République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 2 mai 2003 à 14h
55e législature - 2e année - 7e session - 41e séance
PL 8660-A
Premier débat
M. Alain Meylan (L), rapporteur de majorité. J'aimerais juste préciser que ce projet de loi - Mme Künzler l'a dit tout à l'heure - est une modification de la LDTR, souvent source de longs débats... Mais celui qui nous occupe maintenant donne vraiment la possibilité aux locataires d'acquérir leur logement et permet de clarifier la situation légale, sans remettre en question le fondement de la loi.
Je ferai une remarque par rapport aux explications qui ont été données par les rapporteurs de minorité... Le lecteur averti aura en effet remarqué que les deux rapports de minorité évoquent le délai de deux ans qui peut s'écouler avant de pouvoir acquérir son logement. Cette durée a été allongée à trois ans par la commission, pour tenir compte, justement, d'une certaine proportionnalité des avis des uns et des autres, ce qui est effectivement plus adéquat.
Pour le reste, nous aurons l'occasion de discuter de l'amendement qui vous a été distribué sur vos places et qui répond en partie à la crainte du rapporteur de minorité, M. le député Velasco.
M. Christian Grobet (AdG), rapporteur de première minorité. La mémoire de certains députés est courte... Nous, nous n'avons pas oublié ce qui s'est passé dans notre canton, il y a vingt-cinq ans !
Une voix. Les blocages de Grobet !
M. Christian Grobet. Les blocages de Grobet... Je crois, au contraire, avoir débloqué beaucoup de dossiers lorsque j'étais chef du département des travaux publics, figurez-vous !
Par contre, j'ai effectivement fait ce que je pouvais pour bloquer les procédures scélérates consistant à vider les locataires pour vendre les appartements qu'ils occupaient, opérations menées par un certain nombre de spéculateurs de sinistre renom dont je m'abstiendrai de citer les noms ici.
Au début des années 80, la pénurie de logements s'est accentuée, comme elle est en train de s'accentuer aujourd'hui, et il est vite apparu à certains malins que l'on pouvait faire des profits énormes - en tout cas encore plus importants - en saucissonnant un immeuble, c'est-à-dire en le vendant appartement par appartement, plutôt qu'en vendant l'immeuble dans son entier. Et c'est ainsi que des dizaines ou des centaines d'immeubles ont vu leur régime juridique être modifié et des régimes de propriété par étage être mis en place et inscrits au registre foncier. C'était la première étape.
Ensuite, la deuxième étape: c'est évidemment la démarche, la plupart du temps verbale, pour signaler au locataire qu'il avait l'occasion unique d'acheter son appartement et de devenir propriétaire - tous les arguments habituels utilisés par certains représentants des milieux immobiliers - tout en ajoutant que, s'il n'était pas d'accord, il devrait partir... Et c'est en fait ce qui s'est passé ! A partir du moment où un certain nombre de spéculateurs, pour ne pas dire d'aigrefins, se sont rendu compte qu'il y avait de bonnes affaires à effectuer, de nombreux locataires ont reçu leur congé sans la moindre indication des motifs ou, alors, ces motifs étaient fallacieux, le but de l'exercice étant, bien entendu, de faire partir les locataires pour pouvoir vendre ces appartements...
D'autres ont subi - surtout des personnes âgées - des pressions intolérables de certains de ces spéculateurs et ont, finalement, dans l'espoir de conserver leur appartement, décidé de l'acheter. La population genevoise a été indignée de ce genre de procédé et les milieux des locataires ont lancé une initiative visant à soumettre à autorisation la vente d'appartements. Le problème, sur le plan légal, était délicat, parce qu'entre les exigences du droit fédéral en matière du respect du droit de la propriété, des dispositions légales sur la propriété par étage dans le code civil, qui s'appliquaient soi-disant de manière exhaustive, la marge pour légiférer était relativement étroite. Il paraissait notamment contraire au droit fédéral de prévoir une interdiction de vente. C'est pour cela que l'initiative a préconisé le régime de l'obtention d'autorisation pour vendre un appartement locatif.
