République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 13 décembre 2002 à 17h
55e législature - 2e année - 3e session - 14e séance
GR 345-A
Le président. Je tiens à signaler que M. Christian Luscher se retire: il ne participera ni au débat ni au vote, sur le dossier de la grâce que nous abordons maintenant.
Mme Loly Bolay (S), rapporteuse. La commission de grâce me demande de vous soumettre aujourd'hui le cas de M. S. M.
Ce monsieur est de nationalité brésilienne, mais il est né à Alexandrie, en Egypte, le 11 avril 1944. Il est marié et il a un fils de 29 ans qui est de nationalité suisse. M. S. M. est au bénéfice d'un permis C.
M. S. M. a été condamné à cinq ans de prison pour escroqueries par métier, faux dans les titres, gestions déloyales, abus de confiance, par arrêt de la Cour d'assises de Genève du 16 février 2001. Cette sentence a été confirmée par la Cour de cassation, en date du 14 décembre 2001, et par le Tribunal fédéral, en date du 8 avril 2002.
M. S. M. se trouve en liberté provisoire, après avoir versé une caution de 500 000 F, depuis le 4 avril 1995. M. S. M., en sa qualité d'animateur et responsable de plusieurs sociétés, a été condamné parce que le montant de ses escroqueries, via ses sociétés, s'élevait à plus de 100 millions de francs suisses... Et le préjudice pénal reconnu à M. S. M. est de 19 millions de francs suisses...
Je tiens néanmoins à signaler que M. S. M. n'avait pas d'antécédent et que, s'il demande à ce Grand Conseil d'être au bénéfice d'une semi-liberté, c'est parce qu'il a trouvé un travail entre-temps, et qu'il ne veut pas être à la charge de la société... (Rires.)
La commission de grâce vous recommande donc, à l'unanimité, de refuser sa grâce.
J'aimerais toutefois apporter une précision. En effet, un élément a été évoqué lors du débat de la commission de grâce: suite aux différents entretiens que le service du Grand Conseil - je tiens à le remercier ici au passage - a eus avec le service de l'exécution des peines, nous savons que cette mesure ne sera pas exécutoire pendant la période de fin d'année, mais en janvier 2003. M. S. M. pourra donc encore rester chez lui pendant la période de Noël.
Mme Janine Hagmann (L). Comme l'a très bien dit le rapporteur, la commission des grâces, qui a été tirée au sort au mois de novembre, s'est réunie pour la première fois lundi dernier, pour étudier les dossiers qui avaient été remis environ une semaine avant aux commissaires. Les modifications de programme dues aux festivités - qui nous réjouissent tous - avaient laissé entrevoir que nous n'aurions pas le temps d'étudier ces dossiers... Le président de la commission des grâces avait du reste dit que nous n'étions pas obligés de les étudier pour cette fois, et que nous n'aurions peut-être même pas de séance de commission, puisque la séance du Grand Conseil d'hier a été supprimée.
J'ai contacté personnellement le président de la commission et le président du Grand Conseil pour savoir s'il était possible de supprimer ce point, en raison de notre ordre du jour très chargé. M. Lescaze, avec son bon sens habituel... (Exclamations et applaudissements.)Oui ! ...et sa clairvoyance, m'a expliqué qu'il estimait en son âme et conscience que le plus beau cadeau de Noël que nous pourrions faire aux personnes qui déposent un recours en grâce serait de leur octroyer cette grâce avant Noël. Il fallait donc traiter impérativement les dossiers qui nous avaient été remis.
En commission de grâce, à laquelle - je l'avoue - je n'ai pas pu participer, puisque, comme je l'ai déjà dit, je croyais que cette séance de commission serait supprimée, seul le dossier de M. S. M. a été traité... Et nous pouvons constater que la grâce a été refusée à l'unanimité, même si la peine ne sera exécutoire qu'après Noël.
J'ai tout de même envie de vous faire une proposition, même si elle peut vous paraître irrationnelle : privilégier l'esprit de Noël en donnant de l'espoir...
Je trouve en effet votre proposition très sévère: le condamné n'est ni un meurtrier, ni un pédophile, ni un trafiquant de stupéfiants... Alors j'aimerais que lui soit octroyée une grâce partielle, compatible - c'est ce que Mme Loly Bolay avait demandé - avec le régime de semi-liberté. Ce condamné a 58 ans. Il a été arrêté en 1994 et il n'a été jugé qu'en 2001... Alors, maintenant, je vous fais une demande, car cet homme a retrouvé un emploi, un emploi certes modeste, puisque cet ancien banquier est devenu contremaître. S'il est mis en prison, il perdra évidemment son emploi et ressortira de prison au terme de sa peine, trop âgé pour en trouver un autre; il se retrouvera donc à la charge de la collectivité publique. Et je suis en mesure de vous certifier qu'il exécute ce travail, qui n'était pas dans ses cordes, avec conscience.
