que par de simples paravents. Les incidents qui ont marqué la fin de la manifestation du 1er juin - incidents qui ont surtout été le fait de jeunes voyous casseurs n'étant dotés d'aucune motivation politique particulière - ont semé une pagaille majeure pendant des heures et augmenté le sentiment d'insécurité et d'anarchie au sein de la population, sans compter les dégâts matériels. Là aussi, la stratégie de la police a été incompréhensible: en fin d'après-midi, des barrages ponctuels et isolés ont été mis en place au lieu de verrouiller les Rues-Basses et de canaliser le retour de la manifestation vers la gare et / ou Plainpalais. A cette stratégie incompréhensible s'ajoute une absence totale d'information de la part de la police sur le terrain aux manifestants et aux passants, lesquels étaient complètement désorientés. L'intervention très longue qui a eu lieu à l'Usine le dimanche soir répondait quant à elle, jusqu'à preuve du contraire, à une analyse complètement erronée de la situation et n'a finalement abouti à aucun résultat tangible, si ce n'est de braquer les milieux associatifs genevois et de retenir une centaine de policiers dans la zone de l'Usine. La crispation qui a résulté des événements du week-end a provoqué une situation de tension majeure autour de la manifestation du lundi soir, pourtant pacifique, et généré une crise sur le pont du Mont-Blanc. Cette crise s'est traduite par une absence d'instructions claires, puis par des ordres qui auraient provoqué une situation potentiellement dramatique s'ils avaient été appliqués à la lettre. Même si elle n'était pas optimale d'un point de vue institutionnel, l'implication de certains observateurs parlementaires - qui, nous ne le nions pas, ont dépassé leur mandat - et d'un conseiller d'Etat a répondu à un besoin exprimé tant par la police présente sur le terrain que par les manifestants et a permis de dénouer une situation difficile sans dégât ni victime. Mardi, le G8 s'est terminé et une crise institutionnelle majeure a éclaté à Genève. Cette crise - qui dure encore - a été marquée par les déclarations quasi putschistes d'un responsable syndical policier en uniforme, par une intervention complètement disproportionnée de la police mardi soir, par une violation claire des devoirs de collégialité au sein du Conseil d'Etat suite à la réunion du gouvernement, par des cafouillages judiciaires inexcusables ainsi que par des mesures excessives en matière de restriction du droit de manifester. Dimanche dernier - et encore aujourd'hui - le chef de la police ad interimsortait en outre de son devoir de réserve dans les quotidiens.
Nos conclusions sont les suivantes: aucune leçon n'a été tirée des manifestations anti-OMC du printemps 98 ni de situations similaires qui se sont produites dans d'autres villes du monde. L'effet négatif le plus regrettable de ces événements est l'installation au sein de la population d'un sentiment d'insécurité et de frustration face à ces incidents, lesquels donne une impression d'impuissance des autorités et d'impunité des auteurs. Sur le plan économique, les effets directs des incidents fort regrettables de ce week-end doivent faire l'objet d'une solution rapide et non bureaucratique, surtout pour les petits commerces, dont la survie en dépend. Quant au manque à gagner économique de cette période, elle est due au G8 en tant que tel et aux mesures préventives de sécurité, et non aux manifestations. Imputer aux altermondialistes ce manque à gagner est irresponsable et constitue une manipulation grave des faits à des fins purement politiciennes.
En ce qui concerne la police, les événements de ces derniers jours ont confirmé, si besoin était, l'existence de graves problèmes structurels qui caractérisent l'organisation générale de la police genevoise, ses stratégies et ses capacités d'anticipation. Ces problèmes ne sont certes pas nouveaux, mais ils n'ont jamais été traités. Il devient très urgent d'y remédier et de reprendre le problème à zéro. C'est pourquoi il faut que l'enquête parlementaire que nous proposons dans notre motion soit menée, enquête dont les résultats doivent être disponibles avant qu'il ne soit procédé à la nomination du nouveau chef de la police et du chef de la gendarmerie. Le projet de loi de réforme de la police, actuellement en commission, est clairement insuffisant sur cette question. Des sanctions doivent par ailleurs être prises à l'égard du responsable syndical policier qui a émis des déclarations inadmissibles laissant à penser que c'est le syndicat qui dirige la police. Sur le plan institutionnel, le Conseil d'Etat doit réviser de manière rapide et claire ses procédures de gestion d'événements exceptionnels et effectuer un debriefing global de ces événements, debriefing qui devra mener à des conséquences politiques claires pour les responsables des différents échelons du système.
Je débutais mon intervention en disant que nous abordions ce soir le débat sur les effets du G8 d'Evian dans notre République. Ce débat commence malheureusement de triste manière: les partis de l'Entente abusent en effet de leur majorité en décidant de façon scandaleuse de ne pas traiter le rapport des observateurs parlementaires, rapport qui se trouve renvoyé, au vu l'importance de notre ordre du jour, aux calendes grecques. La population appréciera votre vision de la démocratie ! A ce propos, je ne peux m'empêcher de citer le titre d'un article signé par l'une de vos brillantes plumes, «De l'arc-en-ciel au brun...». Je conclurai mes propos en réaffirmant que les socialistes dénoncent clairement et condamnent sans ambiguïté les divers actes de violence et les pillages qui ont entaché ce week-end à Genève, Lausanne et Annemasse. Ces actes nuisent non seulement au mouvement altermondialiste, mais également à l'idéal et aux valeurs démocratiques ! (Applaudissements.)
Le président. Nous donnerons le total lorsque nous nous approcherons des quatorze minutes. M. Charbonnier a parlé très précisément huit minutes.
Mme Stéphanie Ruegsegger (PDC). J'aimerais tout d'abord, au nom du groupe démocrate-chrétien, m'associer aux différents messages qui ont été transmis ce soir pour dire notre profond dégoût face aux événements qui se sont déroulés durant la manifestation du G8: face aux pillages, face aux saccages, face à la mise à feu de notre ville et de notre canton et face aux violences qui ont été accomplies à cette occasion. Ces événements sont maintenant derrière nous. Des plaies doivent certes encore être pansées, des indemnités versées et des leçons tirées, mais l'heure est au bilan. Or, ce bilan ne peut se faire qu'à tête reposée, sans passion et en gardant la tête la plus froide possible - attitude que M. le président nous a invités à adopter en début de débat.
Nous avons entendu le Conseil d'Etat dresser un premier pré-bilan. Nous sommes satisfaits d'avoir entendu ce début de pré-bilan, mais il est évident que celui-ci n'est pas suffisant: il doit déboucher sur un bilan complet dans lequel le Conseil d'Etat procède également à son autocritique. Nous avons en effet pu constater l'existence de dysfonctionnements au niveau du Conseil d'Etat. En outre, puisque le groupe socialiste souhaite également ce bilan et se montre tout prêt à donner des leçons à l'ensemble de la République, je propose qu'il fasse lui-même son propre bilan. M. Charbonnier critique l'attitude de la police qui, selon lui, n'a pas agi comme elle aurait dû le faire. Je suggère pour ma part que l'on intègre dans ce bilan les répercussions des attaques constantes - attaques auxquelles le groupe socialiste a largement pris part - qui ont été menées contre la police ces derniers temps et qui l'a peut-être muselée dans sa tâche. Je propose donc l'intégration de cet élément psychologique dans le bilan. Le groupe socialiste nous donne des leçons de démocratie en nous accusant de refuser de traiter le rapport des observateurs parlementaires ce soir. Mais en démocratie, la moindre des politesses serait de nous laisser un tout petit peu plus de vingt-quatre heures pour digérer un rapport de cent vingt pages - rapport qui n'est par ailleurs certainement pas exempt de critiques ! Il me semble que le groupe socialiste pourrait également faire son propre bilan et sa propre autocritique. J'en veux notamment pour preuve la motion qui accompagne ce rapport ainsi que les propos précédents de M. Charbonnier au sujet du manque de sécurisation de certains commerces, notamment de la station-service de Thônex-Vallard. Or, je lui rappelle qu'avant les événements liés au G8 il a largement critiqué les commerçants qui se barricadaient en les traitant d'égoïstes et en leur reprochant de faire de Genève une ville morte, déserte. Mais, une fois les événements que nous savons intervenus, il reproche à ces mêmes commerçants de ne pas s'être suffisamment barricadés ! J'avoue ne pas vraiment comprendre cette position ! (Applaudissements.)
Différents projets vont être proposés. Je laisserai à mes collègues du groupe démocrate-chrétien le soin de vous les présenter les uns après les autres. Je souhaite cependant vous faire part de deux émotions: en premier lieu, une colère et un dégoût face aux casses qui ont été menées; en second lieu, un malaise en réalisant que, contrairement à ce que l'on a voulu nous faire croire, ces casses n'étaient pas le fait de l'extrême-droite, d'Allemands ou de personnes en provenance d'Annemasse: elles sont apparemment le fait de Genevois relativement intégrés dans la vie associative du canton ! (Vives protestations.)Je dois avouer que je suis profondément choquée de constater que des citoyens de ce canton aient pu non seulement participer, mais participer activement et organiser l'émeute à Genève. Je suis également choquée, et mon groupe l'est tout autant que moi, par l'attitude de certains citoyens lambda genevois qui, non seulement ont assisté goguenards aux pillages, mais y ont dans certains cas participé, n'hésitant pas à se servir ! Peut-être le ton est-il ce soir davantage aux effets de manches, mais je vous invite à vous rappeler l'existence de la campagne qui est menée sur le respect. Peut-être cette campagne n'est-elle pas totalement inutile à l'heure où l'on se rend compte que des actes de violence gratuite sont proférés dans notre canton. Un minimum de retour de respect ne serait sans doute pas totalement inutile.
J'ai dit que je ressentais de la colère. Je ressens en premier lieu de la colère face à la trahison de certains députés, notamment socialistes, qui sont sortis de leur rôle d'observateurs parlementaires, qui n'ont pas respecté la charte qu'ils ont signée ni la séparation des pouvoirs, puisqu'ils ont donné des ordres qu'ils n'avaient pas à donner... (Exclamations.)
Le président. S'il vous plaît !
Mme Stéphanie Ruegsegger. Ces députés ont surtout et avant tout trahi la confiance que j'avais en eux - car je suis d'un naturel optimiste - et que les citoyens avaient également en eux. Je me sens donc véritablement trahie. Je me sens également trahie par le Forum social lémanique, bien que je n'en sois pas particulièrement proche. Ce dernier n'a en effet pas respecté les engagements qu'il avait pris avec le Conseil d'Etat.
Des voix. Ce n'est pas vrai !
Mme Stéphanie Ruegsegger. Il a tenu un double discours... (Protestations.)
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, merci d'écouter l'oratrice !
Mme Stéphanie Ruegsegger. ...qui a abouti à la situation de confusion que nous avons connue. Je me sens par conséquent également trahie par le FLS.
Je conclurai mon intervention en revenant sur la trahison de certains élus socialistes. Nous parlions tout à l'heure des casseurs qui ont malheureusement été relâchés par la justice ou qui n'ont pas pu être interpellés. Or, j'aimerais vous faire remarquer que, si la gauche avait adopté une attitude différente sur le pont du Mont-Blanc, davantage de casseurs seraient peut-être interpellés aujourd'hui. (Vives réactions de protestations et longs applaudissements.)
Le président. Ces manifestations ne vont pas faire avancer le débat ! La parole est à M. le député Portier. (Brouhaha.)
M. Pierre-Louis Portier (PDC). Comme l'a déjà en partie fait ma préopinante, je souhaite pour ma part m'exprimer à propos des observateurs parlementaires.
C'est enthousiaste qu'avec quatre collègues démocrates-chrétiens, je m'étais porté volontaire, il y a deux semaines, pour fonctionner comme observateur selon la mission définie par la résolution 472 adoptée le 10 mai dernier par la majorité de notre parlement. Je trouvais en effet cette idée originale: issue des réflexions de quelques collègues libéraux et des Verts, elle me semblait devoir permettre, entre autres choses, à notre parlement d'exercer pleinement l'une de ses principales responsabilités, celle du contrôle du bon fonctionnement de nos institutions. Par ces multiples visions des événements, nous devions être en mesure d'éviter bien des polémiques et, partant, nous devions ensuite être capables de procéder à une critique sereine des différents événements.
Au début de ce mandat - lequel, je le rappelle, prévoyait «d'être présents et d'observer de manière neutre et impartiale le déroulement de la manifestation des opposants» - j'ai bien cru que cette démarche serait couronnée de succès. Je me dois en effet de relever l'excellent état d'esprit qui a présidé aux différentes séances de préparation de notre action tant entre les députés volontaires de toutes les tendances politiques qu'avec la police. Excellent état d'esprit qui s'est traduit par plusieurs demandes de M. Cudré-Mauroux de nous trouver à tel ou tel endroit où allaient se passer ou se passaient des événements. C'est d'ailleurs l'une de ses demandes, celle de voir des observateurs parlementaires assister à la manifestation non autorisée de vendredi matin, qui a fait de moi, en compagnie de Mme Bolay et de MM. Guérini, Droin et Leuenberger, l'un des premiers observateurs à fonctionner. J'ai, à cette occasion déjà, été surpris par la violence de quelques agitateurs: violence physique, mais également verbale à l'égard des forces de l'ordre - forces de l'ordre qui, ce jour-là et de l'avis des cinq observateurs, ont plutôt bien rempli leur rôle: elles ont répliqué aux vandales avec proportionnalité mais fermeté, même si l'on peut déplorer leur incapacité à éviter le saccage du garage Amag situé à la rue Montbrillant. Mais comment réagir au bris de six vitrines effectué en environ dix secondes par un seul voyou équipé d'un marteau, et ceci sous nos yeux incrédules et effarés par une telle démence ?
