République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 14 juin 2002 à 20h15
55e législature - 1re année - 9e session - 46e séance
I 2027
M. Antonio Hodgers (Ve). Je laisse ceux que ce sujet n'intéresse pas quitter la salle. Allez-y! Je ne m'adresse qu'à Mme Spoerri. Concernant la Critical Mass, un petit rappel des faits: ce mouvement existe à Genève depuis environ quatre ans. Il y a deux ans environ, suite à une confrontation entre la Critical Mass et la police, qui avait donné lieu à des arrestations, à un certain nombre d'amendes et surtout lors de laquelle plusieurs dizaines de policiers avaient été mobilisés, M. Ramseyer, Mme Jeannine de Haller et moi-même avions convenu d'un accord oral. Celui-ci impliquait une présence discrète de la police, une police à vélo, qui ne devait intervenir qu'en cas de dommages à la propriété publique ou privée, et qui devait surtout s'abstenir de verbaliser les participants pour des motifs tels que «participation à une manifestation interdite», «n'a pas mis sa sonnette au bon endroit» ou ce genre de choses. L'accord portait d'abord sur trois mois, mais suite au succès reconnu tant par la police que par le Conseil d'Etat, et également par Mme de Haller et moi-même, il se prolongea bien au-delà de cette première échéance.
Malheureusement, depuis la nouvelle législature et, notamment, depuis votre entrée en fonction, Madame, les choses ont changé à la Critical Mass. Le cortège a toujours lieu, mais il est accompagné, non plus par des gendarmes à vélo, mais par une fourgonnette avec des policiers en tenue anti-manifestation. Vous la connaissez: le casque, la matraque... Des jeunes ont de nouveau été verbalisés à la fin du cortège de façon discriminatoire - j'ai les amendes ici - pour des motifs du style «participation à une manifestation non-autorisée», «en tant que piéton, a gêné la circulation». Il faut dire que ces verbalisations ont eu lieu une demi-heure après la fin du cortège.
Je constate que, tant que les policiers étaient à vélo dans ce rendez-vous cycliste, ils se chargeaient d'une certaine médiation. En effet, il arrive parfois que des automobilistes s'échauffent et heurtent les vélos, ce qui entraîne toute une discussion qui dure vingt minutes et bloque les carrefours. Mais la police, à l'époque de l'accord mentionné tout à l'heure, faisait son travail de médiation, calmait les gens, ce qui permettait une plus grande fluidité du cortège et, donc, des véhicules. Depuis qu'elle n'a plus ce rôle, les chocs sont toujours là et il me semble que le trafic est plus perturbé qu'auparavant, ce qui m'a été confirmé notamment par les services des TPG.
Voici mes questions: pourquoi, alors que l'accord précité semblait offrir des avantages aux parties en présence, tant aux forces de l'ordre qu'aux participants, cet accord a-t-il été remis en cause ? Pensez-vous réellement que l'attitude de la police, qui consiste à prendre des jeunes isolés, après et non pendant la manifestation, de manière discriminatoire - ceux qui ont les cheveux d'une certaine couleur et pas d'autres - et à les verbaliser pour des objets anodins, soit de nature à régler la situation et à calmer les esprits ? Enfin, en criminalisant un mouvement par essence pacifiste et festif - qui, je le rappelle pour cette assemblée, existe dans la plupart des villes européennes et nord-américaines et qui a lieu partout à la même heure, le dernier vendredi du mois - le Conseil d'Etat ne prend-il pas le risque de le radicaliser et de le rendre plus agressif ?
Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Monsieur le député, j'ai l'impression que nous faisons presque le même constat, mais que nous n'en tirons pas tout à fait les mêmes conclusions. Comme vous le savez, les temps changent et la Critical Mass aussi; je vous dirai pourquoi tout à l'heure, mais je crois que vous le savez déjà. Permettez-moi de préciser que ce qui me préoccupe actuellement, ce n'est pas la confrontation entre la Critical Mass et la police, mais c'est bel et bien la confrontation entre les adeptes de la Critical Mass et la population genevoise. Et c'est donc sous cet angle-là qu'en effet je répondrai à votre question.
