République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 24 octobre 2002 à 17h
55e législature - 1re année - 12e session - 62e séance
GR 336-A
M. Antonio Hodgers (Ve), rapporteur ad interim. Je remplace le rapporteur, M. Ueli Leuenberger, excusé à cette session.
La majorité de la commission de grâce vous demande d'accorder la grâce pour la totalité des amendes, soit 2300 F.
Il s'agit d'amendes infligées en raison d'infractions à la LCR, notamment des dépassements de limite de stationnement. Ces infractions ont été commises pendant l'année 2001, période psychologiquement difficile pour Madame S. G., qui a perdu son emploi, suite à des accusations infondées de son employeur qui l'accusait d'avoir commis des vols. La plainte pour vol a été classée par le procureur général et, dernièrement, le Tribunal des prud'hommes a donné raison à Madame G. en condamnant l'employeur à verser près de 10 000 F pour salaires non payés et une somme de 10 000 F pour préjudice moral.
L'employeur a fait recours contre cette décision à la Chambre d'appel du Tribunal des prud'hommes, qui ne rendra sa décision probablement pas avant une année. Madame G. n'a donc pas reçu la somme totale de 20 000 F que lui doit son employeur.
Madame G., qui bénéficie uniquement de l'assistance de l'Hospice général, a environ 30 000 F de dettes. Depuis le mois de mai de cette année, elle est sous curatelle. Avec l'aide du curateur, une reprise en main des problèmes administratifs et financiers a eu lieu. Madame G., suite à un travail thérapeutique, a de nouveaux projets d'avenir. En bénéficiant de l'article 41, elle va suivre des cours et passer des examens pour obtenir son CFC.
Pour toutes ces raisons, je vous demande de suivre le préavis de la majorité de la commission en donnant un coup de pouce aux projets de cette jeune femme de 25 ans, en lui accordant la grâce pour ses amendes.
Monsieur le président, je voudrais juste ajouter ceci avant que vous ne procédiez au vote: si ce préavis n'était pas suivi, je me permettrai de présenter une autre proposition, moins favorable à Madame G.
M. Christian Luscher (L). Je me demande très sérieusement quel est le message que nous donnons à la population dans ce parlement, en graciant systématiquement les amendes infligées à des personnes qui ne les payent pas.
Je veux bien reconnaître que le cas précédent était particulièrement dramatique. Je crois qu'il faut effectivement faire une analyse cas par cas et, d'ailleurs, j'ai voté, à titre personnel, la grâce de la personne en question.
Toutefois, dans le cas qui nous occupe ici, même si je veux bien reconnaître que cette dame a eu quelques problèmes avec son employeur, il n'en demeure pas moins qu'on est en train de dévier, de dériver... Le message qui va être reçu par la population va être le suivant: «Surtout, ne payez plus vos amendes si vous avez un problème quelconque; laissez-les s'accumuler et, quand la situation sera dramatique, vous n'aurez qu'à faire un recours en grâce auprès du Grand Conseil !»
Nous allons beaucoup trop loin. Vous l'avez dit, Monsieur Hodgers: cette dame a obtenu la condamnation de son employeur pour une somme totale de 20 000 F, et nous ne connaissons pas encore le résultat de la juridiction d'appel... Alors, attendons au moins le résultat pour apprécier si cette dame, en fonction de la somme qui lui sera versée - avec des intérêts - sera en mesure de payer la dette qu'elle a envers l'Etat, comme doit le faire chaque bon citoyen qui viole la loi sur la circulation routière.
Il me semble que devons être très prudents. Je constate - même si je suis député de fraîche date - que nous sommes de plus en plus souvent confrontés à ces problèmes d'amendes, et, si cela continue, notre parlement sera engorgé de demandes de grâce de gens qui ne payent pas leurs amendes... Je ne crois pas que ce soit le rôle de ce parlement !
M. Rémy Pagani (AdG). Les deux interventions précédentes méritent mieux qu'une simple réponse formelle.
M. Luscher dit à juste titre qu'il est élu de fraîche date... Il n'a donc pas siégé à la commission de grâce et il ne sait pas de quoi il retourne ! C'est la troisième année que je siège à la commission de grâce, pour laquelle les commissaires sont tirés au sort. Nous ne sommes pas du tout engorgés de demandes. Nous devons examiner les dossiers de citoyens qui se trouvent dans une détresse sociale profonde, Monsieur Luscher - profonde ! Si nous ne leur accordions pas la grâce, ces personnes auraient encore plus de difficultés à s'en sortir. Pour le cas précis qui nous occupe, nous nous sommes posé la question financière que vous avez posée, et nous y avons répondu. En effet, cette dame a des dettes si importantes que, même si elle avait gain de cause devant le Tribunal, elle ne serait pas en mesure de les rembourser entièrement.
Les cas qui nous sont soumis correspondent à des personnes qui se trouvent dans des situations plus que difficiles, et nous jugeons en conscience de ce qui est bon pour chaque cas particulier. C'est ce que j'ai fait, même si, en règle générale, je réprouve certaines attitudes des automobilistes et que je réprouve, aussi fermement que vous, le laxisme passé qui permettait de faire sauter un certain nombre d'amendes d'ordre. Il faut considérer que les cas qui nous sont soumis sont exceptionnels et que le droit de grâce est intrinsèquement lié au fait qu'ils sont exceptionnels.
Je vous demande donc, Monsieur Luscher - Monsieur Catelain, aussi - de faire confiance aux commissaires de la commission de grâce qui décident avec circonspection, à la majorité ou à l'unanimité, d'accorder les grâces.
M. Antonio Hodgers (Ve), rapporteur ad interim. M. Pagani a effectivement bien exposé le problème.
Monsieur Luscher, les cas que nous traitons en commission de grâce sont des cas socialement très délicats. Il ne s'agit pas de citoyens lambda. Peut-être, d'ailleurs, devrions-nous mieux exposer dans ce parlement la situation de détresse des personnes concernées... Quoi qu'il en soit, sur le plan financier, cela ne change pas grand-chose de les gracier, car, de toute façon, elles ne sont pas en mesure de payer leurs dettes. Un autre élément peut faire pencher la balance, en commission, en faveur d'une grâce: quand un fait nouveau intervient entre le jugement et la demande en grâce. Les deux motifs qui nous poussent à accorder la grâce à un recourant sont la détresse, quelle qu'elle soit, et les faits nouveaux qui changent la donne.
On me demande les résultats du vote en commission... Ils sont les suivants: 6 oui, 4 non et 3 abstentions... (L'orateur est interpellé.)C'est la majorité de la commission, ce n'est pas l'unanimité !
Le président. Je prie M. Perrin de ne pas s'appuyer sur le bouton de demande de parole du Conseil d'Etat ! Je crois à tort que ce dernier demande la parole, alors qu'il ne la veut pas !
Bien, nous allons procéder au vote sur le préavis de la commission de grâce.
Mis aux voix, le préavis de la commission (grâce) est adopté.