Ma satisfaction de pouvoir exercer cette fonction d'observateur, par ailleurs bien acceptée par la plupart des gens rencontrés - badauds ou manifestants - s'est poursuivie le dimanche matin, d'abord en compagnie de notre collègue Christian Grobet, puis avec Mmes Bernasconi et Fehlmann Rielle - le premier cité étant, tout comme celui qui vous parle, effaré d'assister, à l'endroit du pont de la Coulouvrenière, à la distribution d'une vingtaine de cocktails Molotov, ceci sous nos yeux, à un mètre ou deux de nous. Notre présence a permis à mon collègue Grobet d'avertir la gendarmerie qui empêchait l'accès à la rue du Rhône et de lui recommander de prendre garde.
Notre mission s'est normalement poursuivie durant la journée, ponctuée de quelques prises de notes, ceci jusqu'aux événements de dimanche en fin de journée. Arrivent les événements du bas de la rue Adrien-Lachenal, du bas de la rue de la Fontaine, deux endroits où quelques parlementaires ont commencé à ne plus s'en tenir à ce qui était et devait rester notre seul rôle, celui d'observateur. Ces personnes ont commencé à négocier avec les manifestants et les agitateurs. J'ai, dès ce moment-là, interpellé certaines de ces personnes en leur demandant de respecter les termes de notre engagement - sans gros succès, puisque non seulement elles ont continué le soir même mais elles ont joué leur rôle extrêmement néfaste au pont du Mont-Blanc le lundi soir. A partir de ce moment, c'est la colère qui m'a envahi.
Oui, Messieurs Brunier, Droin, Thion et autres députés socialistes qui avez interféré dans la conduite des opérations de police, vous nous avez trahis ! Vous avez trahi l'engagement que tous les observateurs avaient pris de rester neutres ! Mais c'est également l'ensemble de ce parlement que vous avez trahi en ne respectant pas la règle fondamentale de notre constitution, celle de la séparation des pouvoirs ! Vous l'avez également trahi en ne lui permettant plus d'avoir le recul nécessaire pour juger sereinement des événements écoulés ! Vous l'avez encore trahi en offrant aux médias du monde entier l'image de députés en train de court-circuiter le fonctionnement du gouvernement ! Vous avez trahi le gouvernement en mobilisant tel ou tel de ses membres et en les mettant sous pression, ce qui empêcha inévitablement le fonctionnement collégial auquel nous sommes habitués et attachés ! Vous avez encore trahi notre police et ses dirigeants en les empêchant de faire normalement leur travail et d'assumer leurs responsabilités ! Enfin, et ce n'est pas le moindre des sévères reproches que je vous adresse, Messieurs les égarés du lundi soir, vous avez trahi notre population, laquelle avait le droit fondamental de voir les malfrats qui ont mis sa ville à sac être arrêtés et écroués, ce que s'apprêtaient à faire les forces de police ! (Brouhaha.)Pour tout cela, je me dois de vous exprimer la totale désapprobation du groupe démocrate-chrétien, dont aucun des observateurs ne s'est écarté de sa mission.
Il faut maintenant nous fournir des explications pour tenter de justifier un tel comportement, lesquelles explications devront être vraiment convaincantes. Evitez-nous, s'il vous plaît, celles du style «Sans nous, l'on courait à la catastrophe» que vous colportez depuis le 2 juin dans les médias. Elles ne nous convaincront pas ! Il nous faut des explications pour tenter de rétablir la confiance et, peut-être, de refaire de vous des gens fiables - ce qu'un temps, mais un temps seulement, nous avons eu la faiblesse de croire. Mais il faut également nous faire des excuses: en premier lieu, des excuses à la population en général, aux commerçants et aux propriétaires d'immeubles en particulier, dont les propriétés ont été saccagées et pillées et qui ont vu, à cause de vous, les gendarmes forcés de faire une haie d'honneur aux affreux vandales dont certains étaient coupables de ces méfaits. Des excuses, vous devez également en faire à notre police qui, par votre faute, a été narguée, injuriée, puis humiliée. Vous devez, enfin, en faire à notre parlement et à notre Conseil d'Etat: au premier pour en avoir donné une image déplorable, au second pour avoir empêché le fonctionnement normal du gouvernement.
Au terme de cette intervention, je suis satisfait d'avoir pu exprimer ma colère et mon indignation à l'égard de ce qui n'est pas un dérapage, mais une complète sortie de route de la part de quelques élus socialistes. J'espère que ce parlement marquera également son total désaccord avec de tels comportements en votant massivement la résolution 474 qui nous sera soumise dans quelques instants. Enfin, Messieurs Brunier et consorts, maintenant que, je l'espère, vous avez repris vos esprits, je vous laisse juges de savoir si, après un tel écart dans l'exercice de vos fonctions, vous êtes toujours en position de force pour réclamer les têtes de tel ou tel responsable de la conduite des opérations du G8 ! (Applaudissements.)
Le président. La parole est à M. Barthassat, auquel il reste deux minutes.
M. Luc Barthassat (PDC). Comme il ne me reste que deux minutes, mon intervention sera brève. Quelqu'un a dit un jour: «Gouverner, c'est prévoir». (Chahut.)S'il est vrai que nous sommes toujours plus intelligents après, nous devons aujourd'hui tout mettre en oeuvre pour essayer de le rester ! La population - habitants de notre ville et de notre canton, commerçants ou simples touristes de passage - ont été, et sont encore, très choqués. A tort ou à raison, c'est tout notre monde politique qui s'est pénalisé et qui ne sort pas grandi de ces événements. Il est vrai que les Genevois étaient en droit d'attendre de leurs autorités davantage de protection et de sécurité. Nous devons ce soir en tirer les conséquences et prendre nos responsabilités pour que les Genevois puissent dire: «Plus jamais cela!».
Nous avons déjà beaucoup parlé de certains de ces événements. Je voudrais cependant revenir sur l'épisode grave - il faut le souligner - du pont du Mont-Blanc. Un conseiller d'Etat, il est vrai frais moulu, et quelques parlementaires préférant les feux de la rampe à ceux de l'action, plus prompts à courir devant les caméras que derrière les casseurs, se sont fait remarquer par leur attitude irresponsable et inadmissible et, par leurs actions, ont laissé ce soir-là échapper une bonne partie des casseurs présents sur ledit pont. (Protestations.)C'est pourquoi je vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, de soutenir la motion 1542 afin d'établir des règles nettes, claires et précises. Pour garantir l'avenir de notre ville internationale et de paix, nous devons ce soir nous assurer d'être en mesure, lors des prochains événements dignes de ce nom, de voir notre police - dont les actions ont été exemplaires durant les événements de ces derniers jours - certes discrète, mais bien présente dans nos rues, au bon moment et au bon endroit, de jour comme de nuit. Etablir des règles qui peuvent paraître extrêmes pour certains constitue une mesure sans doute fâcheuse, mais elle devient un moyen sage lorsqu'elle s'avère nécessaire ! (Applaudissements.)
M. Antonio Hodgers (Ve). Genève n'a pas réussi son rendez-vous avec l'Histoire: elle l'a subi. Notre ville s'est rarement sentie aussi impuissante face à des événements qui l'ont largement dépassée. Pourtant, même si les dégâts et les frustrations sont là - et nous nous associons pleinement au sentiment de dégoût évoqué tout à l'heure à l'encontre des événements qui se sont produits - nous réaliserons, si nous parvenons à prendre un peu de recul, que les événements ne se sont pas si mal passés ! (Rires moqueurs.)Mme Spoerri a d'ailleurs elle-même formulé ce constat.
Une voix. Très drôle !
M. Antonio Hodgers. Premièrement, la plus grande manifestation politique de l'histoire de Genève s'est déroulée le 1er juin sans incident majeur, la casse étant essentiellement apparue dans la nuit qui a précédé cette marche et dans la soirée qui l'a suivie. Cela est un point énorme !
Deuxièmement, bien qu'étant regrettables les violences commises à Genève tant par les casseurs que par les forces de l'ordre paraissent mineures en regard des événements de Gênes et de Göteborg. Le bilan des atteintes aux personnes, qu'elles soient manifestantes ou policières, est en effet relativement faible, même si des dérapages importants de la police ont eu lieu, notamment durant la soirée de mardi. Je dois sur ce point rendre hommage à Mme Spoerri, laquelle a toujours tenu un discours clair en matière de bilan de blessés et, partant, en matière de personnes physiques. Il me semble à cet égard qu'elle a eu raison d'axer la doctrine de l'engagement de la police dans ce sens. Même s'il est un peu tôt pour que nous nous en rendions compte, c'est bien en ces termes que la presse étrangère parle du sommet d'Evian: elle parle d'un sommet qui n'a pas, en termes politiques, abouti à grand-chose pour les puissants qui y ont assisté et d'une Genève qui, après les débordements de Gênes et de Göteborg, est enfin parvenue à sortir des spirales de la violence. Il est évident que nous, Genevois ayant subi ces événements de près, ne possédons pas la même perception.
Troisièmement, les médias, la population en général et même M. Chirac - qui n'est pas à proprement parler un altermondialiste connu... - ont établi une distinction claire entre les manifestants altermondialistes et les casseurs. Cette distinction, qui correspond à la réalité - même si vous le contestez ce soir - représente une victoire face à ceux qui cherchent à détruire le mouvement social en le criminalisant.
Quatrièmement, comme cela a été dit par le Conseil d'Etat, Genève a parfaitement assumé son rôle sur le plan diplomatique, et le service du protocole de l'Etat est entièrement satisfait de son action. Cette relative réussite, qui est notamment due à l'approche intelligente et courageuse adoptée par les autorités tant cantonales que municipales - lesquelles ont accueilli et dialogué avec les altermondialistes - a permis d'aboutir à ce résultat satisfaisant, bien que mitigé.
L'approche des autorités, qui s'est notamment manifestée par le mémorandum d'accord et par l'accueil mis en place aux stades de Vessy et du Bout-du-Monde, a permis au mouvement social de faire valoir ses revendications dans un cadre serein et non hostile. Il a ainsi pu montrer qu'il n'avait rien à voir avec les casseurs. Cette approche n'a certes pas pu éviter la casse - et j'admets volontiers que nous avons peut-être prêché par naïveté sur ce point - mais elle a en tout cas pu l'isoler. Or, ce point est capital, car, après le raid de samedi soir réalisé par une centaine de personnes devant une police impuissante, je vous laisse imaginer le résultat si cette police avait dû intervenir pour faire appliquer une interdiction de manifestation dimanche matin ! Quatre mille cinq cents policiers armés et entraînés n'ont pas pu empêché cent personnes d'agir en ville de Genève, et vous pensez qu'une manifestation de cinquante mille personnes aurait pu être gérée par les forces de l'ordre ?! Impossible ! Cette séparation entre manifestants et casseurs est un grand pas non seulement pour les altermondialistes, mais aussi pour la police, laquelle peut dès lors mieux cibler son travail - si, bien sûr, elle s'en donne les moyens. Le plus beau cadeau que pourraient faire les organisateurs de ce genre d'événements - car nous en connaîtrons d'autres à Genève, même si je doute qu'ils soient de cette importance (Brouhaha. Le président agite la cloche.) -c'est de vous laisser seuls, sans organisateur, avec des manifestations convoquées par Internet et des dizaines de milliers de personnes se retrouvant à Genève sans encadrement, sans accord ni parcours négocié et sans contact permanent avec la police ! (Chahut.)
Il est clair que beaucoup d'éléments n'ont pas fonctionné comme prévu, et tant les institutions que le mouvement social doivent en tirer les leçons. En ce qui concerne les institutions, une commission d'enquête parlementaire sur un mandat large est la bienvenue. Mais ne soyons pas dupes face à ceux qui, aujourd'hui, cherchent à amalgamer les acteurs, les événements et les responsabilités: Genève ne sortira grandie de cette aventure que si elle tire un bilan juste, précis, nuancé des événements qui se sont produits. Malheureusement, au vu des textes qui nous sont proposés ce soir - textes qui posent certes des questions intéressantes, mais qui en fournissent également déjà les réponses... - et en dépit de l'appel du PDC, je vois mal comment nous pourrions mener un débat serein !