J'ai envisagé de nouvelles dispositions, mais je vous rappelle que nous nous sommes rencontrés il y a six mois, et que je vous ai fait part de mes craintes; Mme Jeannine de Haller, votre collègue, était d'ailleurs avec nous. Ce n'est donc sans doute pas une surprise aujourd'hui pour vous que de voir l'approche du Conseil d'Etat changer. Soit la Critical Mass est une manifestation dûment autorisée et elle bénéficiera notamment d'un encadrement lui permettant de se déployer conformément aux règles de sécurité habituelles, tout en préservant la fluidité du trafic. Dans ce contexte, je vous rappelle que l'instauration d'une brigade interne de sécurité, dont vous êtes également demandeur, voire auteur, aurait tout son sens et répondrait indirectement à l'esprit de la motion 1435 que le Grand Conseil a par ailleurs refusée le 22 mars dernier. Soit, au contraire, la Critical Mass n'est pas autorisée... Or, c'est le cas, il faut quand même le savoir, puisque la Critical Mass n'a jamais fait l'objet d'une demande d'autorisation et qu'elle se veut une manifestation hors normes, qui préconise et privilégie l'usage des vélos.
Cet événement mensuel, nous devons le reconnaître, perturbe fortement la circulation routière, déjà très problématique à Genève. Elle menace de surcroît, et c'est bien là mon souci, la sécurité des jeunes mineurs, vous avez évoqué leur présence. De jeunes piétons fréquentent en effet de plus en plus la Critical Mass et s'exposent de plus en plus à l'exaspération des autres usagers de la voie publique. La présence de jeunes mineurs à pied, c'est précisément la nouveauté de la Critical Mass et c'est notamment à ce titre que j'entends changer d'approche. Il est aisé de comprendre que ce mouvement mensuel, Monsieur le député, pourrait dégénérer à tout moment, au gré des événements, mettant en péril de façon répétée les uns ou les autres. Je ne peux, vous me l'accorderez, cautionner d'aucune façon ce risque. La présence des policiers cyclistes était une présence «sympa», comme on dit, escortant la manifestation, malheureusement elle n'a fait qu'entretenir la confusion, laissant croire à un cadre légitime qui n'existe pas. Cette brigade à vélo n'est en outre pas adaptée au nécessaire maintien de l'ordre et de la sécurité, puisque nous avons malheureusement constaté un certain nombre d'événements violents lors de la Critical Mass, un certain nombre de victimes, avec des lésions corporelles. C'est donc un dispositif adapté, en périphérie de la manifestation, que nous avons activé, en fonction du principe de l'opportunité et de la proportionnalité, et c'est ce que j'ai demandé que l'on mette en place. Je précise, par ailleurs, que c'est bien après la dislocation de la Critical Mass, dans un contexte totalement différent, que l'attitude provocatrice de certains a pu créer problème et que c'est à ce moment-là que la police est intervenue pour verbaliser. Voilà, aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les députés, la situation.
En réponse à votre question, Monsieur, il ne s'agit pas de prendre des jeunes à partie alors qu'ils sont isolés, il ne s'agit évidemment pas de criminaliser le mouvement de la Critical Mass, mais cet événement festif, au même titre que des centaines de manifestations festives qui se déroulent chaque année à Genève, aurait, si vous voulez mon point de vue, tout à gagner en s'inscrivant dans le cadre légitime de nos usages. C'est la raison pour laquelle je vous encourage à tout mettre en oeuvre pour que la Critical Mass conserve cet esprit de convivialité, et je serais prête à vous y aider.
M. Antonio Hodgers (Ve). Je répliquerai lors de la prochaine séance, Monsieur le président.