Malgré cela, après l'adoption de cette initiative à une énorme majorité de la population, six recours au moins ont été interjetés au Tribunal fédéral, tant par la Chambre immobilière et d'autres associations représentant les milieux immobiliers que par des propriétaires, personnes physiques. Et, finalement, après un long débat intéressant sur le plan juridique, le Tribunal fédéral a admis la constitutionnalité de la disposition qui a été introduite dans la LDTR pour protéger les locataires contre ces procédés et, surtout - et surtout - pour maintenir des logements bon marché sur le marché locatif. Et le Tribunal fédéral l'a bien compris, le fait de changer le statut d'un appartement locatif en un appartement en propriété par étage a pour conséquence un changement qualitatif. Ainsi, la mission de la LDTR qui consiste à protéger les logements bon marché - mission qui a été reconnue d'intérêt général par le Tribunal fédéral - ne serait pas remplie, précisément à cause du changement de statut des appartements. A l'étonnement des juristes de la couronne - mais nous, les initiants, étions confiants - le texte voté par le peuple a été approuvé par le Tribunal fédéral.
Depuis lors, il a été appliqué, ce qui a eu pour effet de stopper immédiatement le phénomène des congés-vente, et la spéculation dans ce domaine a été très fortement diminuée. Bien entendu, des moyens de contourner la loi ont vu le jour, notamment en mettant en faillite des immeubles qui avaient fait l'objet des pires spéculations, et c'est cela le paradoxe de la situation car, finalement, les appartements qu'on a voulu protéger ont été vendus, parce que le Tribunal fédéral a considéré, sur ce point, que la modification apportée il y a deux ou trois ans à la LDTR n'était pas compatible avec le droit fédéral. De sorte que ces appartements-là ne sont malheureusement pas protégés.
C'est dire que le texte de l'article 39 est une construction très délicate. Et, à partir du moment où on enlève un des éléments de cet article, l'édifice s'effondre, ce qui est précisément le but poursuivi par le projet de loi qui nous est soumis ce soir... En ajoutant cet alinéa stipulant, je cite: «qu'un appartement est librement acquis par le locataire en place depuis au moins trois ans pour y maintenir son domicile, les personnes faisant ménage commun avec lui bénéficiant avec l'accord du locataire du même droit aux mêmes conditions», on ouvre la porte à ce que le processus des congés-vente fasse sa réapparition, alors qu'il avait été supprimé grâce à l'initiative acceptée lors de la votation populaire de 1985.
Nous ne sommes pas étonnés, de manière générale, que la droite veuille remettre en cause certaines dispositions de la LDTR... Et depuis l'adoption de cette loi en votation populaire, en 1983, les tentatives pour affaiblir cette loi ont été constantes, mais j'avoue qu'il est particulièrement choquant que la droite ait décidé, surtout en cette période de grave pénurie du logement, de vouloir s'attaquer à une disposition légale particulièrement importante, puisque son but est de protéger les locataires des abus des propriétaires, qui entreprennent des démarches pour les faire partir de leurs appartements afin de pouvoir les mettre en vente, et ce, uniquement pour réaliser un bénéfice.
On nous dit que le but de cette disposition est de faciliter l'accession à la propriété et qu'il ne faut pas nous faire de souci, que cela ne concernera que les locataires qui sont là depuis trois ans... Ce ne sont que des fariboles ! Les juristes qui ont concocté ce texte savent très bien la portée qu'il aura et quel est le message qui sera donné aux milieux immobiliers: remettre la compresse pour supprimer des appartements locatifs bon marché, dont nous avons, ô combien, besoin aujourd'hui, au profit de logements qui ne sont accessibles qu'à une minorité de la population.
En conclusion, je dirai simplement qu'il est scandaleux aujourd'hui de vouloir retirer du marché des logements encore bon marché pour en faire des logements réservés à une petite catégorie de la population, au moment où les loyers sont en train de s'envoler ! Parce que chaque fois qu'un locataire quitte un appartement, il faut voir comment les régisseurs adaptent les loyers: le moindre quatre-pièces coûte 2500 F lorsqu'il est remis en location, ce qui rend les logements totalement inaccessibles à une grande partie de la population et tout particulièrement aux jeunes. Je le répète, c'est un véritable scandale !
Bien entendu, nous savons quelles sont vos intentions, et nous vous informons d'ores et déjà qu'un référendum sera lancé contre cette loi pour maintenir le statu quo, maintenir la protection des locataires contre les congés-vente.