De vives discussions devront également avoir lieu au sein du mouvement social. La portée du message des altermondialistes se trouve aujourd'hui bloquée par l'action de quelques jeunes habillés en noir et cagoulés. Même si ces derniers ne représentent pas l'ensemble des casseurs qui ont sévi dans notre ville, outre des attaques contre des biens, leur action s'attaque surtout à la démarche des manifestants pacifiques. De plus, comme nous le voyons clairement maintenant, leur action renforce la droite conservatrice et l'extrême droite dans leur volonté de réduire la liberté fondamentale et de criminaliser les lieux alternatifs ou marginaux. L'action du Black Block et autres casseurs est du pain béni pour ces messieurs de la droite dure. Accepter leur action sans la dénoncer relève de la myopie ou de la bêtise politique ! C'est faire le jeu de nos adversaires ! Pour notre part, nous ne laisserons pas faire ceux qui veulent noircir et déchirer le drapeau arc-en-ciel ! Nous ne laisserons pas le Black Block et ses alliés objectifs du «Weiss Block»... (Brouhaha.)...créer un climat de tension, permettant ainsi aux forces de la droite conservatrice de s'attaquer aux libertés fondamentales des citoyennes et des citoyens et de criminaliser le mouvement social ! (Protestations.)Nous continuerons à défendre nos valeurs de liberté individuelle, de responsabilité environnementale et de solidarité sociale au sein des institutions mais aussi, que vous le vouliez ou non, dans la rue, aux côtés de celles et ceux qui, par dizaines de milliers, ont répondu «présent» pour le magnifique cortège pacifique du 1er juin. C'est notre raison d'être en politique ! (Applaudissements.)
M. Pierre Schifferli (UDC). Les scènes de casses et de pillages qui ont été constatées étaient malheureusement prévisibles; elles ont été prévues par le groupe UDC ainsi que par plusieurs de nos collègues de l'Entente. Il suffit de se référer aux propos que nous avons tenus avant les manifestations anti-G8. Ces scènes étaient aussi, à l'évidence, programmées et organisées par certains. Suite aux événements de la fin de la semaine dernière, la confiance des Genevois envers leur gouvernement a été très profondément ébranlée. Après avoir gravement sous-estimé l'ampleur de troubles prévisibles, le Conseil d'Etat s'est révélé incapable de protéger les habitants et les biens. La plupart des commerçants ont été plus prévoyants et plus intelligents en anticipant les événements qui devaient se produire. Le Conseil d'Etat a cédé à la pression d'une minorité et accepté, je dois dire de façon extrêmement candide, des accords à l'évidence aventureux. Il s'est révélé incapable d'engager convenablement la police contre les casseurs et a montré de profondes divergences en son sein. Madame la conseillère d'Etat Spoerri, vous avez déclaré au lendemain de la principale manifestation que Genève avait réussi son rendez-vous avec l'Histoire. Je dois avouer que cette déclaration a laissé perplexes un assez grand nombre de citoyens de la République: nous ne comprenons pas quel était le sens de ce propos ! En tout cas, c'est le genre de rendez-vous que nous ne souhaitons pas répéter, et la plupart des citoyens de Genève non plus. M. Hodgers nous annonce d'autres manifestations: l'on verra ce qui se passera... (Brouhaha.)Peut-être les événements se dérouleront-ils légèrement différemment.
Il est évident que, si un gouvernement responsable avait d'emblée décrété une interdiction totale de manifestation pendant cette période, tous ces rendez-vous n'auraient pas pu être organisés ici et n'auraient pas attiré la masse des casseurs dans notre ville. Il aurait alors été possible de fermer la frontière au lieu de la déclarer ouverte et de devoir ensuite appeler des gendarmes allemands - ce qui a été le bouquet ! Aujourd'hui, la gauche met en évidence - de façon souvent pertinente, je dois le reconnaître - un certain nombre de dysfonctionnements dans la conduite des opérations par le Conseil d'Etat et la direction de la police. Mais cette position me fait penser à celle du pyromane efficace qui critique des pompiers arrivant toujours trop tard et ne sachant pas utiliser leurs instruments. J'estime que certaines des propositions de la gauche ne sont pas justifiées du point de vue moral. Même si certaines de leurs critiques peuvent paraître correctes, nous ne pouvons y adhérer, et ceci tout simplement parce qu'il serait totalement immoral de nous associer à ceux que nous considérons comme les fauteurs de trouble et les pyromanes. Le Conseil d'Etat n'a pas compris qu'il ne s'agissait pas de manifestations habituelles, mais qu'il y aurait à l'évidence des opérations de guérilla urbaine dans deux ou trois des rues commerçantes les plus fréquentées de Genève. L'on est quand même étonné de constater que, ce qu'un sous-officier de l'armée suisse aurait pu organiser, la direction de la police n'a pas été en mesure de le faire. Mais il faut également reconnaître que cette dernière a eu les mains liées par la politique totalement inadaptée à la situation qui a été adoptée par le Conseil d'Etat. L'état-major de la police étant décapité, celle-ci a été dirigée par un chef ad interim; le commandement de gendarmerie était malade; la police a reçu l'instruction de reculer, de ne pas être présente ou visible. Tout cela est totalement désastreux !
Le bilan des événements du G8 reflète les conséquences d'une absence de coordination entre les forces de police et le Conseil d'Etat; d'une absence de prise de décision politique au bon moment; du manque d'engagement dynamique des renforts; de l'incapacité de Genève à encadrer, avec ses propres moyens et le renfort de troupes confédérées, une manifestation; de l'obligation d'engager des troupes étrangères la nuit ayant précédé et celle ayant suivi cette manifestation; de l'inadaptation de l'intervention de la police; d'une conduite tactique déficiente; d'un manque de service de renseignements opérationnel sur le terrain - ce qui est totalement consternant - et, en définitive, d'un manque de moyens - ou d'engagement de moyens - professionnels pour le maintien de l'ordre.
Madame la conseillère d'Etat Spoerri, vous avez fait la déclaration suivante le 10 mai: «J'ai déclaré au nom du gouvernement genevois que la liberté de manifester serait garantie à Genève pendant le sommet du G8 à la seule condition que la sécurité des personnes et des biens ne soit pas menacée». Manifestement, cette condition n'a pas été remplie ! Vous avez cité trois principes essentiels pour l'intervention de la police: la légalité, l'opportunité et la proportionnalité de l'intervention de la police. Un quatrième principe est à mon sens encore plus fondamental: il s'agit de l'efficacité de l'intervention policière. Or, pour ce faire, il faut un commandement efficace. Tous ces événements ont évidemment été causés par le déroulement de la grande manifestation, par le fait qu'un maximum de casseurs ont été attirés ainsi que par l'absence de mesure sérieuse prise par les organisateurs de la manifestation pour se distancier ou pour neutraliser ces casseurs, que ce soit les petits voyous français du voisinage ou les spécialistes zurichois du Bloc Noir...
Une voix. Il y avait également des Genevois !
M. Pierre Schifferli. Oui, il y avait quelques partisans genevois, mais également des Zurichois et des Bernois du Bloc Noir. Je fournis à cet égard l'indication suivante à M. Hodgers: il se pourrait bien que, la prochaine fois, le Bloc Noir reçoive une dérouillée telle qu'il ne reviendra plus ! Il n'est en effet pas impossible qu'à un moment donné un certain nombre de citoyens se réunisse... (Exclamations et commentaires.)...pour se défendre de façon efficace. Le jour où notre ville abritera des groupes de protection populaires et patriotiques, il ne faudra pas vous plaindre, Messieurs ! (Applaudissements.)
M. Robert Iselin (UDC). Je plaisante habituellement toujours sur ce sujet mais, pour une fois, je m'exprimerai véritablement en tant que doyen de cette assemblée, en tant que membre d'une génération qui a connu la Suisse de la guerre et, finalement - il me semble que j'ai le droit de le dire - en tant que membre d'une famille qui, pendant quatre ou cinq cents ans, a été mêlée, dans une autre partie de la Suisse, aux courants politiques de l'époque. J'ai relu le procès-verbal de la séance du 10 mai - séance à laquelle je n'ai pu assister, car j'étais cloué sur mon lit par une malheureuse maladie. A lire les déclarations des représentants de la gauche, «tout le monde il est bon, tout le monde il est gentil», «on va les recevoir, cela va être formidable»... Et M. Hodgers, qui veut donner des leçons à tout le monde, nous a déclaré: «Ah, il y a la manifestation du G8 ! Eh bien, il y aura une manifestation à Genève, quoi qu'il arrive, quoi que décide le gouvernement, quelle que soit la loi !». Bravo ! Que penser de ces ténors de la gauche qui nous garantissaient le côté bon enfant de toutes ces manifestations tout en se fichant pas mal du droit ?! Que penser du gouvernement, qui avait visiblement perdu le contrôle de la situation, qui passait des accords avec des personnes pour lesquelles tenir parole ne signifie rien et qui a étalé ses divergences au grand jour, un conseiller d'Etat donnant des instructions dans un secteur où il n'était pas compétent ?!
Puisque vous êtes directement visé, Monsieur le conseiller d'Etat, je voudrais vous faire savoir que ceux qui vous ont observé depuis votre entrée en fonction ont été particulièrement déçus. Nous avions au préalable tous été agréablement surpris par votre capacité d'écoute, par votre bonne volonté à reconnaître que vous pouviez éventuellement vous tromper, par votre désir d'essayer de comprendre. C'est du moins ainsi que des personnes comme moi, qui ne sont pas issues de la même tradition politique que vous, avaient compris votre personne. Nous avions donc été, j'allais dire, fichtrement «déçus en bien» ! C'est pourquoi lorsque, depuis notre poste de télévision, nous vous avons vu agir comme vous l'avez fait sur le pont du Mont-Blanc, nous avons été fichtrement déçus en très mal ! (L'orateur est interpellé.)J'ai dit «en très mal» !
Je reviens au début de cette intervention pour déclarer, en membre d'une génération qui a connu la guerre, qu'il est grand temps de revenir à beaucoup plus de sévérité, comme le réclame mon collègue Halpérin. Le groupe UDC demande que les leçons soient tirées sans complaisance de ces événements afin de pouvoir établir un bilan juste - comme l'a déclaré l'agitateur M. Hodgers. (Applaudissements.)
M. Thomas Büchi (R). L'heure des comptes a sonné. Les faits nous ont donné raison: la manifestation n'aurait pas dû être organisée. Jamais depuis les événements dramatiques du 9 novembre 1932 Genève n'avait vécu un pareil désastre. Cette manifestation soi-disant pacifique que l'Alternative a essayé de nous vendre a conduit aux pires débordements et à la mise à sac d'une partie de Genève. Aujourd'hui, le bilan est effrayant: des millions de francs de dégâts et une augmentation sans précédent du sentiment d'insécurité ! Au nom du groupe radical, nous exprimons ici notre sympathie et notre compassion à tous les lésés du G8. Je tiens à remercier les forces de l'ordre, la protection civile, les pompiers et les pompiers volontaires qui ont tenté, dans la limite de leurs moyens, de juguler ces débordements inqualifiables. Ils n'y sont de loin pas parvenus, et cela pour des raisons que j'évoquerai dans quelques instants.
Aucune cause, quelle qu'elle soit, n'est défendable ni ne possède une once de noblesse si, pour arriver à ses fins, elle légitime la violence. Mesdames et Messieurs de l'Alternative, la caution que vous avez apportée à ces événements - que vous avez, pour certains, soigneusement orchestrés, voire manipulés dans une complicité criminelle - vous discréditera pour longtemps dans cette République ! J'espère que les Genevois auront la mémoire longue pour se rappeler votre irresponsabilité coupable ! (Applaudissements.)
Une voix. Bravo, très juste !
M. Thomas Büchi. Il n'est pas inutile de rappeler certains faits qui figurent au Mémorial du débat du 10 mai dernier.
Monsieur Hodgers, vous avez été l'un des organisateurs très engagés pour cette manifestation anti-G8. Vous avez déclaré: «Le risque zéro n'existe pas, mais nous aurons fait ce qui est nécessaire». Joli tableau pour Genève ! Quelle aurait été la situation si vous n'aviez pas fait ce qui était nécessaire ?! Je vous pardonne presque, tant vous avez fait preuve de naïveté !
Monsieur Mettan, vous êtes membre d'un parti politique responsable. Vous avez pourtant plébiscité cette manifestation. Vous avez même déclaré: «Ce qui est bon pour Pékin devrait l'être aussi pour Genève». Vous avez même osé comparer une manifestation d'altermondialistes avec un défilé de pratiquants du Falun Gong ! Il n'y pas si longtemps, alors que vous étiez candidat au Conseil administratif de la Ville, chaque fois que je prenais le tram, je voyais votre portrait affiché sur tout le matériel roulant des TPG. A côté de votre portrait, il était écrit: «Ma ville, ma vie». Eh bien, on a vu l'état de la ville...
Monsieur Brunier, vous avez été très vite en besogne et très écervelé en rejetant la faute sur Mme Spoerri et en demandant sa démission, car vous portez également une grande part de responsabilité dans ce naufrage. Je constate néanmoins avec une certaine satisfaction que le groupe socialiste est, depuis quelques jours, revenu sur ces déclarations et que vous tenez maintenant un discours un peu plus modéré.
Monsieur Vanek, vous avez soutenu la demande d'une somme supplémentaire de cinq cent mille francs devant être affectée au volet d'accueil, au volet non répressif, au volet «Genève ouverte». Après avoir voulu nous faire avaler cette fable, vous avez entre autres, avec votre collègue M. Pagani, appelé à la désobéissance civile pendant les manifestations, voire encouragé les casseurs ! (Protestations.)Quelle duplicité et quelle honte ! Quel manque d'honneur, alors que vous êtes assermenté dans cette assemblée ! Vous feriez mieux de démissionner ! (Applaudissements.)
Des voix. Bravo, c'est vrai ! Démission, démission !
