République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 21 mars 2003 à 14h
55e législature - 2e année - 6e session - 28e séance
PL 8952 et objet(s) lié(s)
Préconsultation
Le président. De nombreux orateurs se sont inscrits. Je vous propose cependant de procéder par ordre. Nous examinerons en premier lieu le projet de loi 8952 selon la procédure de prise en considération de ce projet de loi. Nous examinerons ensuite les différents rapports, dont nous prendrons acte dans un seul débat. Seul un député par groupe peut donc intervenir durant un maximum de cinq minutes sur le PL 8952. Si certains députés souhaitent également intervenir sur l'une des motions, ils se réinscriront par la suite.
Mme Marie-Françoise De Tassigny (R). Enfin, le grand jour des tout-petits est arrivé ! Cela représente une grande étape et une reconnaissance du secteur de la petite enfance. Depuis le temps que l'on scrutait l'horizon afin d'obtenir une loi pour harmoniser et soutenir les institutions de la petite enfance ! Tous les cantons romands nous ont devancés: ils avaient déjà planché sur le sujet et approuvé une base législative régissant ce secteur toujours plus soutenu et sollicité par la population.
Comme un beau bébé, ce projet de loi a été longuement pensé, imaginé, rêvé par les partenaires qui travaillent autour du jeune enfant. Ce bébé a été soupesé, mesuré et peaufiné par l'Association des communes genevoises. Sa marraine, Mme Brunschwig Graf, a imaginé ses contours ainsi que son coût. Je suis convaincue que ce projet de loi, qui est le fruit d'une longue réflexion, trouvera un bon accueil - et dans les meilleurs délais - à la commission de l'enseignement. Le temps "urge": les familles genevoises réclament des lieux de garde en nombre et en qualité. Ces dernières ne comprendraient pas que la petite enfance ne soit pas soutenue par le canton.
Le groupe radical vous recommande d'adresser ce projet à la commission de l'enseignement. (Applaudissements.)
Mme Janine Hagmann (L). Il est évident que le groupe libéral se réjouit également d'étudier ce projet de loi à la commission de l'enseignement, d'autant plus que cette dernière l'attendait. Une copie conforme du PL 8952, déposé par les socialistes, est actuellement en attente - les socialistes ayant copié le projet de loi de Mme Brunschwig Graf afin de pouvoir en proposer un avant le sien. (Protestations.)Le groupe libéral restant très attaché à la liberté de chacun, il ne manifeste toutefois pas le même enthousiasme que Mme De Tassigny à l'encontre de ce texte. Si des structures d'accueil sont certes nécessaires au vu des nombreuses demandes, chacun doit disposer du droit d'élever comme bon lui semble son enfant jusqu'à l'âge de quatre ans. Plusieurs possibilités existent pour les parents de jeunes enfants: la maman peut, par exemple, rester à la maison ou trouver une aide pour la garde des enfants. Les préoccupations du groupe libéral sont d'ailleurs connues à l'égard du chèque-emploi, qui permettrait de légaliser certaines situations actuellement au gris. Outre les structures d'accueil de la petite enfance, les mamans de jour constituent une autre possibilité. Il n'est pas question, pour le groupe libéral, d'étatiser ce système, ni même de municipaliser les crèches. Laissons cela à la Ville de Genève pour l'instant...
Tout le monde s'est penché sur le financement des crèches. L'exposé des motifs indique à cet égard qu'«il a paru normal au Conseil d'Etat de faire une différence, comme cela se fait dans d'autres domaines, entre les communes favorisées et celles moins favorisées financièrement». Il s'agira de débattre de ce point. Il existe une grande différence dans les montants dont s'acquittent les personnes qui paient les impôts. J'estime que chacun peut bénéficier du droit de recevoir une aide en retour.
Nous avons, par ailleurs, reçu un tableau d'apparence très compliquée présentant différentes courbes relatives à l'investissement des nouvelles structures d'accueil. Mme Brunschwig Graf nous avait promis que cinq millions placés dans le fonds d'équipement communal étaient réservés au subventionnement de ces crèches. Or, la présentation des comptes a réservé un autre sort à ces cinq millions. Il faudra donc réfléchir à la manière de financer ces structures. D'autre part, je vous rappelle qu'il faut trouver un bassin de population suffisant pour créer une crèche. Qu'une municipalité veuille absolument créer une crèche me semble impossible; des regroupements de communes sont indispensables.