Il me paraîtrait donc personnellement beaucoup plus raisonnable, même si c'est un peu irrationnel, de trouver - n'ayez pas peur, Mesdames et Messieurs, je ne vais pas demander sa grâce ! - une formule qui lui permette de payer sa dette envers la société, en réintégrant la prison la nuit, durant les week-ends, pendant les vacances. Il pourrait ainsi travailler la journée et garder son emploi. Bien sûr, ce que je demande représente un cadeau de Noël: j'en suis consciente ! D'autant plus - et les membres de la commission de grâce le savent bien - que ce n'est pas dans mes habitudes. Mais j'aimerais vraiment que cette personne puisse garder son emploi, et je me suis bien évidemment renseignée à qui de droit. Pour cela, il faut obligatoirement lui accorder une réduction de son temps de peine, parce que les modalités de l'exécution dépendent uniquement du SAPEM, et c'est ce dernier qui déciderait s'il peut continuer à travailler le jour en réintégrant la prison la nuit et pendant les vacances.
Mesdames et Messieurs les députés, faites ce que vous voulez de cette proposition, mais sachez que si je vous la fais, c'est en pensant à la trêve de Noël: je vous demande de diminuer sa peine de moitié.
M. Rémy Pagani (AdG). De manière générale, je crois que la commission de grâce - et j'y ai participé durant deux ans - est plus que généreuse et c'est son rôle, s'agissant de l'application du fait du prince.
En l'occurrence, je trouve tout de même cette proposition particulièrement bizarre... En effet, Madame, ce monsieur a quand même détourné des millions de francs ! Il a eu un certain nombre d'avocats à sa disposition pour défendre ses droits, contrairement à d'autres personnes qui ne peuvent pas en faire autant parce qu'ils n'ont pas les moyens de se les payer - avocats qui viennent d'ailleurs des milieux que vous représentez, Madame ! De ce fait, il a pu bénéficier d'un certain nombre de reports, car ses avocats ont défendu activement ses droits, tout cela parce qu'il a les moyens de les payer - en tout cas il les avait - en ayant détourné de l'argent !
Et maintenant, vous nous dites que les faits remontent à huit ans... Bien sûr, puisqu'il a fait valoir ses droits à tous les niveaux, depuis huit ans ! Qu'il est relativement âgé et qu'il va perdre son travail... Mais, Madame Hagmann, combien de personnes, qui n'ont pas les moyens de se défendre, ont perdu leur emploi immédiatement, alors qu'elles n'avaient commis aucun délit !
En graciant cet homme, nous commettrions une injustice flagrante et déplacée par rapport à toutes ces personnes qui perdent leur emploi et qui n'ont - pas plus que vous et moi, Madame Hagmann - pas les moyens de payer grassement des avocats pour se défendre. Et puis, cette une sanction devait bien tomber un jour ou l'autre !
Je m'oppose donc vivement à cette proposition, et j'appuie la décision unanime de la commission de grâce.
Mme Loly Bolay (S), rapporteuse. Je rappelle un élément important que je n'ai pas signalé tout à l'heure. M. S. M. a déjà fait un an et dix-sept jours de préventive. Et, par ailleurs, la question de la semi-liberté évoquée par Mme Hagmann a déjà été traitée en commission, et nous l'avons refusée.
Nous avons en effet estimé que l'on ne pouvait pas accepter cette demande, car, comme vient de le dire M. Pagani, il ne peut pas y avoir deux poids deux mesures dans ce domaine. Il faut savoir que de telles demandes ont été refusées à des personnes qui avaient commis des délits autrement moins graves!
Je vous répète tout de même que M. S. M. est en liberté depuis le 8 avril 1995. C'est beaucoup ! Il a pu rester en liberté tout ce temps, effectivement grâce aux reports obtenus par ses avocats. Mais il ne faut tout de même pas oublier qu'il y a eu à son procès septante-deux parties civiles et que certaines d'entre elles ont tout perdu ! C'est un élément important qu'il faut prendre en considération - je suis désolée et je vous demande encore une fois de lui refuser la grâce, comme la commission vous le recommande à l'unanimité.
M. Jacques Follonier (R). Je voudrais simplement ajouter que ce monsieur a tout de même eu les moyens de verser 500 000 F de caution - ce qui est quand même étrange - et qu'il a en outre fait obstruction à la justice par des moyens relativement retors - cela nous a été signalé par la justice.
Je m'oppose donc vivement à la proposition qui a été faite, car j'aimerais vraiment que nous donnions pleine mesure à la justice et que nous ne laissions planer aucun doute.
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons maintenant nous prononcer au moyen du vote électronique. Que celles et ceux qui acceptent la proposition de Mme Hagmann, qui est la plus favorable, votent oui; ceux qui votent non se rallient donc au rapport de la commission. Le vote est lancé.
Mise aux voix, cette proposition est rejetée par 49 non contre 4 oui et 6 abstention.
Le préavis de la commission (rejet de la grâce) est adopté.