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de deuxième minorité. Ce projet de loi a toute son importance, quand on sait que les taux de vacance des logements sont aujourd'hui en dessous de 0,2%, alors que la limite est normalement de 2%. Pour nous, ce projet de loi pose des problèmes, vu les conditions actuelles.
En effet, un principe de précaution figurait dans la loi, je veux parler de l'article 39, alinéa 3, qui permettait de préserver les locataires en prévenant, précisément, ces changements d'affectation progressifs. Or, le projet de loi tel qu'il nous est soumis abroge purement et simplement cet alinéa, ce que nous trouvons inadmissible !
Par ailleurs, ce projet de loi simplifie effectivement l'acte d'achat et l'accès à la propriété, à prix soi-disant réduit, pour des locataires en place. Mais cela veut dire aussi que ces locataires, devenus propriétaires, pourront un jour réaliser la vente de leur logement pour des raisons spéculatives. Et ce jeu de reventes risque de réduire singulièrement le parc de logements locatifs, ce qui pose un grave problème dans la mesure où le nombre de logements sociaux a déjà fortement diminué dans notre canton.
En réalité, même si le but de ce projet de loi est de faciliter l'accession à la propriété pour certains locataires, il aura pour conséquence qu'un nombre important de locataires - et notre canton est un canton de locataires - ne seront plus en mesure de payer les loyers.
D'autre part - et les chiffres fournis par l'office cantonal du logement figurent dans mon rapport - on constate que seulement 5,34% de la population serait intéressée par l'achat d'un appartement, au-delà d'un revenu de 100 000 F - même si certains chiffres parlent de 13% selon qui les donne. Quoi qu'il en soit, c'est une toute petite part de la population genevoise qui aurait les moyens d'acquérir son logement. Cela aurait également pour conséquence d'exercer une pression sur les locataires qui, eux, n'ont pas la possibilité de les acheter.
Pour toutes ces raisons, nous nous opposerons à ce projet de loi tel qu'il nous est proposé. Et comme l'a fait mon préopinant, M. Grobet, je vous annonce que l'Asloca qui défend les locataires a décidé de lancer un référendum au cas où ce projet de loi serait accepté.
M. Mark Muller (L). Comme l'a rappelé tout à l'heure le rapporteur de majorité, ce projet de loi n'a pour seule ambition que de clarifier la loi actuelle et notamment les conditions auxquelles les locataires peuvent acquérir le logement qu'ils occupent depuis un certain nombre d'années, pour autant, bien sûr, que le propriétaire veuille le vendre. Cela figure dans l'exposé des motifs du projet de loi; cela figure en toutes lettres dans le rapport et cela figure également en toutes lettres dans un courrier que le professeur Michel Hottelier, professeur de droit à l'université de Genève, a établi au sujet de ce projet de loi. J'ai remis ce texte au Bureau du Grand Conseil. Il est à votre disposition, je le cite: «Le projet de loi 8660 n'apporte pas de bouleversement majeur dans la réglementation genevoise applicable à l'aliénation d'appartements en faveur des locataires en place. Loin de conduire à un démantèlement des dispositions pertinentes de la LDTR, ce projet de loi se contente d'apporter une clarification et une simplification des règles applicables, lesquelles s'inscrivent dans le cadre tracé par la jurisprudence.»
Mesdames et Messieurs les députés, il s'agit bien de codifier la jurisprudence et de clarifier la loi, pour permettre au citoyen qui voudrait acheter son appartement de savoir à quelles conditions il peut le faire. Car il faut reconnaître que, jusqu'alors, il n'était pas très facile pour lui de s'y retrouver en lisant la LDTR.
Alors quand j'entends M. Grobet ou M. Velasco, annoncer tout à coup qu'un référendum va être lancé par l'Asloca, les chaussettes m'en tombent, Mesdames et Messieurs les députés ! Il s'agirait d'un référendum purement démagogique - et je comprends très bien les raisons qui amèneraient l'Asloca à lancer un tel référendum dans le cadre de son initiative sur les loyers loyaux - et tout à fait extrémiste puisqu'il s'attaquerait, en fait, à une loi qui ne modifie strictement rien sur le fond. En effet, cette loi ne fait que clarifier la situation pour permettre aux locataires de savoir dans quelles conditions ils peuvent devenir propriétaires de leur logement, dès lors qu'ils l'occupent depuis un certain nombre d'années - trois, en l'occurrence.