Une voix. Comme le GICAL !
Mme Janine Hagmann. Oui, mais il faudrait que l'opération réussisse dans ce cas !
J'ai lu, il y a quelques jours, un article de Lynn Mackenzie, que toutes les femmes de ce parlement apprécient pour son intelligence et sa beauté: selon cette économiste, les crèches nourrissent la croissance car, la structure d'accueil s'intégrant dans un circuit économique, un franc investi dans une crèche en rapporte trois. Cette idée me plaît énormément. Cela me plaît en revanche moins que ce projet de loi mette sur le même pied crèches et mamans de jour en proposant une réglementation des activités de ces dernières. Voici un extrait de l'exposé des motifs suffisamment explicite: «Il apparaît en effet nécessaire que l'accueil familial à la journée (communément appelé mamans de jour) soit coordonné et géré par une structure. Les personnes responsables desdites structures devront répondre à un certain nombre de qualifications professionnelles et personnelles qui seront précisées dans le règlement d'application de la loi». La loi devrait-elle également préciser quelles sont les qualifications nécessaires pour devenir parents afin de ne plus courir aucun risque ?! Il me semble peu judicieux de légiférer à outrance à l'encontre de ces mamans de jour particulièrement dévouées.
Tout en acceptant d'étudier ce projet de loi en commission, et, à mon avis, qui ne devra pas être modifié puisqu'il a été accepté tel quel par l'ADG, je vous demande donc de garder raison: la petite enfance n'équivaut pas encore à l'école obligatoire !
Mme Nicole Lavanchy (AdG). Le projet de loi du Conseil d'Etat a été élaboré sur la base du résultat de travaux menés par la commission mandatée par le Conseil d'Etat, dans laquelle siégeaient des associations des parents, des associations des communes, des employeurs ainsi que les syndicats. Cette commission a déposé, fin 2002, son rapport sur la table du Conseil d'Etat sous la forme d'un avant-projet de loi. Ce dernier était le fruit d'un consensus obtenu après de nombreuses heures de discussions. Pour l'Alliance de gauche, cet avant-projet de loi, quoique comportant encore quelques lacunes, posait des jalons tout à fait prometteurs pour le développement d'une politique de la petite enfance cohérente et efficace.
Or, que constatons-nous aujourd'hui ? Les principaux éléments novateurs de l'avant-projet n'apparaissent plus dans le projet de loi du Conseil d'Etat. Des éléments fondamentaux ont été modifiés, voire purement supprimés. Je citerai des alinéas concernant trois thèmes indispensables à nos yeux, alinéas qui ont été jetés à la poubelle.
Le premier thème concerne le rôle des communes. L'avant-projet proposait des alinéas incitant fortement les communes n'ayant pour l'heure que très peu développé de structures sur leur territoire à le faire. La suppression de ces alinéas dénote la volonté du Conseil d'Etat de faire perdurer une inégalité d'accès des structures d'accueil pour la population genevoise - laquelle appréciera... Voici un premier exemple: l'article 4 de l'avant-projet comportait un alinéa 3 qui donnait l'injonction aux communes «d'établir, sur la base des données fournies par le canton, une planification tentant de couvrir les besoins». Or, cet alinéa a été supprimé. Je vous donne un deuxième exemple: l'article 5 de l'avant-projet comportait un alinéa 3 stipulant que «lorsqu'un enfant est accueilli dans une structure d'accueil située dans une autre commune que celle de son domicile légal, la commune du lieu de la structure d'accueil facture le prix coûtant de la journée à la commune du domicile». Cette mesure permettait aux communes possédant davantage de structures de demander à celles n'en développant pas de rétrocéder de l'argent. Cet alinéa a également été supprimé. Troisième exemple: l'avant-projet comportait à l'article 6 un alinéa 2 selon lequel «la participation financière des parents est harmonisée sur le plan cantonal, fondant ainsi une égalité de traitement d'une structure à l'autre». La suppression de cet alinéa permet la poursuite d'une politique de tarifs différenciés d'une crèche à l'autre, ce qui est inacceptable. Le lobbying des communes a, de toute évidence, joué un rôle important en coulisses pour faire supprimer les alinéas cités. Cela est d'autant moins acceptable que l'Association des communes genevoises possède un représentant au sein de cette commission.