M. Thomas Büchi. Ce n'est pas tout de régler nos comptes: il s'agit maintenant de panser les plaies, de tirer les leçons des événements et de mettre en place un véritable plan de sécurité à Genève. C'est ce qu'attendent les Genevois depuis longtemps. A ce titre, je vous rappelle que le parti radical est l'auteur d'un projet de loi constitutionnelle soutenu par l'Entente et demandant l'inscription dans la constitution genevoise du droit légitime à chacun de vivre en sécurité. Il faut traiter le projet maintenant, et il faut que le souverain se prononce.
Mesdames et Messieurs les députés, un certain nombre de textes de l'Entente ainsi qu'une motion radicale vous sont proposés ce soir avec des objectifs clairs visant à remettre de l'ordre dans les cafouillages incommensurables dont l'Alternative est responsable. Le parti radical demande fermement qu'un système d'indemnisation des commerçants lésés soit mis en place dans les plus brefs délais. Tous les patrons des PME le savent: en cas de sinistre grave des entreprises, si l'indemnisation arrive trop tard, la faillite est inévitable. Nous sommes par ailleurs surpris et scandalisés que si peu de voyous casseurs aient été interpellés, et surtout punis. Nous exigeons que le pouvoir judiciaire mette tout en oeuvre pour que ces voyous soient poursuivis sans relâche et avec une volonté inébranlable: qu'ils soient punis et qu'ils participent au dédommagement des lésés. Nous demandons également que les fonctionnaires de l'Etat de Genève responsables du Forum social qui ont violé les devoirs liés à leur fonction soient soumis à une enquête administrative et, le cas échéant, révoqués. Enfin, nous déplorons la constitution d'un corps expéditionnaire d'observateurs parlementaires qui, manifestement - n'est-ce pas, Monsieur Brunier ! - ont violé le principe de séparation des pouvoirs et n'ont rien fait d'autre qu'accentuer la désorganisation ambiante et porter le discrédit sur la fonction de député. Même certains conseillers d'Etat n'ont pas respecté le rôle de défenseur des valeurs républicaines qui nous sont chères. C'est le cas de M. Beer, qui a oublié sa fonction de conseiller d'Etat et qui s'est à nouveau pris pour un syndicaliste négociateur sans mandat sur le pont du Mont-Blanc ! (Applaudissements.)Dans ces conditions, comment vouliez-vous que la police s'y retrouve et puisse donner des ordres clairs et précis ?! Chacun son rôle ! C'est Mme Spoerri qui commande le département de justice et police et sécurité, et personne d'autre ! Pour toutes ces raisons, en plus des textes de l'Entente, le groupe radical demande, par le biais de sa motion, la création d'une commission d'enquête parlementaire pour qu'à l'avenir jamais plus Genève n'ait à souffrir pareillement ! (Applaudissements.)
Le président. Nous donnons la parole à M. Marcet, qui est le vingtième orateur inscrit sur un total de quarante. Les derniers députés inscrits ne pourront évidemment pas tous s'exprimer puisqu'il y a déjà une heure et quart que nous avons entamé ce débat. (Le président est interpellé.)Nous tenons le compte. Je vous rappelle que la règle est la suivante: tous les partis disposent de quatorze minutes pour s'exprimer.
Une voix. C'est illégal !
Le président. Ce qui est illégal, c'est de ne pas avoir voté un débat d'entrée en matière général qui n'a pas lieu d'être. Si vous continuez, nous commencerons par la motion 1547 ! (Brouhaha.)Monsieur Marcet, vous avez la parole ! (Protestations. Le président agite la cloche.)
M. Claude Marcet (UDC). Mon intervention sera brève. En ce qui concerne le gouvernement... mais au fait, y a-t-il eu vraiment un gouvernement ? Non ! Il y a eu, pendant un certain nombre d'heures, vacance de pouvoir à Genève. Pourquoi cela ? Parce qu'au lieu de nous trouver face à un gouvernement homogène parlant d'une seule voix nous nous sommes trouvés face à un groupe de militants parlant d'une voix discordante et allant au combat en ordre dispersé ! Nous en avons vu les conséquences... Je me permets simplement de constater que, si nous ne nous étions pas trouvés face à une bande de casseurs, mais face à une bande armée, ce gouvernement se trouverait actuellement à Vichy-sur-Lausanne ! Je me permets également de faire remarquer que les ordres donnés à la police ont été très mal perçus par les troupes allemandes et françaises: les premières ont été impressionnées par le manque d'ordre et de cohérence des décisions prises au sein de la direction de la police... (L'orateur est interpellé par M. Blanc.)
Le président. Monsieur Blanc, s'il vous plaît !
M. Claude Marcet. Les secondes, soit les CRS, ont déclaré que ce gouvernement ne maîtrisait absolument pas les enjeux et que, s'ils avaient dû intervenir... (L'orateur est interpellé.)S'il vous plaît, Madame: je vous laisserai parler après, alors taisez-vous maintenant, merci ! Je reprends: les troupes françaises ont donc déclaré que, si elles avaient dû intervenir à Genève, elles auraient dû limiter à 50 % leurs ordres d'intervention usuels en territoire français. C'est tout dire !
Quant à notre Grand Conseil, permettez-moi simplement de souligner que les parlementaires n'ont pas à faire les Guignols de l'info dans la rue. J'en veux pour preuve ce parlementaire très présomptueux et souvent prétentieux qui se couche par terre devant les caméras simplement parce que c'est, selon lui, ainsi que l'on dialogue avec des manifestants. N'importe quoi !
En ce qui concerne la police, je lui dis «merci, merci, merci» car elle seule semble, en fin de compte, avoir voulu agi dans ce canton. Il s'agit de notre première ligne de défense. Elle devrait donc être soutenue et sécurisée plutôt que d'être sans cesse ballottée par des politiques qui ne savent absolument pas ce qu'ils se veulent ! (Applaudissements.)
Le président. La parole est à M. le député Vanek. (Manifestation dans la salle.)
M. Pierre Vanek. Merci, Monsieur le président. L'on a...
Le président. Attendez, Monsieur Vanek ! Madame la députée, je vous remercie de ranger ce petit objet dans votre sac ! (Une députée utilise un petit ventilateur à pile.)Je vous en prie, l'on est en train de filmer M. Vanek ! (Commentaires.)Vous pouvez commencer, Monsieur Vanek !
M. Pierre Vanek (AdG). Merci, Monsieur le président. L'on a entendu beaucoup d'effets de manches et de trémolos dans la voix. J'essaierai pour ma part de rester plus sobre en formulant les quelques remarques qui s'imposent.
Ma première remarque concerne les propos tenus par M. Büchi à l'instant, propos graves que, j'espère, il ne pensait pas réellement.
M. John Dupraz. Oui, nous le pensons, et nous ne sommes pas les seuls !
M. Claude Blanc. Mais les radicaux ne pensent pas, tout le monde sait cela ! (Eclats de rires et applaudissements.)
M. Pierre Vanek. J'évoquais en effet, à sa décharge, que M. Büchi n'avait pas sérieusement pensé les propos qu'il a tenus mais, comme à son habitude, M. Dupraz enfonce le clou... La déclaration de M. Büchi a mis sur le même plan, d'une part, les événements du 9 novembre 1932, d'autre part la casse et les incidents qui se sont produits en marge de la manifestation anti-G8. Une telle comparaison doit être retirée et stigmatisée, car treize de nos concitoyens sont morts en 1932 sous les balles de l'armée suisse à Plainpalais ! (L'orateur est interpellé.)L'on me dit que c'était une révolution: non ! Ce n'était pas une révolution comme celle dont M. Schifferli - ou peut-être était-ce Marcet ? - peignait le spectre...
Une voix. Monsieur Marcet !
M. Pierre Vanek. Oh, je lui donne volontiers du «Monsieur» Marcet ! Je reprends: ce n'était donc pas une révolution dont MM. Schifferli ou Marcet peignait tout à l'heure le spectre sur les murs: il s'agissait simplement d'une manifestation démocratique et antifasciste. Mettre un seul instant les événements de la semaine passée sur le même plan que cette affaire est particulièrement inadmissible et dénote une pensée dramatiquement défaillante. Comme l'a fait remarquer M. Blanc, il semblerait en effet que les radicaux, du moins en la matière, ne pensent pas ! Monsieur Büchi, il n'est point nécessaire de remonter à 1932 pour trouver des morts et des situations autrement graves et autrement dramatiques que celle que nous avons connue ! Je pense en particulier aux manifestations anti-G8 de Gênes durant lesquelles, là aussi, des amis de M. Schifferli et des personnes arborant des étiquettes fascistes, néo-fascistes ou parafascistes se trouvaient aux commandes de la police. Or, je vous rappelle que ces manifestations ont vu un mort. Cette situation-là était grave. Or, c'est sur ce chemin que nous mènent des individus comme Michel Halpérin...
Une voix. Monsieur !
M. Pierre Vanek. ...comme «Monsieur» Michel Halpérin et des personnes qui défendent l'interdiction de la manifestation grande, forte, belle et démocratique que nous avons connue. J'ajouterai que cette manifestation était également historique, car elle s'inscrivait dans une histoire qui va de Seattle à une série d'autres mobilisations. Je pense notamment aux récentes mobilisations antiguerres qui ont vu des dizaines de millions de personnes contester, à l'échelle mondiale, la politique de ce George Bush que l'on a fait venir et devant lequel l'on a déroulé les tapis rouges de notre aéroport de Cointrin. (Brouhaha.)
Une voix. Il n'est pas resté longtemps !
M. Pierre Vanek. Il n'est effectivement pas resté longtemps, et c'est bien heureux ! Je vous signale que M. Couchepin, coreligionnaire politique de ces messieurs, voulait lui faire des courbettes sur notre territoire !
M. John Dupraz. Respecte le président de la Confédération !
Le président. Monsieur Dupraz !
M. Pierre Vanek. Non, je n'ai aucune espèce de respect... (Brouhaha.)...pour M. Couchepin (Huées et sifflements. Le président agite la cloche.) (L'orateur est interrompu.)
Des voix. Dehors, dehors ! Démission, démission, démission !
Le président. La séance est suspendue !
La séance est suspendue à 21h52.
La séance est reprise à 21h57.
Le président. M. Vanek va terminer son intervention. Je rappelle que son temps de parole personnel n'est pas limité, mais que l'AdG dispose d'un temps de parole global de quatorze minutes. M. Vanek a, jusqu'à présent, parlé durant cinq minutes.
M. Pierre Vanek. Merci, Monsieur le président. J'ai été interrompu tout à l'heure par des clameurs émanant des bancs d'en face, exigeant ma démission et interrompant mon intervention. On veut effectivement faire démissionner les députés de l'opposition, on suspend le droit de manifester par arrêté du Conseil d'Etat, on interdit une manifestation réclamant la démission de notre «ministre» de la police et ainsi de suite... On décide de donner un tour de vis antidémocratique aux actions dans cette République, et vous nous trouverez effectivement toujours opposés à ce cours-là ! Vous nous trouverez en particulier opposés au cours évoqué par M. Schifferli, lequel a appelé à la constitution d'une milice brune douteuse à Genève pour effectuer le travail qu'il conçoit être celui de la police.
J'ajouterai deux remarques avant de conclure mon intervention. En premier lieu, lorsque j'ai été interrompu, j'étais en train de déclarer que je n'éprouvais aucun respect pour M. Couchepin lorsqu'il prône, en tant que président de la Confédération, des propositions antisociales telles que celles évoquées par Albert Rodrik durant les interpellations urgentes. Je pense par exemple à sa proposition d'élévation massive de l'âge de la retraite. Je n'éprouve effectivement aucun respect pour un président de la Confédération qui participe au front antisocial à l'échelle européenne - de l'Autriche à la France en passant par l'Italie et l'Espagne - et visant précisément à mettre en oeuvre les politiques néolibérales qui ont été contestées par les manifestants anti-G8.
Ma remarque suivante a trait aux événements concrets qui se sont produits dans cette République. Je ne sais pas si j'ai le droit de m'adresser à vous, Madame Spoerri, mais j'estime qu'il est inadmissible d'évoquer dans votre déclaration... Ah non, je ne peux de toute façon pas m'adresser à Mme Spoerri, car elle est absente !
Une voix. Vous devez vous adresser au président.
M. Pierre Vanek. D'accord. Je considère donc qu'il est inadmissible que Mme Spoerri ait évoqué de manière sous-entendue, dans sa déclaration, la prétendue duplicité de certaines composantes du FSL et autres propos de ce type dont j'ai pris note.
Une voix. Il s'agit d'une déclaration du Conseil d'Etat.