M. Grobet a tout à l'heure essayé de vous faire croire qu'on allait assister au retour des congés-vente... J'espère que vous avez bien compris à quel point ce discours ne correspond pas à ce qu'on vous propose concrètement !
Pour commencer, un congé-vente implique déjà qu'il y ait un congé... Or, dans le projet qui nous occupe, on parle d'acquisition de son logement par le locataire en place. Il n'est donc absolument pas question de congé ! On s'adresse ici à des locataires - et il est du reste surprenant que l'Asloca ne soutienne pas ce projet de loi - qui sont intéressés à acquérir leur propre logement.
Mais nous savons bien de quoi vous avez peur, Mesdames et Messieurs - et personnellement je n'ai pas peur de le dire - vous avez peur de perdre un électorat et une clientèle !
Une voix. Eh oui !
M. Mark Muller. Mesdames et Messieurs, vous n'allez pas continuer à tromper longtemps votre monde avec vos arguments simplistes ! Lancez ce référendum ! Nous vous attendons, et nous démontrerons à la population qu'il s'agit d'un référendum démagogique et extrémiste ! (Applaudissements.)
M. Pascal Pétroz (PDC). Nous allons effectivement être appelés prochainement à voter sur une initiative populaire qui s'intitule «Pour des loyers loyaux». J'en déduis que les milieux que représente l'Asloca soutiennent le caractère loyal de ce débat... Car quand on veut des loyers loyaux, on doit aussi vouloir des débats loyaux... Et quand on veut des débats loyaux, on regarde les choses comme elles sont et non pas comme on voudrait qu'elles soient ou comme on dit qu'elles devraient être.
Il faut être clairs, Mesdames et Messieurs les députés, la pratique des congés-vente est inadmissible. Dire à un locataire en place qu'il a le choix entre acheter ou partir est scandaleux ! A l'époque, il s'agissait d'un problème bien réel, et c'est une bonne chose que notre parlement ait pris des mesures pour lutter contre cette pratique choquante.
Mais, Mesdames et Messieurs les députés, qu'a-t-on fait pour lutter contre la pratique des congés-vente ? On a quasiment interdit toute vente d'appartements ! A ce sujet, il est assez édifiant de lire la LDTR... On y apprend que pour qu'une vente d'appartement puisse se faire, il faut un motif d'intérêt général... Et que voit-on dans ces motifs d'intérêts généraux ? Que pour pouvoir vendre ou acheter un appartement - M. Velasco l'a rappelé en page 11 de son rapport - il faut que 60% des locataires en place acceptent cette acquisition ! Cela veut dire que si j'ai envie d'acheter un appartement, dont je suis locataire, parce que je m'y sens bien, parce que mes revenus professionnels ont augmenté, parce que l'endroit me plaît et que j'ai envie d'en devenir le propriétaire - ce qui est parfaitement légitime - je devrais faire la tournée des popotes - si vous me passez l'expression - et sonner à la porte de tous les locataires pour que ceux-ci veuillent bien me donner l'autorisation de l'acquérir... Je trouve cela un peu curieux ! Il me semble que vouloir acheter un appartement est quelque chose de parfaitement légitime - je le répète - et je ne crois pas que ce soit aux voisins de donner leur aval ou non. Cette démarche est tout à fait inacceptable !
Pour éviter que le phénomène des congés-vente ne réapparaisse et pour autoriser les ventes d'appartements, pour autant qu'elles soient légitimes, nous avons élaboré un projet prévoyant que le locataire en place peut acheter son logement.
Et la modification qui vous est proposée aujourd'hui fixe une cautèle d'importance, puisqu'il est mentionné que le locataire en place est libre d'acquérir son logement. Cette notion de liberté annule vos arguments selon lesquels cette loi est un risque de revenir aux congés-vente. C'est aussi simple que cela, et prétendre le contraire va à l'encontre du contenu de la loi ! Visiblement, certaines personnes ont des manières de lire un peu sélectives... Moi, je vois écrit dans ce projet de loi le mot «librement». C'est ce mot qu'il faut garder en tête, car il ne peut y avoir de congés-vente à partir du moment où les locataires sont libres.