Le deuxième thème concerne les conditions de travail des employés des crèches. Comme tout le monde le sait, la Ville de Genève et les syndicats ont signé une convention collective de travail assurant de bonnes conditions aux salariés. L'article 7, alinéa 4, paragraphe f) de l'avant-projet de loi proposait de lier le subventionnement des structures à l'application d'une convention de travail établie au niveau cantonal. Or, le Conseil d'Etat a donné aux communes le pouvoir de négocier les CTT avec les syndicats. Cette mesure provoque une nouvelle inégalité de traitement des salariés de la petite enfance d'une structure à l'autre, ce qui est inacceptable.
Le dernier thème est relatif aux conditions offertes aux familles d'accueil, plus communément nommées "mamans de jour". A l'article 9, alinéa 4, l'avant-projet de loi se proposait de salarier ces mamans de jour. Le Conseil d'Etat se contente, comme cela est le cas actuellement, d'établir un contrat-cadre. Nous aurions, pour notre part, trouvé intéressant d'étudier en commission la possibilité de salarier les mamans de jour plutôt que jeter ladite possibilité immédiatement à la poubelle!
Comme vous pouvez le constater, le Conseil d'Etat a largement dénaturé le résultat du travail mené par une commission qu'il a lui-même mandatée. C'est pourquoi l'Alliance de gauche proposera de nombreux amendements en commission de l'enseignement afin de tenter de restituer les orientations tout à fait louables prises en leur temps par la commission de la petite enfance.
Mme Ariane Wisard-Blum (Ve). Mme Brunschwig Graf, ex-présidente du département de l'instruction publique, nous laisse en héritage son dernier bébé, le projet de loi concernant la petite enfance. Son papa d'adoption, M. Charles Beer, nouveau président du département, saura l'accompagner après avoir concrétisé son désir de paternité législative au travers d'un projet de loi de son parti sur le même sujet. Le texte de loi du Conseil d'Etat, comme tout enfant très désiré et attendu depuis longtemps, peut être qualifié de précieux et mérite toute notre attention. Les députés de la commission de l'enseignement commenceront par lui présenter son grand frère, né des socialistes. Avec douceur, sans brusquerie, il faudra les aimer équitablement afin d'éviter toute jalousie - même si ce sentiment dans une fratrie est source d'échanges intéressants. Mais que la maman ne se fasse aucun souci: nous dorloterons, cajolerons, peut-être toiletterons un peu son bébé et nous vous le représenterons tout beau, grandi, pour qu'il fasse, nous l'espérons, l'unanimité et la fierté de tous!
Les Verts se réjouissent d'accueillir ce projet de loi. (Applaudissements.)
M. Sami Kanaan (S). Je suis le premier représentant du sexe masculin à prendre la parole sur ce sujet et je n'ai même pas d'enfant. Mon intervention confirme cependant la capacité du groupe socialiste à adopter une vision globale des enjeux liés à un projet.
M. John Dupraz. Tu peux quand même aller à la crèche !
M. Sami Kanaan. Je suis très surpris par la déclaration du groupe libéral, qui semble très embarrassé par ce projet: il voudrait pouvoir le soutenir sans y arriver et trouve de multiples raisons pour le critiquer avant même le début de la discussion !
J'aimerais rappeler à ce groupe que la liberté - qui leur est chère et qui nous l'est également - est actuellement impossible, car ceux qui souhaitent confier leurs enfants à des crèches ne le peuvent pas, faute de places disponibles. Nous n'avons jamais souhaité rendre la crèche obligatoire: il s'agit simplement de la rendre accessible à tous, y compris aux personnes ayant un revenu modeste ou domiciliés dans des communes n'offrant pas l'équipement nécessaire en la matière. C'est cette liberté que nous défendons. Quant à rendre la crèche obligatoire, ce n'est pas demain la veille que nous arriverons à une telle extrémité !