M. Pierre Vanek. Il s'agit d'une déclaration du Conseil d'Etat ? Peut-être, mais enfin, c'est Mme Spoerri qui l'a faite ! Il y a là quelque chose qui ne va pas ! Le bilan commun qui a été fait sur les accords passés avec le FSL a indiqué que ceux-ci avaient été respectés. Je ne suis pas d'accord avec cette appréciation. En effet, le mémorandum qui a été signé - et qui porte bien, cette fois, la signature de Mme Spoerri et, je crois, celle du président pour le Conseil d'Etat - comprenait une déclaration selon laquelle le Forum social lémanique prenait acte du fait que la police protégerait physiquement les zones interdites de manifestation comme la rive droite, les Rues-Basses ainsi que tout bâtiment ou site à risque. Cette protection n'a pas été assurée alors qu'elle aurait pu l'être ! L'on se pose dès lors la question suivante: «A qui profite le crime ?». En guise de réponse à la question de savoir à qui profite la casse du samedi soir - casse que Michel Halpérin et d'autres appelaient visiblement de leurs voeux avant la manifestation - l'on peut fort bien avancer l'hypothèse qu'elle est issue de ce côté-là. (L'orateur désigne les bancs d'en face.)Il s'agit d'une hypothèse qui a été formulée par un professeur de l'Université de Lausanne spécialiste de ces questions et ayant publié ses considérations dans le quotidien «24 Heures». Selon ce professeur, il est clair qu'à la veille de la grande manifestation l'absence de débordements n'arrangeait pas les pouvoirs publics à Genève. Il s'agit selon lui de l'une des explications possibles de l'attitude des forces de l'ordre. Il a déclaré, et je le cite: «Tout a été fait pour que ça tourne mal. Il y a au mieux eu un cafouillage». Il s'agit là de l'hypothèse à décharge, hypothèse charitable que j'entretiens régulièrement en évoquant celle de l'incompétence de Mme Spoerri. L'autre hypothèse est la suivante: ces débordements auraient pu servir certains intérêts, et notamment ceux des personnes qui voulaient discréditer la grande manifestation... (Protestations.) ...et empêcher la tenue d'un débat sur le fond sur la politique néolibérale qu'il vous insupporte que l'on évoque dans cette salle. Il y a quelques années, vous étiez fiers de cette politique et vous la défendiez ouvertement dans cette enceinte. Vous n'osez plus ! C'est pourquoi vous déviez le débat sur d'autres considérations ! L'on entend à cette occasion des absurdités crasses: Michel Halpérin s'en est pris tout à l'heure à la presse. Bien entendu ! On interdit les manifestations, on exige la démission des opposants, l'on veut introduire des «Berufsverbot» et une chasse aux sorcières dans l'administration et l'on s'en prend, évidemment, à la presse - laquelle a usé de cette marge de liberté que vous lui laisserez un certain temps, mais Dieu sait combien de temps si vous suivez les Schifferli et autres... J'ai lu dans un article du «Matin» - et ce n'est pas là un organe de gauche - faisant référence aux événements de lundi que le gouvernement avait «disjoncté». «La Tribune de Genève», dont les journalistes se trouvaient directement sur le terrain, a titré, suite aux événements et à ce que je qualifierais d'émeutes policières de mardi... (Protestations. Le président agite la cloche.) ...: «Excédée, la police genevoise se défoule sur les badauds» ! Ce n'est donc pas rendre service à notre police, que j'apprécie et que je défends dans son rôle citoyen... (Huées.)...que de couvrir...
Le président. S'il vous plaît, Messieurs les députés !
M. Pierre Vanek. ...de couvrir de tels errements, qui sont sans doute largement dus à une absence de direction. Cette absence justifie pleinement la remise en cause de cette direction, tout comme j'ai pu remettre en cause la direction que devait exercer Mme Spoerri. Il n'y a là rien de machiste ! Je puis vous assurer que, si un homme s'était trouvé assis à cette place-là, j'aurais tenu exactement les mêmes propos !
Le président. Vous avez parlé neuf minutes. La parole est à M. le député Jean Spielmann.
M. Jean Spielmann (AdG). Permettez-moi, dans le cadre de ce débat, de reprendre un certain nombre d'affirmation tenues par les uns et les autres afin de montrer que la situation n'est pas aussi manichéenne que vous voulez bien le dire et qu'une réflexion doit être menée sur le fond.
En premier lieu, M. Halpérin a déclaré que l'expérience avait démontré que nous avions fait fausse route en autorisant la manifestation. Je me permets simplement de vous rappeler que, quelques minutes avant cette affirmation, la présidente du département de justice, police et sécurité avait relevé que toutes les manifestations qui avaient été interdites avaient mal tourné. A une exception près, la seule manifestation qui s'est bien déroulée est celle qui avait été autorisée; cette manifestation a permis à plus de 80 000 personnes de défiler tranquillement. Il me semble que cet élément devrait vous inciter à réfléchir sur les objectifs que nous cherchons, les uns et les autres, à atteindre. Ces objectifs sont les suivants: permettre aux gens de s'exprimer et mettre à l'écart les casseurs qui - comme cela a été, de manière inadmissible, le cas - s'en prennent aux cibles par pure provocation. A cet égard, si l'on examine les cibles attaquées par les casseurs - un petit artisan, l'Hôtel de Ville ou encore le Grand Théâtre - l'on constate qu'il ne s'agit pas de cibles à proprement parler politiques et qu'il y a là une volonté de détruire les symboles de la population genevoise. Nous devons tous combattre de telles activités, et cela quelles que soient les manifestations pouvant être organisées.
En deuxième lieu, comme l'a préalablement souligné M. Luscher - en proposant une comparaison certes quelque peu hasardeuse avec l'organisation d'un concours hippique - l'organisation du G8 à Evian s'est, dès le départ, révélée problématique. Pour ma part, je suis intervenu à Berne plus d'un mois avant que les décisions ne soient prises pour dénoncer l'irresponsabilité qui consistait à tenir un sommet du G8 à l'approche de la guerre en Irak compte tenu des manifestations qui ne manqueraient pas d'exploser partout. Et avec quel résultat et quelle légitimité ?! C'est cette question qui doit être posée ! L'on sait en effet que, lorsque des personnes se réunissent de manière illégitime pour continuer à piller le monde et à provoquer des illégalités, des guerres et des crimes abominables, d'autres se révoltent. J'estime que cette révolte est parfaitement légitime. Par conséquent, ce n'est pas aux organisateurs de manifestations qu'il faut s'en prendre, mais aux individus qui tiennent un sommet du G8 dans une telle période - et l'on a vu pour quel résultat ! Certains de ces individus sont certes élus démocratiquement; ils ne sont toutefois pas élus pour gérer le monde, mais leur propre pays ! Lorsqu'ils cherchent à outrepasser leurs tâches, cela suscite des réactions. Ces réactions, que j'ai énumérées lors d'une intervention préalable concernant le G8, sont connues. Je trouve personnellement qu'il est un peu facile de faire porter le chapeau de tous les problèmes liés au G8 aux organisateurs de manifestations...
En troisième lieu se pose maintenant la question des dégâts causés en ville. Je dois dire au préalable que je m'associe pleinement aux propos tenus par la présidente du département: l'ensemble des événements ont été gérés de manière responsable et, si des dégâts matériels - bris de vitrines, pillages inadmissibles - doivent certes être déplorés, il n'y a en revanche eu ni blessé grave ni mort d'homme. Or, les dégâts matériels peuvent être réparés, tandis que les morts ne peuvent l'être et laissent des traces ! Un début d'explication peut à cet égard être trouvé quant aux démarches de la police et au déroulement des événements. Certains journalistes et professeurs cités à plusieurs reprises ont soutenu que l'on avait volontairement laisser faire les casseurs du samedi soir - et il y a là des réponses qui devront être apportées quant à l'organisation des événements du samedi soir et quant aux raisons pour lesquelles la situation a évolué de la sorte. Mais que se serait-il passé le lendemain si l'on était intervenu lors de la soirée de samedi et que les événements aient mal tourné ? Et qui aurait pris la responsabilité d'un débordement lors d'une manifestation de 80 000 personnes - situation tout autre que lorsque des groupes d'une dizaine de casseurs parcourent la ville pour briser des vitrines et se déguiser aussitôt après ?! Il y a là des réalités auxquelles nous devons réfléchir. Il ne faut pas nous jeter mutuellement la pierre, mais il faut mener une réflexion de fond sur l'avenir de notre démocratie et le rôle joué par des casseurs susceptibles d'intervenir dans toutes sortes de manifestations - y compris, Monsieur Dupraz, à l'occasion de manifestations de paysans ou d'entrepreneurs ! Je me rappelle notamment d'une manifestation réclamant davantage d'investissements de la part du Grand Conseil: c'était, pour une fois, la plupart des personnes d'en face qui s'étaient déguisées avec des pelles et des pioches comme si elles travaillaient sur des chantiers. Toutes ces manifestations pourraient être détournées, et notre responsabilité consiste à déterminer la manière d'éviter de tels détournements. Pour ma part, je considère que participer à une manifestation est un acte responsable. Or, lorsqu'on accomplit un acte responsable, l'on n'a pas besoin de se déguiser. Il faut effectivement que les organisateurs de manifestations veillent à isoler les casseurs - s'il le faut, avec l'aide de la force publique. Il ne faut pas laisser l'ombre d'un seul doute sur la manière dont sont préparées les manifestations. Les organisateurs doivent faire cet effort. Je reconnais qu'il y a eu, à certains moments, des ambiguïtés.
Je souhaite maintenant vous retourner certaines questions que vous avez posées tout à l'heure. Je voudrais revenir très rapidement sur les événements du pont du Mont-Blanc qui ont été évoqués. Monsieur Portier, vous avez déclaré que nous avions empêché l'arrestation de casseurs. Cela est votre avis ! De notre côté, nous affirmons qu'aucun casseur n'était présent lors de cette manifestation, mais uniquement des personnes pacifistes. Je ferai dès lors la remarque suivante: si je me rends à une manifestation sans déguisement ni sac contenant du matériel, je ne crains pas de me faire contrôler. Donc, si l'on avait accepté le contrôle des manifestants se trouvant sur le pont du Mont-Blanc, l'on pourrait aujourd'hui démontrer que toutes les personnes présentes étaient pacifistes. Or, comme cela n'a pas été fait, le doute subsiste. Ce doute insupportable ne doit pas perdurer; si tel est le cas, l'on ne pourra plus rien organiser ! Mais ne venez pas ici faire une utilisation politique de cette manifestation, car, sur le fond, le G8, le libéralisme et l'organisation actuelle de la société, c'est votre credo ! Il est nécessaire de remettre en cause ce credo pour construire notre avenir avec les jeunes. Vous pouvez tout interdire et tout vous permettre, mais vous n'arriverez pas à créer un futur contre des jeunes qui descendent dans la rue contre la guerre, contre les inégalités, contre le maldéveloppement ! Ce n'est pas en renforçant la police et le totalitarisme ni en interdisant les manifestations que vous y parviendrez, mais en permettant le bon déroulement de manifestations organisées par des personnes qui assument leurs responsabilités jusqu'au bout !
Voici les quelques propos que je souhaitais tenir dans cette enceinte. Les casses sont effectivement déplorables et malheureuses, et il convient d'étudier la manière d'y remédier. Mais ne peignons non plus pas le diable sur la muraille: il y a eu des vitres brisées et des matériaux volés, mais il n'y a eu ni mort ni blessé. Sachons en tirer les enseignements pour que les prochaines manifestations donnent une image plus positive de Genève. Il ne me semble pas que Genève ait été beaucoup plus déplorable que les autres villes dans lesquelles se sont tenus les derniers sommets du G8 ! Elle s'est même plutôt montrée meilleure, puisqu'il n'y a, pour la première fois, eu ni mort ni blessé ! Quant aux dégâts matériels, trouvons ensemble des solutions pour les réparer !
Le président. L'AdG a également épuisé son temps de parole. La parole est à M. député Pierre Kunz.
M. Pierre Kunz (R). Les radicaux ne pensent pas... Permettez-moi tout de même d'essayer de répondre en partie à M. Spielmann !
Des événements qui ont meurtri les Genevois au début du mois, il convient de distinguer les causes immédiatement identifiables, évidentes, et les causes profondes.
Les causes immédiatement identifiables sont de deux ordres. Il y a, d'une part, la légèreté et l'amateurisme coupable des organisateurs du Forum social lémanique et de ceux qui les ont cautionnés dans cette enceinte. Cette légèreté et cet amateurisme qui les ont conduits à faire, en matière de maintien de l'ordre, des promesses au Conseil d'Etat dont ils n'ont absolument pas apprécié la démesure. Des promesses qu'ils n'ont, à l'évidence, pas été capables de tenir, bien que les forces de l'ordre soient, comme ils l'avaient exigé, demeurées discrètes, extrêmement discrètes - piégées, oui ! Il s'agira d'ailleurs de déterminer dans quelles conditions le Conseil d'Etat en premier lieu s'est laissé berner et piéger par le FSL. C'est ce que demande la motion 1547 déposée par les radicaux. Il y a, ensuite, parmi ces causes aisément identifiables, l'attitude belliqueuse et le langage guerrier des organisateurs et de ceux qui les représentent dans ce Grand Conseil depuis plusieurs mois. Il faut stigmatiser cette attitude - cela a déjà été fait, mais je ne m'en priverai pas - et ces propos d'une violence souvent inouïe et inconnue dans ce parlement il y a encore une dizaine d'années. Il faut d'autant plus les stigmatiser lorsqu'ils sont prononcés par des députés de ce parlement: d'abord parce qu'ils sont incompatibles avec leur rôle d'élus; ensuite, parce que - il faut le dire clairement - ils ont manifestement constitué une incitation non seulement à la désobéissance civile, mais également à la haine et à la violence. Des discours parfaitement entendus par ces petites frappes écervelées qui ont sévi au début du mois et par d'autres esprits fragiles qui braillaient des slogans pour se donner, eux, l'illusion de penser.
