République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 29 août 2002 à 8h
55e législature - 1re année - 10e session - 53e séance
PL 8530-A
Premier débat
M. Hugues Hiltpold (R), rapporteur. Il est utile de rappeler que ce projet de loi prévoit d'allonger les durées de contrôle des loyers institué dans le cadre de la LDTR, et d'instaurer une commission consultative qui préaviserait toute demande de vente d'appartement locatif. La plupart des commissaires sont arrivés à la conclusion que ce projet de loi n'est pas réaliste. C'est pourquoi la majorité de la commission vous invite à rejeter l'entrée en matière de ce projet.
M. Carlo Sommaruga (S). Pour faire suite à la déclaration du rapporteur, je voudrais préciser que ce projet se divise en trois volets. Premièrement, il vise à prolonger le contrôle des loyers prévu dans la LDTR; deuxièmement, il demande le contrôle du respect des décisions en matière de fixation de loyers avec obligation de présenter les états locatifs pendant la période de contrôle, ceci afin de faciliter le travail du DAEL; troisièmement, le projet envisage la création d'une commission consultative.
Concernant le deuxième point mentionné, on constate la nécessité de changer les modalités actuelles, dans la mesure où un certain nombre d'abus ont pu être observés: les décisions du DAEL en matière de fixation des loyers - après travaux de rénovation - n'ont pas été respectées. Aujourd'hui le DAEL a lui-même changé sa pratique puisque, dans les décisions rendues, une charge est systématiquement ajoutée: celle de fournir à l'administration l'état locatif de l'année pendant la période de contrôle, afin de pouvoir vérifier le respect de la décision. En d'autres termes, cette disposition existe au moins dans la pratique, sinon dans la loi. Cela montre bien que le projet de loi répond à un problème réel: certains administrés demandaient une autorisation mais ne la respectaient pas.
Concernant le premier point - la prolongation du contrôle - il s'agit d'une mesure extrêmement importante. On a pu constater que, après les périodes de contrôle, les loyers augmentent sensiblement. L'idée est alors de moduler la durée du contrôle, en fonction de l'importance des travaux qui ont été réalisés. Ainsi, en cas d'une démolition suivie d'une reconstruction, une période de contrôle de dix ans serait observée. En cas de travaux de transformation importants, la période de contrôle s'étendrait sur cinq ans - cela existe déjà actuellement dans la LDTR - et lors de travaux moins importants, le contrôle durerait moins de trois ans. Autrement dit, il s'agit seulement d'une prolongation du délai lors d'une opération de démolition et reconstruction. Et cette période demeure nettement plus courte que celle du contrôle des HLM (vingt ans). Dans ce sens, le projet défend les intérêts de la majorité de la population de ce canton, notamment les personnes aux revenus les plus modestes. Il nous paraît donc qu'au moins les premier et deuxième points sont indispensables pour une bonne application de la LDTR.
En ce qui concerne le troisième point - la commission paritaire qui suivrait l'aliénation des appartements - il s'agit de reprendre le modèle de la commission d'attribution du bonus, afin de déterminer des critères communs et permanents. Par là, nous voulons faire participer aux décisions les associations de propriétaires ou de locataires - associations susceptibles de faire recours lorsque les autorisations sont délivrées. Or, ce genre de commission consultative évite justement les recours. Cela a été démontré par la commission du bonus à la rénovation. Je regrette que la majorité de la commission n'ait pas jugé opportun de suivre ce projet. Les socialistes, pour leur part, vous demandent de l'accepter.
Mme Michèle Künzler (Ve). Nous nous sommes abstenus en commission, estimant que le projet était plutôt inadéquat. Ainsi, le problème des ventes d'appartements nous paraît être déjà réglé, et les quelques cas litigieux ne nécessitent pas la création d'une commission supplémentaire. Il est vrai qu'un contrôle minimal par sondages sur les loyers autorisés ne correspond pas à un véritable contrôle: tous les abus sont possibles. Et, même en fixant un loyer LDTR à 3 225 F la pièce, rien ne garantit que ce loyer soit respecté. En fait, tout dépend des locataires qui voudront bien saisir le Tribunal des baux ou l'ASLOCA pour protester contre un loyer abusif. En revanche, la prolongation de la durée de contrôle peut avoir des effets pervers. Si un rendement réduit est admissible durant trois ans, cela est-il encore justifiable sur dix ans ? La question n'a pas été étudiée à fond. Et même en admettant que le contrôle dure dix ans, le loyer finirait également par prendre l'ascenseur. Il faut certainement éviter les hausses de loyers, mais ce projet de loi est vraiment inadéquat. C'est pourquoi nous maintenons notre abstention.
M. Rémy Pagani (AdG). Je m'étonne de la position des Verts, dans la mesure où nous subissons aujourd'hui une crise du logement sans précédent depuis les années 70-80. Un loyer de 7 000 F pour un 5 pièces, c'est du jamais vu ! On assiste à une raréfaction importante des loyers bon marché, et à une dénégation évidente du problème. Le discours de M. Muller avant l'été était d'ailleurs très clair: les loyers sont très bon marché à Genève, disait-il, il faut se donner les moyens de renter l'investissement foncier et de rendre plus attractif le placement immobilier - ce qui se conçoit, au vu de la débâcle boursière actuelle...