Nous sommes très heureux de voir enfin arriver ce projet de loi en commission de l'enseignement - j'insiste, comme ma collègue Marie-Françoise de Tassigny, sur le terme d'«enfin», car l'élaboration de ce texte a été longue. Il correspond dans ses grandes lignes aux voeux du groupe socialiste, puisqu'il maintient les compétences principales au niveau communal tout en introduisant un certain nombre de normes, d'obligations et de dispositions relatives au financement. Je rappelle que le projet de loi déposé cet automne par les socialistes portait prioritairement sur le financement. Nous souhaitions nous assurer que cet aspect serait couvert, car les communes seules ne pourront pas assumer une telle charge financière et le crédit fédéral actuellement libéré pour les crèches s'avère largement insuffisant: le canton de Genève peut espérer dans le meilleur des cas deux ou trois millions, alors que des dizaines de millions seraient nécessaires.
Je souhaite également rebondir sur les propos de Mme Hagmann concernant l'investissement et le bénéfice. Des études menées tant à Zurich qu'en Suisse romande prouvent que les crèches rapportent plus qu'elles ne coûtent. Il s'agit donc d'un véritable investissement social et économique. Ces travaux montrent également à ceux et celles qui, dans cette enceinte, passent leur temps à critiquer les bureaux de l'égalité, l'utilité de ces derniers. L'étude pour la Suisse romande a, en effet, été préparée par la Conférence des délégués à l'égalité des cantons de Suisse romande.
En dernier lieu, j'insiste sur le fait que nous adhérons à l'idée d'une participation active des parents dans la gestion des crèches. Faire de ces derniers des partenaires actifs nous semble fondamental. L'expérience de certaines crèches ont cependant montré qu'il peut être pesant pour les parents de se voir confier l'entière gestion administrative. Il conviendrait donc, dans certains cas - du moins pour la partie administrative - de trouver une formule de gestion publique. Les parents pourraient ainsi se concentrer sur les enjeux pédagogiques liés directement à la petite enfance. Sans proposer nécessairement une municipalisation ou une cantonalisation, un cadre public clairement défini dans la loi nous paraît fondamental pour garantir l'équité d'accès, la qualité de l'accueil, les normes en matière de sécurité et les règles en matière de personnel. (Applaudissements.)
M. Guy Mettan (PDC). Le nombre de motions auxquelles répond ce projet de loi est si impressionnant qu'il montre bien l'urgence du besoin de notre canton en matière de crèches. Notre parti, qui a toujours été très attaché à la famille et à la petite enfance, se réjouit de pouvoir entrer en matière sur un projet de loi qui apporte des solutions intéressantes et appréciables s'inscrivant pleinement dans la politique que nous entendons mener. Le manque de places de crèche dans la commune d'où je viens, soit la Ville de Genève, est estimé à quelque deux mille. Ce nombre peut être doublé pour l'ensemble du canton. Cette situation, vous en conviendrez, montre l'urgence avec laquelle nous devons traiter ce projet de loi. Notre parti recommande donc, bien évidemment, le renvoi à la commission de l'enseignement pour que cette dernière puisse s'en saisir aussi rapidement que possible. Vous me permettrez toutefois de faire deux remarques.
En premier lieu, nous devrions saisir l'occasion de ce projet de loi pour étudier l'équilibre entre les communes. Certaines grandes communes sont, selon moi, tentées par un impérialisme qui consiste à attirer le maximum de parents et de crèches sur leur territoire. Or, certaines petites communes devraient également pouvoir bénéficier de crèches, lesquelles constituent un instrument de proximité et d'animation villageoise important.
En deuxième lieu, comme l'a mentionné ma collègue Janine Hagmann, il faut se souvenir que le coût d'une crèche est élevé. Celui-ci s'élève, en Ville de Genève, à plus d'un million de francs au minimum, alors qu'une place de crèche coûte vingt mille francs. Si nous restons naturellement favorables à la création de nouvelles places dans les crèches, le problème soulevé par Mme Hagmann - qui n'a peut-être pas été tout à fait adroite dans son propos - est bien réel. Nous devrions donc saisir l'occasion de ce projet de loi pour étudier la possibilité de développer des crèches familiales, qui constituent des structures plus légères permettant d'abaisser les coûts - par exemple dans les petites communes n'ayant pas les moyens de créer des grandes crèches à plusieurs millions de francs.
M. Gilbert Catelain (UDC). Le groupe UDC est conscient des problèmes liés à la garde des enfants pour les parents devant travailler sur la place de Genève. Ce projet de loi constitue donc une réponse positive pour les hommes et les femmes qui souhaitent ou qui doivent travailler. Il n'apporte en revanche aucune réponse aux hommes et aux femmes qui souhaiteraient se consacrer à l'éducation de leurs enfants - on a abordé tout à l'heure la question de la violence vis-à-vis des enfants - mais qui se sentent obligés, pour des raisons financières, de confier ces derniers à des structures de garde pour travailler. Or, le ratio entre leurs gains et le coût du placement de leur enfant en crèche est défavorable tant pour ces parents que pour la société.