Mais, au-delà de ces explications immédiatement perceptibles, il existe des causes profondes. Des causes qui sont plus graves encore que la mauvaise foi et les excès de langage, les mensonges et les inepties proférées par certains - notamment par les meneurs de l'antimondialisme et de l'anti-G8: il y a notre société, que certains ont contribué à déstructurer et que d'autres ont laissé, par manque de courage et de conviction, se dégrader depuis deux ou trois décennies. Il en a résulté ce climat que nous connaissons: absence de fermeté, laxisme généralisé, négligences officielles... (L'orateur insiste sur ce terme.) ...plus ou moins bénignes et laissez-faire coupables en matière légale et réglementaire. Un climat fait d'incivilités, de comportements irrespectueux, de graffitis lamentables, d'affichages sauvages jamais réprimés, de squatts encouragés: ces actes illicites que nous avons tous favorisés, les uns par stupidité, les autres par faiblesse. Notre société est largement devenue la société de l'envie et de l'immédiateté; (Protestations.)la société du «je veux tout, tout de suite»; la société du «si mon voisin est mon égal, pourquoi n'ai-je pas la même chose que lui?»; la société de la main tendue vers l'Etat. Cette société, nous en sommes tous responsables... (L'orateur est interpellépar M. Spielmann.)
Le président. S'il vous plaît, Monsieur Spielmann !
M. Pierre Kunz. Nous en sommes donc tous responsables: la gauche parce qu'elle n'a cessé de véhiculer et de faire croire à ses rêveries égalitaristes et matérialistes; la droite - nous aussi ! - parce qu'elle n'a pas su résister à cette déferlante liberticide et destructrice des valeurs humanistes qui fondent notre civilisation. Les événements que nous avons vécus voici quinze jours ne sont rien d'autre que la manifestation paroxysmique de cette dérive. Députés de ce parlement et Conseil d'Etat avons une tâche énorme devant nous: celle de retrouver l'essence de notre mission, de redécouvrir la notion même de bien public et de mettre en oeuvre avec courage et honnêteté les moyens, les valeurs et les règles qui ordonnançaient notre société genevoise avant la débandade morale et spirituelle de ces deux ou trois dernières décennies ! (Applaudissements.)
Le président. La parole est à M. le député Slatkine. Il reste un maximum de cinq minutes au groupe libéral.
M. Ivan Slatkine (L). Permettez-moi de faire une courte intervention. Nous avons entendu tout à l'heure un député des bancs d'en face ayant appelé à l'incivilité, ayant organisé une manifestation pourtant interdite par le Conseil d'Etat et ayant déclaré n'avoir aucun respect pour les institutions. Je demande aujourd'hui que la loi soit appliquée. Or, l'article 24 de la loi portant règlement du Grand Conseil demande l'obligation de s'abstenir. M. Vanek, qui est membre du Forum social lémanique, doit aujourd'hui suivre les lois en s'abstenant dans ce débat et en quittant cette salle ! (Applaudissements.)
M. Ueli Leuenberger (Ve). J'ai le sentiment que nous sommes très nombreux ce soir, dans cette salle, à vouloir comprendre ce qui s'est vraiment passé. Je ne fais aucun jeu de mots en relevant que l'on voit ce soir beaucoup trop en noir et blanc. C'est pourquoi je souhaite vivement qu'une commission d'enquête parlementaire examine tous les événements qui se sont déroulés durant ces quelques jours. Nous pourrons ainsi constater que la situation était beaucoup plus complexe. Nous prendrons également conscience du fait que nous nous contredisons les uns les autres sur un élément tel que celui des observateurs parlementaires. Un député libéral a par exemple déploré le manque d'observateurs sur place... mais pour adopter quelle attitude ?! Pour observer ou pour empêcher les casses, comme nous l'avons fait ? Certains collègues reconnaissent que les observateurs ont, par moments, outrepassé leur fonction. Mon collègue Portier, avec lequel j'ai assisté durant toute la journée de vendredi à une manifestation, regrette en revanche que nous n'ayons pu éviter la casse du garage. Il est vrai que nous étions malheureux face à ce lieu saccagé. Il me semble donc important qu'une commission parlementaire fasse la lumière sur tous ces événements. Il faut cependant qu'il y ait une véritable volonté, et cela sur tous les bancs, de connaître les faits tels qu'ils se sont véritablement déroulés.
Pour conclure, je souhaite répéter que les dizaines de milliers de personnes - femmes et hommes, jeunes et vieux - qui ont manifesté le 1er juin ont eu raison de s'engager et que Genève a eu raison de les accueillir. Que toutes ces personnes continuent de s'engager pour un monde meilleur, contre ceux qui détruisent actuellement notre planète !
Le président. La parole est à Mme Véronique Pürro. Il reste aux socialiste six minutes d'intervention.
Mme Véronique Pürro (S). Cet événement aura été, à la veille des élections fédérales, du pain béni pour tous les membres de l'Entente, et vous l'avez démontré ce soir encore. En effet, vous avez les coupables devant vous: cette gauche, cette horrible gauche qui a organisé la manifestation, qui soutient les casseurs...
Des voix. Bravo !
Mme Véronique Pürro. Oui: cette gauche qui jette les pavés... (Brouhaha.)...qui enflamme les vitrines... Mesdames et Messieurs, soyons un peu sérieux ce soir ! La population n'est pas dupe... (Commentaires.) ...et beaucoup d'habitants de ce canton se trouvaient, contrairement à vous, dans la rue...
Une voix. On travaille !
Mme Véronique Pürro. Ces habitants ont pu faire quelques-unes des observations que nous avons commencé à effectuer et qui constituent certaines invites de notre motion. J'aimerais également revenir sur le débat de fond et reprendre les propos de M. Halpérin, propos que je partage en partie.
Oui, l'Etat a en effet failli à sa tâche ! Oui, les fondements de l'Etat sont menacés ! Oui, notre démocratie est en danger et tous les acteurs qui, durant cet événement, ont joué un rôle, portent une responsabilité ! Nous sommes en droit de nous interroger sur la capacité de notre gouvernement non seulement à organiser, mais également à gérer cet événement. Et nous voulons la lumière sur sa capacité à couvrir de tels événements. Nous sommes en droit de nous interroger sur notre rôle d'observateur et, si vous nous en aviez donné l'occasion ce soir, vous auriez pu voir que nous nous sommes également montrés critiques sur ce rôle. Mais ce n'est que partie remise, et nous répondrons à M. Portier, qui a tourné casaque, lors d'une prochaine séance consacrée au débat sur le rapport des observateurs. Nous sommes également en droit, comme l'a fait M. Halpérin, de nous interroger sur les capacités de notre justice. Je ne dirai rien sur le seul casseur - le seul... (L'oratrice insiste sur ce terme.) ...casseur ! - que nous ayons réussi à arrêter et qui, en raison d'un vice de procédure, touchera des indemnités de l'Etat... Je me réjouis d'entendre demain la réponse de Mme Spoerri à la question que l'un de mes camarades lui a posée tout à l'heure à ce sujet.
Mais, Monsieur Halpérin, vous avez oublié un acteur, et pas des moindres: la police ! Dans la liste des institutions qui fondent notre démocratie que vous avez dressée, vous avez oublié la police ! Or, celle-ci a également joué un rôle important lors de cet événement. Ceux qui ont pu partager quelques heures de leur quotidien durant le week-end d'il y a quinze jours n'ont pu qu'admirer le professionnalisme des hommes de terrain qui, pendant des heures durant, ont su garder leur sang-froid sous les insultes, sous les injures, sous les projectiles de toutes sortes, et nous pouvons leur rendre hommage. Je reconnais que je faisais partie des personnes qui craignaient, comme à Gênes, un débordement de la police. Or, ce débordement n'a pas eu lieu, et ceci précisément grâce au professionnalisme de la police.
Nous ne pouvons en revanche pas en dire autant, Monsieur Halpérin, des responsables de cette police ! Car comment pouvons-nous expliquer aux citoyens de notre République que toutes ces casses aient pu avoir lieu alors même que notre ville comptait des milliers de policiers sur son territoire ?! Alors que nous comptions des milliers de policiers sur notre territoire pendant ce week-end, aucun - je dis bien «aucun» ! - casseur n'a pu être arrêté ! Nous nous interrogeons en outre, pour ceux qui se trouvaient sur place lors de week-end, sur le bien-fondé de certains barrages. Pour toutes ces raisons, nous pensons que la police doit aussi répondre aux questions qui sont posées et qu'il nous faut également faire la lumière, non pas sur le professionnalisme des hommes de terrain, mais sur la capacité de leurs supérieurs - qu'ils soient professionnels ou politiques - à les diriger correctement dans le cadre d'un événement de cette ampleur. C'est la raison pour laquelle nous avons, à notre tour et avec toute la sérénité à laquelle ce débat devrait nous mener, proposé une motion demandant la mise sur pied d'une enquête parlementaire qui fasse la lumière sur tous les acteurs: le gouvernement, le parlement, les observateurs, les organisateurs de la manifestation et la police.
Pour notre part, nous souhaiterions, avant que ne soient prises des décisions importantes concernant la police, être assurés que cette dernière soit organisée de manière à pouvoir répondre à des événements qui - que vous le vouliez ou non, Monsieur Halpérin ! - se reproduiront immanquablement. De tels événements se reproduiront nécessairement, car l'OMC se trouve sur notre territoire, car la société évolue et parce que, tant que nous n'arrêterons pas les casseurs, ils continueront à causer des dégâts. Nous souhaitons donc que le Conseil d'Etat ne procède à aucune nomination importante avant que la lumière ne soit faite sur tous ces événements. Nous lui demandons également de préparer un projet de loi tenant compte des conclusions que nous fournira cette enquête.
J'espère, en conclusion, que nous parviendrons à dépasser ce débat stérile entre la gauche et la droite que la population n'arrive plus à comprendre. Il est question de l'institution la plus importante d'une démocratie, à savoir la police, et de sa relation avec les autorités politiques.
Puisque je dispose encore de quelques instants, permettez-moi de vous avouer que j'ai été extrêmement choquée par le fait qu'un officier en uniforme de service, installé sur sa moto de service, donne une interview télévisée laissant entendre que le Conseil d'Etat n'était pas capable et que, désormais, c'est lui qui commanderait. Une telle déclaration est grave, car elle remet en cause le fonctionnement de nos institutions. Si nous continuons sur cette voie, les dérives risquent de nous entraîner dans une voie dans laquelle j'espère que ni vous ni nous ne voulons nous engager. (Applaudissements.)
Le président. Madame la députée, vous avez parlé sept minutes et demie. Vous avez donc épuisé totalement et au-delà le temps de parole socialiste. La parole est à M. le député Weiss, qui dispose au maximum de quatre minutes. Le député Weiss n'étant pas là, nous passons à M. le député David Hiler, qui dispose également de quatre minutes.
M. David Hiler (Ve). J'aimerais simplement m'en tenir à un certain nombre de faits qui n'ont pas été évoqués et qui doivent, selon moi, l'être.
A ceux qui pensent qu'il aurait fallu interdire cette manifestation et que Genève aurait été plus calme... (Brouhaha.) ...j'aimerais en préambule rappeler qu'au début des années septante les organisateurs de manifestations ne demandaient jamais d'autorisation. Or, à ma connaissance, ni les manifestations pour les condamnés à mort du procès de Burgos en Espagne ni la manifestation contre le shah d'Iran n'ont été des modèles de calme... Il est vrai qu'à l'époque les personnes qui souhaitaient aller plus avant dans l'action politique possédaient des cibles définies - ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il s'agit là d'une évolution de la société.
Monsieur Halpérin, j'ai participé au cours de ma vie à de multiples manifestations. Si cette manifestation avait été interdite, plusieurs dizaines de milliers de personnes se seraient trouvées dispersées dans la ville, pourchassées par la police, et le nombre de casseurs s'en serait trouvé fortement augmenté.
J'aimerais maintenant revenir sur les différents intervenants concernés par ces événements. En premier lieu, il est de bon ton de dire, au café du commerce mais hélas aussi dans ce parlement, que la police genevoise n'a, dans cette affaire, pas vu «passer le puck» - soit qu'elle était muselée, comme le prétendent certains, soit que son niveau technique n'était pas suffisamment élevé. Mais Genève est une petite ville de quatre cent mille habitants qui, contrairement aux villes de Zurich et de Berne, ne connaît que très rarement de tels événements, le dernier en date étant le déferlement des jeunes de 1998 - déferlement qui avait, à juste titre, inquiété tout le monde. Dès lors, il n'est simplement pas tolérable de demander à une police généraliste, dont la classe d'âge n'est pas de vingt-cinq ou de trente ans, d'être comparable à des spécialistes allemands ! La police s'est bel et bien fait avoir sur quelques coups, et nous y reviendrons. Mais elle a, je crois, fait ce qu'elle a pu, et elle l'a fait dans un bon état d'esprit. A l'exception de l'affaire du mardi, elle a courageusement fait face, avec les moyens qui se trouvaient à sa disposition, et a largement contribué à éviter qu'il n'y ait des blessés graves par dizaines ou des morts. En ce qui concerne cette affaire du mardi, je dois avouer que j'ai trouvé l'intervention syndicale institutionnellement inadmissible; j'estime que, dans un cas pareil, la hiérarchie doit être soutenue contre le syndicat.