C'est la raison pour laquelle nous soutiendrons - nous, les démocrates-chrétiens - cet excellent projet de loi, et nous nous réjouissons d'en découdre devant le peuple, car nous gagnerons ! (Applaudissements.)
Le président. Je souhaite tout de même que nous avancions dans nos débats, car nous n'avons pas beaucoup avancé jusqu'à présent...
Sont inscrits: M. Sommaruga, M. Kunz, Mme Künzler, puis M. Cramer. Ensuite, nous aborderons le vote d'entrée en matière, avant de passer aux amendements. (Exclamations.)En fait ce sera M. Moutinot et non M. Cramer... Mais, rassurez-vous, un seul conseiller d'Etat s'exprimera !
Monsieur Sommaruga, vous avez la parole.
M. Carlo Sommaruga (S). La LDTR a instauré, il y a un certain nombre d'années, suite à des votes populaires, une protection des locataires par la protection du parc immobilier locatif. La LDTR n'a jamais empêché la construction d'appartements en PPE ou la vente de logements en PPE. La revente d'appartements en PPE n'a jamais empêché que des logements qui étaient destinés, dès leur création, à la propriété individuelle soient revendus.
En d'autres termes, aujourd'hui, la personne qui souhaite acheter un appartement en propriété par étage, dans un immeuble qui, dès le départ, était affecté à cette situation ou qui a rejoint cette situation avant 1985 de manière individualisée, peut l'acquérir.
Aujourd'hui, qu'est-ce que l'on veut faire ? L'on veut, par ce projet de loi, s'attaquer au parc locatif c'est-à-dire les logements qui sont occupés par des locataires. Des locataires qui ont fait le choix de ne pas acquérir le logement. Alors, on vient nous dire qu'en fait l'on favorise le locataire par ce projet de loi. Mais c'est faux ! On ne fait que favoriser le propriétaire de l'immeuble qui entend, lui, réaliser son immeuble en ventes immobilières individualisées pour chaque appartement et réaliser la plus-value. Parce que si, effectivement, les milieux immobiliers, qui sont à l'origine de ce projet de loi, souhaitaient vraiment favoriser le locataire, ce n'est pas ce projet de loi qu'ils proposeraient, mais ils proposeraient au niveau national que les locataires aient un droit d'emption sur l'appartement. C'est-à-dire que lorsque le locataire le souhaite, il puisse acquérir son logement. Or, ce n'est pas ça ! Les milieux immobiliers contestent cela. Pourquoi ? Parce qu'ils souhaitent que la décision définitive et finale soit celle du propriétaire; que lui puisse poser les conditions en termes d'argent et de temps, et que le locataire, finalement, se soumette à cela.
Donc, il n'y a pas ici de favorisation des locataires ! Il s'agit en fait uniquement de favoriser la réalisation de la plus-value des propriétaires, et ceci, sur le dos des locataires...
On vient nous dire que tout ça n'a pas de conséquences pour les autres locataires de l'immeuble... C'est faux et archifaux ! Le simple fait d'imaginer que cette disposition légale soit appliquée aboutirait à la possibilité, hypothétique, qu'on ait quelques appartements vendus dans l'immeuble. Or, selon la jurisprudence actuelle, le propriétaire pourrait vendre les autres appartements même à des personnes qui ne sont pas des locataires en place, puisque le processus de vente de l'immeuble, appartement par appartement, c'est-à-dire l'éclatement de l'immeuble, est effectivement en cours. Ainsi il obtiendrait, sur la base de la jurisprudence actuelle, la possibilité de vendre le reste de l'immeuble. Alors, venir dire qu'il s'agit là, en fait, de favoriser un locataire dans un immeuble qui souhaite acheter, c'est à terme amener l'ensemble de l'immeuble, finalement, à être éclaté et mettre la pression sur l'ensemble des locataires de l'immeuble.
Finalement, on vient nous dire que ce n'est pas les congés-vente... C'est jouer sur les mots, Mesdames et Messieurs ! Je rappelle que, aujourd'hui, il y a nombre de locataires qui reçoivent leur congé au motif que leur appartement, passé en PPE, est réalisé dans le cadre de faillites ou le cadre de réalisations de gages. Ainsi l'office des faillites ou l'office des poursuites réalise le travail ou termine le travail des spéculateurs immobiliers entamé il y a quinze ans ou dix ans. Il s'agit de projets passés à l'office des poursuites, parce que les spéculateurs n'ont pas pu aller jusqu'au bout.