Ce projet de loi ne prévoit aucune estimation du nombre de places nécessaires ni du coût d'une telle mesure. Or, il faut savoir qu'une place de crèche en Ville de Genève revient à environ trente mille francs par enfant. Dans le cadre de la liberté de choix, on pourrait dès lors envisager d'offrir aux parents un choix entre la mise en crèche de leur enfant et le bénéfice d'une subvention pour assurer eux-mêmes son éducation dans le cadre de la structure familiale.
Nous soutenons le renvoi de ce projet de loi en commission et nous nous réjouissons par avance de pouvoir approfondir ces différents points.
Ce projet est renvoyé à la commission de l'enseignement et de l'éducation.
Le président. Nous allons maintenant discuter des rapports du Conseil d'Etat traitant de différentes motions sur ce sujet et ayant abouti au projet de loi 8952.
Mme Jocelyne Haller (AdG). Je ne reviendrai pas sur les propos développés par Mme Lavanchy. Je souhaite intervenir à propos de la motion 1422 sous l'angle de l'article 13 développé dans le projet de loi 8952.
Cet article, intitulé «Urgences ou besoins particuliers», est supposé répondre aux invites de la motion 1422, qui demandent en substance au Conseil d'Etat de mettre en place des conditions permettant la mise à disposition de places de crèches et la prise en charge des personnes au chômage ayant trouvé un emploi. Cette motion demandait notamment qu'en cas d'impossibilité de placement, ces personnes ne soient pas pénalisées par une sanction quelconque les privant de leur droit aux indemnités de chômage. Or, l'article 13 tel que formulé dans le projet de loi indique simplement que «le canton veille à permettre la prise en charge des enfants en urgence lorsque leur situation ou celle de leurs répondants l'exige». Si cette affirmation est en soi positive, elle ne donne aucune indication concrète sur la manière dont seront mis en place ces lieux de prise en charge. Elle ne précise pas, non plus, le délai nécessaire à l'application de telles mesure et reste muette sur la question des besoins particuliers - il s'agissait de prévoir des moyens plus conséquents pour faire face à l'accueil des enfants nécessitant un encadrement adapté.
Tout en ayant conscience de la difficulté que suppose la mise en place de lieux d'accueil appelés à recevoir des enfants au pied levé lorsque leurs parents se voient confirmer leur engagement à un poste de travail, nous pensons que nous ne sommes pas dispensés de mettre en place et de réfléchir à un tel dispositif. En effet, aujourd'hui, nombre de chômeurs - mais aussi beaucoup de chômeuses - sont déclarés inaptes au placement sous prétexte qu'ils ne disposent pas d'une solution de garde pour leur enfant. Ils se voient dès lors privés du droit aux indemnités et se trouvent par conséquent soit confrontés à une baisse drastique de revenu - lorsqu'il s'agit d'un groupe familial - soit contraints de recourir à l'aide sociale ou à l'assistance publique en l'absence de toute autre ressource.
Nous considérons que cette situation constitue un déni de droit du fait de l'insuffisance du dispositif d'accueil et de garde d'enfants en bas âge. Il nous paraît indispensable d'engager une réflexion avec tous les partenaires concernés pour déterminer l'équipement le mieux à même de répondre à ce besoin. Une extrême souplesse devrait en outre être garantie dans l'acceptation de ce type de demande de placement.
Pour ces motifs et pour permettre un examen plus attentif de ces questions et de celles, nombreuses, soulevées par Mme Lavanchy, je vous prie, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir renvoyer ce projet de loi à la commission de l'enseignement.
Présidence de M. Pascal Pétroz, premier vice-président
Le président. Je crois, Madame la députée, que tel est d'ores et déjà le cas. Nous sommes en train de nous exprimer sur les rapports.
M. Albert Rodrik (S). J'aborderai successivement les motions 1422 et 1365. Cette dernière, rédigée par notre ancien collègue Godinat et émanant de la commission sociale unanime, a été adoptée dans cette enceinte à l'unanimité et se trouve à la source des projets que nous venons d'envoyer en commission. On peut se réjouir qu'elle ait pu apporter, au terme de plus de deux ans, ce projet de loi.