J'aborde en deuxième lieu le service d'organisation. Si ce dernier était peut-être numériquement un peu faible, sa collaboration avec la police a été constante. C'est ainsi que le samedi soir, le chef de la police a immédiatement été prévenu par les organisateurs de la manifestation d'un départ des Black Block - puisque ce service de renseignement au moins fonctionnait. Le dimanche, lors de l'attaque de la poste, le service d'organisation a réussi à repousser la première attaque. Il est vrai, Monsieur Schifferli, qu'il n'a pas réussi à repousser la deuxième attaque. Mais lorsqu'une hache d'incendie vous passe à dix centimètres de la tête et que vous n'êtes pas un professionnel du maintien de l'ordre, il est un moment où vous devez prévenir la police que vous ne pouvez pas défendre ce lieu ! Cela a été fait. La personne qui a vu passer cette hache à dix centimètres de sa tête - il s'agit de Philippe Cottet - a, de surcroît, encore éteint l'incendie avant l'arrivée des pompiers ! Voici des faits ! La police a par ailleurs été prévenue que les masses réunies à Vallard étaient trop fortes et qu'en conséquence le service d'organisation n'irait pas au front.
Et maintenant, Monsieur Halpérin, si ce service d'ordre s'était donné les moyens, s'il avait pris des manches de pioches et s'était défendu, pensez-vous que nous nous serions encore trouvés encore dans un état de droit ? Pour ma part, je ne le pense pas, et je crois que de telles situations doivent être évitées. Des situations pareilles se sont produites à Paris, où des services d'ordre syndicaux extrêmement musclés cognaient très fort. Cela a-t-il empêché les casses ? Il ne m'est pas apparu que cela soit le cas. Et est-il admissible que des citoyens tapent sur la tête d'autres citoyens avec des manches de pioches ? Je ne le crois pas non plus. C'est pourquoi je pense que la démarche initiée, avec tous les soupçons de part et d'autre, était extrêmement positive, bien que l'organisation ait manqué d'habitude et de professionnalisme et que tant la police que les organisateurs aient été ceux d'une petite ville habituellement plus sereine. Il me semble important de rappeler ces points afin de souligner les véritables efforts qui ont été accomplis pour empêcher la casse dans le mandat, Madame Spoerri, qui était celui des organisateurs le dimanche - et non le samedi soir. Nous avons ce soir-là effectivement fait du zèle en prévenant la police.
J'aimerais enfin dire à M. Portier la chose suivante: sur le fond, je suis d'accord avec le fait que certains députés ont dépassé leur mandat d'observateur parlementaire. Mais ont-ils eu une formation à la hauteur de l'ambition de l'exercice ? Je ne le pense pas. Par ailleurs, l'on peut se demander où s'arrête la mission de l'observateur parlementaire. M. Portier a, sauf erreur, indiqué que M. Grobet avait prévenu la police. Mais était-ce à un observateur parlementaire de le faire ? Mon collègue Bavarel s'est pour sa part mis devant la vitrine des «Jouets Weber»: devait-il le faire en tant qu'observateur ? D'autres observateurs ont joué le rôle de médiateur avec la police. Devaient-ils le faire ? Si nous continuons cette expérience, il conviendra de fixer ces règles de façon absolue.
Je trouve en conclusion extrêmement dangereux que ces événements vous conduisent à vouloir criminaliser les dizaines de milliers de personnes qui ont participé à cette manifestation ainsi que les organisateurs de cette dernière. Je pense en toute sincérité que le problème ne réside pas dans l'«agitateur» Hodgers: le problème, c'est que Genève n'ait pas eu, lors de l'organisation de cette manifestation, cinq cent personnes de sa trempe ! Nous aurions ainsi pu aller de l'avant ! (Applaudissements.)
Le président. La parole est à M. Georges Letellier, qui dispose de cinquante-cinq secondes.
M. Georges Letellier (UDC). Ce débat ressemble quelque peu à une bataille de charognards dans laquelle chacun veut tirer profit du malheur d'autrui. Oui, la police a malheureusement été inexistante et a failli à ses obligations ! Oui, la gauche essaie de se disculper par une argumentation de circonstances ! En revanche, grâce au G8, la droite secouée retrouve subitement sa vigueur après dix ans de torpeur et d'inexistence en matière d'insécurité.
Depuis deux ans, nous attirons votre attention sur votre politique laxiste en matière de sécurité. A force de préférer la concertation à l'action ou à la répression, vous avez favorisé les desseins d'une gauche qui, encouragée par votre passivité, vient de s'empêtrer elle-même dans le piège du G8. Nous avons besoin d'une police forte, éventuellement capable de gérer les événements tels que ceux présagés par M. Hodgers. Nous avons également besoin d'une justice forte qui ne ridiculise pas ceux qui lui font confiance en relâchant des casseurs dès le lendemain ! Nous demandons au DJPS de changer de langage et d'arrêter de dire «amen» aux plus contestataires !
Le président. La parole est à M. le député Pierre Weiss, qui dispose de quatre minutes.
M. Pierre Weiss (L). L'Histoire a déjà jugé et, en tout cas, les citoyens de Genève ont compris. Il suffit de lire le courrier des lecteurs des journaux pour se rendre compte que ceux qui se trouvent aujourd'hui en face de nous sont traitées par les uns de naïfs, par les autres d'apprentis sorciers ou encore de sorciers tout court: de sorciers du chaos ! Le problème essentiel auquel nous sommes ici confrontés ne réside pas dans les réactions au chaos ou dans les dysfonctionnements actuels, mais dans la responsabilité qui s'est instaurée et qui a dominé Genève pendant trois jours. Mme Georgina Dufoix a déclaré dans une formule célèbre: «Responsables, mais pas coupables». Dans ce cas, nous nous trouvons face à des responsables et des coupables: nous nous trouvons face à des responsables et des coupables à Genève, et nous nous trouvons face à des responsables dans cette salle. J'espère simplement que le futur ne permettra pas que des coupables au sens pénal siègent dans cette salle. (Sifflements et applaudissements.)La majorité de ce Grand Conseil a été incapable de se rendre compte que les principes de l'Action mondiale des peuples (AMP), le groupuscule terroriste de M. de Marcellus, a pour quatrième principe l'appel à l'action directe.
Une voix. Vous la traitez de sale terroriste ?
M. Pierre Weiss. Terroriste, l'AMP !
Une voix. Raciste !
Le président. S'il vous plaît, Messieurs ! (Agitations dans la salle.)
M. David Hiler. Weiss Block raciste, Weiss Block raciste, Weiss Block raciste !
Le président. S'il vous plaît, Monsieur Hiler ! Monsieur Weiss, terminez de façon sereine !
M. Pierre Weiss. Dans un écrit de 1998, il a été écrit par un observateur de l'AMP: «Si la lutte non violente est préconisée, les auteurs affirment ne pas condamner l'usage d'autres formes d'actions avec pour seule et vague réserve "sous certaines conditions"». De facto, le recours à la violence pourrait donc en être une, nous dit cet observateur. Il suffit de vous référer aux annexes que je vous ai fait livrer ce soir pour que vous puissiez le contrôler. En d'autres termes, il s'agit de savoir jusqu'à quand l'Etat va nourrir en son sein ces serpents zapatistes... (Vives protestations.)...jusqu'à quand l'Etat va continuer à être laxiste. L'ordre nécessaire à l'exercice des libertés démocratiques doit s'imposer. (Huées.)Il n'existe pas de troisième voie !
Des voix. Raciste, raciste, raciste ! (Des députés de l'Alternative quittent la salle du Grand Conseil.)
Le président. Laissez sortir ceux qui le souhaitent ! Puisque M. le député Weiss a terminé son intervention, nous poursuivons notre ordre du jour avec la motion 1547. Nous sommes saisis de deux amendements, l'un proposé par MM. Kanaan, Brunier et Charbonnier, l'autre par MM. Muller, Roulet et Weiss. Je donne la parole sur la motion 1547 à M. le député Barrillier, qui en est l'un des auteurs.
M. Gabriel Barrillier (R). Le moment me semble venu d'essayer de conclure cette soirée en prenant quelques décisions si possible constructives. C'est pourquoi je ne referai pas tout le débat de la soirée. Je souhaite simplement relever, comme tous les intervenants l'ont fait ce soir, que nous avons été confrontés à une situation exceptionnelle qui a, il est vrai, mis en évidence des dysfonctionnements ainsi que des comportements collectifs et individuels indignes d'un canton qui, se piquant d'être le premier de classe, va jusqu'à snober les autres Confédérés et donner des leçons au monde entier.
Une voix. Bravo !
M. Gabriel Barrillier. L'écrasante majorité de nos concitoyennes et de nos concitoyens se pose des questions, questions qui ont d'ailleurs été posées à l'occasion de notre débat. Je les résumerai très brièvement: où était et que faisait le gouvernement durant ces jours et ces nuits troublées ? Pourquoi cette absence de leadership ? Quel a été le rôle et quelles ont été les raisons du comportement de certains magistrats cantonaux et de la Ville de Genève ? A quoi ont servi les parlementaires munis de brassards ? J'enlève les qualificatifs pour ne pas mettre de l'huile sur le feu, mais de l'huile dans les rouages... Je poursuis: à quoi a servi l'accord entre le Conseil d'Etat et le Forum social lémanique, accord qui a été ressenti par une partie de la population comme un marché de dupes ? Nous avons certes eu des explications à ce sujet ce soir, mais partielles. Dernière question: pourquoi avoir quasiment muselé la force publique ?
Mesdames et Messieurs les députés, la population exige des réponses. Or, c'est le rôle de notre parlement de contrôler, de réparer s'il le faut, les institutions défaillantes, et ce sous la surveillance et par délégation du peuple souverain. Il faut bien constater que la kyrielle de résolutions et de rapports qui s'est abattue sur nos pupitres cet après-midi ne permettra pas de faire toute la lumière, tant la polémique est grande. Il convient donc de rétablir rapidement l'autorité des institutions dans une Genève fâchée et inquiète. La seule solution qui s'offre à nous est de nommer une commission d'enquête. L'on peut discuter sur la question d'une commission parlementaire ou extra-parlementaire, mais, en tous les cas, cette commission devrait être à même de vérifier dans le détail le fonctionnement de nos institutions et les raisons qui ont conduit à une certaine démission de l'état de droit durant ces heures agitées.
Mesdames et Messieurs, chers collègues, refuser ce contrôle, c'est se méfier, c'est avoir peur du peuple ! En vous proposant de créer cette commission d'enquête, les radicaux vous invitent à prendre vos responsabilités d'élus pour rétablir la confiance et la crédibilité des institutions. Je vous demande d'accepter cette motion, avec ou sans les amendements. Nous discuterons de ce point tout à l'heure.
Le président. Je souhaite que l'on se concentre sur la commission d'enquête et sur les amendements que vous avez sous les yeux de façon que nous puissions encore voter ce soir. La parole est à M. le député Koechlin.
M. René Koechlin (L). A l'issue de ce long débat, je pense qu'un bilan doit être dressé afin de tirer la leçon des événements dont nous débattons ce soir - et en vue, Monsieur le président, de la commission d'enquête.
Toute manifestation - particulièrement une manifestation de rue, mais d'autres aussi - réunit la foule. La foule est aveugle. Toute manifestation assemble la masse. La masse est anonyme. Toute personne qui participe à une réunion de masse perd une partie de son identité, et elle doit le savoir. Le risque de toute manifestation de masse, c'est l'infiltration de délinquants et de casseurs; c'est la manipulation; c'est la fanatisation et la violence. Les exemples de fanatisation des masses abondent dans l'Histoire. Je vous rappellerai qu'il n'y a pas si longtemps, des individus comme Hitler ou Mussolini étaient passés maîtres dans l'art de fanatiser les masses. La question qui se pose à nous, Mesdames et Messieurs, et qui devra, quelle que soit sa composition, se poser à la commission d'enquête est la suivante: comment maîtriser une foule anonyme et incontrôlable par ceux-là mêmes qui l'ont appelée à se réunir ? Comment contrôler une manifestation: voici quelle est la question cruciale. La première réponse qui vient évidemment: par la force. Mais l'on sait qu'il s'agit d'une mauvaise solution.
Des voix. Bravo !
M. René Koechlin. Par un contrôle drastique des identités ? Je vous laisse imaginer la mise en pratique d'une telle méthode sur le terrain... La véritable question est là, Mesdames et Messieurs. C'est cette question que tous les intervenants se sont, d'une manière ou d'une autre, posés ce soir et que toutes les personnes qui, dans cette salle, sont encore responsables doivent se poser. C'est également l'essentiel du cahier des charges que nous devrons définir pour la commission que nous souhaitons créer par le biais de cette motion.