De ce point de vue, notre projet de loi tombe à pic: il met entre les mains de l'Etat la possibilité de contrôler la spéculation. Selon Mme Künzler, il revient au locataire de faire recours en cas de loyer abusif. Je vous donne une statistique - l'ASLOCA s'est d'ailleurs fendue d'un communiqué de presse sur le sujet: les locataires subissent un rapport de domination, par rapport à leur propriétaire, beaucoup plus important que pendant les années 80. De moins en moins de recours sont entrepris devant les tribunaux: les locataires se laissent tondre, si j'ose dire, et renoncent à leurs droits - y compris au droit de contester le loyer après signature du bail pour se garantir contre les augmentations de loyer abusives au moment d'un changement de locataire. C'est un phénomène inquiétant qui participe à l'augmentation générale des loyers. Nous avons, aujourd'hui encore, affaire à un parc immobilier général bon marché. Dans trois ou quatre ans, si rien ne change, non seulement les gens qui cherchent un logement paieront les frais de cette spéculation - c'est déjà le cas aujourd'hui - mais également l'ensemble des locataires. Nous pensons donc que ce projet de loi mérite d'être étudié plus en détail, d'autant plus qu'il a été étudié en février 2002; il est nécessaire de l'approfondir, voire de le compléter. Aussi, je propose son renvoi en commission.
M. Jean Spielmann (AdG). Très rapidement, je voudrais à mon tour appuyer un renvoi en commission. Je ne suis pas étonné des positions de la commission relatives à ce problème et, notamment, à la question du contrôle des loyers. Les propositions qui sont faites sont pourtant constructives. Elles doivent permettre, premièrement, d'éviter des recours par la mise en place d'une commission consultative et, deuxièmement, de trouver des réponses à un problème que Mme Künzler a très bien exposé: il y a effectivement une nécessité d'augmenter le rendement et donc les loyers, et peut-être y a-t-il là quelque chose à approfondir. Mais, puisque nous n'avons pas eu le temps d'examiner en détail ce projet de loi, Mme Künzler conclut qu'il n'est finalement pas utile. Allons-nous donc évacuer un problème de fond par manque de temps, ou plutôt parce qu'on ne veut pas du projet et qu'on n'ose pas dire les choses clairement - à savoir qu'on a pris le parti de ceux qui font pression sur les loyers et qu'on ne défend pas les locataires, qui ont pourtant besoin de protection, notamment en ce moment? Ce sont pourtant là des problèmes réels et concrets qu'il nous faut résoudre. Je défends donc le renvoi en commission, tout en trouvant pour le moins curieux l'attitude des Verts qui s'allient à la droite pour refuser l'ensemble du projet.
Mme Michèle Künzler (Ve). Il est évident que nous refuserons le renvoi en commission. Il faut être un peu créatif ! On ne va pas renvoyer en commission un projet que nous avons eu parfaitement le temps d'étudier - mais vous n'étiez pas là... Il faut cesser de rigoler et rédiger quelque chose de plus sérieux ! Oui, il y a un problème de contrôle... (L'oratrice est interpellée.)Il y avait un seul commissaire AdG, qui s'est abstenu ! Soyez donc sérieux et ne faites de cinéma en disant qu'il est scandaleux de voir les Verts s'allier à la droite, et qu'il va y avoir un drame ! Il faut d'abord rédiger des projets de lois qui se tiennent. On trouvera sans doute une majorité ici pour faire un nouveau projet de loi, mais celui-ci, on peut franchement le laisser tomber ! (Applaudissements.)
M. Hugues Hiltpold (R). Ma préopinante Verte m'a coupé l'herbe sous les pieds. Je refuse bien entendu le renvoi en commission. Je rappelle que le projet a été traité en une demi-heure tant il était irréaliste, et que le représentant de l'AdG présent en commission s'est abstenu. Il faut donc être conséquent. Un renvoi en commission n'est pas crédible.
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Les problèmes du logement et de la pression sur les loyers sont évidents et graves. En revanche, ainsi que cela a été dit, ce projet n'est pas une bonne réponse. Sur le principe d'augmenter la durée des contrôles, j'aurais tendance à être favorable, mais je suis obligé de constater que cette mesure a un effet dissuasif sur l'investisseur. Surtout, la grosse faiblesse du droit du logement n'est pas cantonale, mais fédérale, et c'est au niveau fédéral que des améliorations sensibles doivent être apportées. Quant à la méthode de contrôle de l'application des décisions du département en matière de loyers - M. Sommaruga a eu raison de le rappeler - la méthode bureaucratique suggérée ne convient pas. Par contre, je l'avais dit en commission et je le confirme ici, des mesures ont été prises pour augmenter les contrôles par sondages, au-delà des simples réactions des intéressés eux-mêmes. De la sorte, j'espère limiter ou éradiquer les violations de ces décisions.
En ce qui concerne les ventes d'appartements, la commission vous a informé du nombre de décisions prises: la quasi-totalité des décisions est basée sur les critères objectifs et clairs de l'article 39. Il y a bien quelques cas de pesées d'intérêts, mais il s'agit de quelques unités par année. Là encore, et par souci d'éviter de créer des institutions inutiles, une commission consultative ne se justifie pas à l'heure actuelle - d'autant que la jurisprudence du Tribunal administratif est aujourd'hui bien développée et connue de tous les acteurs.
Mis aux voix, ce projet est rejeté en premier débat.