Nous nous réjouissons, en tant qu'auteurs de cette motion, du résultat des travaux de la commission d'experts. Nous ne sommes cependant pas oublieux des éléments rappelés par Mme Lavanchy. Nous ne sommes non plus pas persuadés qu'au terme de ces travaux, le respect dû à la fois aux choix fondamentaux des familles et aux diverses formes de prise en charge possibles puisse trouver droit de cité. Je déclarais moi-même dans cette enceinte que l'Etat doit marcher sur la pointe des pieds par rapport à certains sujets, non en faisant preuve de timidité dans les moyens mis en oeuvre, mais en se montrant respectueux de la manière dont les familles envisagent les affaires. Voici en quoi réside le noeud de la difficulté: marcher sur la pointe des pieds sur le plan conceptuel tout en se montrant actif et activiste dans l'engagement des moyens pour répondre à un problème social crucial. J'espère à cet égard qu'au terme de travaux parlementaires, la condescendance - sinon le mépris - qui règne dans certains milieux, même officiels, à l'égard de celles que l'on appelle les "mamans de jour" cessera au profit d'une reconnaissance à la mesure de leur contribution.
L'essentiel de mon intervention vise la motion 1422. Nous estimons que le projet de loi 8952, dont nous reconnaissons le mérite, ne répond malheureusement en rien à la motion 1422. La phrase proposée à l'article 13 est, certes, un joli sirop, mais les trois signataires - dont je suis - ne trouvent pas que cette motion a été prise en compte. Je ne pense pas qu'il faille y voir quelque malice: compte tenu de l'ampleur de la tâche, cette motion a simplement été oubliée.
C'est pourquoi nous demandons expressément à la commission de l'enseignement et de l'éducation de prévoir une réponse à cette motion, qui a été envoyée en bonne et due forme au Conseil d'Etat. Au moment où la manière d'aborder les questions relatives au chômage devient le tube de la rentrée pour l'Entente et le patronat, nous souhaitons trouver dans le projet de loi une réponse à cette motion. Nous vous remercions.
Mme Loly Bolay (S). Je serai très brève, car de nombreux éléments ont déjà été évoqués. Je m'exprimerai uniquement sur la motion 1366 dont je suis l'une des signataires. Je souhaite formuler deux commentaires par rapport aux réponses faite aux invites.
En premier lieu, je tiens à rendre hommage aux mères de jour agréées qui gardent les enfants chez elles et qui se voient soumises à un contrôle rigoureux de la part du Service de la protection de la jeunesse. Je rappelle que leur salaire est dérisoire par rapport au travail qu'elles fournissent: elles touchent quatre francs de l'heure, soit trente-cinq francs par enfant. Contrairement aux mamans de jour, l'accueil familial de jour - soit l'accueil des enfants au domicile des parents - ne fait l'objet d'aucun contrôle. Je me souviens d'une affaire qui avait fait grand bruit à l'époque: un homme d'un certain âge, qui s'est prétendu baby-sitter, avait fait subir des sévices aux enfants qu'il gardait. Cette affaire a provoqué d'importants troubles parmi les enfants concernés.
En deuxième lieu, l'invite 6 demande la création d'un poste de délégué à la maltraitance; le groupe PDC avait d'ailleurs déposé une motion dans ce sens. Je me demande s'il serait possible de prévoir, dans le cadre de l'article 16 du projet de loi, un délégué de la petite enfance au sein de cette future commission.
Le président. Vient de s'inscrire M. le député Guy Mettan, après quoi la parole sera à M. le conseiller d'Etat Charles Beer.
M. Guy Mettan. Je renonce.
Le président. La parole est donc à M. le conseiller d'Etat Charles Beer.
M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, il m'incombe de défendre l'argumentation développée par le Conseil d'Etat dans ses réponses aux différentes motions et de donner son avis concernant le projet de loi qu'il vous soumet.
