République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 20 mars 2003 à 20h30
55e législature - 2e année - 6e session - 27e séance
IU 1384
M. Antonio Hodgers (Ve). Mon interpellation urgente s'adresse à Mme Spoerri.
Madame la conseillère d'Etat, comme vous le savez, ce matin s'est déroulée à Genève une manifestation non organisée, essentiellement composée de jeunes - collégiens, étudiants - et, si elle a bien commencé, elle a malheureusement fini dans une certaine gabegie, vu que les forces de l'ordre ont utilisé la force - essentiellement des gaz lacrymogènes - de manière assez abusive, il faut bien le dire...
Ces événements, indépendamment des faits qui se sont déroulés aujourd'hui, m'amènent à poser deux questions.
La première concerne le devoir de la police lors de ces opérations de maintien de l'ordre. De par la constitution, elle a deux tâches: d'abord de garantir les bâtiments - dans le cas présent, une mission diplomatique. Cette obligation est inscrite dans la constitution mais aussi dans le droit international, même si, de ce fait, elle défend un Etat qui, lui, ne respecte pas beaucoup ce même droit... Il n'y a pas de discussion sur ce point: la police doit garantir l'intégrité territoriale de cette mission et, donc, à ce niveau-là, elle a un objectif clair.
Elle a aussi une autre mission - la deuxième - qui est tout aussi importante, si ce n'est plus: celle de garantir la liberté d'expression et la possibilité pour tous les citoyens et les citoyennes de ce canton - même s'ils sont jeunes - de pouvoir exprimer leur opinion auprès des institutions qu'ils critiquent. En l'occurrence, ce deuxième droit implique que les citoyens puissent avoir accès physiquement - pas pénétrer, vu qu'ils violeraient le premier droit - à l'institution qu'ils critiquent.
Or, on se rend compte que cela n'a pas été le cas ce matin et que c'est souvent un problème lors de ce genre de manifestations.
Dès lors, ma première question est la suivante: dans le cadre des formations et des ordres qui sont donnés aux gendarmes lors des opérations de maintien de l'ordre, y a-t-il une information et des ordres clairs quant à ce deuxième droit, à savoir le droit de manifester devant les institutions représentant les Etats que l'on critique ?
Ma deuxième question est liée à l'attitude des officiers de police dans ce genre de situation qui sont amenés - et c'est vrai que c'est un travail très difficile - à évaluer la situation.
A ce niveau-là, selon mon expérience, il me semble vraiment que vos officiers manquent de formation s'agissant de psychologie juvénile. Ils manquent de connaissances sur le fonctionnement des jeunes pris dans une manifestation, sur ce qu'ils peuvent accepter, sur ce qui peut les conduire à devenir agressifs ou, au contraire, à rester pacifiques, comme le sont la plupart des jeunes. Les événements de ce matin ont encore confirmé ce problème. La foule était essentiellement pacifique - il s'agit de collégiens qui manifestent leur mécontentement à l'égard des Etats-Unis et pas du tout à l'égard de nos institutions - et s'est comportée d'une manière exemplaire, comme le 31 janvier, sans provoquer et sans commettre de violences. Mais, face à un barrage, qui se trouvait trop loin de la Mission diplomatique des Etats-Unis, ces jeunes ont provoqué des débordements que je suis le premier à déplorer mais qui sont toutefois explicables eu égard à la frustration qui a été la leur de ne pas pouvoir atteindre leur objectif.
Dans ces situations, comme partout ailleurs, il y a deux camps: les colombes et les faucons. Si les gens peuvent atteindre leur objectif sans contraintes, ce sont les colombes qui mènent le bal. Si les contraintes sont abusives, ce sont malheureusement les faucons qui prennent le pouvoir. Et c'est souvent ce qui se passe dans ces manifestations. Et je regrette que les officiers ne comprennent pas ce phénomène psychologique. C'est pourquoi je vous pose la question suivante: y a-t-il des séminaires de formation à ce sujet ?
Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Monsieur le député, puisque nous sommes dans la transparence, je vais commencer par vous remercier pour le rôle que vous avez joué aujourd'hui dans le cadre de cette manifestation, de même que d'autres députés qui, comme vous, ont participé à calmer le jeu.
Ce qui s'est passé le 31 janvier, c'est une manifestation spontanée qui a réuni «extemporanément» à peu près trois à quatre mille étudiants. Et M. Vanek - si je peux me permettre - m'a transmis le message de féliciter la police de son attitude, ce que j'ai fait.
Ce qui se passe aujourd'hui est totalement différent: ce parlement l'a bien compris, et vous en particulier puisque vous faites en sorte que les choses se déroulent le mieux possible. Mais nul n'est parfait. La police a décidé d'utiliser les gaz lacrymogènes au moment où elle a considéré qu'il y avait des risques de débordements et, par conséquent, des risques de dérapages, même s'il s'agit d'une manifestation pacifiste pour, vais-je dire, la quasi-majorité des manifestants. Nous étions presque en ligne directe vous et moi, et avec vos collègues, et avec M. le président du Conseil d'Etat, pour évaluer les risques.
La députation et le Conseil d'Etat doivent prendre conscience que la situation internationale est grave et que, par conséquent, autant le parlement et le gouvernement entendent bien, en particulier dans un pays neutre et dans une Genève internationale - dont la tradition de paix est historique - maintenir le droit pour chaque citoyen de pouvoir manifester, autant nous avons tous le devoir de faire en sorte que ce droit de manifester ne tourne pas mal.
Or, lors de la manifestation d'aujourd'hui, Monsieur le député, à un moment donné - et nous connaissons bien ces phénomènes - certains agitateurs ont sévi, et personne - ni vous ni ceux qui veulent calmer le jeu - ne pouvait les contrôler. Je pense donc que la police a fait ce qu'elle devait, parce que le risque - vous l'avons déjà dit - était qu'à partir du moment où les manifestants entraient sur le territoire des Etats-Unis, c'était aux Etats-Unis et à eux seuls de décider des mesures à prendre. Ce qui, à n'en pas douter, constituait un risque majeur vis-à-vis des manifestants, les étudiants et toutes les personnes qui aujourd'hui s'insurgent contre l'attitude des Etats-Unis. Et croyez bien que les officiers en place, le commandant de la gendarmerie en tête, sont des êtres humains qui ont tenté jusqu'au bout de faire en sorte qu'il n'y ait pas de dérapages! S'il y avait eu des dérapages, je ne peux pas vous dire aujourd'hui quelles auraient été les mesures prises par les autorités américaines... C'est tout ce que je peux vous répondre, et j'ose espérer que ce parlement est conscient de la gravité de la situation. Je vous remercie encore de votre collaboration et j'espère avoir répondu à votre interpellation.
Cette interpellation urgente est close.