M. Christian Grobet (AdG). En abordant cette motion, je ferai certaines considérations générales, puisque, Monsieur le président, vous avez décidé, contrairement à la loi - mais il semble que cela ne gêne point M. Halpérin... - d'écourter le débat général qui aurait, à mon avis, dû se conclure par des votes sur les motions. J'aimerais vous exprimer ma profonde déception à l'égard du débat de ce soir. Des faits graves se sont effectivement produits à Genève, et je pensais - peut-être «naïvement», pour reprendre les termes de certains députés des bancs d'en face - que l'on tenterait d'analyser les causes de ces actes de violence, les problèmes survenus ainsi que la manière d'y parer à l'avenir. De fait, un certain nombre de députés des bancs d'en face ont considéré que ce débat était davantage l'occasion d'insulter certains députés de cette enceinte et de chercher des boucs émissaires. Je dois avouer mon étonnement devant la dernière intervention d'un député libéral qui savait, en d'autres circonstances, s'exprimer d'une autre manière. Puisque ce député essaie de faire croire que la majorité des citoyens fait l'amalgame entre les casseurs et les organisateurs de la manifestation, je vous ferai remarquer - et je suis d'autant plus à l'aise pour faire cette remarque que je ne faisais pas partie des organisateurs de la manifestation - que, quitte à vous peiner, ce dont les citoyens parlent le plus, c'est d'un certain conseiller d'Etat. J'estime que la manière dont a été mis en cause ce conseiller d'Etat, qui s'est trouvé confronté à une tâche particulièrement difficile, est injuste. Je me permets de vous dire, Mesdames et Messieurs les députés libéraux, que vous défendez bien mal ce magistrat dont le nom était sur les lèvres de presque toutes les personnes que l'on a rencontrées ces derniers jours. La tâche de ce magistrat et du Conseil d'Etat était très difficile. Il est facile de déclarer a posteriori que ces magistrats n'ont pas été à la hauteur ! J'aurais bien voulu vous y voir, les uns et les autres, siéger au Conseil d'Etat et assumer les responsabilités qui ont été les siennes ! Le Conseil d'Etat n'a peut-être pas été parfait, mais il a quand même fait face à la situation et a, de loin, évité le pire. Je serai donc le premier à lui adresser personnellement mes remerciements pour avoir fait ce qu'il a pu face à des événements dont certains disent aujourd'hui qu'il les avait prévus, mais dont je crois pour ma part qu'ils étaient imprévisibles pour tout le monde. (Protestations.)Je ne prétends pas que personne ne pouvait imaginer qu'il n'y aurait pas de manifestations. En revanche, personne ne pouvait imaginer qu'il y aurait, le samedi soir, une casse pareille par des voyous qui se sont répandus à travers la ville en cassant tout sur leur passage et en allant jusqu'à jeter des cocktails Molotov à l'intérieur de bâtiments qui auraient pu prendre feu - je pense notamment à des bâtiments d'habitation. Il ne s'agit là plus de voyous, mais de délinquants ! Ces faits sont extrêmement graves, et il faut en chercher l'origine. Or, nous constatons aujourd'hui, comme l'ont relevé certains, que nous vivons dans une société où la violence se produit de plus en plus fréquemment jusqu'à devenir intolérable. Cette situation est d'autant plus préoccupante que cette violence ne se borne pas aux manifestations: demain, les violences que nous avons subies lors de ce fameux samedi soir pourront, par exemple, intervenir à la suite d'un match de football. J'espère, Monsieur Luscher, qui avez entamé le débat ce soir en donnant des leçons à certaines personnes, que vous ne serez jamais confronté aux bandes de hooligans qui ont sévi dans un certain nombre de stades de football...
M. Claude Blanc. Avec le Servette, on est tranquille !
M. Christian Grobet. Je n'aurais pas fait cette plaisanterie, Monsieur Blanc. Peut-être en d'autres circonstances, mais pas ce soir !
L'on peut citer d'autres actes de violence. Le point le plus dramatique à mes yeux réside dans le fait que cette violence touche des personnes de plus en plus jeunes. L'événements le plus affreux n'est pas celui qui s'est produit samedi soir à Genève: c'est celui qui s'est produit près d'Yverdon il y a une semaine de cela, lorsque quatre jeunes en-dessous de vingt ans - dont en tout cas deux mineurs - en sont venus à assassiner un jeune homme de dix-sept ans en le poignardant à coups de couteau pour lui voler son porte-monnaie ou son walkman. Ces actes de violence terrible surgissent également à Genève. L'on ignore ce qui se serait passé lors de ce fameux samedi soir si des policiers avaient eu le courage de courir après ces délinquants: ces derniers ne se seraient-ils pas retournés, et la hache qui a menacé l'un des membres du service d'ordre de la manifestation du dimanche ne se serait-elle pas abattue sur l'un d'eux ? Je rends à cet égard hommage à ce service d'ordre qui a protégé plusieurs vitrines. J'ai par exemple assisté, le dimanche matin et en présence de M. Portier, au regroupement de toute une bande d'individus qui ne nous inspiraient, c'est le moins que l'on puisse dire, guère confiance sur la place Bel-Air. Je n'ai pas l'impression que les policiers avaient, à ce moment, particulièrement envie de se frotter à ce groupe. Or, j'ai vu de mes propres yeux mon collègue Pagani, diffamé tout à l'heure, s'efforcer de calmer les esprits et de faire reculer ce groupe.
Il est vrai que j'ai eu froid dans le dos lorsqu'à l'extrémité du pont de la Coulouvrenière, M. Portier et moi-même avons aperçu des jeunes sortir de leurs sacs des cocktails Molotov et les mettre dans leur poche. Il est vrai que j'ai peut-être dépassé ma mission d'observateur parlementaire en avisant l'officier de police sur place de ces faits extrêmement graves et du risque encouru par tout le monde. J'ai également signalé les pierres et autres éléments stockés sur la place Bel-Air et prêts à être jetés sur la police. Il est en outre exact que j'ai participé à la tentative pour sortir certaines personnes de la situation de confrontation avec les manifestants dans laquelle se trouvait la police. J'ai également essayé de préserver le magasin «Lacoste». Enfin, j'ai ramassé des sacs avec des bouteilles afin d'éviter qu'elles ne soient lancées sur des flics. Si je vous fais part de ces faits, c'est parce qu'il est un moment où je considère que notre devoir de député était aussi... (L'orateur insiste sur ce terme.) ...d'intervenir. Je ne porte pas de jugement sur les événements qui se sont déroulés sur le pont du Mont-Blanc le lundi soir, car je ne me trouvais pas sur place. Je pense cependant qu'il était également de notre devoir d'essayer de calmer les esprits, d'empêcher des débordements et de signaler tout fait grave à la police.
Voilà quels ont été les événements. Nous avons vécu une nuit horrible. Aujourd'hui, je crois qu'il nous faut, les uns et les autres, procéder à une analyse de ces faits. J'estime personnellement que la police a fort bien accompli son travail lors des événements du dimanche auxquels j'ai assisté, et je l'en remercie. Ceux qui aujourd'hui la critiquent et l'accusent d'avoir mal fait son travail pourraient-ils me dire quelle aurait été la situation si la police n'avait pas été présente ?! Cela aurait été une autre mise à sac !
Par ailleurs, certains voudraient à tout prix nous faire croire aujourd'hui que la situation aurait été meilleure si la manifestation du dimanche avait été interdite. Je me réfère pour ma part à un seul élément: le rapport de M. Arbenz, personnalité bien connue de ce pays - et du parti radical, Monsieur Büchi ! - colonel dans l'armée, qui a signé le lundi matin, en compagnie de la police et des organisateurs de la manifestation, le rapport prenant acte du fait que toutes les parties étaient satisfaites de l'application du protocole que vous dénigrez ce soir, mais qui a diablement rendu service ! Monsieur le président, je demande personnellement que ce protocole soit diffusé parmi tous les députés du Grand Conseil et figure au procès-verbal de la séance. (Brouhaha.)Des députés n'ont en effet manifestement pas connaissance de son contenu. Je ne pense pas que le Conseil d'Etat aurait accepté de le signer s'il avait été aussi défaillant que vous le prétendez. Ce protocole établit très clairement le rôle de la police et celui du service d'ordre. J'arrive à la conclusion de mon intervention...
Le président. Oui, car vous parlez depuis six minutes !
M. Christian Grobet. ... en faisant remarquer qu'il serait prématuré de voter cette motion ce soir. Je demande pour ma part le renvoi de cette dernière en commission afin que la mission de la commission d'enquête puisse être très clairement définie. Deux motions formulent du reste la même proposition. Je demande que celle du parti socialiste soit également renvoyée en commission.
En conclusion, j'espère que la commission d'enquête à venir nous permettra de travailler plus sereinement que ce soir, de nous attaquer aux véritables problèmes et d'y apporter des solutions qui nous permettront de mieux travailler à l'avenir. Voilà ce qui importe ! (Applaudissements.)
Le président. Je donne encore la parole à M. Follonier, qui est l'un des signataires de la motion 1547. Comme nous ne voterons à l'évidence rien du tout ce soir, la discussion reprendra demain soir, après le traitement de la résolution sur le CEVA. Il est inutile de poursuivre le débat puisque, bien que je vous aie demandé de vous exprimer sur la motion 1547 et les amendements qui ont été déposés, vous continuez le débat général ! La parole est donc à M. Follonier, qui sera le dernier intervenant de la soirée puisque nous sommes convoqués jusqu'à 23h.
M. Jacques Follonier (R). Pourquoi une commission d'enquête ? Parce que nous sommes coupables ! (Brouhaha.)Je constate à cet égard, avec un étonnement relatif, que la motion 1547 n'intéresse pas beaucoup de monde dans cette enceinte. Pourtant, je suis pour ma part parfaitement scandalisé par l'attitude de M. Grobet, qui a affirmé ce soir que nous ne pouvions pas être au courant des événements qui se produiraient. J'aimerais rappeler aux membres de ce parlement que je vous ai envoyé en date du 23 mai un e-mail, e-mail que je souhaite lire à l'ensemble de ce parlement pour ceux qui n'auraient pas eu le temps d'en prendre connaissance. (Protestations.)
Des voix. On l'a lu !
M. Jacques Follonier. Cela dit, les pharmaciens genevois ont reçu ces derniers jours, après s'être inquiétés auprès du pharmacien cantonal, une liste de produits que certaines personnes cherchaient à se procurer ces derniers temps dans les pharmacies, à savoir: du nitrate de potassium, du chlorate de sodium, du souffre, des oxydants, des réducteurs, de l'acide sulfurique et de l'acide nitrique. Il n'est pas besoin d'être chimiste ou d'avoir fait HES pour savoir qu'il s'agit de produits détonants et que, lorsqu'on les mêle les uns aux autres, ils possèdent une capacité extrême de mélange. Bien entendu, comme on l'a dit, les pharmaciens n'ont pas livré ces produits. Mais cette liste m'a amené à me poser deux questions, et je souhaite qu'elles vous interpellent un tant soit peu. Ma première question était la suivante: pourquoi, quinze jours avant le G8, des personnes souhaitaient obtenir ce genre de produits ? Ces personnes étaient-elles vraiment originaires d'Allemagne et de Hollande ou s'agissait-il de personnes résidant à Genève ? Ma seconde question était celle-ci: s'il s'agissait d'altermondialistes étrangers, pourquoi être venus acheter ces produits à Genève ? (L'orateur est interpellé.)Vous savez certainement qu'un jeune homme a été conduit à la clinique d'ophtalmologie, parce qu'une bombe lui a explosé aux yeux. Un deuxième adolescent genevois a été conduit aux urgences, et cela une semaine avant le G8, parce qu'une bombe l'a pratiquement défiguré ! Tous ces faits étaient largement connus; beaucoup d'entre vous le savaient, mais personne n'a bronché ! Alors, au jour d'aujourd'hui, je répondrai à la remarque de M. Grobet selon laquelle nous défendrions très mal notre conseiller d'Etat. Je lui réponds que nous défendons notre conseiller d'Etat en charge du département de justice, police et sécurité et que nous le défendrons envers et contre tout. Ce n'est pas là qu'il faut chercher les responsables ! C'est à la commission d'enquête qu'il incombera de mettre à jour ce point important. Parmi les responsables figurent forcément le Forum lémanique romand ainsi que l'attitude de MM. Decarro et de Marcellus, lesquels nous ont béatement fait croire qu'ils maîtrisaient cette manifestation alors que cela n'était visiblement pas le cas. (Brouhaha.)Mais je regrette d'avoir à vous dire, Mesdames et Messieurs les députés, que vous êtes tous, autant les uns que les autres, responsables ! C'est parmi nous qu'il faudra chercher les responsables de ce cafouillage ! Mine de rien, je me rappelle de M. Hodgers nous disant d'une manière bonhomme: «Mais enfin, à l'époque, rappelez-vous, la foule a maîtrisé les casseurs à Florence ! Faisons de même à Genève !». Eh bien, c'est ce que l'on a fait, et l'on a vu le résultat... Je suis navré d'avoir à déclarer que ce résultat est négatif. Le parlement devra rendre des comptes à la population, et ceux qui, dans les bancs de l'Alternative, croient pouvoir se défiler en affirmant que le résultat n'a pas été si mauvais que cela ont tort et ils le paieront, je l'espère, très cher ! (Applaudissements.)
Le président. Avant de lever la séance, je donne lecture de la liste des orateurs qui sont inscrits demain et qui devront débattre d'abord du renvoi en commission... (Le président est interpellé.)Non, non: il ne faut pas vous inscrire ! Je sais très bien où l'on s'arrête dans la liste !
Sont donc inscrits MM. Brunier, Kanaan, Catelain, Muller, Guérini, Hiler, Mettan, Marcet et Pagani - car il nous manquait un intervenant de l'AdG. Il nous faudra encore un intervenant radical, après quoi nous nous arrêterons, tous les partis étant représentés. (Protestations.)Il s'agit d'une décision du Bureau.
La séance est levée à 23h05.