En ce qui concerne les motions, j'aimerais d'abord rappeler que la commission a insisté devant le Conseil d'Etat pour que celui-ci, et particulièrement le département de l'instruction publique, réponde aux différentes motions restées suspendues et sans réponse. Le projet de loi présente une réponse du département de l'instruction publique qui doit être saluée comme la manifestation d'une volonté de prise en compte globale d'une situation sociale nouvelle - même si cette situation et l'absence de réponse perdurent encore aujourd'hui. Nous nous trouvons pratiquement dans le même type de situation que face au vieillissement de la population et à la perte d'autonomie de certaines personnes qui ont surgi ces dernières années: aucune réponse ne peut être proposée face à une demande sociale qui émerge, car son élaboration prend du temps. Or, dans le cas de la petite enfance, nous arrivons au terme du processus de patience, ce qui implique une réponse à la fois globale et rapidement opérationnelle dans l'ensemble des dimensions évoquées par les motions.
J'aimerais également rappeler qu'après son examen dans le cadre d'une commission, le projet de loi du Conseil d'Etat a fait l'objet, comme l'ont relevé certains députés, d'une concertation particulière dans le cadre de l'Association des communes genevoises. L'avant-projet tel que revenu de la commission a donc été repris par l'ACG, qui y voyait probablement un trop grand interventionnisme de l'Etat.
Je peux aujourd'hui affirmer que la volonté du Conseil d'Etat est de traiter, par le biais de ce projet de loi, la question de la petite enfance et la nécessaire adaptation de l'offre sociale à cette mission dans l'ensemble de ses dimensions. Il incombe de trouver l'articulation indispensable entre le canton, les communes et les familles. Divers types de flux doivent à mon sens être instaurés pour permettre l'harmonie et l'équilibre des projets: la question du subventionnement, celle des prix ainsi que celle des contraintes exigées par le canton vis-à-vis des communes pour subventionner une politique que ces dernières se trouvent obligés de mettre sur pied. La commission devra donc traiter cette logique dans toutes ses dimensions.
En ce qui concerne la motion 1422, j'estime que la disposition proposée à l'article 13 du projet de loi, soit le placement d'urgence, constitue une réponse adéquate du point de vue de la petite enfance pour les familles de chômeurs et de chômeuses contraints dans la rapidité de placer leurs enfants. Cet article offre, du moins, la possibilité de trouver la réponse adéquate. Pour ce qui concerne la politique de sanction envers les chômeurs et les chômeuses, si vous entendez obtenir un certain nombre de compléments pour disposer d'une offre satisfaisante pour les besoins d'urgence, il vaut mieux que la question soit traitée par le département de l'économie, de l'emploi et des affaires extérieures. Je vous invite donc, le cas échéant, à reprendre la question de la politique de sanction selon cette perspective.
La politique de la petite enfance doit pour sa part être développée du point de vue d'une intégration de l'offre à long terme. Elle doit être ouverte aux adaptations d'urgence et de crise et faire l'objet de flux entre le canton, les communes et les familles par le biais de subventions et de contraintes quant à la qualité de la prise en charge, les conditions de paiement ainsi que les conditions de travail.
J'ai noté que certains milieux ont émis des préoccupations légitimes lors de l'avant-projet. Celles-ci devront être reprises devant la commission de l'enseignement, qui pourrait procéder à l'audition des représentants des milieux intéressés afin de retrouver une argumentation complète garantissant l'équilibre de la prise en charge indispensable et urgente d'une demande sociale restée trop longtemps sans réponse. (Applaudissements.)
Présidence de M. Bernard Lescaze, président
Le président. Nous allons prendre acte de la motion 866-B, de la motion 1365-A, de la motion 1366-A, de la motion 1387-A et de la motion 1422-A.
M. Rodrik souhaite prendre la parole après le Conseil d'Etat - demande pour le moins inhabituelle.
M. Albert Rodrik (S). Je remercie M. Charles Beer de son intervention. A sa suggestion, nous demandons qu'il ne soit pas pris acte de la motion 1422, mais qu'elle soit retournée au Conseil d'Etat pour être examinée par celui-ci selon la voie proposée par M. le conseiller d'Etat Beer.
Le président. En relisant le rapport présenté par le Conseil d'Etat, je constate une certaine continuité. Alors que le Conseil d'Etat demandait la prise d'acte du rapport, le nouveau conseiller d'Etat demande que l'une des motions, contrairement au rapport imprimé, soit retournée au Conseil d'Etat. Je mets donc aux voix cette proposition.
Mise aux voix, cette proposition est rejetée par 34 non contre 33 oui et 1 abstention.
Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.