On voit aujourd'hui des sociétés qui vendent les appartements à des tiers et, naturellement, que se passe-t'il après le congé ? Le locataire est placé devant le choix de partir ou d'acheter ! C'est exactement la même situation ! C'est une nouvelle forme !
Je vous renvoie, Monsieur Muller, à une situation qui a été déjà dénoncée: Château Banquet. Une locataire est venue témoigner à la télévision pour démontrer quelle est sa situation: donner le congé, pour ensuite amener le locataire à acheter. Une fois qu'il a reçu le congé donné lui dire: nous, on vous donne une prolongation, mais, naturellement, vous perdez votre logement... et, dans la situation de crise, vous n'aurez pas de solution de rechange à ces prix-là. Le locataire achète s'il a les moyens. Mais ceux qui n'ont pas les moyens se trouvent en situation de difficulté.
Vous savez exactement que le processus, aujourd'hui, n'est pas un processus de favorisation des locataires, mais une attaque directe sur le parc locatif, une attaque directe pour l'ensemble des locataires de ce canton.
En plus, ce ne sont pas les logements les plus chers qui vont être mis sur le marché et être amenés à la vente, ce sont les appartements bon marché, c'est-à-dire que l'on va perdre progressivement les logements les meilleur marché de ce canton. Il faut que les locataires le sachent. Il ne s'agit pas de réglementer la vente, par hypothèse, du dernier immeuble construit, parce que la vente de cet immeuble elle pourrait se faire dans la mesure où le propriétaire a obtenu la possibilité de le construire en PPE. Ici, il s'agit d'autre chose: il s'agit de rendre des immeubles qui sont en centre-ville, à savoir tous les immeubles des quartiers qui entourent la couronne historique de Genève, les immeubles fazistes où l'on trouve encore des grands appartements bon marché, afin de réaliser là-dessus la plus-value. C'est ceci qui est inadmissible, et c'est ceci qui est en jeu derrière ce changement de loi !
Venir nous dire que ce projet de loi, avec une lettre d'un professeur d'université, ne fait que confirmer la pratique... Mais alors, Monsieur Muller, retirez ce projet de loi s'il ne fait que confirmer la pratique ! Alors, si vous souhaitez voter ce projet de loi, c'est qu'il va bien plus loin que la pratique et que la jurisprudence actuelle, et vous le savez pertinemment, mais vous ne tromperez personne !
Dans ces conditions-là, il est clair qu'on ne peut pas accepter ce projet et l'Asloca - et je tiens à le souligner - appuyée par le Rassemblement pour une politique sociale du logement, a décidé, effectivement, de lancer un référendum. Certes, on peut se poser la question de savoir pourquoi certains partis, qui sont représentés au sein du Rassemblement, ne soutiennent pas cette position. Mais il est vrai que ces mêmes partis qui soutenaient - il y a quelques années ou une dizaine d'années - les projets de lois de défense du parc locatif, aujourd'hui ont fait un choix stratégique, par son courant majoritaire de soutenir les propriétaires immobiliers. Et ceci est grave.
Maintenant, si l'on en vient aux détails mêmes de la loi...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député !
M. Carlo Sommaruga. Alors dire qu'au bout de trois ans le locataire peut acheter... mais, c'est favoriser les propriétaires afin qu'ils placent dans les appartements des locataires qui ont les moyens de les acheter au bout de trois ans ! Nous avons déjà des cas concrets de ces situations ! Aujourd'hui, nous le voyons dans les procédures administratives ! C'est ça, la réalité ! Et, en fait, on va créer des locataires fictifs, et on aura laissé des appartements vacants pour trouver le locataire qui, finalement, a les moyens d'acheter au bout trois ans ! C'est ça !
Donc, de nouveau des appartements vacants, une pénurie accrue des logements et, ensuite, la suppression de logements bon marché et la pression sur l'ensemble des locataires de ce canton ! Non, on ne veut pas de cela aujourd'hui, et c'est irresponsable de le proposer ! (Applaudissements.)